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Date : 20041103

Dossier : T-1291-04

Référence : 2004 CF 1550

Toronto (Ontario), le 3 novembre 2004

En présence de Roger R. Lafrenière, protonotaire

ENTRE :

GARFORD PTY. LTD.

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                                                             

PAUL VILLGREN et VEIKKO JARVI

                                                                                                                                          défendeurs

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Il s'agit d'une requête présentée par les défendeurs, Paul Villgren (Villgren) et Veikko Jarvi (Jarvi), en vue d'obtenir une ordonnance de radiation de la déclaration de contrefaçon délivrée contre eux le 9 juillet 2004. La demanderesse, Garford Pty. Ltd. (Garford), allègue dans son acte de procédure que Villgren et Jarvi sont personnellement responsables des actes de contrefaçon de deux sociétés, Sling Choker Manufacturing Limited (Sling Choker) et Ground Control (Sudbury) Limited (Ground Control). Garford allègue également que les défendeurs Villgren et Jarvi ont incité des tiers à contrefaire son brevet.

[2]                Villgren est l'unique administrateur et l'un des dirigeants de Ground Control et Sling Choker, et Jarvi est un dirigeant et un employé de Ground Control. Ils soutiennent que Garford n'a pas présenté suffisamment de faits matériels à l'appui des allégations qu'ils sont personnellement responsables des actes des deux sociétés. Pour cette raison, disent-ils, il est « évident et manifeste » que les demandes formulées contre eux ne peuvent être accueillies. Les défendeurs affirment également que la présente action est un abus de procédure, car elle a été déposée uniquement afin de conforter la position de règlement de Garford dans une procédure connexe intentée contre Ground Control et Sling Choker (Cour fédérale, dossier no T-76-01) dont l'instruction est prévue pour septembre 2005 (l'action connexe).

[3]                À la lumière de ma conclusion portant que l'action est vexatoire et constitue un abus de la procédure de la Cour, je n'ai pas besoin de décider si les allégations portées contre les défendeurs ont été correctement présentées dans les actes de procédure. À mon avis, on aurait dû demander une autorisation de modification visant à inclure les allégations dans l'action connexe.


Les faits

[4]                La Cour a le pouvoir en vertu de l'article 221 des Règles de la Cour fédérale (1998) (les Règles) de radier une déclaration. Pour décider si un acte de procédure doit être radié au motif qu'il ne révèle aucune cause d'action valable au titre de l'alinéa 221(1)a) des Règles, les faits allégués dans les actes de procédure doivent être présumés vrais et les éléments de preuve ne sont pas admissibles. Toutefois, la Cour peut être saisie d'une preuve dans le cas où une partie prétend que l'action est frivole et vexatoire (alinéa 221(1)f) des Règles), ou qu'elle constitue un abus de procédure (alinéa 221(1)f) des Règles). Par conséquent, dans la présente requête, outre les allégations de la déclaration, la Cour a considéré les faits exposés dans les affidavits produits par les deux parties.

[5]                Garford est la propriétaire du brevet canadien portant le numéro 2,002,806 (le brevet 806), qui vise de manière générale un boulon d'ancrage utilisé dans l'exploitation minière ainsi que des méthodes et dispositifs de production du boulon. Le 17 janvier 2001, Garford a intenté l'action connexe contre Ground Control et Sling Choker en vue d'obtenir diverses réparations, notamment une déclaration portant que les revendications 1 à 3, 5, 6, 8 à 11, 13 et 15 à 17 du brevet 806 sont valides, une déclaration portant que deux sociétés ont, par incitation ou participation, fait en sorte que des tiers contrefassent le brevet, ainsi qu'une injonction ordonnant aux défendeurs des sociétés, à leurs administrateurs, dirigeants et employés de cesser la contrefaçon du brevet de Garford.

[6]                Dans le cadre de la gestion de l'instance menée par le juge Hugessen, des interrogatoires préalables des parties ont eu lieu dans l'action connexe, notamment celui de Villgren à titre de représentant de Ground Control et Sling Choker, en décembre 2002. Le juge Hugessen a tenu diverses conférences préparatoires en 2003, suivies par une conférence de règlement du litige en janvier 2004. Le 9 janvier 2004, il a ordonné que l'action connexe soit mise au rôle en vue de l'instruction au printemps ou à l'automne de 2005.

[7]                Le 9 juillet 2004, Garford a intenté la présente action à l'égard du même brevet, en vue d'obtenir essentiellement les mêmes réparations que dans l'action connexe contre Villgren et Jarvi. Dans les deux procédures, des allégations identiques sont portées contre les défendeurs, sauf pour les formulations supplémentaires figurant aux paragraphes 3, 4, 5, 12, 13, 14 et 23 de la déclaration dans la présente action. Les « nouvelles » allégations sont exposées dans les extraits soulignés des paragraphes ci-dessous :

[traduction]

3.              Ground Control (Sudbury) Limited (Ground Control) est une société constituée et exploitée selon les lois de l'Ontario, dont le siège social et l'établissement principal sont situés au 1150 Kelly Lake Road, Sudbury (Ontario), Canada, P3E 5P4. Ground Control exerce l'activité de fabricant, distributeur, exportateur et importateur de boulons d'ancrage, entre autres. Ground Control est défenderesse dans un litige connexe mettant en cause la demanderesse et le brevet visé, formant le dossier T-76-01.

4.              Sling Choker Manufacturing Limited (Sling Choker) est constituée et exploitée selon les lois de l'Ontario, et son établissement principal est situé au 2212 Algonquin Road North, Sudbury (Ontario), Canada, P3E 4Z6. Sling Choker exerce l'activité de fabricant, distributeur, exportateur et importateur de boulons d'ancrage, entre autres. Sling Choker est défenderesse dans un litige connexe mettant en cause la demanderesse et le brevet visé, formant le dossier T-76-0.

5.              Villgren est le propriétaire, l'unique administrateur et un dirigeant de Sling Choker. Villgren est l'unique administrateur de Ground Control et son seul dirigeant. Jarvi est le directeur général et le directeur des ventes de Ground Control.


***

12.            Villgren et Jarvi ont été pendant toute la période pertinente personnellement au courant des brevets de la demanderesse et de leur obligation d'obtenir l'autorisation ou le consentement de la demanderesse pour l'usage de la technologie.

13.            Villgren et Jarvi ont pris connaissance du brevet 806 dans le cadre de réunions et d'une correspondance avec les agents de la demanderesse.

14.            Villgren et Jarvi ont personnellement demandé à un tiers de fabriquer le dispositif contrefaisant.

23.            Villgren et Jarvi ont eu, délibérément, intentionnellement et sciemment, un comportement qui devait vraisemblablement constituer une contrefaçon portant atteinte aux droits de la demanderesse ou qui reflétait de l'indifférence à l'égard du risque de contrefaçon.

24.            Ces actes des défendeurs vont vraisemblablement se poursuivre à moins d'être interdits par la présente Cour. Du fait de ces actes des défendeurs, les défendeurs ont fait et/ou feront un bénéfice et la demanderesse a subi et/ou subira un préjudice.

25.            La demanderesse ne connaît pas l'étendue réelle de la contrefaçon des défendeurs comme on l'a dit précédemment et elle demande réparation à l'égard de tous les actes de contrefaçon des défendeurs.

[8]                Dans son affidavit déposé en opposition à la requête, M. Daniel Brown, directeur commercial du licencié exclusif pour le Canada du brevet de Garford, explique pourquoi une poursuite a été intentée contre Villgren et Jarvi à ce stade-ci. M. Brown déclare qu'il est possible qu'une injonction ou une autre ordonnance d'interdiction obtenue à l'encontre de Ground Control dans l'action connexe soit sans effet, et que Villgren et Jarvi répéteraient simplement la contrefaçon par l'entremise d'une autre société qu'ils contrôlent personnellement. Villgren aurait fait valoir à M. Brown au cours de conversations téléphoniques que si l'affaire ne se réglait pas sous peu, il cesserait l'exploitation de Ground Control. Villgren a également indiqué à M. Brown qu'il contrôle un certain nombre de sociétés et laissé entendre qu'il transférerait simplement les activités contrefaisantes à une autre entreprise qu'il contrôle personnellement.


L'analyse

[9]                L'avocat de Garford ne conteste pas que l'action connexe et la présente procédure comportent des questions de fait et de droit qui se chevauchent. La déclaration fait référence aux activités des défendeurs et à leur responsabilité pour la contrefaçon de brevet à l'égard des actes commis par Sling Choker et Ground Control. Garford allègue en particulier que Villgren et Jarvi étaient personnellement au courant de ses brevets, avaient été informés du brevet 806 directement lors de réunions et d'échange de correspondance avec la demanderesse ou avec ses agents et avaient personnellement demandé à un tiers de fabriquer le dispositif contrefaisant. La déclaration reprend les nombreuses allégations faites dans l'action connexe, entre autres que Ground Control et Sling Choker ont commencé la fabrication, l'utilisation et la vente de l'objet du brevet 806 postérieurement au moment où Garford a commencé ou autorisé les ventes de son [traduction] « câble Garford » divulgué dans le brevet 806. La déclaration allègue que Ground Control et Sling Choker ont poursuivi leurs actes même après avoir reçu un avis au sujet du brevet 806 le 20 décembre 1994.


[10]            Il semble que l'importance de la participation personnelle de Villgren et Jarvi à la direction des actes de Ground Control et Sling Chiker était connue de la demanderesse bien avant que l'action connexe soit intentée et remonte même à 1992. Le degré de leur contrôle sur les sociétés a aussi été passé en revue au cours des interrogatoires préalables dans l'action connexe. Mais il est étonnant que Garford n'ait jamais pris aucune mesure pour modifier l'acte de procédure. Elle n'a pas non plus demandé de joindre Villgren et Jarvi comme défendeurs, comme elle avait droit de le faire en vertu de l'article 104 des Règles. Cet article régit la constitution de nouvelles parties à l'instance et prévoit que la Cour peut ordonner qu'une personne qui aurait dû être constituée comme partie à l'instance, ou dont la présence devant la Cour est nécessaire pour assurer une instruction complète et le règlement des questions en litige dans l'instance, soit constituée comme partie à l'instance. Au lieu d'adopter ce parti, Garford a simplement intenté une action distincte.

[11]            La Cour a récemment examiné le bien-fondé d'intenter des procédures distinctes contre des parties différentes qui mettent en cause des faits et des questions similaires. Dans la décision Vogo Inc. c. Acme Window Hardware Ltd. (Vogo c. Acme), 2004 CF 851, le juge O'Keefe a rejeté un appel à l'encontre d'une ordonnance de la protonotaire Tabib, qui avait refusé de radier une déclaration. La demanderesse, Vogo Inc. (Vogo), avait allégué que Tam Nguyen (Nguyen), président et administrateur d'Acme Window Hardware Ltd. (Acme), défenderesse dans une procédure antérieure intentée par Vogo, était personnellement responsable de la contrefaçon d'Acme. La protonotaire Tabib a rejeté l'argumentation de Nguyen selon laquelle il était incorrect que Vogo intente une action distincte et cherche ensuite la jonction des instances, au lieu de demander de le constituer partie à l'instance à titre de défendeur dans l'action antérieure. Le juge O'Keefe a conclu que la protonotaire Tabib n'avait pas commis d'erreur flagrante dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, tout en notant que la jonction des instances permettrait d'éviter la multiplication des procédures et favoriserait une décision expéditive et économique.

[12]            La décision sur les requêtes dans l'affaire Vogo c. Acme ne doit pas être interprétée comme une confirmation par la Cour de la pratique de la multiplicité des procédures. La protonotaire Tabib traitait d'une situation de fait particulière, où les deux procédures n'étaient pas encore rendues au stade de l'interrogatoire préalable. Elle a été en mesure d'établir une réparation, par la jonction des deux procédures, qui minimisait le retard dans la conduite des deux actions. Il n'en est résulté aucun préjudice aux défendeurs dans l'une ou l'autre des actions.

[13]            Ce ne serait pas le cas en l'espèce. Une conférence préparatoire a déjà été tenue dans l'action connexe et les dates de l'instruction sont maintenant fixées. Toute ordonnance de jonction d'instances, au stade avancé où nous sommes, pourrait compromettre les dates d'instruction de l'action connexe, du fait que la présente action n'est rendue qu'au stade des actes de procédure et qu'il peut être nécessaire de poursuivre les interrogatoires préalables. De plus, la durée du procès devrait vraisemblablement être revue en fonction des questions supplémentaires soulevées dans la déclaration.


[14]            Garford soutient que comme Villgren a récemment laissé entendre qu'il pourrait mettre fin progressivement à l'activité de Ground Control et transférer les activités contrefaisantes à une autre entreprise qu'il contrôle personnellement, elle est parfaitement justifiée d'intenter maintenant la présente action contre Villgren et Jarvi. C'est peut-être vrai. Toutefois, nul ne peut passer sous silence le fait que les allégations contre Villgren et Jarvi sont nées de l'action connexe et sont inextricablement liées à elle, ce qui a fait l'objet d'une gestion d'instance rigoureuse du juge Hugessen. À mon avis, l'action connexe était et demeure l'instance approprié pour débattre du bien-fondé des allégations, notamment de leur opportunité. Il serait présomptueux de ma part de m'immiscer dans une instance dont la gestion est confiée à un autre, en particulier du fait que sa complexité et sa dynamique ne me sont pas familières.

[15]            Je considère qu'il est à la fois vexatoire et abusif que Garford ait intenté deux actions distinctes mettant en cause le même brevet et les mêmes questions, et qu'elle demande une réparation sous forme d'injonction essentiellement aux mêmes parties. Il serait simplement trop coûteux, trop inefficace et trop peu pratique que la Cour soit saisie de deux procédures répétitives et faisant double emploi.

[16]            Dans les circonstances, je rejette l'action au motif qu'elle est vexatoire et qu'elle constitue un abus de procédure devant la Cour, sans préjudice des droits de la demanderesse de demander l'autorisation de joindre à l'instance Villgren et Jarvi à titre de parties à la procédure connexe qui est actuellement pendante devant la Cour (dossier de la Cour no T-76-01).


                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.                   La déclaration de la présente procédure est radiée sans autorisation de modification sur le fondement de l'alinéa 221(1)f) des Règles de la Cour fédérale (1998).

2.                   La demanderesse est tenue de payer sans délai aux défendeurs les dépens de la présente requête, soit la somme de 1 730,78 $.

3.                   La présente ordonnance est rendue sans préjudice des droits de la demanderesse de demander l'autorisation de la Cour pour joindre à l'instance MM. Villgren et Jarvi à titre de parties à une procédure connexe qui est maintenant pendante devant la Cour (dossier de la Cour no T-76-01), ni du droit de la demanderesse de demander à la Cour l'autorisation de modifier son acte de procédure dans la présente action.

« Roger R. Lafrenière »

                                                                                         Protonotaire                 

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                                Avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                                                     T-1291-04

INTITULÉ :                                                    GARFORD PTY. LTD.

demanderesse

et

PAUL VILLGREN et VEIKKO JARVI

défendeurs

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 18 OCTOBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE PROTONOTAIRE LAFRENIÈRE

DATE DES MOTIFS

ET DE L'ORDONNANCE :              LE 3 NOVEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

P. Bradley Limpert                                            POUR LA DEMANDERESSE

Jason C. Markwell                                            POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

GOWLING LAFLEUR HENDERSON s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)                                              POUR LA DEMANDERESSE

OGILVY RENAULT                          

AvocatsToronto (Ontario)                                             POUR LES DÉFENDEURS


                                                                                                           

COUR FÉDÉRALE

Date : 20041103

                                                               Dossier : T-1291-04

ENTRE :

GARFORD PTY. LTD.

                                                                                    demanderesse

et

PAUL VILLGREN et VEIKKO JARVI

                                                                                                           

                                                                                          défendeurs

                                                                                     

                        MOTIFS DE L'ORDONNANCE

         ET ORDONNANCE

                                                                                   


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