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                             Date : 19980916

Dossier : T-528-98

ENTRE

                                       ROBIN GILES BRANT S/N FREE FLOW GAS BAR,

                                                                                                                                      demandeur,

                                                                            et

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE,

                                                                                                                                 défenderesse.

                                                                               MOTIFS DU JUGEMENT

                                                 QUESTIONS PRÉLIMINAIRES 1 ET 2

                                                                                                 [Prononcés à l'audience à Toronto (Ontario),

le lundi 31 août 1998, et révisés]

LE JUGE ROTHSTEIN

I.              Il a été demandé à la Cour de statuer sur trois questions de droit préliminaires (une quatrième question a également été ajoutée). Les présents motifs traitent seulement des deux premières questions. Les faits pertinents sont énoncés dans la déclaration conjointe.

                                                                   QUESTION 1

II.             La première question était :

                [TRADUCTION]

Les remboursements de la taxe sur l'essence payables par le ministère des Finances de l'Ontario font-ils partie des biens personnels du demandeur qui sont situés sur une réserve et sont-ils, en conséquence, exempts de privilège, de nantissement, d'hypothèque, d'opposition, de réquisition, de saisie ou d'exécution en vertu de l'article 89 de la Loi sur les Indiens[1], L.R.C. (1985), ch. I-5?

1               En l'espèce, la seule question en litige est de savoir si les biens appartenant à un Indien et ayant fait l'objet d'une saisie par Sa Majesté la Reine étaient situés sur une réserve.


                                         Le critère des facteurs de rattachement

2              La question de savoir si les biens d'un Indien sont situés sur une réserve à des fins fiscales ou de saisie doit être tranchée par l'application du critère des facteurs de rattachement, qui a été établi par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Williams c. Canada, [1992] 1 R.C.S. 877. À la page 892, le juge Gonthier a statué que :

                        La méthode qui tient le mieux compte de ces préoccupations est celle qui analyse la situation sous le rapport des catégories de biens et des types d'imposition. Par exemple, la pertinence des facteurs de rattachement peut varier selon qu'il s'agit de prestations d'assurance-chômage, de revenu d'emploi ou de prestations de pension. Il faut d'abord identifier les divers facteurs de rattachement qui peuvent être pertinents. On doit ensuite analyser ces facteurs pour déterminer le poids à leur accorder afin d'identifier l'emplacement du bien, en tenant compte de trois choses : (1) l'objet de l'exemption prévue dans la Loi sur les Indiens, (2) le genre de bien en cause et (3) la nature de l'imposition de ce bien. Il s'agit donc de déterminer, relativement à chaque facteur de rattachement, le poids qui devrait lui être accordé pour décider si l'imposition en cause de ce type de bien représenterait une atteinte aux droits de l'Indien à titre d'Indien sur une réserve.                      

3              En tenant pour acquis que le critère des facteurs de rattachement en matière fiscale est valable en matière de saisie, il faut appliquer à cette dernière les principes régissant la première.

4              Bien que chaque affaire doive faire l'objet d'une décision reposant sur ses faits propres, il y a lieu de se laisser guider par les décisions rendues par la Cour d'appel fédérale et par d'autres cours qui ont appliqué le critère des facteurs de rattachement établi dans Williams.

5              Dans l'arrêt Clarke v. M.N.R., [1997] 3 C.T.C. 157 (C.A.F.), il a été jugé que le revenu gagné à l'extérieur de la réserve présentait un lien étroit avec la réserve et qu'il était donc originaire de celle-ci et exonéré d'impôt sur le revenu parce que l'employée résidait sur la réserve et que l'hôpital pour lequel elle travaillait, bien que techniquement situé hors de la réserve, desservait la communauté de cette dernière.                                     

6              Dans l'arrêt Southwind v. The Queen, [1998] 1 C.T.C. 265 (C.A.F.), il a été jugé que le revenu avait été gagné à l'extérieur de la réserve et qu'il était assujetti à l'impôt sur le revenu car l'ensemble des services rendus par l'entreprise concernée l'étaient hors de la réserve. La source du revenu se trouvait à l'extérieur de la réserve et l'entreprise a été considérée comme faisant partie du marché commercial, compte tenu du fait qu'elle faisait affaires avec des gens n'habitant pas la réserve.

7               Dans Recalma et al. v. The Queen, [1998] 98 D.T.C. 6238 (C.A.F.), il a été jugé qu'un revenu de placement provenait de l'extérieur de la réserve et qu'il était assujetti à l'impôt sur le revenu. Se sont vu accorder plus d'importance des facteurs comme le domicile des émetteurs des titres, l'emplacement des opérations génératrices de revenus des émetteurs et celui de leurs biens, ceux-ci étant tous situés hors de la réserve. Se sont vu accorder moins d'importance des facteurs comme le domicile des contribuables, la source des fonds ayant servi à l'achat de leurs titres, le lieu d'achat et de conservation des titres et l'endroit où le revenu en provenant avait été dépensé.

8              Dans l'affaire Alberta (W.C.B.) v. Enoch Band, [1994] 2 C.N.L.R. 3 (C.A. Alta), des brefs de saisie-arrêt avaient été signifiés à une société de fiducie où la bande indienne, qui était débitrice judiciaire, détenait un compte. La cour a jugé que les fonds étaient situés hors de la réserve et qu'ils pouvaient être saisis puisqu'ils ne s'y étaient jamais trouvés, qu'ils ne provenaient pas d'activités ayant lieu sur la réserve, qu'ils passaient par le centre-ville d'Edmonton et que les droits s'y rapportant ne pouvaient être exercés qu'à cet endroit. Il n'a pas été jugé que la situation était modifiée par le fait que les fonds étaient conservés sur la réserve d'une autre bande au motif que la société y avait son siège social.

                                                                      LES FAITS

9              Les faits de l'espèce sont relativement simples. Le demandeur, qui est Indien, est propriétaire d'un poste d'essence sur le territoire de la Première Nation Tiendinaga Mohawk, qui constitue une réserve en vertu de la Loi sur les Indiens. Le poste d'essence vend tant aux Indiens qu'aux non-Indiens. Le ministre du Revenu national a cotisé le demandeur pour la TPS relative aux ventes d'essence effectuées à des non-Indiens[2].

10         Le ministre a estimé que la dette du demandeur relativement à la TPS s'élevait à 474 825,83 $, incluant les intérêts et les pénalités, pour la période s'étendant du 1er janvier 1991 au 30 juin 1996, et il a cotisé le demandeur pour cette somme. Cependant, le demandeur refusant ou négligeant de payer, une action sur compte a été prise contre lui.

11          Les fonds détenus par le demandeur dans un compte bancaire situé hors de la réserve ont été saisis. De plus, le ministre du Revenu national a saisi les remboursements de la taxe sur l'essence de l'Ontario, qui étaient payables par le ministre des Finances de l'Ontario au demandeur. La question sur laquelle il faut statuer en l'espèce est de savoir si ces remboursements ont lieu sur la réserve Tiendinaga et s'ils sont en conséquence à l'abri de toute saisie.

Les remboursements de la taxe sur l'essence de l'Ontario

12            Le demandeur s'approvisionne en essence auprès du grossiste Ross Chalmers. Le prix qu'exige Chalmers du demandeur comprend la taxe sur l'essence de l'Ontario de 14,7 cents par litre. Chalmers achète son essence de fournisseurs comme Esso, Shell et Pétro-Canada et il leur paie un prix comprenant cette taxe. En vertu de la Loi de la taxe sur l'essence[3], cette taxe est réputée due dès la vente d'essence à Chalmers. Le fournisseur remet un relevé et un chèque au ministre des Finances de l'Ontario pour payer la taxe sur l'essence de l'Ontario (ainsi que, peut-être, d'autres taxes).

13         Lorsqu'il vend à des Indiens inscrits qui ont en main leur preuve d'identité et qui achètent de l'essence à des fins personnelles, le demandeur réduit son prix de 14,7 cents le litre et transmet ensuite une demande de remboursement au ministre des Finances de l'Ontario. La demande comprend les pièces justificatives, qui sont préparées pour chaque vente non taxable faite à un Indien et qui contiennent la date, le numéro d'immatriculation du véhicule, le prix incluant la taxe et le prix l'excluant. Les pièces justificatives sont vérifiées par le ministre ontarien. Des chèques de remboursement des demandes acceptées sont alors envoyés au demandeur.

14         Du mois d'octobre 1997 au 1er avril 1998, les remboursements de taxe sur l'essence qui étaient dus au demandeur ont été payés par le ministre des Finances de l'Ontario au ministre du Revenu national conformément à une « Demande péremptoire de paiement » qui lui a été signifiée par ce dernier en vertu du paragraphe 317(1) de la Loi sur la taxe d'accise[4]. Entre le 1er et le 27 avril, la demande péremptoire de paiement a été suspendue par le ministre du Revenu national et les remboursements ont été versés au demandeur. Elle a été remise en vigueur le 28 avril 1998.                  

                                                ANALYSE RELATIVE À LA QUESTION 1

15            Les parties ont désigné un certain nombre de facteurs de rattachement qu'elles prétendaient, à tour de rôle ou de concert, être pertinents à la question de savoir si les remboursements de taxe sur l'essence avaient lieu sur la réserve. Chaque facteur pertinent doit être analysé à la lumière du critère des facteurs de rattachement de l'affaire Williams. Ce critère porte sur l'exonération de taxes. L'étude de ces facteurs doit prendre en considération le but de la disposition d'exonération, la nature des biens que l'on veut taxer ainsi que la nature de l'imposition de taxes. En l'espèce, c'est la nature des biens saisis et la nature et les effets de cette saisie qu'il est pertinent d'examiner.

1.          Résidence du demandeur

16            Le demandeur possède une résidence sur la réserve Tiendinaga. Or, au cours des dernières années, il a vécu à l'extérieur de la réserve, dans l'État de New York, environ six jours par semaine pour y mettre sur pied une entreprise dans le domaine de l'électronique. Il passait parfois plus de temps sur la réserve pour des motifs familiaux ou d'affaires.                         

               

17             Le but du paragraphe 89(1) de la Loi sur les Indiens est d'empêcher la saisie des biens d'un Indien à titre d'Indien, dans la mesure où ils ont trait à l'utilisation ou à l'occupation effective de la réserve; voir Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85, à la page 131, par le juge La Forest :

                        En résumé, le dossier historique indique clairement que les art. 87 et 89 de la Loi sur les Indiens, auxquels s'applique la présomption de l'art. 90, font partie d'un ensemble législatif qui fait état d'une obligation envers les peuples autochtones, dont la Couronne a reconnu l'existence tout au moins depuis la signature de la Proclamation royale de 1763. Depuis ce temps, la Couronne a toujours reconnu qu'elle est tenue par l'honneur de protéger les Indiens de tous les efforts entrepris par des non-Indiens pour les déposséder des biens qu'ils possèdent en tant qu'Indiens, c'est-à-dire leur territoire et les chatels qui y sont situés.

et, à la page 133 :

Mais je répéterais qu'en l'absence d'un lien discernable entre le bien en question et l'occupation des terres réservées par le propriétaire de ce bien, les protections et privilèges des art. 87 et 89 ne s'appliquent pas.

Étant donné que le demandeur passe généralement six jours par semaine à l'extérieur de la réserve, il est difficile d'imaginer que les remboursements de taxe sur l'essence sont reliés à son utilisation et à son occupation effective, à titre d'Indien, de la réserve Tiendinaga. Bien entendu, ils sont reliés à l'exploitation du poste d'essence sur la réserve, mais non à son utilisation et à son occupation par le demandeur, à titre d'Indien. Ce facteur de rattachement tend à démontrer que les remboursements ne peuvent être considérés comme ayant eu lieu sur la réserve.

2. L'emplacement de l'entreprise sur la réserve et le lieu d'origine des biens en question

18            L'entreprise est située sur la réserve. C'est l'exploitation de l'entreprise sur la réserve et les ventes aux Indiens sur celle-ci qui, en fin de compte, rendent le ministre des Finances de l'Ontario comptable envers le demandeur des remboursements de taxe sur l'essence. Il s'agit d'un facteur rattachant les remboursements à la réserve et celui-ci doit se voir attribuer une grande importance.

3.     Le personnel de l'entreprise

19            Il semble que la moitié des employés de l'entreprise soient des Indiens inscrits. S'il était possible de dire que les biens (les remboursements de taxe sur l'essence) permettent à l'entreprise d'être rentable et de fournir de l'emploi aux résidents Indiens de la réserve afin qu'ils puissent y vivre et profiter de ses avantages, cela pourrait être considéré comme un important facteur de rattachement. Toutefois, la moitié des employés ne sont pas des Indiens inscrits. Il n'existe aucune indication à l'égard de la politique d'emploi du demandeur; c'est-à-dire si elle est conçue de manière à fournir des possibilités d'emploi aux Indiens de la réserve ou si les employés sont choisis au mérite, qu'ils soient ou non des Indiens inscrits résidant sur la réserve. Lorsqu'il n'y a aucune preuve relative à l'existence d'une politique d'emploi liant l'entreprise à la réserve, le fait que la moitié des employés soient des Indiens inscrits résidant sur la réserve peut n'être qu'une simple coïncidence. On ne peut attribuer que peu d'importance à ce facteur de rattachement des remboursements à la réserve.

4. La nature de la clientèle

20           Le demandeur a prétendu que 50 % de ses clients étaient des Indiens et qu'il s'agissait d'un important facteur de rattachement. La défenderesse a prétendu que 50 % des clients du demandeur étaient des non-Indiens et qu'il s'agissait d'un facteur de rattachement peu important. Les affaires comme Southwind indiquent que lorsqu'une entreprise sert tant des Indiens que des non-Indiens, cela donne à penser qu'elle fait partie du marché commercial, ce qui s'avère un facteur de nature à démontrer que les biens en question ne peuvent être considérés comme situés sur la réserve. C'est la situation en l'espèce.                    

5.     Les biens découlent de l'application du paragraphe 87(1) de la Loi sur les Indiens   

21            Le demandeur a soutenu que les remboursements de taxe sur l'essence découlaient du paragraphe 87(1) de la Loi sur les Indiens et qu'il s'agissait donc d'un important facteur de rattachement. Ce que je n'aime pas de cet argument, c'est qu'il laisse entendre erronément que les remboursements eux-mêmes reviennent au demandeur en vertu du paragraphe 87(1). Ce paragraphe a plutôt pour effet d'exonérer de taxes les Indiens qui consomment de l'essence. C'est pourquoi a été établi un mécanisme par lequel l'Indien qui consomme de l'essence paie un prix exempt de taxe et le demandeur, qui a acheté l'essence à un prix incluant la taxe, réclame un remboursement de la province de l'Ontario. Le demandeur a droit au remboursement non pas parce qu'il est exonéré du paiement des taxes en vertu du paragraphe 87(1), mais plutôt parce que ses clients le sont. En effet, tout détaillant qui vendrait de l'essence sur la réserve à des Indiens inscrits et qui produirait la demande et les pièces justificatives appropriées aurait droit au remboursement. La remarque incidente du juge La Forest dans Mitchell, précité, à la page 131, est pertinente en l'espèce :

                        Il est également important de souligner la conséquence de la conclusion que je viens de tirer. Le fait que la loi contemporaine, comme sa contrepartie historique, prenne tant de soin pour souligner que les exemptions de taxe et de saisie ne s'appliquent que dans le cas des biens personnels situés sur des réserves démontre que l'objet de la Loi n'est pas de remédier à la situation économiquement défavorable des Indiens en leur assurant le pouvoir d'acquérir, de posséder et d'aliéner des biens sur le marché à des conditions différentes de celles applicables à leurs concitoyens. Un examen des décisions portant sur ces articles confirme que les Indiens qui acquièrent et aliènent des biens

        

situés à l'extérieur des terres réservées à leur usage le font aux mêmes conditions que tous les autres Canadiens.

Le fait que tout détaillant d'essence situé sur la réserve aurait droit au remboursement situe ce dernier dans le marché commercial, ce qui tend à démontrer qu'il ne peut être considéré comme se trouvant sur la réserve.   

6.     L'emplacement du débiteur est situé à l'extérieur de la réserve

22            Les bureaux du gouvernement où les remboursements ont été saisis sont situés à l'extérieur de la réserve. Dans les affaires d'imposition, l'emplacement du débiteur n'est pas considéré comme un facteur déterminant parce que son importance a été fondée sur des principes de conflits de loi plutôt que sur les principes énoncés dans la Loi sur les Indiens. Voir Williams, précité, aux pages 890 et 891. Dans les affaires de saisie, cependant, les biens doivent se trouver en possession du débiteur pour que la saisie soit exécutoire, de sorte que l'emplacement du débiteur demeure un facteur clé. En l'espèce, l'emplacement des biens saisis était hors de la réserve. En conséquence, à la lumière de la nature et des effets de la saisie, le fait que le bureau du gouvernement ait été situé à l'extérieur de la réserve au moment où elle a eu lieu constitue un facteur qui tend à démontrer que les biens ne devraient pas être considérés comme se trouvant sur la réserve.

7.     L'essence provient de l'extérieur de la réserve

23            Il s'agit d'une considération de marché commercial qui tend à affaiblir le lien existant entre les remboursements et la réserve.

               

8.     Les opérations bancaires du demandeur sont effectuées à l'extérieur de la réserve

24            Le demandeur payait au début l'essence par chèques, bien qu'il ait récemment commencé à effectuer ses paiements en argent comptant. J'estime que ces paiements sont un stratagème visant uniquement à provoquer l'application du paragraphe 89(1) de la Loi sur les Indiens et je ne leur accorde que peu d'importance. La pratique commerciale habituelle est le paiement par chèque. Les paiements sont effectués par le demandeur à partir de son compte situé à l'extérieur de la réserve. Cela tend à démontrer que les remboursements ne devraient pas être considérés comme ayant lieu sur la réserve.

               

Conclusion relative à la question 1          

25           Parmi les facteurs de rattachement mentionnés par les parties, le seul qui relie fortement les remboursements de taxe sur l'essence à la réserve est l'emplacement de l'entreprise. Les autres facteurs sont neutres ou tendent à démontrer que les remboursements doivent être considérés comme situés à l'extérieur de la réserve. Je pense, en particulier, à la nature de la clientèle, au fait que les remboursements sont effectués dans le cadre du marché commercial et que le débiteur a son bureau hors de la réserve. Encore une fois, j'estime pertinente la remarque incidente faite par le juge La Forest dans Mitchell, précité, à la page 138 :

                        Lorsque les bandes indiennes s'engagent dans le marché commercial, il faut s'attendre à ce qu'elles puissent parfois conclure des accords purement commerciaux avec les Couronnes provinciales de la même façon qu'avec des parties privées. Après tout, les Couronnes provinciales sont des acteurs importants sur le marché. Donc, si une bande indienne conclut une opération commerciale ordinaire, que ce soit avec une Couronne provinciale ou une société privée, et acquiert des biens personnels, que ce soit sous forme de chatels ou de titres de créances, comment doit-on qualifier les biens en question? À mon avis, il est illogique des les comparer aux biens qui échoient aux Indiens conformément aux traités et à leurs accords accessoires. Les Indiens ont un droit absolu à ces biens; ils leur sont dus en tant qu'Indiens. La situation des biens personnels acquis par des Indiens au cours d'opérations commerciales ordinaires est nettement différente; il s'agit simplement de biens que toute autre personne aurait pu acquérir et je ne vois aucune raison pour laquelle dans ces circonstances les Indiens ne devraient pas être traités de la même façon que toute autre personne.   

L'application du critère des facteurs de rattachement et les faits dont je suis saisi me convainquent que le situs du remboursement était à l'extérieur de la réserve, de sorte qu'il était saisissable et qu'il n'était pas protégé en vertu du paragraphe 89(1).

26           Cette décision est compatible avec celle rendue dans Maracle v. Ontario (Minister of Revenue), [1993] O.G. 1173 (Gen. Div. Ont.). Dans cette affaire, il ressort que les parties n'ont pas jugé pertinent le critère des facteurs de rattachement aux fins de la saisie des remboursements de taxe sur l'essence de l'Ontario et qu'elles n'ont pas plaidé en ce sens. Au motif que l'entreprise en cause faisait partie du marché commercial et se fondant sur l'arrêt Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85, le juge Charron (tel était son titre) a conclu que les remboursements n'étaient pas insaisissables en vertu du paragraphe 89(1) de la Loi sur les Indiens. Je suis d'accord avec la décision du juge Charron, et, me fondant également sur le critère des facteurs de rattachement, je conclus que les remboursements de taxe sur l'essence de l'Ontario ne sont pas insaisissables en vertu du paragraphe 89(1) de la Loi sur les Indiens.

                                                                  QUESTION 2

27            La deuxième question était :

                [TRADUCTION]

Le terme « personne » , au sens du paragraphe 317(1) de la Loi sur la taxe d'accise fédérale, inclut-il le ministère des Finances de la province de l'Ontario?

                                                ANALYSE RELATIVE À LA QUESTION 2

28           Le paragraphe 317(1) de la Loi sur la taxe d'accise est la disposition sur laquelle s'est appuyé le Canada pour saisir les remboursements de taxe sur l'essence de l'Ontario dues par le ministre des Finances de cette province au demandeur. Ce paragraphe prévoit :

   317. (1) Dans les cas où le ministre sait ou soupçonne qu'une personne est ou sera, dans les 90 jours, tenue de faire un paiement à une autre personne - appelée « débiteur fiscal » aux paragraphes (2), (3) et (6) - qui elle-même est redevable d'un montant en vertu de la présente partie, il peut, par lettre recommandée ou certifiée ou signifiée à personne, exiger de cette personne que tout ou partie des sommes par ailleurs payables au débiteur fiscal soient versées, immédiatement si les sommes sont alors payables, sinon, dès qu'elles le deviennent, au receveur général au titre du montant dont le débiteur fiscal est redevable selon la présente partie.

29           Pour les fins de la présente affaire et pour s'inspirer des termes utilisés dans ce paragraphe, le ministre du Revenu national savait ou soupçonnait que l'Ontario serait tenue de faire un paiement au demandeur et a donc fait signifier à cette dernière une lettre lui intimant de verser au ministre du Revenu national les sommes qu'elle devait au demandeur.

30           La question est de savoir si l'Ontario est une personne au sens du paragraphe 317(1) de la Loi sur la taxe d'accise. Si c'est le cas, le paragraphe s'applique à l'Ontario et la lie; sinon, il ne le fait pas.

31            Le paragraphe 123(1) de la Loi sur la taxe d'accise définit le mot « personne » aux fins de la taxe sur les biens et services, dans la partie IX (qui inclut le paragraphe 317(1)) de la Loi. « Personne » signifie    :

« personne » Particulier, société de personnes, personne morale, fiducie ou succession, ainsi que l'organisme qui est un syndicat, un club, une association, une commission ou autre organisation; ces notions sont visées dans des formulations générales, impersonnelles ou comportant des pronoms ou adjectifs indéfinis.

32            Est également pertinent l'article 17 de la Loi d'interprétation[5], qui prévoit :

   17. Sauf indication contraire y figurant, nul texte ne lie Sa Majesté ni n'a d'effet sur ses droits et prérogatives.

33            La mention de Sa Majesté dans l'article 17 ne vise pas uniquement la Couronne du chef du Canada, mais également la Couronne du chef d'une province. Voir Alberta Government Telephones c. Canada (CRTC), [1989] 2 R.C.S. 225, aux pages 271 à 275, motifs du juge en chef Dickson. Il est évident que sauf indication contraire dans la Loi sur la taxe d'accise visant Sa Majesté du chef d'une province, l'Ontario n'est pas liée et le paragraphe 317(1) ne s'applique pas lorsque les fonds que désire saisir le ministère du Revenu national sont en possession de la province.

34            Les principes applicables pour décider dans quels cas on peut conclure que l'Ontario est liée par une loi sont énoncés dans l'arrêt Alberta Government Telephones c. Canada (CRTC), précité, à la page 281, où le juge Dickson (alors juge en chef) a déclaré :

                        À mon avis, compte tenu des affaires PWA et Eldorado, la portée des termes « mentionnée ou prévue » doit s'interpréter indépendamment de la règle de common law supplantée. Toutefois, les réserves exprimées dans l'arrêt Bombay, précité, sont fondées sur de bons principes d'interprétation que le temps n'a pas complètement effacé. Il me semble que les termes « mentionnée ou prévue » contenus à l'art. 16 peuvent comprendre : (1) des termes qui lient expressément la Couronne ( « Sa Majesté est liée » ); (2) une intention claire de lier qui, selon les termes de l'arrêt Bombay, « ressort du texte même de la loi » , en d'autres termes, une intention qui ressorte lorsque les dispositions sont interprétées dans le contexte d'autres dispositions, comme dans l'arrêt Ouellette, précité; et (3) une intention de lier lorsque l'objet de la loi serait « privé [...] de toute efficacité » si l'État n'était pas lié ou, en d'autres termes, s'il donnait lieu à une absurdité (par opposition à un simple résultat non souhaité). Ces trois éléments devraient servir de guide lorsqu'une loi comporte clairement une intention de lier la Couronne.

35           En l'espèce, les premier et troisième éléments sont clairs et l'avocate de la défenderesse a admis qu'ils n'appuient pas sa prétention. Il ressort clairement des paragraphes 123(1) et 317(1) de la Loi sur la taxe d'accise qu'aucun terme ne vise expressément la Couronne. De plus, l'objet de la Loi sur la taxe d'accise ne serait pas privé de toute efficacité si les provinces, et particulièrement l'Ontario, n'étaient pas liées par elle. Cela ne donnerait pas lieu à une absurdité.

36           Le second élément consiste à savoir s'il existe une intention claire de lier qui ressorte des termes de la loi ou de son contexte. D'autres dispositions de la Loi sur la taxe d'accise ont été soulignées, comme les alinéas 122a) et b) :

   122. La présente partie lie :

a) Sa Majesté du chef du Canada en ce qui concerne une obligation à titre de fournisseur de percevoir et de verser la taxe relative aux fournitures taxables qu'elle effectue;

b) Sa majesté du chef d'une province en ce qui concerne une obligation à titre de fournisseur de percevoir et de verser la taxe relative aux fournitures taxables qu'elle effectue;      

37            Il faut remarquer qu'il s'agit de références expresses à des obligations particulières de la part de Sa Majesté du chef du Canada et de Sa Majesté du chef d'une province. Dans ce dernier cas, il s'agit du devoir de Sa Majesté du chef d'une province de verser la taxe relativement aux obligations qu'elle a encourues à titre de fournisseur. Cela n'a aucune pertinence aux fins du paragraphe 317(1). En effet, la référence expresse selon laquelle ce paragraphe « lie Sa Majesté » vise une fin particulière qui, bien qu'elle soit importante, est aussi très précise. La référence selon laquelle il « lie Sa Majesté du chef d'une province » pour une fin précise indique que le Parlement n'a pas eu l'intention de lier Sa Majesté du chef d'une province de façon générale, pour d'autres obligations, en vertu de la Loi sur la taxe d'accise. D'ailleurs, on ne m'a montré aucune autre disposition de cette loi qui serait de nature à fournir un contexte permettant d'interpréter le paragraphe 317(1) de façon à ce que le terme « personne » englobe Sa Majesté du chef d'une province.

38           La défenderesse a prétendu que l'Ontario ne subirait aucun préjudice si le paragraphe 317(1) lui était applicable. Bien que je ne sois pas convaincu que le préjudice soit un facteur pertinent, je ne partage pas l'opinion qu'elle ne peut en subir un préjudice. Si une personne liée par le paragraphe 317(1) ne se conforme pas à une demande péremptoire de paiement, elle peut être personnellement tenue de verser le montant dû. Cela constitue au moins un préjudice potentiel pour quiconque est lié par ce paragraphe.

39           La défenderesse invoque également des affaires comme MNR v. Braithwaite, 70 D.T.C. 6001, dans laquelle il a été jugé que le terme « personne » comprenait la Couronne. Toutefois, j'estime que le critère à appliquer est la remarque incidente du juge en chef Dickson dans Alberta Government Telephones, précité, qui a préséance sur Braithwaite à l'égard des principes à appliquer lorsqu'il faut décider si la Couronne est liée par une disposition législative.        

40           Enfin, la défenderesse a soutenu que l'Ontario a le pouvoir de payer en présence d'une demande de paiement faite par le gouvernement fédéral. Elle a invoqué l'article 43 de la Loi sur l'administration financière de l'Ontario, L.R.O. (1990), ch. F.12 :

   43. (1) La définition qui suit s'applique au présent article. « Couronne » S'entend en outre de tout organisme de la Couronne;

          (2) Si le trésorier estime qu'une personne est redevable d'une somme d'argent déterminée à la Couronne du chef de l'Ontario ou du Canada, il peut :                      

a)    pour la somme qu'il juge appropriée dans les circonstances, pratiquer une retenue sur toute somme d'argent due par la Couronne du chef de l'Ontario à cette personne, ou opérer compensation entre les deux montants;

b) payer ladite somme à l'agent public qu'il estime compétent pour la recevoir.

41            Je souligne tout d'abord que cet argument n'aborde pas la question de savoir si la province de l'Ontario est une personne au sens du paragraphe 317(1) de la Loi sur la taxe d'accise, et qu'il ne concerne donc pas directement la question dont est saisie la Cour. De toutes manières, l'article 43 confère à l'Ontario le pouvoir de payer le Canada si le trésorier devait être d'avis qu'une personne est endettée envers le Canada et que l'Ontario doit un montant à cette personne. Toutefois, je ne suis saisi d'aucune preuve que le trésorier était de cet avis. En l'espèce, l'Ontario n'a fait que se conformer à une demande péremptoire de paiement. Pour que je puisse conclure que les fonds payés en l'espèce l'ont été à la suite d'une opinion que le trésorier s'est faite en vertu de l'article 43 de la Loi sur l'administration financière de l'Ontario, il aurait fallu que des éléments de preuve supplémentaires me soient présentés.

                                                                 CONCLUSION

42            La réponse à la première question est :

Les remboursements de la taxe sur l'essence payables par le ministère des Finances de l'Ontario au demandeur ne font pas partie des biens personnels du demandeur qui sont situés sur une réserve et sont, en conséquence, assujettis aux privilèges, aux nantissements, aux hypothèques, aux oppositions, aux réquisitions, aux saisies et aux exécutions malgré l'article 89 de la Loi sur les Indiens.

43            La réponse à la deuxième question est :

Le terme « Personne » , au sens du paragraphe 317(1) de la Loi sur la taxe d'accise n'inclut pas le ministère des Finances de la province de l'Ontario.

                                                                                                       

                                                                                                                                                                       Marshall Rothstein          

                                                                                                                                                                                                                                                                             

                                                                                                                                                J U G E               

CALGARY (ALBERTA)

Le 16 septembre 1998.

Traduction certifiée conforme

Pierre St-Laurent, LL.M.


                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               Avocats et avocats inscrits au dossier

NO DU GREFFE :                                                         T-528-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :ROBIN GILES BRANT S/N FREE FLOW GAS BAR

                                                                                    et

                                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

DATE DE L'AUDIENCE :                                           LE LUNDI 31 AOÛT 1998

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE ROTHSTEIN

EN DATE DU :                                                             1er SEPTEMBRE 1998

COMPARUTIONS                                                   

                                                                                    M. Michael Sherry

                                                                                                pour le demandeur

                                                                                    Mme Wendy Linden et

M. Gorden Bourgard

                                                                                                pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER                      Michael Sherry

Avocat                

                                                                                   

                                                                                                pour le demandeur

                                                                                    Morris Rosenberg

                                                                                    Sous-procureur général

                                                                                    du Canada

                                   

                                                                                                pour la défenderesse


                                                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                                                                                                  Date : 19980901

                                                                       

                                                                                                                           Dossier :      T-528-98

                                                                                    Entre

                                                                        ROBIN GILES BRANT S/N FREE FLOW GAS BAR,

                                                                                                                                          demandeur,

                                                                                    et

                                                                        SA MAJESTÉ LA REINE,

                                                           

                                                                                                                                       défenderesse.

                                                           

                                                                                                                                             

                                   

                                                                                                                                                                                                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                                                                                                           



                                Le paragraphe 89(1) de la Loi sur les Indiens prévoit :

   89. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, les biens d'un Indien ou d'une bande situés sur une réserve ne peuvent pas faire l'objet d'un privilège, d'un nantissement, d'une hypothèque, d'une opposition, d'une réquisition, d'une saisie ou d'une exécution en faveur ou à la demande d'une personne autre qu'un Indien ou une bande.

Est également pertinent le paragraphe 87(1) de la Loi sur les Indiens, qui prévoit :

   87. (1) Nonobstant toute autre loi fédérale ou provinciale, mais sous réserve de l'article 83, les biens suivants sont exemptés de taxation :          

a) le droit d'un Indien ou d'une bande sur une réserve ou des terres cédées;     

b) les biens meubles d'un Indien ou d'une bande situés sur une réserve.

          Le demandeur a nié devoir remettre la TPS à l'égard des ventes aux non-Indiens. Le demandeur                     a notamment invoqué les droits ancestraux, les traités et le paragraphe 87(1) de la Loi sur les           Indiens.

          L.R.O. (1990), ch. G-5, et ses modifications.

          L.R.C. (1985), ch. E-15, et ses modifications.

          L.R.C. (1985), ch.I-21, et ses modifications.

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