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Date : 20020801

Dossier : T-705-97

Référence neutre : 2002 CFPI 838

ENTRE :

LE CHEF LIZA WOLF, en son propre nom et au nom des membres

de la PREMIÈRE NATION DENE TSAA, également connue sous

le nom de BANDE INDIENNE DE PROPHET RIVER

demandeurs

                                                                          - et -

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                      défenderesse

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                       (Prononcés séance tenante lors d'une audience en téléconférence tenue à

                                   Ottawa (Ontario), Vancouver (C.-B.) et Priddis (Alberta)

                                                         le mercredi 31 juillet 2002.)

                                                                             

LE JUGE HUGESSEN

[1]                Il s'agit d'une requête présentée par la Couronne défenderesse, qui cherche à interroger un témoin potentiel, M. Harry Dickie, par commission rogatoire hors cour préalablement à l'instruction et en conformité avec les dispositions de la règle 271 des Règles de la Cour fédérale (1998), qui prévoit :


Dépositions recueillies hors cour

271. (1) La Cour peut, sur requête, ordonner qu'une personne soit interrogée hors cour en vue de l'instruction.

Taking of Trial Evidence out of Court

271.(1) On motion, the Court may order the examination for trial of a person out of court.

(2) La Cour peut tenir compte des facteurs suivants lorsqu'elle rend l'ordonnance visée au paragraphe (1) :

(2) In making an order under subsection (1), the Court may consider

a) l'absence prévue de la personne au moment de l'instruction;

b) l'âge ou l'infirmité de la personne;

c) la distance qui sépare la résidence de la personne du lieu de l'instruction;

d) les frais qu'occasionnerait la présence de celle-ci à l'instruction.

(a) the expected absence of the person at the time of trial;

(b) the age or any infirmity of the person;

(c) the distance the person resides from the place of trial; and

(d) the expense of having the person attend at trial.

(3) Dans l'ordonnance rendue en vertu du paragraphe (1) ou sur requête subséquente d'une partie, la Cour peut donner des directives au sujet des date, heure, lieu et frais de l'interrogatoire, de la façon de procéder, de l'avis à donner à la personne à interroger et aux autres parties, de la comparution des témoins et de la production des documents ou éléments matériels demandés.

(3) In an order under subsection (1), or on the subsequent motion of a party, the Court may give directions regarding the time, place, manner and costs of the examination, notice to be given to the person being examined and to other parties, the attendance of witnesses and the production of requested documents or material.

(4) La Cour peut, sur requête, ordonner qu'un témoin interrogé en application du paragraphe (1) subisse un interrogatoire supplémentaire devant elle ou la personne qu'elle désigne à cette fin, si l'interrogatoire n'a pas eu lieu, la Cour peut refuser d'admettre la déposition de ce témoin.

(4) On motion, the Court may order the further examination, before the Court or before a person designated by the Court, of any witness examined under subsection (1), and if such an examination is not conducted, the Court may refuse to admit the evidence of that witness.

[2]                M. Dickie était anciennement le chef de la bande Fort Nelson et a occupé ce titre dans les années 70, au moment où la bande Fort Nelson et la bande demanderesse, la bande de Prophet River, se sont séparées. Elles s'étaient auparavant fusionnées à la fin des années 50. L'action elle-même dirigée contre la Couronne est intentée par la bande Prophet River, qui allègue que la Couronne a manqué à plusieurs reprises à ses obligations de fiduciaire tant, si je comprends bien, à l'occasion de la fusion en 1957 qu'à la séparation subséquente des deux bandes en 1974.

[3]                À mon avis, les principaux facteurs qui doivent être pris en compte pour trancher une requête de cette nature sont : premièrement, la santé et la disponibilité du témoin proposé et, deuxièmement, la probabilité que son témoignage s'avère important au procès et qu'il y ait conséquemment entrave au cours de la justice si le témoin n'était plus disponible dans l'éventualité où l'on procéderait à l'instruction.


[4]                M. Dickie est âgé de 89 ans. Il a des antécédents de problèmes cardiaques et, semble-t-il, a déjà subi au moins un pontage ainsi qu'une chirurgie à coeur ouvert. De toute évidence, je ne veux pas dire par là que le simple fait pour un témoin proposé ou potentiel d'être en âge avancé suffise en soi à justifier une ordonnance de cette nature; cependant, à mon sens, lorsque s'ajoutent des antécédents d'affections graves même si le témoin paraît aujourd'hui être en bonne santé, cela suffit clairement pour faire pencher la balance en faveur de la délivrance d'une ordonnance comme celle qu'on sollicite. J'ajouterais simplement à cet égard qu'en toute déférence, je ne peux me rallier à une remarque incidente formulée dans l'affaire Bande indienne de Sawridge (Bande indienne de Sawridge c. Canada, [1994] 109 D.L.R. (4th) 364 (C.F.P.I.)), où le juge Muldoon a estimé que la production d'une preuve médicale s'imposait dans le cadre d'une requête de cette nature. Pour ma part, je considère qu'il suffit que la Cour dispose d'éléments de preuve qu'elle juge convaincants quant au fait que le témoin proposé souffre d'une affection. En l'occurrence, je dispose d'une preuve par ouï-dire - admissible dans le cadre d'une requête - émanant de M. Dickie lui-même selon laquelle il souffre des affections susmentionnées et j'aurais pensé, comme le dicterait le bon sens, que la personne concernée serait la mieux placée, et c'est souvent le cas, pour établir la preuve de son âge et de son état de santé.


[5]                Dans leur argumentation, les demandeurs ont soulevé d'autres motifs pour lesquels je ne devrais pas ordonner la tenue de cette commission rogatoire. Je peux seulement dire je ne crois pas qu'ils soient valables. Il se pourrait que M. Dickie ait un intérêt réel ou perçu quant à l'issue du litige; cela ne constitue pas et n'a jamais constitué un motif pour refuser d'entendre un témoin, même s'il va de soi qu'il est loisible au juge de première instance d'apprécier la valeur probante de son témoignage. Il se pourrait également que la mémoire de M. Dickie soit chancelante; ce n'est pas là non plus une raison de rejeter d'emblée la déposition du témoin à ce titre. Encore une fois, il appartiendrait au juge de première instance d'apprécier la crédibilité du témoin. À la lumière des éléments de preuve dont je dispose, il pourrait s'avérer, et c'est le cas, que M. Dickie ait déjà relaté la version des faits à propos desquels on lui demandera de témoigner, ou à tout le moins à propos de certains d'entre eux, lors d'une entrevue qui, à mon souvenir, a eu lieu au début des années 90. Selon toute apparence, cette entrevue a été enregistrée sur bande vidéo, dont la transcription partielle a été communiquée à la Couronne, et il est possible que la transcription complète ainsi que le vidéo lui-même soient communiqués à d'autres parties à l'instance. Ce n'est toutefois pas une raison pour que le juge qui procédera à l'instruction refuse d'entendre M. Dickie. De toute évidence, le vidéo et la transcription ne seraient pas admissibles en preuve, quoiqu'ils puissent être admissibles ou servir lors du contre-interrogatoire de M. Dickie dans la mesure où les règles ordinaires de la preuve le permettraient. Bien qu'il appert que cela soit contesté, le cadre dans lequel M. Dickie a été interviewé quelques mois auparavant par l'avocate de la Couronne a pu avoir été irrégulier. Je ne me prononce pas à cet égard, mais certaines observations qui m'ont été soumises aujourd'hui ont fait implicitement ressortir cette possibilité. Encore là, il ne s'agit pas d'un motif pour refuser d'entendre un témoin, ne serait-ce qu'aux fins de sa crédibilité.

[6]                En l'occurrence, j'estime que les conditions sont réunies pour faire droit à la délivrance d'une ordonnance de la nature de celle qui est recherchée. De toute évidence, ayant pris part aux événements survenus à l'époque, M. Dickie était présent lors de la séparation des bandes en 1974 et son témoignage pourrait s'avérer décisif.


[7]                On a fait valoir que la déposition du témoin devrait être enregistrée sur bande vidéo et je conviens que ce serait souhaitable. On a soutenu que le témoin devrait être entendu à Fort Nelson, où il demeure actuellement. Je suis aussi de cet avis. Fort Nelson se trouve à environ mille kilomètres tant de Calgary que de Vancouver, qui sont les deux centres les plus proches où la Cour siègerait normalement. Pour une personne de l'âge de M. Dickie, il s'agirait d'un long voyage et j'estime qu'il serait tout à fait approprié de l'interroger d'abord à Fort Nelson. Permettez-moi d'ajouter ceci. Une ordonnance relative à l'interrogatoire hors cour d'un témoin qui se trouve au Canada se fait toujours, comme nous les avocats avons l'habitude de dire, de bene esse, c'est-à-dire pour ce que son témoignage pourrait valoir. Si le témoin est encore en vie et disponible au moment de l'instruction, même s'il ne peut se déplacer de Fort Nelson, il ne fait aucun doute dans mon esprit que la Cour composera avec le témoin et qu'elle prendra des mesures pour se rendre à Fort Nelson afin de recueillir sa déposition. Cependant, et que le ciel nous en préserve, advenant le décès de M. Dickie ou son incapacité à témoigner au moment de l'instruction, à laquelle on ne procédera en toute probabilité que dans plusieurs années, on servirait mieux les fins de la justice en recueillant ce qu'on peut de son témoignage et en le conservant comme on le peut, plutôt que de priver la Cour de son témoignage.

[8]                Il me reste un dernier point à aborder. Les demandeurs ont prétendu que d'autres témoins pourraient se trouver dans la même situation que M. Dickie. C'est peut-être le cas. Je n'en sais rien, car je ne suis pas saisi d'une requête faisant état de l'existence de ces autres témoins, mais advenant la présentation d'une telle requête, et dans la mesure où l'affection de ces témoins, la difficulté pour eux de se déplacer et leur âge avancé sont démontrés, je serais disposé à trancher favorablement une requête visant l'interrogatoire de ces témoins par commission rogatoire hors cour comme ce fut le cas avec la présente requête.


[9]                J'émettrais une ordonnance essentiellement conforme à celle qui a été sollicitée. Je n'inclurais pas toutefois les paragraphes proposés faisant mention de la présence d'un juge ou d'un protonotaire à l'interrogatoire. Comme j'en ai avisé l'avocate lors des plaidoiries, je ne vois pas l'utilité de requérir la présence d'un officier de justice à l'audience. Si on élève des objections relativement au témoignage, ces objections devraient être notées au dossier et le témoin devrait répondre aux questions sous réserve de l'objection. Quoiqu'il semble peu probable que cela survienne, s'il y a des objections à des questions pour lesquelles la réponse obligatoire du témoin sous réserve de l'objection serait de nature à enlever à l'objection toute sa pertinence (je pense bien sûr à une objection fondée sur un privilège, ou quelque chose de cette nature), je m'assurerais d'être disponible le plus tôt possible pour une conférence téléphonique et pour trancher la question, idéalement lorsque M. Dickie et son avocat se trouvent encore à Fort Nelson et sont en mesure d'obtempérer à la décision au moment où elle est rendue mais, à défaut de ce faire, ils devront le cas échéant y retourner ultérieurement.

[10]            Enfin, la Couronne a demandé que je délivre une ordonnance pour les dépens, et ce, immédiatement et quelle que soit l'issue de la cause. Je ne crois pas qu'il soit approprié de procéder ainsi. Bien que je fasse droit à la requête parce que je ne souscris à aucun argument avancé par les demandeurs pour s'opposer à la requête, cela ne signifie pas que la requête n'aurait pas dû être contestée et l'ordonnance pour les dépens s'établira tout simplement comme à l'habitude, c'est-à-dire que les dépens suivront l'issue de la cause.

                                                                                                                « JAMES K. HUGESSEN »        

                                                                                                                                                     Juge                      

Ottawa (Ontario)

Le 1er août 2002

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     T-705-97

INTITULÉ :   

LE CHEF LIZA WOLF ET AL

c.

SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                            Le 31 juillet 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Le juge Hugessen

DATE DES MOTIFS :                                   Le 1er août 2002

COMPARUTIONS :

Mme Julie Rupert                                              POUR LES DEMANDEURS

Mme Allisun Taylor Rana                                  POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

RATH & COMPANY

PRIDDIS (ALBERTA)                                    POUR LES DEMANDEURS

M. MORRIS ROSENBERG                            POUR LA DÉFENDERESSE

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

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