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Date : 20020830

Dossier : IMM-4662-01

Référence neutre : 2002 CFPI 922

ENTRE :                                               

                                                        MICHAEL IFEANYI OJINMA

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MacKAY

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire concernant une décision d'une agente d'immigration, en date du 20 septembre 2001, par laquelle la demande d'établissement pour des raisons d'ordre humanitaire présentée par le demandeur de l'intérieur du Canada a été rejetée.

Contexte

[2]                 Le demandeur, citoyen du Nigeria, est arrivé au Canada le 14 janvier 1997 et a revendiqué le statut de réfugié. Sa revendication a été rejetée à l'issue d'une audition de la section du statut de réfugié (section du statut) le 25 mars 1999. Des motifs écrits ont été publiés le 21 avril 1999.


[3]                 Le 7 janvier 2000, le demandeur a présenté de l'intérieur du Canada une demande d'établissement pour des raisons d'ordre humanitaire (demande pour des raisons d'ordre humanitaire). Par la suite, les autorités de l'immigration sont entrées en contact avec lui et il s'est présenté à plusieurs réunions ayant trait aux mesures à prendre pour son renvoi du Canada. À la suite de ces réunions, le demandeur devait être renvoyé du Canada le 5 septembre 2000.

[4]                 Le demandeur ne s'est pas présenté à l'aéroport au jour prévu, et un mandat d'arrestation a été délivré contre lui. Le 7 novembre 2000, l'avocat du demandeur a fait parvenir des observations abondantes aux autorités de l'immigration, concernant le risque auquel serait exposé le demandeur s'il était renvoyé du Canada.

[5]                 Le 12 décembre 2000, le demandeur a été arrêté et détenu jusqu'au 19 décembre, date à laquelle les autorités ont essayé de l'expulser par avion vers le Nigeria. Toutefois, il a opposé une telle résistance que la compagnie aérienne ne l'a pas autorisé à monter à bord de l'appareil.

[6]                 Le 22 décembre 2000, l'avocat du demandeur a fait parvenir d'autres observations s'opposant au retour de son client au Nigeria.

[7]                 Le 3 janvier 2001, les agents d'immigration ont de nouveau essayé d'expulser le demandeur. Il a encore une fois opposé tant de résistance que la compagnie aérienne a refusé de l'accepter comme passager.


[8]                 En réponse à la crainte alléguée du demandeur de retourner au Nigeria, le bureau des renvois a demandé qu'une évaluation du risque soit faite par une agente de révision des revendications refusées (ARRR). Dans une lettre en date du 5 janvier 2001, l'ARRR a informé l'avocat du demandeur qu'elle était d'avis que ce dernier courrait un risque s'il était renvoyé au Nigeria, mais l'opinion concernant le risque n'a pas été communiquée au demandeur. Elle indiquait en partie ce qui suit :

[TRADUCTION]

Je suis au courant que l'embarquement lui a été refusé à deux reprises à bord de l'avion qui le ramènerait au Nigeria. Les pilotes ont justifié leur refus par le fait que le demandeur s'opposait personnellement à son renvoi. Il a indiqué de différentes façons qu'il a peur de retourner au Nigeria. Bien qu'à mon avis il soit mal informé de la situation actuelle au Nigeria, son comportement laisse croire que sa crainte est très réelle pour lui. Cette crainte a fait en sorte qu'il s'est fortement opposé à son renvoi, au point où il aurait dû être embarqué de force dans l'avion. À mon avis, si le demandeur est forcé de monter à bord de l'avion, peut-être avec des menottes aux poignets, et escorté jusqu'au Nigeria, il sera évident pour les autorités qu'il est une personne d'intérêt. Elles pourront croire qu'il est dangereux ou en déduire qu'il s'agit d'une personne qui a revendiqué sans succès le statut de réfugié. Cela suffira pour entraîner sa détention [...] À mon avis, le demandeur courrait un risque étant donné que je crois que la seule façon dont il pourra être mis à bord d'un avion à destination du Nigéria est par la force et la contrainte.

[9]                 Le 27 février 2001, l'avocat du demandeur a envoyé à l'agente d'immigration un troisième lot d'observations à l'appui de la demande de droit d'établissement pour des raisons d'ordre humanitaire, expliquant pourquoi le demandeur courrait un risque s'il était renvoyé au Nigeria. Une entrevue a été accordée au demandeur le 19 juillet 2001 pour lui permettre d'expliquer davantage son cas.

[10]            Dans une lettre en date du 20 septembre 2001, l'agente d'immigration a refusé la demande d'établissement pour des raisons d'ordre humanitaire présentée de l'intérieur du Canada.

[11]            Le demandeur soumet à l'examen de la Cour les questions suivantes :

1) L'agente d'immigration a-t-elle à tort fait obstacle à l'exercice de son pouvoir discrétionnaire?

2) L'agente d'immigration avait-elle un préjugé contre le demandeur?

3) L'agente d'immigration a-t-elle commis une erreur en ne communiquant pas au demandeur l'opinion sur l'évaluation du risque établie par l'ARRR?

[12]            J'examinerai chacune de ces questions à tour de rôle, après avoir fait des observations sur la norme de contrôle applicable en l'espèce.


Norme de contrôle

[13]            Le droit concernant la norme de contrôle qui doit s'appliquer dans un contrôle judiciaire portant sur des décisions liées à l'existence de raisons d'ordre humanitaire est bien établi. Dans la décision Tartchinska c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 185 F.T.R. 16, [2000] A.C.F. no 373, le juge Nadon (maintenant juge à la Cour d'appel) a fait les observations suivantes aux paragraphes 18 et 19 :

Il est clair que les dispenses fondées sur des motifs d'ordre humanitaire sont de nature discrétionnaire et qu'un demandeur n'a pas droit à un résultat en particulier. Pour contester avec succès une décision défavorable, le demandeur doit établir que le décideur a commis une erreur de droit, agi de mauvaise foi, ou appliqué un mauvais principe : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 174 D.L.R. (4th) 193 (C.S.C.); Shah c. M.E.I. (1994) 23 Imm. L.R. (2d) 82 (C.A.F.); Ogunfowora c. M.C.I., 41 Imm. L.R. (2d) 75 (C.F. 1re inst.).

La Cour suprême a clairement dit dans l'arrêt Baker, précité, que la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer aux demandes fondées sur des motifs d'ordre humanitaire est celle du caractère raisonnable. Par conséquent, si la décision contestée est fondée sur des motifs qui peuvent soutenir un examen assez approfondi, la Cour n'est pas habilitée à modifier la décision.

[14]            En examinant la décision de l'agente d'immigration de refuser la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, j'applique la norme de la décision raisonnable.

Questions en litige

L'agente d'immigration a-t-elle à tort fait obstacle à l'exercice de son pouvoir discrétionnaire?

[15]            Le demandeur soutient que l'agente d'immigration a à tort fait obstacle à l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. Dans les motifs de sa décision, l'agente d'immigration fait l'observation suivante :

[TRADUCTION]

J'ai analysé les éléments des motifs fournis par les membres de la section du statut pour justifier leur décision, de même que les éléments de l'opinion sur le risque fournie par l'ARRR, ainsi que le contenu de toute cette affaire. Je conclus que l'opinion positive concernant le risque ne l'emporte pas sur les facteurs négatifs de cette affaire.


[16]            Le demandeur soutient que le passage ci-dessus indique que l'agente d'immigration, quand elle a décidé de la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire selon son bien-fondé, s'est appuyée à tort sur l'analyse et le raisonnement des décisions antérieures prises par la section du statut et l'ARRR, plutôt que d'examiner de façon indépendante la preuve dont elle était saisie, ce qu'elle était tenue de faire.

[17]            L'argument présenté par le demandeur sur ce point ne me convainc pas. Dans ses motifs, qui couvrent 12 pages à interligne simple, l'agente d'immigration a examiné toutes les preuves dont elle était saisie avant de prendre sa décision. Le simple fait qu'elle ait fait référence aux éléments des décisions de la section du statut et de l'ARRR ne signifie pas qu'elle n'a pas examiné de façon indépendante la preuve dont elle était saisie en l'espèce.

L'agente d'immigration avait-elle un préjugé contre le demandeur?

[18]            Le demandeur fait valoir que l'agente d'immigration avait un préjugé contre lui. Il prétend que le préjugé ressort clairement des motifs de l'agente d'immigration qui, selon lui, attache une importance non méritée à des faits défavorables à la revendication du demandeur, et qu'elle a examiné de façon très succincte la preuve qui lui était favorable.

[19]            La prétention du demandeur sur ce point est essentiellement un argument selon lequel l'agente d'immigration a mal pondéré la preuve dont elle était saisie. Toutefois, dans une affaire de contrôle judiciaire, il n'appartient pas à la présente Cour d'évaluer comment l'agent d'immigration a pondéré la preuve. Au contraire, dans une procédure de contrôle d'une décision fondée sur des motifs d'ordre humanitaire, la Cour ne peut intervenir que s'il est démontré que la décision de l'agente d'immigration est déraisonnable parce qu'elle a commis une erreur de droit, qu'elle a agi de mauvaise foi ou qu'elle a appliqué un mauvais principe (voir Tartchinska, précitée). Je ne suis pas convaincu que la décision de l'agente était déraisonnable en l'espèce.


L'agente d'immigration a-t-elle commis une erreur en ne communiquant pas l'évaluation du risque faite par l'ARRR au demandeur?

[20]            Dans les motifs de sa décision, l'agente d'immigration fait référence à l'évaluation du risque établie par l'ARRR, et refuse ensuite d'en entériner le résultat. Le demandeur prétend que l'agente d'immigration a manqué à son obligation d'agir équitablement en ne lui communiquant pas l'évaluation du risque établie par l'ARRR, en croyant qu'elle ne serait pas acceptée, lui refusant ainsi la possibilité de prendre connaissance du document et de faire des observations sur celui-ci ou parce qu'elle avait une prédisposition à ignorer son résultat. À l'appui de cet argument, le demandeur s'appuie sur l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, dans lequel Madame le juge L'Heureux-Dubé, s'exprimant au nom de la majorité, a fait l'observation suivante au paragraphe 32 :

Pondérant ces facteurs, je ne suis pas d'accord avec la conclusion de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Shah, précité, à la p. 239, que l'obligation d'équité dans ces circonstances est simplement « minimale » . Au contraire, les circonstances nécessitent un examen complet et équitable des questions litigieuses, et le demandeur et les personnes dont les intérêts sont profondément touchés par la décision doivent avoir une possibilité valable de présenter les divers types de preuves qui se rapportent à leur affaire et de les voir évalués de façon complète et équitable.

[21]            Le demandeur soutient qu'en ne lui communiquant pas l'opinion de l'ARRR sur le risque, ou en croyant qu'elle ne serait pas suivie, l'agente d'immigration a manqué à son droit de lui donner une « possibilité valable » de présenter une preuve pertinente à son cas, et d'avoir cette preuve « évaluée de façon concrète et équitable » .

[22]            Bien qu'en l'espèce le demandeur n'ait pas obtenu copie de l'opinion sur le risque, il a été informé de son existence et de son résultat. Le 5 janvier 2001, l'ARRR a écrit à l'avocat du demandeur pour l'informer de son opinion selon laquelle le demandeur courrait un risque s'il devait être renvoyé au Nigeria. La lettre indique en outre ce qui suit :


[TRADUCTION]

L'opinion sur le risque sera envoyée au bureau de l'exécution de la loi et au CIC de Vancouver pour être examinée par l'agent qui doit prendre une décision sur la demande de résidence permanente présentée par votre client de l'intérieur du Canada pour des raisons d'ordre humanitaire. Veuillez adresser toutes vos questions concernant le maintien en détention, l'état du renvoi ou l'examen définitif de la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire au plus approprié de ces deux bureaux.

[23]            Après que le demandeur eut été informé de l'existence de l'évaluation du risque faite par l'ARRR, il a eu d'autres occasions de faire des observations au sujet de cette évaluation. Le 29 janvier 2001, un agent d'immigration a écrit au demandeur l'invitant à présenter d'autres observations, ce qu'il a fait le 27 février 2001. Quelques mois plus tard, soit le 19 juillet 2001, le demandeur a été convoqué personnellement en entrevue avec l'agente d'immigration où il a eu une autre possibilité de défendre son cas. Dans les circonstances, j'estime que l'agente d'immigration n'a pas commis d'erreur en ne fournissant pas au demandeur une copie de l'opinion sur le risque établie par l'ARRR. À mon avis, le demandeur a eu amplement la possibilité de présenter les éléments de preuve pertinents à son cas, et de faire évaluer de façon complète et équitable ces éléments de preuve.


[24]            Le demandeur s'appuie en outre sur la décision Haghighi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 174 F.T.R. 123 (C.F. 1re inst.), dans laquelle le juge Gibson a infirmé la décision concernant l'existence de raisons d'ordre humanitaire qui était à l'étude. Toutefois, les faits de l'espèce peuvent être distingués des faits de l'affaire Haghighi. Dans cette affaire, le demandeur avait présenté une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire qui avait été transmise par l'agent d'immigration à l'ARRR. En concluant de façon négative son évaluation sur le risque, l'ARRR s'est appuyée sur un rapport de 1997 du Department of State des États-Unis (le rapport de 1997 du DOSS) qui ne figurait pas parmi les documents déposés par le demandeur à l'appui de sa demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire. L'agent d'immigration s'est ensuite appuyé sur l'opinion négative concernant le risque pour décider de refuser la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire. Au paragraphe 11 le juge Gibson fait l'observation suivante :

[...] (N)i la recommandation de l'agent de révision et l'analyse sur laquelle elle était fondée, ni le 1997 DOSS Report et le fait qu'on s'y était fié n'ont été divulgués au demandeur. En conséquence, le demandeur n'a eu la possibilité de répondre ni à l'une ni à l'autre.

[25]            En l'espèce, contrairement à l'affaire Haghighi, le demandeur a été informé de l'existence et du résultat de l'opinion donnée par l'ARRR, et il a été invité à adresser toutes ses questions concernant le maintien en détention, l'état du renvoi ou l'examen final de la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire aux autorités de l'immigration. En outre, en l'espèce, contrairement à l'affaire Haghighi, il n'a pas été allégué que l'ARRR s'était appuyée sur des documents qui n'avaient pas été portés à la connaissance du demandeur pour son examen de la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire. L'argument fondé sur l'inéquité en l'espèce s'appuie sur l'inclusion de l'opinion sur le risque dans les documents examinés au regard de la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire. Le demandeur était au courant de l'existence de cette opinion et de son résultat, et du fait qu'elle serait prise en compte dans l'évaluation de sa demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire. Dans les circonstances, il n'y a pas eu d'inéquité dans le processus suivi pour décider de la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire.

Conclusion

[26]            La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


[27]            Tout de suite après l'audience, j'ai indiqué aux avocats que dès le dépôt des présents motifs je leur donnerais la possibilité de proposer des questions graves de portée générale aux fins de la certification prévue au paragraphe 83(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, et ses modifications. J'invite tous les avocats à consulter la Cour, par l'entremise du Greffe de Vancouver, et à l'informer le ou avant le 12 septembre 2002, de toute question dont ils auront convenu, ou, s'ils ne peuvent en arriver à une entente, de toute question que l'une ou l'autre partie peut proposer.

    

                                                                          « W. Andrew MacKay »          

                                                                                                             Juge                         

OTTAWA (Ontario)

le 30 août 2002

  

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

    

No DU GREFFE :                                       IMM-4662-01

  

INTITULÉ DE LA CAUSE :                    MICHAEL IFEANYI OJINMA

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

  

LIEU DE L'AUDIENCE :                         VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

  

DATE DE L'AUDIENCE :                       LE 12 JUIN 2002

  

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :         LE JUGE MACKAY

  

DATE :                                                          LE 30 AOÛT 2002

   

COMPARUTIONS :

  

GREGORY P. BRUCE                                                                POUR LE DEMANDEUR

BRENDA CARBONELL                                                            POUR LE DÉFENDEUR

   

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

  

GREGORY P. BRUCE, avocat                                                   POUR LE DEMANDEUR

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

  

MORRIS ROSENBERG                                                             POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

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