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Date : 20011018

Dossier : T-1266-99

Référence neutre : 2001 CFPI 1129

ENTRE :

                                                                     NOVARTIS AG

                                  et NOVARTIS PHARMACEUTICALS CANADA INC.

                                                                                                                                            demanderesses

                                                                              - et -

                                                                       APOTEX INC.

                                                    ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ

                                                                                                                                                     défendeurs

                                                                                   

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS


[1]                 Il s'agit d'une demande présentée par les demanderesses, Novartis AG et Novartis Pharmaceuticals Canada Inc. (collectivement Novartis), en vue d'obtenir une ordonnance en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement), interdisant au ministre de la Santé (le ministre de la Santé) de délivrer un avis de conformité en vertu de l'article C.08.004 du Règlement sur les aliments et drogues, à la défenderesse Apotex Inc. (Apotex) pour la version d'Apotex du médicament cyclosporine jusqu'à l'expiration des lettres patentes canadiennes 1332150.

[2]                 Dans son exposé des moyens, Novartis a indiqué qu'elle sollicite une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Apotex en relation avec la présentation abrégée de drogue nouvelle d'Apotex pour sa version générique du médicament de Novartis, la cyclosporine Neoral®.

LE CONTEXTE

Les faits

L'avis d'allégation d'Apotex

[3]                 Novartis est propriétaire des lettres patentes canadiennes 1332150 (le brevet 150).

[4]                 En vertu de l'article 4 du Règlement, Novartis a inclus le brevet dans la liste de brevets déposée auprès du ministre de la Santé à l'égard des avis de conformité qui lui ont été délivrés pour les capsules orales de 25 mg, 50 mg et 100 mg et la préparation buvable de 100 mg/ml de son médicament cyclosporine.


[5]                 Par lettre datée du 28 mai 1999, Apotex a fourni un avis d'allégation à Novartis. Dans son avis d'allégation, Apotex allègue que les revendications 1, 6 à 12, 15 à 17 et 27 du brevet 150 sont invalides. Elle allègue que les revendications attaquées du brevet 150 sont invalides pour trois motifs, à savoir l'antériorité, l'évidence et la portée excessive.

[6]                 Le reste des revendications ont été traitées dans un autre avis d'allégation, daté du 10 juin 1999, donnant lieu à la procédure dans le dossier n ° T-1337-99. Il y est allégué que les autres revendications du brevet 150 ne sont pas contrefaites. Avec l'accord des parties, cette procédure a été suspendue par ordonnance de la Cour, son issue devant être déterminée par celle de la présente procédure.

[7]                 En l'espèce, la procédure a trait au septième avis d'allégation que Novartis a reçu d'Apotex, relativement aux allégations d'Apotex au sujet des avis de conformité relatifs à la cyclosporine. C'est la troisième fois qu'Apotex allègue que le brevet 150 est invalide, en s'appuyant sur le même document pour établir l'antériorité, à savoir le brevet canadien 1339667 (le brevet 667).

[8]                 Apotex a allégué l'invalidité du brevet 150 pour la première fois dans un avis d'allégation daté du 10 mars 1995, dans lequel l'antériorité du brevet 667 était le seul motif d'invalidité.

[9]                 Apotex a allégué l'invalidité du brevet 150 une deuxième fois dans un avis d'allégation daté du 22 février 1996, dans lequel Apotex soulevait l'antériorité, l'évidence et la portée excessive, en se fondant sur le brevet 667.


[10]            Après que Novartis a commencé la procédure en vertu du Règlement, Apotex a retiré ces deux avis d'allégation antérieurs. Dans ces deux procédures, on avait progressé bien au-delà du stade de l'introduction de l'instance et les experts d'Apotex avaient été contre-interrogés au sujet de leurs opinions à l'égard de la validité du brevet 150. Par la suite, la Cour a rejeté à deux reprises ces procédures similaires, une fois avant l'audience sur le fond et l'autre fois, au motif du caractère théorique.

[11]            La raison indiquée pour le retrait des avis d'allégation était qu'Apotex avait abandonné les formulations sur lesquelles elle s'appuyait.

La cyclosporine

[12]            Le médicament cyclosporine a une action pharmacologique, et en particulier une action immunosuppressive, anti-inflammatoire et/ou antiparasitaire. La cyclosporine présente un intérêt clinique particulier comme agent immunosuppresseur dans le traitement de patients qui ont subi une transplantation d'organe pour aider à prévenir le rejet du greffon. On se sert également de la cyclosporine dans le traitement de diverses maladies auto-immunes.


[13]            La cyclosporine est une grosse molécule, qui présente des caractéristiques hydrophobes. Elle est donc difficile à absorber, elle tend à être instable lorsqu'elle est stockée et elle se prête mal à la formulation en raison de son insolubilité inhérente. En raison de ces problèmes, il est difficile de formuler la cyclosporine dans des formes posologiques pratiques. Les premières utilisations cliniques de la cyclosporine ont pris la forme de formulations obtenues en solubilisant la cyclosporine dans l'huile d'olive. Cependant, cette méthode a été jugée inacceptable pour les utilisations à long terme en raison des quantités excessives d'huile d'olive que devaient consommer les patients. Il y avait donc un besoin de plus en plus grand de concevoir une forme posologique meilleure.

Le brevet 667 et le brevet 307

[14]            En 1979, Sandoz (dénomination antérieure de Novartis) a déposé le brevet 667 à l'égard des formulations de cyclosporine. Le brevet américain correspondant au brevet 667 porte le n ° 4388307 (le brevet 307).

[15]            Ces brevets représentaient une première amélioration dans la formulation de la cyclosporine par rapport à l'utilisation initiale de l'huile d'olive.

[16]            Le brevet 667 divulgue qu'on peut obtenir des formulations améliorées de la cyclosporine en utilisant certains ingrédients, notamment des produits particuliers de trans-estérification. Il est indiqué que certaines des formulations du brevet 667 et 307 qui utilisent ces ingrédients prennent la forme d'émulsions. En particulier, aux pages 7 et 8 du brevet 667, le terme « émulsion » figure dans un exemple de solution buvable de cyclosporine. Le brevet correspondant 307 contient cette mention, ainsi que quelques mentions additionnelles.


[17]            En outre, dans la colonne 6 du brevet 307, il est indiqué que certaines de ces formulations d'émulsion peuvent être des systèmes auto-émulsionnants. Le terme « auto-émulsionnant » tel qu'il est employé dans ce brevet signifie simplement que lorsque la formulation est ajoutée à l'eau, par ex. lors de l'ingestion dans l'estomac, une émulsion se forme sans aucune énergie supplémentaire ou avec une énergie supplémentaire très limitée nécessaire pour créer l'émulsion.

[18]            La composition divulguée et revendiquée dans les brevets 667 et 307 est un préconcentré renfermant de la cyclosporine et de l'éthanol (constituant c) de la revendication 1 du brevet 307), qui est le constituant de la phase hydrophile, une huile végétale (constituant b) de la revendication 1 du brevet 307), qui est le constituant de la phase lipophile, et un produit de trans-estérification d'un triglycéride d'huile végétale et d'un polyalkylènepolyol (constituant a) de la revendication 1 du brevet 307), qui est un tensioactif.

[19]            Finalement, les brevets 667 et 307 divulguent et revendiquent une composition de cyclosporine dans un système de constituants à trois phases, avec un constituant pour la phase hydrophile, un constituant pour la phase lipophile et un tensioactif.


Sandimmune®

[20]            Les formulations de cyclosporine commercialisées sous la marque de commerce Sandimmune® conformément au brevet 667 constituaient la première formulation commerciale de la cyclosporine.

[21]            Ce produit consistait en une solution orale sous la forme d'un préconcentré d'émulsion ordinaire ou classique. Ce produit est devenu disponible dans le commerce au Canada en 1984. Lorsqu'il est ajouté à des boissons ordinaires comme l'eau, le lait ou le jus d'orange, le Sandimmune® forme une émulsion. Ces émulsions ont l'apparence de liquides laiteux, ce qui indique qu'il s'est formé des gouttelettes de grosse taille.

[22]            Bien que le Sandimmune® ait représenté une amélioration importante dans la formulation de la cyclosporine, il présentait des caractéristiques loin d'être optimales, comme une biodisponibilité faible (l'absorption de la cyclosporine dans la circulation sanguine). En outre, la variabilité de la biodisponibilité entre patients et chez un même patient était très grande.


[23]            Il est devenu manifeste qu'il fallait des améliorations dans la formulation du Sandimmune®. L'un des problèmes qu'entraînait la faible biodisponibilité de la formulation du Sandimmune® était qu'il fallait une surveillance attentive du patient. Selon l'opinion générale, à moins qu'on arrive à améliorer la biodisponibilité, il pouvait être nécessaire de passer à un autre immunosuppresseur, du fait que les niveaux de cyclosporine nécessaires pour obtenir l'efficacité thérapeutique étaient potentiellement toxiques.

Le brevet 150

[24]            Le brevet 150 fournit une solution aux problèmes indiqués ci-dessus sous la forme d'une formulation améliorée par rapport au Sandimmune®.

[25]            La revendication 1 du brevet 150 est ainsi conçue :

1.            [TRADUCTION] Une composition pharmaceutique sous la forme d'un préconcentré de microémulsion d'huile dans l'eau et comprenant de la cyclosporine dissoute dans 1) un constituant de la phase hydrophile; 2) un constituant de la phase lipophile; et 3) un tensioactif.

[26]            La revendication 27 prévoit :

27.          [TRADUCTION] Une composition pharmaceutique sous forme d'une microémulsion et comprenant une composition conforme à l'une des revendications 1 à 26 et de l'eau.

[27]            Dans la discussion de l'état de la technique, le brevet 150 mentionne les formulations faites conformément au brevet 307 (comme le Sandimmune®). Bien que cette information ait été une amélioration, il était également reconnu que le niveau de biodisponibilité (la quantité de médicament qui est absorbée dans la circulation sanguine) de la formulation commerciale antérieure était très faible, environ 30 %.

[28]            Point plus important, ces formulations antérieures présentaient des fourchettes étendues de biodisponibilité tant entre les patients que chez un même patient (variabilité).


[29]            À la page 8 du brevet 150, on indique que la formulation porte sur un préconcentré de microémulsion d'huile dans l'eau et sur une formulation de microémulsion d'huile dans l'eau, qui renferment une concentration assez élevée de cyclosporine pour en permettre l'administration sans difficulté par voie orale et pour obtenir des caractéristiques de biodisponibilité améliorées au niveau de l'efficacité. Plus important encore, on spécifie que ces compositions :

[TRADUCTION] [...] permettent de doser efficacement la cyclosporine en améliorant simultanément les niveaux de résorption/biodisponibilité, et d'obtenir une variabilité moindre de ces niveaux aussi bien chez le même patient traité à la cyclosporine que d'un individu traité à l'autre.

[30]            Pour obtenir cette amélioration, on employait un préconcentré de microémulsion d'huile dans l'eau, plutôt que la formulation d'émulsion antérieure du Sandimmune®.

[31]            Donc, le brevet 150 reconnaissait que les formulations de cyclosporine sous forme de microémulsion d'huile dans l'eau fournissaient non seulement une absorption meilleure et plus complète de la cyclosporine dans la circulation sanguine, mais aussi une variabilité moindre dans les concentrations sanguines entre patients et chez un même patient.

[32]            En outre, le brevet 150 enseigne comment faire ces préconcentrés de microémulsion d'huile dans l'eau et ces microémulsions avec la cyclosporine. En particulier, le brevet enseigne que l'on peut former des préconcentrés de microémulsion d'huile dans l'eau en employant des constituants de la phase hydrophile, des constituants de la phase lipophile et des tensioactifs dans des proportions appropriées.


[33]            Le brevet 150 enseigne également que les mêmes constituants dans les mauvaises proportions ne produiront pas une microémulsion d'huile dans l'eau. Donc, même si l'on a un constituant hydrophile, un constituant lipophile et un tensioactif qui pourraient produire une microémulsion d'huile dans l'eau, on n'obtiendra pas nécessairement une microémulsion à moins que les proportions relatives soient dans la bonne fourchette. Le brevet enseigne comment déterminer la bonne fourchette. Point plus important, le brevet constitue le premier enseignement indiquant que les microémulsions d'huile dans l'eau et leurs préconcentrés peuvent se réaliser avec la cyclosporine. Il constitue aussi le premier enseignement des avantages de la formulation sous forme de microémulsion d'huile dans l'eau non seulement pour obtenir une biodisponibilité améliorée, mais aussi pour abaisser la variabilité entre les patients et chez un même patient pour les formulations de cyclosporine.

Neoral


[34]            Novartis a appliqué les enseignements du brevet 150 dans son produit commercial actuel, Neoral®. Les microémulsions de cyclosporine et les préconcentrés de microémulsion tels qu'on les trouve dans le Neoral® apportaient une réponse aux déficiences du Sandimmune®. Cette nouvelle formulation forme une microémulsion d'huile dans l'eau lorsqu'elle est administrée, p. ex. lorsqu'elle est ajoutée à l'eau ou à un autre milieu aqueux, notamment le jus, le lait ou le contenu de l'estomac. En 1995, Novartis a introduit cette nouvelle formulation consistant en un préconcentré de microémulsion d'huile dans l'eau de cyclosporine sous forme de capsules et de solution orale de Neoral®.

[35]            Les études établissent que la cyclosporine dans la formulation du Neoral® est, par rapport à la formulation du Sandimmune®, absorbée plus rapidement, en concentrations plus élevées et avec une variabilité moindre d'absorption entre les patients et chez un même patient. Autrement dit, il y a moins de variabilité dans le degré d'absorption chez un même patient, ainsi que moins de variabilité dans le degré d'absorption entre différents patients avec le Neoral® qu'avec le Sandimmune®.

[36]            À la différence des solutions laiteuses obtenues lors de la dilution de la formulation du Sandimmune®, les solutions obtenues lors de la dilution du Neoral® sont claires et opalescentes. La raison en est que le Neoral® est un préconcentré de microémulsion d'huile dans l'eau par opposition à un préconcentré d'émulsion d'huile dans l'eau.

[37]            Au cours de 1995 et de 1996, les médicaments de cyclosporine Sandimmune® et Neoral® se trouvaient sur le marché au Canada. L'une des raisons pour lesquelles Novartis a maintenu le Sandimmune® sur le marché après l'introduction en 1995 du Neoral® était le peu d'empressement des médecins à faire changer à leurs patients un médicament qui fonctionne bien. Toutefois, en raison de sa supériorité, c'est maintenant le Neoral® qui est prescrit à presque tous les patients.


[38]            Les avantages de la formulation du Neoral® étaient si grands que les ventes de Neoral® ont vite dépassé celles du Sandimmune®. En 1996, par suite du remplacement presque complet du Sandimmune® par le Neoral®, Novartis a cessé de commercialiser de façon active le Sandimmune®. Le Sandimmune® reste disponible dans le cadre du Programme d'accès spécial pour un certain nombre de patients qui n'ont pu passer au Neoral®, mais c'est le Neoral® qui est prescrit à presque tous les patients traités à la cyclosporine. Aujourd'hui, le Neoral® est le seul produit de cyclosporine qui figure dans le Compendium des produits et spécialités pharmaceutiques (CPS).

L'émulsion et la microémulsion

[39]            La principale divergence entre Apotex et Novartis porte sur la définition correcte de la microémulsion.

[40]            Le brevet 150 prévoit des formulations pharmaceutiques améliorées du médicament cyclosporine. La clé de ces nouvelles formulations est qu'elles empruntent la forme de préconcentrés de microémulsions d'huile dans l'eau. Ces formulations ne donnent de microémulsions d'huile dans l'eau que par l'addition d'eau. Elles permettent une amélioration de la biodisponibilité de la cyclosporine et une réduction de la variabilité entre les patients et chez un même patient.


[41]            L'émulsion est un mélange de deux substances ou de deux phases, l'une des deux phases étant « en suspension » dans l'autre phase. Les microémulsions sont semblables aux émulsions et partagent avec elles un certain nombre de caractéristiques. Les unes et les autres sont des mélanges formés de phases immiscibles, à savoir une phase continue et de petites gouttelettes en suspension dans la phase continue. Les gouttelettes sont également appelées la phase discontinue. Les émulsions et les microémulsions sont généralement de deux types : huile dans l'eau et eau dans l'huile.

[42]            L'emploi des termes « huile » et « eau » n'implique pas que les émulsions ou les microémulsions soient limitées à l'huile et à l'eau. On emploie aussi d'autres termes pour décrire la phase « huile » , par exemple « lipophile » , c.-à-d. qui aime le gras ou « hydrophobe » , c.-à-d. qui a une aversion pour l'eau. On emploie également un autre terme pour décrire la phase « aqueuse » , hydrophile, c.-à-d. qui aime l'eau.

[43]            Dans une émulsion d'huile dans l'eau, des gouttelettes d'huile ou de la phase lipophile sont en suspension dans la phase continue eau ou aqueuse. La vinaigrette est un exemple d'émulsion d'huile dans l'eau. Si on n'agite pas le mélange, l'huile et le vinaigre forment deux couches. Lorsqu'on agite le mélange, les deux phases se mêlent et la vinaigrette devient laiteuse. L'apparence laiteuse provient de la formation d'une émulsion d'huile dans l'eau, c'est-à-dire de grosses gouttelettes d'huile en suspension dans le vinaigre. Une telle émulsion, toutefois, n'est pas stable, puisque les deux couches initiales se reforment rapidement.


[44]            Habituellement, les émulsions ordinaires exigent un apport d'énergie, comme l'agitation, pour se former, mais avec l'addition de tensioactifs, elles peuvent devenir auto-émulsionnantes, comme c'est le cas du Sandimmune® de Novartis. Les émulsions semblent opaques en raison de la taille relativement grosse des gouttelettes. La taille des gouttelettes d'une émulsion est ordinairement de l'ordre de 4 000 Å ou plus, mais peut atteindre 10 000 Å ou plus encore. Lorsque l'émulsion d'huile dans l'eau se forme, la composante lipophile est distribuée dans toute la phase aqueuse continue.

[45]            Les émulsions (et les préconcentrés d'émulsion) sont employées par les fabricants depuis plusieurs décennies comme forme posologique convenant aux médicaments liposolubles (comme la cyclosporine). Le préconcentré d'émulsion liquide est placé dans une capsule gélatineuse molle que doit ingérer le patient. Une fois dans le tractus intestinal, la capsule se dissout, libérant le préconcentré liquide, qui forme alors une émulsion avec le liquide contenu dans le tractus intestinal.


[46]            Les formulateurs savent depuis longtemps que la libération du médicament par le système d'émulsion est fonction de la composition du préconcentré, puisque le médicament doit se séparer de l'huile pour aller vers l'eau, ainsi que de la taille des gouttelettes d'huile, puisque c'est ce qui détermine l'efficacité avec laquelle le médicament se sépare. Les fabricants savent depuis longtemps que plus la taille des gouttelettes est petite, plus l'aire surfacique de contact entre l'huile et l'eau est grande et meilleures sont les concentrations sanguines de médicament qui en résultent.

[47]            À cette fin, le formulateur compétent élabore un produit tel qu'une fois ajouté à l'eau, il donne la plus petite taille possible pour les gouttelettes d'huile contenant le médicament, en sachant que cela optimisera le mouvement du médicament dans le tissu gastro-intestinal et par la suite dans la circulation sanguine. Du fait de la connaissance de la technique, les formulateurs savent bien comment s'y prendre pour obtenir des tailles très petites de gouttelettes d'émulsion. On peut y arriver avec un petit nombre d'expériences courantes sur un banc de laboratoire.

[48]            Les microémulsions sont identifiées par la petite taille des gouttelettes, qui est inférieure à 2 000 Å et, ordinairement, de 100 Å à 1 000 Å. Elles comportent d'autres caractéristiques propres. Par exemple, elles sont stables sur le plan thermodynamique. Elles sont monophasiques. Elles se forment sans apport appréciable d'énergie. Elles sont fondamentalement non opaques, c'est-à-dire translucides ou opalescentes en raison de la petite taille des particules.

[49]            Les émulsions ne sont pas très stables et tendent à se séparer facilement en une phase huileuse et une phase aqueuse. Au contraire, les microémulsions sont stables sur le plan thermodynamique et les constituants restent donc sous forme de microémulsion sur de longues périodes.


[50]            Les microémulsions se distinguent des émulsions ordinaires, qui ne sont pas stables sur le plan thermodynamique, qui ont une couleur laiteuse et qui ont des gouttelettes d'une taille supérieure à 2 000 Å.

[51]            L'une des différences les plus remarquables consiste en ce que les émulsions ordinaires ont une apparence opaque ou laiteuse, alors que les microémulsions sont transparentes ou opalescentes. Cette différence d'apparence reflète également des différences importantes dans leurs propriétés fonctionnelles ou physiques.

[52]            Apotex explique que l'emploi du terme « émulsion » pour décrire un système n'implique pas nécessairement que le système n'est pas une microémulsion ou ne peut en former une à des conditions choisies. Une microémulsion est simplement une émulsion dans laquelle la taille des gouttelettes est très petite. L'une des manifestations physiques de la petite taille des gouttelettes est que, à mesure que la taille des gouttelettes diminue, l'émulsion perd son apparence opaque et peut devenir transparente ou opalescente.


[53]            Quant à Novartis, elle a indiqué que l'on peut considérer les microémulsions soit comme distinctes des émulsions, soit comme un sous-ensemble d'émulsions selon la définition que l'on utilise. Ainsi qu'il a été indiqué ci-dessus, les émulsions et les microémulsions partagent quelques caractéristiques communes; cependant, les microémulsions comportent certaines propriétés uniques que ne possèdent pas les émulsions ordinaires ou classiques. S'il peut y avoir un certain désaccord sur le point de savoir si les microémulsions sont un sous-ensemble des émulsions ou si elles sont une forme distincte, on convient que l'emploi du terme « émulsion » n'inclut pas nécessairement une microémulsion.

[54]            En fait, les différences considérables entre les émulsions et les microémulsions ont été reconnues par les scientifiques qui travaillent dans ce domaine. Ils ont clairement reconnu que les émulsions et les microémulsions sont des entités distinctes. Le terme « microémulsion » est apparu dans les années 40 à 50. Depuis cette date, de nombreuses publications scientifiques ont traité des microémulsions et ont considéré leurs propriétés thermodynamiques et leur stabilité comme une catégorie unique.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[55]            1.         L'envoi de l'avis d'allégation d'Apotex est-il abusif compte tenu des ordonnances des juges Rothstein et Reed rejetant la même allégation d'invalidité au motif du caractère théorique?

2.        La Cour devrait-elle prendre en compte les nouvelles antériorités introduites par Apotex par l'entremise de l'affidavit de M. Langer, compte tenu de l'arrêt récent de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire AB Hassle?

3.        Décision sur l'objection : irrecevabilité fondée sur le dossier de la demande de              brevet.

4.        L'allégation d'invalidité formulée dans la lettre d'Apotex du 28 mai 1999 est-elle justifiée? En particulier, les revendications 1, 6 à 12, 15 à 17 et 27 du brevet 150 sont-elles valides?


a)        La divulgation du brevet 667 ou du brevet 307 constitue-t-elle des antériorités par rapport aux revendications 1, 6 à 12, 15 à 17 et 27 du brevet 150?

b)        Les revendications 1, 6 à 12, 15 à 17 et 27 sont-elles invalides au motif de l'évidence?

c)        Les revendications 1, 6 à 12, 15 à 17 et 27 ont-elles une portée trop large?

ANALYSE

1.        L'envoi de l'avis d'allégation d'Apotex est-il abusif compte tenu des ordonnances des juges Rothstein et Reed rejetant la même allégation d'invalidité au motif du caractère théorique?

[56]            Novartis prétend que le présent avis d'allégation ne fait que reprendre les avis des dossiers T-860-95 et T-35-96. Apotex a eu la possibilité d'obtenir une audience au fond dans ces deux procédures, mais a choisi de retirer les allégations.

[57]            Si un fabricant de produits génériques peut envoyer plus d'un avis d'allégation, la Cour d'appel a imposé une restriction importante à l'exercice de ce droit : chaque allégation successive doit être différente et il ne faut pas que son introduction devant la Cour puisse être considérée comme un abus de procédure.


[58]            Novartis estime que l'envoi de cet avis d'allégation, qui est le même que les deux allégations antérieures d'invalidité, équivaut à un abus. Les décisions antérieures, statuant que l'allégation d'invalidité d'Apotex a un caractère théorique et le retrait des allégations, sont des décisions définitives. Par conséquent, la Cour ne peut connaître des mêmes questions.

[59]            Apotex soutient que, d'après la jurisprudence, il incombe à Novartis d'établir, au moyen de témoignages sous serment, que la signification de l'avis d'allégation d'Apotex est abusive.

[60]            Dans une tentative de se conformer à cette norme, Novartis fait valoir deux arguments, dont aucun n'est appuyé par la preuve. En particulier, Novartis affirme qu'elle a fait certaines déclarations à Apotex et à la Cour au moment où les avis d'allégation antérieurs d'Apotex ont été retirés. En outre, Novartis soutient que la justification donnée par Apotex pour le retrait de ses avis d'allégation antérieurs est fausse.

[61]          Apotex prétend que, sur le fondement de la preuve présentée à la Cour, il est manifeste qu'elle a retiré les avis d'allégation en raison de problèmes qui n'ont rien à voir avec la présente procédure, à savoir la conformité avec le Règlement sur les aliments et drogues.

[62]            Dans la décision Lifeview Emergency Services Ltd. c. Alberta Ambulance Operators' Association et al. (1995), 64 C.P.R. (3d) 157 (C.F. 1re inst.), le juge Rothstein a déclaré :


En ce qui a trait à la question de la chose jugée à l'égard du rejet de l'action pour défaut de poursuite, l'état du droit en Alberta a récemment été examiné à fond par le protonotaire Funduk dans une décision rendue le 27 juillet 1995 dans l'affaire Sinclair Timber Industries Ltd. v. The Metis Association Regional Council et al., numéro du greffe 9303 13799.__Même si le protonotaire Funduk ne traitait pas d'une ordonnance de rejet sous le régime de la Règle 244.1(1), je ne vois pas pourquoi les principes applicables aux ordonnances de rejet pour défaut de poursuite seraient différents selon que certaines sont rendues de façon discrétionnaire et d'autres sans aucun pouvoir discrétionnaire.

Le protonotaire Funduk a conclu qu'une deuxième action ne constitue pas un abus de procédure si une poursuite antérieure pour la même cause d'action est rejetée pour défaut de poursuite et que le principe de la chose jugée ne s'applique pas. [...]

Bon nombre de décisions portent que l'on ne peut invoquer le principe de la chose jugée lorsqu'il n'y a pas eu de jugement sur le fond dans la première action. Voir par exemple la décision Merritt v. Brisson and Dodge (1979), 10 B.C.L.R. 139 (le juge Macfarlane, C.S. C.-B.). Le principe de la chose jugée ne s'applique pas dans la présente espèce.

Quant à la question de savoir si la présente action constitue un moyen pour contourner la Règle 244.1(1), je note que cette règle ne mentionne ni n'implique aucunement qu'une deuxième action ne peut être engagée si une action antérieure est rejetée sous son régime. Les motifs du protonotaire Funduk dans la décision Sinclair que je viens de mentionner sont aussi pertinents. Puisqu'une deuxième action peut être intentée devant la Cour du banc de la Reine de l'Alberta après le rejet d'une première action pour défaut de poursuite, je ne vois pas pourquoi, si la Cour fédérale est aussi compétente, il serait impossible d'intenter une deuxième action devant cette Cour. Encore une fois, même s'il examinait un rejet pour défaut de poursuite qui avait été prononcé dans une ordonnance discrétionnaire et non dans une ordonnance rendue sous le régime de la Règle 244.1(1), je ne vois pas pourquoi sa conclusion sur ce point ne pourrait être également applicable à l'égard d'un rejet sous le régime de la Règle 244.1(1).

[63]            Dans l'arrêt Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1997), 76 C.P.R. (3d) 1 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a donné les explications suivantes :

Le 29 avril 1993, l'intimée (Apotex), un fabricant canadien de produits génériques, a soumis au ministre une demande en vue d'obtenir un avis de conformité pour sa propre marque de compositions de nizatidine. Comme Eli Lilly avait dressé, conformément au Règlement, une « liste de brevets » sur laquelle figurait ses deux brevets relatifs à la nizatidine, Apotex a joint à sa demande et a signifié à Eli Lilly un avis d'allégation portant qu'aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament visé par les brevets d'Eli Lilly ne seraient contrefaites par la préparation et la vente de capsules de nizatidine fabriquées par Apotex, étant donné que celles-ci seraient fabriquées à partie de nizatidine en vrac fournie par Novopharm Ltd. (Novopharm), qui est titulaire d'une licence obligatoire d'Eli Lilly en vertu d'un contrat conclu entre ces deux fabricants de médicaments génériques.


Le 14 juin 1993, Eli Lilly a présenté une demande d'interdiction en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement. Par ordonnance datée du 9 février 1995, le juge des requêtes de la Section de première instance, Mme le juge McGillis, a accueilli la demande de contrôle judiciaire [Eli Lilly and Co. c. Apotex Inc. (1995), 60 C.P.R. (3d) 206]. Elle a conclu que l'allégation d'Apotex n'était pas fondée, étant donné que le contrat conclu avec Novopharm constituait une sous-licence illicite et que, de toute façon, la transformation en capsules de la nizatidine en vrac visée par la licence porterait atteinte aux droits du breveté. Une ordonnance d'interdiction a par conséquent été prononcée comme l'exige le Règlement, laquelle ordonnance a par la suite été confirmée en appel par notre Cour, dont l'arrêt est maintenant en instance devant la Cour suprême [70 C.P.R. (3d) vi].

À la suite du prononcé de l'ordonnance du juge McGillis, Apotex a, tout en poursuivant son appel, présenté un second avis d'allégation dont elle a signifié une copie à Eli Lilly le 13 février 1995. Dans ce second avis, Apotex a déclaré que, pour fabriquer ses capsules de nizatidine, elle n'utiliserait que de la nizatidine fabriquée au moyen d'un procédé qui ne contreferait pas les procédés revendiqués dans les brevets d'Eli Lilly. Eli Lilly n'a pas répondu. En mai 1995, comme Eli Lilly n'avait pas, dans le délai de 45 jours qui lui était imparti, demandé une ordonnance d'interdiction en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement, Apotex a demandé au ministre de lui confirmer qu'il examinerait sa demande d'avis de conformité portant sur sa propre marque de nizatidine. Ne recevant aucune réponse du ministre, Apotex a demandé à la Section de première instance de notre Cour de rendre un jugement déclaratoire et de prononcer une ordonnance de la nature d'un bref de mandamus pour forcer le ministre à examiner la présentation de drogue nouvelle d'Apotex sans tenir compte du Règlement et de l'ordonnance d'interdiction de Mme le juge McGillis.

Le juge de la Section de première instance qui était saisi de cette demande l'a accueillie. Suivant, à cet égard, ce qu'il estimait être la jurisprudence de la_Cour, le juge a statué qu'Apotex ne commettait pas d'abus de procédure en déposant un second avis d'allégation, à condition que ce second avis repose sur des motifs différents du premier, ce qui était le cas, étant donné que le premier avis était fondé sur l'existence d'une licence, tandis que le second reposait sur un procédé non contrefait. Le juge de la Section de première instance a jugé mal fondé le moyen d'Eli Lilly suivant lequel le principe de l'autorité de la chose jugée s'appliquait. À son avis, le rôle de la Cour dans une instance en interdiction consiste à déterminer si un avis d'allégation déterminé est fondé, étant donné que la teneur de la PDN sous-jacente n'est pas directement portée à la connaissance de la Cour. Il lui semblerait extraordinaire de considérer que l'ordonnance du juge McGillis tranche un autre différend que celui qui était soumis à cette dernière à l'audience. Elle ne pouvait de toute évidence pas se prononcer pour l'avenir sur des questions et des éléments de preuve qui ne lui étaient pas soumis. Il s'ensuivait que le champ d'application de l'ordonnance d'interdiction du juge McGillis devait se limiter aux allégations précises qui avaient été formulées au cours de l'instance en cause. La conclusion était inévitable : comme Eli Lilly n'avait pas déposé de demande d'ordonnance d'interdiction dans les 45 jours de la signification du second avis d'allégation, le ministre pouvait donner suite à la demande d'Apotex.


[64]            Dans la décision Schering Canada Inc. et al. c. Nu-Pharm Inc. et al. (1994), 58 C.P.R. (3d) 14 (C.F. 1re inst.), le juge Rothstein a déclaré :

La réponse à la question de savoir si une seconde personne peut déposer un deuxième avis d'allégation dans des circonstances comme celles dont il s'agit en l'espèce repose sur l'équité. Il se peut que ni la première ni la seconde personne n'aient produit leurs éléments de preuve dans le délai imparti par les Règles. La Cour peut refuser à chacune de celles-ci de proroger le délai dans lequel elles doivent produire ces éléments de preuve. Il serait injuste de permettre à la seconde personne de contourner cette difficulté et d'avoir une nouvelle fois la possibilité de produire des éléments de preuve en signifiant un nouvel avis d'allégation alors qu'il est impossible à la première personne de le faire parce qu'elle ne peut pas déposer une nouvelle demande d'ordonnance de prohibition. Je ne pense pas que le gouverneur en conseil a adopté un règlement qui, en ce qui concerne la procédure, visait à accorder un traitement inégal à la première et à la seconde personne.

Il y a une autre raison pour laquelle je ne pense pas que le Règlement prévoit un second avis d'allégation dans des circonstances comme celles dont il est question en l'espèce. Schering a déposé relativement au second avis d'allégation une demande d'ordonnance de prohibition identique à celle qu'elle avait présentée relativement au premier avis d'allégation ainsi que les mêmes éléments de preuve. Une fois que la Cour se sera prononcée sur la première demande de prohibition, l'affaire aura été tranchée au fond. Même si Nu-Pharm n'a pas produit d'éléments de preuve, cela ne change rien au fait que la Cour aura rendu une décision sur le fond de l'affaire, en se fondant sur les éléments de preuve dont elle avait été saisie. Par suite de cette décision, la demande d'ordonnance de prohibition deviendra chose jugée. Il ne sera pas possible d'engager une deuxième procédure à ce stade parce qu'une décision finale aura déjà été rendue.

[...]

Pour ces motifs, je ne pense pas que le Règlement permette de déposer plusieurs avis d'allégation comportant les mêmes allégations afin de contourner les délais prescrits dans les Règles de la Cour ainsi que les ordonnances rendues par la Cour relativement à ceux-ci. Un nouvel avis d'allégation, dans de telles circonstances, ne remet pas en branle la procédure et ne donne pas une nouvelle occasion à la seconde personne de produire des éléments de preuve.

[65]            Dans la décision Bayer AG c. Apotex Inc. (1998), 84 C.P.R. (3d) 23 (C.F. 1re inst.), le juge Gibson a décidé :


Comme l'indiquent les mesures de redressement sollicitées dans le dernier avis de requête introductif d'instance, il ne s'agit pas des premiers avis du genre concernant la ciprofloxacine que Bayer dépose contre le ministre et Apotex. En réalité, il s'agit des quatrième et cinquième avis, tous déposés en réponse à des avis d'allégation envoyés par Apotex. Les deux premières demandes ont été instruites conjointement par mon collègue le juge MacKay, qui a statué en faveur de Bayer. La troisième a été instruite par mon collègue le juge Lutfy, qui a statué en faveur d'Apotex. À l'instar des première et deuxième demandes, les présentes demandes, soit les quatrième et cinquième, ont été instruites conjointement. Le débat a été presque entièrement fondé sur les documents déposés à la Cour dans le dossier n ° T-591-96. Les présents motifs s'appliquent aux deux demandes. Des copies de ces motifs, accompagnés d'ordonnances distinctes, seront versées dans ces deux dossiers.

[...]

Au début des présents motifs, j'ai souligné que les avis d'allégation qui ont donné lieu aux présentes demandes sont les quatrième et cinquième que présente Apotex à l'égard de la ciprofloxacine. Bayer allègue que le cinquième avis d'allégation est essentiellement identique au quatrième et qu'il n'est pas distinct de celui-ci. Le cinquième avis d'allégation est censément donné en vertu de la même disposition de la Loi, soit le paragraphe 28(2). Il vise les mêmes parties, le même médicament et les mêmes brevets canadiens, et se fonde en partie sur le même brevet étranger, soit le brevet chilien. Il ne fait qu'ajouter le brevet espagnol et la demande de brevet allemand appartenant à la « famille I » susmentionnée. Bayer allègue que si Apotex avait fait preuve de diligence raisonnable, elle aurait pu inclure dans son quatrième avis d'allégation les renvois au brevet espagnol et à la demande de brevet allemand.

Dans Bayer Inc. et Bayer AG c. Le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social et Apotex Inc., le juge Lutfy a écrit :

La présentation de plus d'un avis d'allégation devant la Cour, à condition que ceux-ci soient distincts les uns des autres, ne peut être considérée comme un abus de procédure.

Au soutien de cette proposition, le juge Lutfy cite Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), où le juge Marceau a écrit :

Je souscris aux vues exprimées dans les nombreuses décisions que le juge des requêtes a citées et dans lesquelles la Section de première instance a affirmé qu'il est possible de soumettre des allégations successives et que chacune doit être traitée indépendamment, à condition qu'elle soit distincte des autres et que sa présentation devant la Cour ne puisse être considérée comme un abus de procédure.

[...]


Il s'agit donc non pas de savoir si de multiples avis d'allégation à l'égard du même médicament présentés par la même « deuxième personne » constituent un abus de procédure, mais plutôt si ces avis d'allégation sont distincts les uns des autres. S'ils ne le sont pas, il se peut qu'il y ait abus de procédure.

[...]

Dans Hoffman-Laroche Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), le juge Stone, en résumant les « grands principes » établis dans les décisions antérieures portant sur des affaires de cette nature, a écrit [p. 211] :

7.    Lorsque la deuxième personne omet de déposer un avis d'allégation ou qu'elle dépose un avis incomplet, elle doit en supporter « les conséquences lorsque, dans le cadre d'une demande de prohibition déposée devant la Cour, quelqu'un invoque les lacunes de ces allégations » .

8.    Par l'alinéa 5(3)a) du Règlement, qui oblige la deuxième personne à fournir un énoncé détaillé, « il semble que le législateur ait voulu que le breveté soit parfaitement au courant des motifs sur lesquels le requérant se fonde pour prétendre que la délivrance d'un avis de conformité ne donnera pas lieu à la contrefaçon du brevet avant que le breveté décide de présenter ou non une demande au tribunal pour obtenir une décision. Une telle divulgation permettrait de cerner le débat très tôt. » [Non souligné dans l'original, renvois omis.]

[66]            Dans l'arrêt Alza Corp. c. Apotex Inc., [1998] A.C.F. n ° 962 (C.F. 1re inst.), Madame le juge Reed a écrit :

[...] suivant le raisonnement adopté dans la décision AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1995), 52 C.P.R. (3d) 3 (C.F. 1re inst.). Dans cette affaire, il a été décidé que le retrait d'une allégation indiquait un aveu de contrefaçon et que, par conséquent, la demande visée par l'allégation devrait être tranchée au moyen d'une ordonnance d'interdiction. Le 4 avril 1997, l'avocat de l'intimée a fait savoir que cette proposition était inacceptable, compte tenu des décisions AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1997), 72 C.P.R. (3d) 318 (C.F. 1re inst.), et Merck Frosst c. Canada (1997), 72 C.P.R. (3d) 468 (C.F. 1re inst.). Dans la première décision, aux pages 324, 326 et 327, le juge Nadon a refusé de rendre une ordonnance d'interdiction à l'égard du retrait d'une allégation, statuant que le retrait rendait la demande théorique et que les faits portés à son attention ne lui permettaient pas de conclure que le retrait constituait un aveu de contrefaçon :


Dans l'affaire Hassle, précitée, le juge Richard a considéré que le retrait de l'avis constituait un aveu que les allégations dont il y était question n'étaient pas fondées. Toutefois, il existe en l'espèce des faits convaincants qui expliquent pourquoi l'avis d'allégation a été retiré. Je ne considère pas que le retrait constitue un aveu. Le retrait de l'avis a seulement pour effet de conférer un caractère théorique à la présente action. Si je n'avais pas conclu que l'affaire est théorique, j'aurais considéré, comme l'a fait le juge Richard dans l'affaire Hassle, précitée, qu'aucune des allégations n'était fondée.

Dans la décision Merck Frosst, le juge Rothstein a décidé que, lorsqu'une deuxième allégation est retirée, l'instance s'y rapportant devient théorique. Il a ajouté qu'il ne restait aucune question contestée qui avait un lien logique avec l'instance et que l'ordonnance d'interdiction concerne uniquement la demande qui y donne naissance, pourvu que les allégations ne soient aucunement interdépendantes.

[...]

Dans la décision A.B. Hassle (1995), la preuve indiquait que le retrait de la première allégation et la substitution d'une seconde visaient à contourner un délai qui avait été oublié par inadvertance. Le dépôt d'une seconde allégation pouvait donc être considéré comme un emploi abusif des procédures. Cependant, les faits présentés en l'espèce ne permettent pas de décrire de cette façon le retrait de l'allégation et le dépôt d'une nouvelle. Même si les deux allégations sont identiques (les comprimés ne sont pas des dispositifs osmotiques), cela ne signifie pas que les formulations elles-mêmes le soient ou qu'il y ait eu emploi abusif des procédures lors du retrait de l'allégation et du dépôt subséquent d'une nouvelle allégation. En tout état de cause, cet argument pourra être invoqué dans le contexte de la demande relative au dossier T-420-98, si les requérantes le désirent.

[67]          En l'espèce, Apotex a expliqué qu'elle a retiré son avis d'allégation en raison de problèmes concernant la conformité au Règlement sur les aliments et drogues.

[68]            J'estime que c'est une explication raisonnable. En outre, Novartis n'a pas présenté de preuve supplémentaire indiquant que la justification donnée par Apotex pour le retrait de ses avis antérieurs était fausse. Donc, l'avis d'allégation d'Apotex ne constitue pas un abus de procédure.


2.        La Cour devrait-elle prendre en compte les nouvelles antériorités introduites par Apotex par l'entremise de l'affidavit de M. Langer, compte tenu de l'arrêt récent de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire AB Hassle?

[69]            À l'appui de sa prétention, Novartis invoque l'arrêt AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [2000] A.C.F. n ° 855 (C.A.F), dans lequel la Cour d'appel fédérale a jugé :

Il me semble qu'un élément clef de la solution du présent appel peut se trouver dans la détermination du rôle de l'énoncé détaillé dans le régime établi par le Règlement. Tel qu'indiqué, cet énoncé doit être produit avant qu'une instance relative à la demande d'une ordonnance d'interdiction visée à l'article 6 puisse être envisagée par le titulaire du brevet concerné. Il a pour but d'aviser le titulaire du brevet que, suivant l'opinion d'une seconde personne, un brevet listé par la première personne en vertu de l'article 4 des Règlements ne sera pas contrefait ou encore qu'il est invalide. Cela est conforme à l'opinion exprimée par le juge Marceau dans l'arrêt Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1997), 76 C.P.R. (3d) 1 (C.A.F.), à la page 11 :

Le Règlement vise essentiellement à prévoir un mécanisme par lequel les brevets sont inscrits et protégés contre une éventuelle contrefaçon à la demande du titulaire du brevet. Le Règlement garantit donc qu'aucun avis de conformité n'est délivré sans que les titulaires de brevets aient eu l'occasion de défendre leurs brevets. Cette possibilité n'est pas diminuée par le fait que l'avis d'allégation est donné en premier lieu si, comme c'est le cas en l'espèce, il renferme suffisamment de renseignements pour permettre au titulaire du brevet de décider s'il y a lieu de demander une ordonnance d'interdiction, auquel cas la Cour peut immédiatement en examiner le bien-fondé.

La présente Cour a en effet reconnu que l'énoncé détaillé doit être tel que le titulaire du brevet est pleinement informé des motifs pour lesquels un AC ne donnerait pas lieu à la contrefaçon d'un brevet listé car, autrement, le titulaire du brevet se serait pas en mesure de décider s'il doit introduire une instance relative à la demande visée à l'article 6. Le juge Mahoney a d'ailleurs indiqué dans l'arrêt Bayer AG, précité, aux pages 337 et 338 :


Il y a une autre question qui mérite un commentaire. L'alinéa 5(3)a) du Règlement oblige la personne qui demande la délivrance d'un avis de conformité à fournir un énoncé détaillé du droit et des faits sur lesquels elle se fonde. Il semble que le législateur ait voulu que le breveté soit parfaitement au courant des motifs sur lesquels le requérant se fonde pour prétendre que la délivrance d'un avis de conformité ne donnera pas lieu à la contrefaçon du brevet avant que le breveté ne décide de présenter ou non une demande au tribunal pour obtenir une décision. Une telle divulgation permettrait de cerner le débat très tôt.

Du point de vue du titulaire du brevet, l'opportunité d'introduire une instance relative à la demande visée à l'article 6 présente des avantages et des désavantages. Le principal avantage est qu'en vertu de l'alinéa 7(1)e), le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social ne peut délivrer un AC jusqu'à 24 mois après réception de la preuve qu'une demande d'interdiction a été présentée en vertu de l'article 6 du Règlement. Comme l'a indiqué le juge Mahoney dans l'arrêt Bayer AG, précité, à la page 337, l'effet « [est équivalent à] une injonction interlocutoire » pouvant atteindre une durée maintenant réduite à 24 mois. Cet avantage, bien que significatif, n'existe qu'à court terme. Le principal désavantage est que si l'instance relative à la demande visée à l'article 6 est retirée, fait l'objet d'un désistement ou est rejetée, le titulaire du brevet doit compenser la seconde personne de toute perte subie au cours de la période décrite au paragraphe 8(1) du Règlement. Le titulaire du brevet aurait moins de raisons que précédemment de tarder à introduire une instance relative à la demande visée à l'article 6. D'autre part, le fait qu'une compensation doit être payée à une seconde personne si une instance relative à la demande visée à l'article 6 est rejetée ne garantit pas que la seconde personne agira promptement dans cette procédure.

[...]

À mon avis, tout ce qui précède donne à penser que la seconde personne doit satisfaire aux exigences de l'alinéa 5(3)a), c'est-à-dire établir dans l'énoncé détaillé « le droit et les faits sur lesquels elle fonde » les allégations de l'alinéa 5(1)b) et le faire d'une manière suffisamment complète pour permettre au titulaire du brevet d'évaluer ses recours en réponse à l'allégation. Voir Pharmacia Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1994), 58 C.P.R. (3d) 209 (C.A.F.), par le juge Strayer, J.C.A. à la page 216. Un examen de l'énoncé détaillé en question est ainsi requis afin de déterminer s'il est satisfait à cette exigence à l'égard de l'allégation voulant que les brevets '693 et '891 ne sont pas valides pour cause d'évidence.

[...]


Il nous semble que même si l'avis d'allégation joue un rôle important dans l'issue finale d'un litige de cette nature, ce n'est pas un document au moyen duquel la demande de contrôle judiciaire peut être introduite conformément à l'article 6 du règlement. Ce document a été présenté en guise de preuve par les appelantes; il a pour point de départ la demande déposée auprès du ministre. Parce que ce n'est pas un document qui a été déposé auprès de la Cour, mais auprès du ministre, à notre sens l'avis d'allégation échappe à la compétence de la Cour dans une procédure de contrôle judiciaire. Cela étant, la Cour, selon nous, n'a pas la compétence nécessaire pour radier l'avis d'allégation.

Cela veut dire, à l'évidence, que la Cour n'a pas la compétence nécessaire pour rendre des ordonnances touchant le dépôt des avis d'allégation ou pour exiger que ces avis soient améliorés à tel ou tel égard. Le principe est que, selon les dispositions mêmes du Règlement, l'avis d'allégation précède le dépôt d'une demande de prohibition devant la Cour. L'avis d'allégation appartient au substrat d'une telle procédure, ce qu'on pourrait peut-être considérer comme une partie constitutive de la « cause d'action » . Une cour de justice ne peut pas ordonner la création d'une cause d'action, ou ordonner que celle-ci soit créée dans tel ou tel délai ou de telle ou telle manière. La Cour ne peut en connaître qu'une fois que celle-ci existe, ou à partir du moment où l'on prétend qu'elle existe. Ceux qui omettraient de déposer un avis d'allégation, ou qui déposeraient un avis incomplet, en supporteront les conséquences lorsque, dans le cadre d'une demande de prohibition déposée devant la Cour, quelqu'un invoque les lacunes de ces allégations.

À mon avis ce raisonnement s'applique également aux lacunes qui se trouvent dans un énoncé détaillé d'une seconde personne. La présente Cour a conclu dans l'arrêt Hoffmann-LaRoche Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1996), 70 C.P.R. (3d) 1, qu'une seconde personne ne pouvait pas, dans le cadre d'une instance relative à la demande visée à l'article 6, ajouter aux faits allégués dans son énoncé détaillé. J'ai déclaré à la page 6 de cette décision :

... il est incontestable qu'une deuxième personne dans la position de l'appelante par incidence devait, aux termes de l'alinéa 5(3)a) du Règlement, « fournir un énoncé détaillé du droit et des faits sur lesquels elle se fonde » (non souligné dans l'original). Je ne suis donc pas convaincu que le juge des requêtes a eu tort de refuser de permettre la production d'éléments de preuve nouveaux alors qu'il était évident que l'objet de cette production était simplement de combler une lacune de la part de l'appelante par incidence elle-même, qui ne s'est pas conformée aux exigences prescrites en omettant, dans son énoncé détaillé, d'indiquer tous les faits qu'elle avait l'intention d'invoquer ...


De plus, l'intimée prétend que la liste des antériorités jointe à l'affidavit de M. Rowe et les autres éléments d'antériorité auxquels il est autrement fait référence dans cet affidavit ne constituent pas des faits nouveaux mais des éléments de preuve quant aux faits sur lesquels elle se fonde dans l'énoncé détaillé. Je peux difficilement voir ces nouveaux éléments de la sorte. Il m'apparaît que les éléments d'antériorité de l'affidavit de Rowe soumis à l'appui de l'allégation d'invalidité pour cause d'évidence n'établissent pas les faits mentionnés dans l'énoncé détaillé mais plutôt des faits nouveaux. En effet, l'avocat a candidement convenu durant les plaidoiries que, en soumettant sa preuve d'évidence, M. Rowe a préféré s'appuyer sur le brevet Abbott (1956) que sur le brevet '495 énuméré dans l'énoncé détaillé, même si l'avocat a maintenu que M. Rowe avait eu raison de le faire et que, de toute façon, les nouvelles références ne représentent pas des faits nouveaux mais des éléments de preuve à l'appui des faits sur lesquels l'intimée fonde ses allégations.

[70]          Quant à Apotex, elle prétend que la décision AB Hassle, précitée, est sans application, puisque Novartis a choisi de ne pas présenter une requête semblable à celle qui avait été présentée dans cette affaire.

[71]            Novartis a plutôt choisi de demander à la Cour l'autorisation de déposer une preuve supplémentaire pour répondre aux documents additionnels. Cette requête a été accueillie.

[72]            Apotex soutient donc que Novartis a manifestement renoncé à tout droit de se plaindre au sujet des documents contestés.

[73]            À mon avis, Novartis devrait avoir soulevé cette question par la voie d'une requête avant l'audience. La soulever à ce stade-ci pourrait être inéquitable à l'endroit de la défenderesse, Apotex, qui a été amenée à croire que, une fois accueillie la requête de Novartis en vue de déposer une preuve supplémentaire, les documents qui se trouvaient déjà dans le dossier après la décision de la Cour prononcée le 17 novembre 1999 ne seraient pas remis en cause.


[74]            Ainsi qu'il a été indiqué auparavant, Novartis invoque l'arrêt AB Hassle, précité, de la Cour d'appel. Cet arrêt a été prononcé le 12 juin 2000 et le juge Stone, s'exprimant au nom de la majorité, a jugé qu'un avis d'allégation suffisant devait contenir une liste complète des antériorités que la seconde personne entend invoquer au moment où l'avis d'allégation est envoyé et que la seconde personne ne peut, par la suite, introduire de nouvelles antériorités par la voie d'un affidavit :

[...] Je suis toutefois d'opinion que l'alinéa 5(3)a) n'envisage pas cette possibilité. L'intention serait plutôt que tous les faits sur lesquels on se fonde devraient figurer dans l'énoncé et non pas être révélés pièce à pièce au moment où on en sent le besoin dans le cadre d'une instance relative à la demande visée à l'article 6. La présente Cour a déjà prévenu des personnes dans la position de l'intimée qu'elles assument le risque qu'une allégation en particulier puisse ne pas être conforme au Règlement et que les lacunes ne puissent pas être comblées par le tribunal dans le cadre d'une instance relative à la demande visée à l'article 6.

[75]            Néanmoins, la décision interlocutoire de la présente Cour a été rendue le 17 novembre 1999, des mois avant que ne soit prononcé l'arrêt de la Cour d'appel, et il ne serait pas raisonnable, à mon avis, de permettre aux demanderesses de soulever cette question maintenant, alors qu'une décision a déjà été rendue par la Cour précisément sur cette question, il y deux ans.

[76]            Donc, le requête présentée par Novartis, demandant à la Cour de ne pas prendre en compte les antériorités additionnelles introduites par Apotex, est rejetée.

3.        Décision sur l'objection : irrecevabilité fondée sur le dossier de la demande de brevet.


[77]            Au cours de l'examen des antériorités, l'avocat des demanderesses a soulevé une objection sur le droit d'Apotex d'invoquer le dossier de la demande de brevet à l'office des brevets des États-Unis. Les deux parties ont présenté de la jurisprudence sur la question et l'objection a été réservée.

[78]            L'irrecevabilité fondée sur le dossier de la demande de brevet, également appelée historique de la demande de brevet ou preuve extrinsèque, est une théorie qui a été élaborée aux États-Unis. Elle se fonde sur le principe qu'on ne peut admettre que l'inventeur fasse des déclarations à l'office des brevets, notamment des modifications de la demande de brevet, pour éviter de se voir refuser le brevet, puis, par la suite, dans le contexte d'une action en contrefaçon, prétende que le brevet couvre des éléments ou des aspects du sujet qui ont fait l'objet d'un désistement ou d'un abandon dans les discussions avec l'office des brevets.

[79]            Au sujet de l'objection concernant l'irrecevabilité fondée sur le dossier de la demande de brevet, j'ai examiné la jurisprudence pertinente : Free World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024; P.L.G. Research Ltd. et al. c. Jannock Steel Fabricating Co et al. (1991), 35 C.P.R. (3d) 346 (C.F. 1re inst.); et Foseco Trading A.G. c. Canadian Ferro Hot Metals Specialties, Ltd. (1991), 36 C.P.R. (3d) 35 (C.F. 1re inst.).


[80]            Il importe de noter qu'il existe une incertitude quant à l'état du droit au sujet de l'utilisation de ce moyen d'irrecevabilité. D'après cette jurisprudence, l'élément commun qui donne lieu aux requêtes en irrecevabilité fondées sur ce moyen est ordinairement une affaire de contrefaçon de brevet dans laquelle l'avocat veut utiliser le dossier de la demande de brevet dans un but précis. La question que doit alors trancher la Cour, c'est de déterminer si ce but précis justifie ou non l'admissibilité du dossier de la demande de brevet.

[81]            En l'espèce, le but précis visé par l'utilisation du dossier de la demande de brevet serait d'éclaircir les antériorités en examinant le brevet antérieur (le brevet 307) pour déterminer s'il constitue une antériorité pour le brevet postérieur (le brevet 150).

[82]            L'arrêt Free World Trust c. Électro Santé Inc., précité, constitue la décision la plus récente de la Cour suprême du Canada au sujet de ce moyen d'irrecevabilité. La question se posait dans le contexte de la définition de la portée du monopole. Le juge Binnie a indiqué qu'au Canada, l'utilisation du dossier de la demande de brevet avait été constamment rejetée en vue de l'interprétation des revendications. Il a décidé que, dans l'espèce, le dossier de la demande de brevet ne devait pas être admis :

[...] Autoriser la mise en preuve de tels éléments extrinsèques pour déterminer l'étendue d'un monopole compromettrait le rôle des revendications dans l'information du public et ajouterait à l'incertitude, tout en attisant le brasier déjà intense du contentieux en matière de brevets. La faveur dont jouit actuellement l'interprétation téléologique, qui assure la primauté de la teneur des revendications, paraît également incompatible avec l'ouverture de la boîte de Pandore que serait la préclusion fondée sur les notes apposées au dossier.[...]

[83]            Toutefois, il reconnaît qu'il est possible d'admettre le dossier de la demande de brevet dans certaines circonstances :

Il ne s'ensuit pas que l'examen de la demande de brevet ne puisse jamais être pertinent pour une autre fin que celle de définir l'étendue du monopole accordé : Foseco Trading A.G. c. Canadian Ferro Hot Metal Specialties Ltd. (1991), 36 C.P.R. (3d) 35 (C.F. 1re inst.), à la p. 47. [...]


[84]            Dans la décision Foseco Trading A.G. c. Canadian Ferro Hot Metals Specialties, Ltd., précitée, Madame le juge Reed examinait la question de l'irrecevabilité fondée sur le dossier de la demande de brevet à l'égard de la correspondance et de documents échangés entre les co-inventeurs au sujet de l'élaboration de l'invention. La question se soulevait du fait que la défenderesse prétendait que l'invention faite n'était pas l'invention revendiquée. Le juge Reed a indiqué :

En ce qui concerne la correspondance et les documents que se sont échangés les coïnventeurs au sujet de la mise au point de l'invention, ceux-ci devraient être produits. [...]

[85]            Dans sa décision, le juge Reed donne une excellente synthèse historique de l'irrecevabilité fondée sur le dossier de la demande de brevet. Elle traite de plusieurs affaires des États-Unis, du Royaume-Uni et du Canada. En ce qui concerne le droit canadien, elle déclare :

Sur la base de tous ces arrêts, quel est le principe applicable? Il semble clair que les renseignements contenus dans les dossiers, qu'ils soient canadiens ou étrangers, peuvent être pertinents pour certaines fins et dans certaines circonstances. Peut-être bien que la plupart des renseignements obtenus en posant des questions sur ces dossiers se révéleront dénués de pertinence, mais c'est une décision qu'il revient au juge de première instance de prendre en tenant compte des circonstances de l'espèce. Il est souvent difficile de savoir si la réponse à une question est pertinente avant d'en connaître la teneur et de voir comment elle s'inscrit dans la défense de la partie défenderesse. [...]


[86]            Cette décision constitue l'un des rares cas où la Cour a admis le dossier de la demande de brevet. La justification était qu'une explication était nécessaire pour clarifier les faits, non en vue de l'interprétation. Donc, cette décision est d'application étroite, limitant l'utilisation du dossier en vue des faits, alors qu'en l'espèce, le dossier de la demande de brevet, s'il était admis, servirait à éclaircir les antériorités. Ce but particulier exigerait une interprétation et donc, la décision Foseco, précitée, semble inapplicable.

[87]            L'affaire P.L.G. Research Ltd. et al. c. Jannock Steel Fabricating Co et al., précitée, est une autre affaire de contrefaçon de brevet dans laquelle le dossier de la demande de brevet n'a pas été admis. Le juge Strayer renvoie à l'un de ses jugements antérieurs, Amfac Foods Inc. c. Irving Puld & Paper Ltd. (1984), 80 C.P.R. (2d) 59, où il a refusé d'admettre le dossier de demande de brevet :

[TRADUCTION] C'est-à-dire que je suis arrivé à la conclusion, dans l'affaire Amfac, que le breveté et les contrefacteurs potentiels sont liés l'un et les autres par les termes du brevet tel qu'il a été délivré. De la même façon que le breveté ne peut élargir son brevet en établissant son intention de revendiquer une invention plus large au moyen d'une preuve de ce qui s'est passé au cours du traitement de sa demande de brevet, le contrefacteur allégué ne devrait pas pouvoir recourir à une telle preuve pour établir que l'invention a une portée plus étroite que ce qu'indique le brevet. Cela serait passer outre aux termes du brevet tel qu'il a été délivré, lesquels déterminent, selon ce que je comprends, la portée du brevet. De même, à mon avis, un contrefacteur allégué ne peut excuser des actes de contrefaçon des mots du brevet en invoquant d'autres termes présentés par le breveté au cours du traitement de sa demande de brevet. En droit, il n'a pas le droit de s'appuyer sur ces « déclarations » au lieu des termes mêmes du brevet.

[88]            Toutefois, le juge Strayer a indiqué qu'il peut y avoir des circonstances dans lesquelles le dossier de demande de brevet pourrait être admis, lorsque le but poursuivi est de voir les antériorités étudiées par les examinateurs :

[TRADUCTION] [...] Dans la décision Samsonite Corp c. Holiday Luggage Inc. (1988), 20 C.P.R. (3d) 291 aux pages 315 et 316, le juge Reed était, semble-t-il, disposée à admettre les dossiers de demande de brevet américain et canadien, non en vue de déterminer la portée du brevet, mais pour indiquer l'état de la technique présenté aux examinateurs. [...]


[89]            En résumé, il ressort de cet examen de la jurisprudence que le dossier de la demande de brevet n'est pas admissible généralement en vue de déterminer la portée du brevet ou l'étendue du monopole. Par contre, il y a certaines situations dans lesquelles le dossier de demande de brevet a été jugé admissible pour un but précis, comme dans l'affaire Foseco, précitée, où la correspondance et les documents des inventeurs ont été admis en vue d'éclaircir l'intention de l'inventeur, et dans l'affaire P.L.G., précitée, en vue d'indiquer les antériorités étudiées par les examinateurs. Toutefois, le dossier de la demande de brevet n'a été admis que pour ce but précis et pour aucun autre but.

[90]            Pour revenir à la présente affaire, la jurisprudence établit la possibilité d'admettre le dossier de la demande de brevet dans des circonstances particulières, circonstances qui ne se retrouvent pas en l'espèce.

[91]            En conclusion, je suis d'avis que le dossier de la demande de brevet ne doit pas être admis, puisque le brevet antérieur devrait permettre de clarifier les antériorités et on ne devrait pas avoir besoin de consulter d'autres documents, notamment le dossier de la demande de brevet auprès de l'office des brevets des États-Unis.


4.        L'allégation d'invalidité formulée dans la lettre d'Apotex du 28 mai 1999 est-elle justifiée? En particulier, les revendications 1, 6 à 12, 15 à 17 et 27 du brevet 150 sont-elles valides?

Le régime réglementaire

[92]            L'article 5 du Règlement prévoit que le fabricant de médicaments génériques (la seconde personne) qui veut comparer son produit à celui d'un breveté (la première personne) est tenu de signifier un avis d'allégation portant que le brevet est expiré, n'est pas valide ou ne sera pas contrefait par elle. L'article 5 du Règlement dispose :



5. (1) Lorsqu'une personne dépose ou a déposé une demande d'avis de conformité pour une drogue et la compare, ou fait référence, à une autre drogue pour en démontrer la bioéquivalence d'après les caractéristiques pharmaceutiques et, le cas échéant, les caractéristiques en matière de biodisponibilité, cette autre drogue ayant été commercialisée au Canada aux termes d'un avis de conformité délivré à la première personne et à l'égard de laquelle une liste de brevets a été soumise, elle doit inclure dans la demande, à l'égard de chaque brevet inscrit au registre qui se rapporte à cette autre drogue :

a) soit une déclaration portant qu'elle accepte que l'avis de conformité ne sera pas délivré avant l'expiration du brevet;

b) soit une allégation portant que, selon le cas :

(i) la déclaration faite par la première personne aux termes de l'alinéa 4(2)c) est fausse,

(ii) le brevet est expiré,

(iii) le brevet n'est pas valide,

(iv) aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites advenant l'utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par elle de la drogue faisant l'objet de la demande d'avis de conformité.

(1.1) Sous réserve du paragraphe (1.2), lorsque le paragraphe (1) ne s'applique pas, la personne qui dépose ou a déposé une demande d'avis de conformité pour une drogue contenant un médicament que l'on trouve dans une autre drogue qui a été commercialisée au Canada par suite de la délivrance d'un avis de conformité à la première personne et à l'égard de laquelle une liste de brevets a été soumise doit inclure dans la demande, à l'égard de chaque brevet inscrit au registre visant cette autre drogue contenant ce médicament, lorsque celle-ci présente la même voie d'administration et une forme posologique et une concentration comparables :

a) soit une déclaration portant qu'elle accepte que l'avis de conformité ne soit pas délivré avant l'expiration du brevet;

b) soit une allégation portant que, selon le cas :

(i) la déclaration faite par la première personne aux termes de l'alinéa 4(2)c) est fausse,

(ii) le brevet est expiré,

(iii) le brevet n'est pas valide,

(iv) aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites advenant l'utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par elle de la drogue faisant l'objet de la demande d'avis de conformité.

[...]

(3) Lorsqu'une personne fait une allégation visée aux alinéas (1)b) ou (1.1)b) ou au paragraphe (2), elle doit:

a) fournir un énoncé détaillé du droit et des faits sur lesquels elle se fonde;

b) si l'allégation est faite aux termes de l'un des sous-alinéas (1)b)(i) à (iii) ou (1.1)b)(i) à (iii), signifier un avis de l'allégation à la première personne;

c) si l'allégation est faite aux termes des sous-alinéas (1)b)(iv) ou (1.1)b)(iv)

(i) signifier à la première personne un avis de l'allégation relative à la demande déposée selon les paragraphes (1) ou (1.1), au moment où elle dépose la demande ou par la suite,

(ii) insérer dans l'avis d'allégation une description de la forme posologique, de la concentration et de la voie d'administration de la drogue visée par la demande;

d) signifier au ministre une preuve de la signification effectuée conformément aux alinéas b) ou c).

5. (1) Where a person files or has filed a submission for a notice of compliance in respect of a drug and compares that drug with, or makes reference to, another drug for the purpose of demonstrating bioequivalence on the basis of pharmaceutical and, where applicable, bioavailability characteristics and that other drug has been marketed in Canada pursuant to a notice of compliance issued to a first person and in respect of which a patent list has been submitted, the person shall, in the submission, with respect to each patent on the register in respect of the other drug,

(a) state that the person accepts that the notice of compliance will not issue until the patent expires;

or

(b) allege that

(i) the statement made by the first person pursuant to paragraph 4(2)(c) is false,

(ii) the patent has expired,

(iii) the patent is not valid, or

(iv) no claim for the medicine itself and no claim for the use of the medicine would be infringed by the making, constructing, using or selling by that person of the drug for which the submission for the notice of compliance is filed.

(1.1) Subject to subsection (1.2), where subsection (1) does not apply and where a person files or has filed a submission for a notice of compliance in respect of a drug that contains a medicine found in another drug that has been marketed in Canada pursuant to a notice of compliance issued to a first person and in respect of which a patent list has been submitted, the person shall, in the submission, with respect to each patent included on the register in respect of the other drug containing the medicine, where the drug has the same route of administration and a comparable strength and dosage form,

(a) state that the person accepts that the notice of compliance will not issue until the patent expires;

or

(b) allege that

(i) the statement made by the first person pursuant to paragraph 4(2)(c) is false,

(ii) the patent has expired,

(iii) the patent is not valid, or

(iv) no claim for the medicine itself and no claim for the use of the medicine would be infringed by the making, constructing, using or selling by that person of the drug for which the submission for the notice of compliance is filed.

[...]

(3) Where a person makes an allegation pursuant to paragraph (1)(b) or (1.1)(b) or subsection (2), the person shall

(a) provide a detailed statement of the legal and factual basis for the allegation;

(b) if the allegation is made under any of subparagraphs (1)(b)(i) to (iii) or (1.1)(b)(i) to (iii), serve a notice of the allegation on the first person;

(c) if the allegation is made under subparagraph (1)(b)(iv) or (1.1)(b)(iv),

(i) serve on the first person a notice of the allegation relating to the submission filed under subsection (1) or (1.1) at the time that the person files the submission or at any time thereafter, and

(ii) include in the notice of allegation a description of the dosage form, strength and route of administration of the drug in respect of which the submission has been filed; and

(d) serve proof of service of the information referred to in paragraph (b) or (c) on the Minister.



[93]            Selon l'article 6 du Règlement, en réponse à un avis d'allégation, la première personne peut introduire une procédure visant à interdire la délivrance d'un avis de conformité à la seconde personne. L'article 6 du Règlement dispose :


6. (1) La première personne peut, dans les 45 jours après avoir reçu signification d'un avis d'allégation aux termes des alinéas 5(3)b) ou c), demander au tribunal de rendre une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité avant l'expiration du brevet visé par l'allégation.

(2) Le tribunal rend une ordonnance en vertu du paragraphe (1) à l'égard du brevet visé par une ou plusieurs allégations si elle conclut qu'aucune des allégations n'est fondée.

6. (1) A first person may, within 45 days after being served with a notice of an allegation pursuant to paragraph 5(3)(b) or (c), apply to a court for an order prohibiting the Minister from issuing a notice of compliance until after the expiration of a patent that is the subject of the allegation.

(2) The court shall make an order pursuant to subsection (1) in respect of a patent that is the subject of one or more allegations if it finds that none of those allegations is justified.


[94]            Au sujet de la procédure en interdiction prévue à l'article 6 du Règlement, la Cour d'appel fédérale a indiqué, dans l'arrêt Bristol-Myers Squibb Canada Inc. c. Canada (Procureur général), [2001] A.C.F. n ° 16 (C.A.F), qu'il s'agissait d'une mesure draconienne :

Dès que le titulaire d'un brevet présente une demande d'interdiction conformément au Règlement, le pouvoir du ministre de délivrer l'avis de conformité pour la drogue nouvelle est automatiquement suspendu en attendant l'issue de l'instance en interdiction. Cette suspension automatique reste en vigueur pendant une période maximale de vingt-quatre (24) mois, sauf si ce délai est prorogé conformément au paragraphe 7(5) du Règlement. Cette suspension automatique a été qualifiée de mesure draconienne puisqu'elle permet au titulaire d'un brevet de retarder l'entrée sur le marché de compétiteurs sans avoir à établir une preuve prima facie de contrefaçon de son brevet : Apotex c. Merck Frosst Canada Inc., [1998] 2 R.C.S. 193, (1998) 80 C.P.R. (3d) 368.

[95]            Dans l'arrêt Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1997] A.C.F. n ° 1251 (C.A.F) la Cour d'appel a jugé :


Il est également de jurisprudence constante que les instances introduites en vertu de l'article 6 par le breveté ne constituent pas des actions touchant la validité ou la contrefaçon d'un brevet, mais qu'elles sont de la nature d'instances en contrôle judiciaire, qui doivent être instruites avec célérité et qui visent à déterminer si le ministre peut délivrer l'avis de conformité demandé. Ces instances ne visent que des fins administratives. Le juge Strayer, qui s'exprimait là encore au nom d'une Cour unanime, l'a bien précisé dans l'arrêt Pharmacia Inc. c. Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1994) 58 C.P.R. (3d) 209 (C.A.F.) à la page 217 :

Soulignons qu'aucune des dispositions du Règlement ne crée ni n'abolit les droits d'action des parties l'une contre l'autre : elles confèrent plutôt au breveté le droit de présenter une demande d'interdiction contre le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social. Le règlement ressortit donc au droit public et ne vise pas les droits d'action privés. La véritable partie opposée dans le cadre d'une telle procédure en interdiction est évidemment la société générique qui a signifié l'avis d'allégation.

Si, en prenant ce règlement, le gouverneur en conseil avait eu l'intention de prévoir le prononcé d'une décision définitive sur la validité et la contrefaçon d'un brevet, qui lierait toutes les parties privées et empêcherait tout litige ultérieur visant les mêmes questions, il l'aurait sûrement exprimée. Le tribunal n'est pas disposé à accepter l'hypothèse voulant que les brevetés et les sociétés génériques soient forcés de faire valoir leurs droits privés uniquement au moyen de la procédure sommaire de demande de contrôle judiciaire. Étant donné que le Règlement dispose que les questions qui peuvent être tranchées à cette étape seront examinées dans le cadre d'une telle procédure, il est donc assez clair que ces questions sont obligatoirement de nature limitée ou préliminaire. Si l'instruction complète des questions de validité et_de contrefaçon est nécessaire, on peut procéder de la façon habituelle en intentant une action.

[96]            Dans la décision Eli Lilly and Co. c. Pro Doc Ltée, [2000] A.C.F. n ° 1781 (C.F. 1re inst.), le juge Dubé a dit ceci au sujet du fardeau de preuve :

Le fardeau de preuve de la partie qui présente une demande d'interdiction fondée sur le paragraphe 6(1) du Règlement est un lourd fardeau. Le titulaire de brevet qui s'oppose à la délivrance d'un ADC doit prouver qu'aucune des allégations formulées par la partie qui demande l'ADC en question n'est justifiée. [...]

[97]            Dans la décision Pfizer Canada Inc. et al. c. Nu-Pharm Inc. et al. (1998), 83 C.P.R. (3d) 1 (C.F. 1re inst.), le juge Joyal a jugé :


Il est bien établi que, pour qu'elle puisse accorder une ordonnance d'interdiction, la Cour doit conclure que le breveté a démontré, selon la prépondérance des probabilités, que les allégations de la seconde personne ne sont pas fondées. Pour déterminer la nature du fardeau qui incombe aux demanderesses, il est important de se rappeler que la procédure engagée aux termes du paragraphe 6(2) n'est pas une action en contrefaçon ordinaire. Il s'agit plutôt d'une procédure sommaire destinée à permettre au titulaire d'un brevet de protéger ses droits de brevet lorsque les allégations d'absence de contrefaçon et de nullité du fabricant du produit générique sont dénuées de fondement. En conséquence, si le titulaire d'un brevet ne peut pas démontrer que les allégations d'un fabricant générique sont dénuées de fondement, la demande d'interdiction devrait être rejetée et la question tranchée à l'aide de mesures plus conventionnelles.

L'interprétation du brevet

[98]            Dans l'arrêt Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, la Cour suprême du Canada a indiqué :

Dans des poursuites en matière de brevet, la première étape consiste donc à interpréter les revendications. L'interprétation des revendications précède l'examen des questions de validité et de contrefaçon. Les appelantes font valoir que ces deux examens -- celui de la validité et celui de la contrefaçon -- sont distincts, et que si les principes d' « interprétation téléologique » découlant de l'arrêt Catnic doivent être adoptés, leur application doit être limitée aux questions de contrefaçon. Les appelantes affirment que les principes d' « interprétation téléologique » n'ont aucun rôle à jouer dans la détermination de la validité et que leur application erronée est fatale au jugement qui fait l'objet du présent pourvoi.


[99]            La clé de l'interprétation téléologique est donc l'identification par le tribunal, avec l'assistance d'un lecteur averti, des mots ou des expressions dans les revendications qui décrivent ce que l'inventeur a considéré comme constituant les éléments « essentiels » de son invention. Cela n'est pas différent, je pense, de la méthode adoptée à peu près 40 ans auparavant par le juge en chef Duff dans l'arrêt J. K. Smit & Sons, Inc. c. McClintock, [1940] R.C.S. 279. Dans cette affaire, le brevet portait sur une méthode de fixation de diamants sur des appareils comme les trépans de foreuses. Le juge en chef Duff, citant la jurisprudence antérieure, mettait l'accent sur l'identification par l'inventeur lui-même des éléments « essentiels » de son invention, à la page 285:

[TRADUCTION] Manifestement, l'invention, telle qu'elle est décrite par l'inventeur lui-même, implique l'utilisation d'une succion d'air pour tenir les diamants en place pendant que le métal en fusion est introduit dans le moule. Il ne peut y avoir aucun doute, à mes yeux que, comme le dit l'inventeur, c'est un élément essentiel de son procédé. Cet élément de son procédé n'est manifestement pas emprunté par les appelantes. Pour reprendre la formulation de lord Romer, ce n'est pas l'affaire du tribunal de deviner ce qui est et ce qui n'est pas l'essence de l'invention de l'intimé. Le breveté a clairement indiqué que l'utilisation de la succion d'air constitue un élément essentiel, sinon l'élément essentiel, de l'invention décrite dans le mémoire descriptif.

[100]        La fonction des revendications est de définir clairement et avec précision le monopole revendiqué par le breveté de façon que les autres puissent en connaître les limites exactes, et évitent d'empiéter.

[101]        La divulgation vise à fournir aux personnes du métier toute l'information dont elles ont besoin pour mettre en oeuvre l'invention à l'expiration du brevet.

[102]        La Cour doit interpréter les brevets du point de vue du professionnel moyen dans le domaine dont il s'agit. Le professionnel moyen dans le domaine du brevet est le technicien possédant les compétences voulues pour mettre en oeuvre l'invention.

[103]        Dans l'arrêt Free World Trust c. Électro Santé Inc., précité, la Cour suprême du Canada a jugé :


Compte tenu de la preuve d'expert entendue en première instance concernant le sens des termes utilisés et vu la compréhension que pouvait en avoir à la date du brevet un travailleur moyen versé dans l'art des appareils d'électromagnétothérapie et ayant les connaissances usuelles des personnes travaillant dans ce domaine [...]

[104]        Dans l'arrêt Beloit Canada Ltd. c. Valmet Oy (1986), 8 C.P.R. (3d) 289 (C.A.F.), le juge Hugessen a indiqué :

[...] La pierre de touche classique de l'évidence de l'invention est le technicien versé dans son art mais qui ne possède aucune étincelle d'esprit inventif ou d'imagination; un parangon de déduction et de dextérité complètement dépourvu d'intuition; [...]

[105]        À mon avis, la Cour doit considérer ce que la personne du métier, en lisant les revendications en fonction des connaissances générales communes au moment du brevet, aurait considéré être l'invention revendiquée.

[106]        Dans la décision Glaxo Group Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [2000] A.C.F. n ° 585 (C.F. 1re inst.), le juge O'Keefe a statué :

Pour déterminer si les allégations d'Apotex sont fondées ou non, il faut interpréter les brevets 313 et 331 et définir la portée du monopole revendiqué par les brevets en question. À cette fin, je citerai des principes d'interprétation des brevets bien établis. Ces principes d'interprétation des brevets s'appliquent en l'espèce même s'il ne s'agit pas d'une action en contrefaçon de brevet comme tel. En effet, si mon interprétation du brevet m'amène à conclure que la fabrication ou la commercialisation de la formulation d'Apotex qui est décrite dans la preuve qui m'a été soumise contreferait les brevets 313 et 331 de Glaxo, les allégations de non-contrefaçon d'Apotex seraient nécessairement mal fondées.


Les principes d'interprétation des brevets sont bien établis et ne donnent vraisemblablement lieu à aucune controverse. Suivant d'éminents auteurs d'ouvrages de doctrine, les brevets doivent être interprétés selon une méthode téléologique, de manière à donner effet à l'invention, et le tribunal ne doit être ni trop indulgent, ni trop sévère. Les revendications doivent être interprétées du point de vue de la personne versée dans l'art ou la technique en question avec un esprit disposé à comprendre.

Il convient de suivre les principes d'interprétation précis suivants :

a) Les revendications doivent être interprétées en fonction de l'ensemble du mémoire descriptif.

b) Les revendications doivent être interprétées sans tenir compte de l'état antérieur de la technique.

c) Il faut, si possible, attribuer un sens distinct à chaque revendication.

d) On renonce à tout ce qui n'est pas revendiqué.

Finalement, il convient de souligner qu'il faut interpréter le brevet avant de trancher la question de la contrefaçon du brevet et que ces deux questions sont tout à fait distinctes.

La présomption de validité

[107]        Dans l'arrêtDiversified Products Corp. c. Tye-Sil Corp. (1991), 35 C.P.R. (3d) 350 (C.A.F), la Cour d'appel fédérale a expliqué :

En examinant la preuve, j'ai tenu compte de la présomption selon laquelle un brevet déposé est valide en vertu de l'article 47 de la Loi sur les brevets, S.R.C. 1970, ch. P-4. L'article 47 prévoit qu'un brevet accordé conformément à la Loi « est par la suite prima facie valide... » . Cette disposition figure à l'article 45 des Lois révisées de 1985, ch. P-4, et son libellé a été modifié comme suit : « il est par la suite, sauf preuve contraire, valide... » . Étant donné que les Lois révisées du Canada de 1985 sont entrées en vigueur le 12 décembre 1988, j'ai retenu l'expression « prima facie » qui était employée au moment où le brevet en litige a été accordé. Quoi qu'il en soit, cette modification n'est qu'une question de forme et il ne pourrait pas en être autrement, puisque le pouvoir conféré à la Commission de révision des lois, en vertu des alinéas 6e) et f) de la Loi sur la révision des lois, 1985 S.R.C. ch. S-20, est d' « apporter à la forme des lois les changements nécessaires à l'uniformité de l'ensemble, sans en modifier le fond » ; et d' « apporter à la forme des lois les améliorations mineures nécessaires pour mieux exprimer l'intention du Parlement... sans en modifier le fond » .

À cet égard, le juge de première instance a fait sienne la déclaration du président Thorson dans l'arrêt Lovell Manufacturing Co. v. Beatty Bros. Ltd. [(1962), 41 C.P.R. 18 à la p. 44.] et les intimées nous ont renvoyés à une autre déclaration que celui-ci avait faite dans l'arrêt Ernest Scragg & Sons Ltd. c. Leesona Corp. [(1964), 45 C.P.R. 1 à la p. 77.] :


La preuve requise pour réfuter la présomption doit être plus qu' « une preuve quelconque » . Ce doit être une preuve vraisemblable et suffisamment importante pour satisfaire la Cour que le brevet est invalide. À mon avis, la présomption de validité créée par la disposition en question continue à s'appliquer à moins que la partie qui conteste le brevet ne réussisse à convaincre la Cour de l'invalidité de celui-ci. Ainsi, en vertu de cette disposition, il incombe à la partie qui conteste la validité du brevet de montrer que celui-ci est invalide; or à mon avis, il n'est pas facile de s'acquitter de cette obligation.

[...]

Fox [Canadian Patent Law, 4e édition, 1969, à la p. 278] exprime l'avis selon lequel dans la plupart des affaires où il est question de la charge de la preuve, [TRADUCTION] « l'effet de cette présomption est surestimé » et cite l'arrêt McPhar Engineering c. Sharpe Instruments [(1960), 21 Fox Pat. C. 1 à la p. 28 (Cour de l'Éch.)] où la Cour de l'Échiquier a dit que la présomption légale s'étend aux attributs de la brevetabilité (soit la nouveauté, l'utilité et l'inventivité), lesquels sont réputés exister tant que le contraire n'est pas clairement démontré. Fox laisse entendre qu'[TRADUCTION] « il semble n'y avoir aucun ouvrage ni aucun arrêt dans lequel une telle importance est accordée à la présomption légale et où une obligation aussi lourde est imposée lorsqu'il s'agit de réfuter cette présomption. Une présomption prima facie est une présomption réfutable ou praesumptio juris. En tant que telle, elle s'applique prima facie, mais sa valeur n'est pas comparable à celle d'un élément de preuve contraire qui est cru » .

J'opte pour la façon dont Fox aborde la question; à mon avis, la description la plus exacte de la présomption est celle que le juge Pratte a donnée dans l'arrêt Rubbermaid (Canada) Ltd. c. Tucker Plastic Products Ltd. [(1972), 8 C.P.R. (2d) 6, à la p. 14 (C.F. 1re inst.).] :

Il est clair cependant que cet article [TRADUCTION] « ne vise que la charge de la preuve et non le degré de preuve. Il indique quelle partie a la charge de satisfaire la Cour et non le degré de la preuve que celle-ci doit apporter » : Blyth c. Blyth [1966] 1 A11 E.R. 524 à la p. 535, lord Denning. De plus, lorsque la partie qui attaque la validité du brevet a présenté des éléments de preuve, la Cour, en examinant ceux-ci aux fins de déterminer s'ils établissent la nullité du brevet, ne doit pas tenir compte de la présomption. On ne peut dire, d'une manière générale, si la présomption légale créée par l'article 47 est facile ou difficile à renverser; dans certains cas, les circonstances peuvent être telles que la présomption puisse être facilement repoussée, tandis que dans d'autres, il peut être très difficile, sinon impossible, d'y arriver.

Voir également Windsurfing International Inc. et al. c. Les Entreprises Hermano Ltée et al. (1982), 69 C.P.R. (2d) 176 à la p. 181 (C.F. 1re inst.).


La charge, qui incombait à l'appelante, peut donc être ainsi définie : compte tenu des critères qui s'appliquent aux plaidoiries d'antériorité et d'évidence, qui, comme nous le verrons, ne sont pas des critères faciles à satisfaire, l'appelante a-t-elle prouvé, selon la norme habituelle de la prépondérance des probabilités, que le brevet était invalide pour des raisons d'antériorité ou d'évidence?

[108]        Je conclus sans hésitation qu'il existe une présomption de validité en faveur des demanderesses. Je vais maintenant examiner si la défenderesse fournit une preuve suffisante pour réfuter la présomption de validité.

a)        La divulgation du brevet 667 ou du brevet 307 constitue-t-elle des antériorités par rapport aux revendications 1, 6 à 12, 15 à 17 et 27 du brevet 150?

[109]        Dans l'arrêt Free World Trust c. Électro Santé Inc., précité, la Cour suprême du Canada a jugé :

La défense fondée sur l'antériorité découlant d'une publication est difficile à établir, car les tribunaux reconnaissent qu'il n'est que trop facile, après la divulgation d'une invention, de la reconnaître, par fragments, dans un enseignement antérieur. Il faut peu d'ingéniosité pour constituer un dossier d'antériorité lorsqu'on dispose du recul nécessaire. En l'occurrence, les intimés prétendent que tous les éléments essentiels des prétendues inventions de l'appelante avaient été divulgués dans une seule publication, savoir l'article de Solov'eva, environ quatre ans avant la demande de brevet. Si tel est le cas, le brevet est invalide.


Les intimés ont appris l'existence de l'article de Solov'eva en prenant connaissance du mémoire descriptif du brevet 361, l'appelante en faisant mention à titre d'antériorité. La question qui se pose sur le plan juridique est de savoir si cet article renferme suffisamment d'information pour permettre à une personne ayant des compétences et des connaissances moyennes dans le domaine de comprendre, sans avoir accès aux deux brevets, [traduction] « la nature de l'invention et de la rendre utilisable en pratique, sans l'aide du génie inventif, mais uniquement grâce à une habileté d'ordre technique » (H. G. Fox, The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions (4e éd. 1969), aux pp. 126 et 127). En d'autres mots, les renseignements donnés par Solov'eva étaient-ils, « en termes d'utilité pratique, les mêmes que ceux que donnent les brevets contestés » ? (Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask.) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504, le juge Dickson, à la p. 534), ou, pour reprendre l'exposé mémorable fait dans General Tire & Rubber Co. c. Firestone Tyre & Rubber Co., [1972] R.P.C. 457 (C.A. Angl.), à la p. 486 :

[traduction] Aussi clair qu'il soit, un poteau indicateur placé sur la voie menant à l'invention du breveté ne suffit pas. Il faut prouver clairement que l'inventeur préalable a pris possession de la destination précise en y laissant sa marque avant le breveté.

Il est donc difficile de satisfaire au critère applicable en matière d'antériorité :

Il faut en effet pouvoir s'en remettre à une seule publication antérieure et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l'invention revendiquée sans l'exercice de quelque génie inventif. Les instructions contenues dans la publication antérieure doivent être d'une clarté telle qu'une personne au fait de l'art qui en prend connaissance et s'y conforme arrivera infailliblement à l'invention revendiquée.

(Beloit Canada Ltd. c. Valmet OY (1986), 8 C.P.R. (3d) 289 (C.A.F.), le juge Hugessen, à la p. 297)

En toute déférence, il est clair que l'article de Solov'eva n'aborde pas et résout encore moins les difficultés techniques sur lesquelles portent les brevets en cause. Il ne s'agit de rien de plus qu'un résumé de quatre pages de l'histoire de l'électromagnétothérapie. L'article fait état de certains des différents systèmes offerts en 1975 en Europe et au Japon. Il convient de signaler que l'appelante ne prétend pas avoir inventé l'électromagnétothérapie. Elle a obtenu un brevet pour un moyen en particulier. Même si les différents composants étaient déjà connus des personnes versées dans l'art, l'inventeur les a combinés pour obtenir ce que le commissaire aux brevets a qualifié de résultat nouveau, utile et ingénieux. L'invention revendiquée correspondait à une combinaison ingénieuse de composants déjà connus, et non à leur simple juxtaposition (The King c. Uhlemann Optical Co., [1952] 1 R.C.S. 143, le juge en chef Rinfret, à la p. 150; Domtar Ltée c. MacMillan Bloedel Packaging Ltée, [1977] A.C.F. no 207 (QL) (1re inst.), aux par. 28 à 33). La combinaison ingénieuse n'était ni enseignée ni envisagée dans l'article de Solov'eva. Aucun des autres arguments invoqués à l'encontre de la validité des brevets n'est convaincant. Le breveté a respecté les obligations contractées dans le cadre du marché en divulguant une invention. Les brevets sont valides.

[110]        Dans l'arrêt Diversified Products Corp. c. Tye-Sil Corp., précité, la Cour d'appel fédérale a jugé :


Comme le juge Urie le mentionne dans l'arrêt Beecham, précité, à la p. 28, les moyens de défense fondés sur la connaissance antérieure, sur l'utilisation antérieure, sur la publication antérieure et sur la vente antérieure sont « indissociable[s] » et s'appellent moyens de défense fondés sur l' « antériorité » . J'ai remarqué que dans la jurisprudence, il ne semble pas qu'une distinction de principe soit faite entre ces divers moyens de défense et que ce qui est dit au sujet, par exemple, de l'antériorité fondée sur la connaissance antérieure s'applique mutatis mutandis à l'antériorité fondée sur la publication antérieure. Étant donné que tous ces moyens de défense ont été soulevés en l'espèce, je les considérerai fondamentalement comme ne constituant qu'un moyen, ce que les avocats des deux parties ont d'ailleurs fait dans leurs argumentations écrites et orales.

L'antériorité a récemment été décrite comme suit par le juge Hugessen :

On se souviendra que celui qui allègue l'antériorité, ou absence de nouveauté, prétend que l'invention était connue du public avant la date pertinente. L'enquête porte sur l'invention litigieuse elle-même et non, comme dans le cas de l'évidence, sur l'état de la technique et des connaissances générales. De plus, ainsi qu'il ressort du passage précité de la Loi, l'antériorité doit se trouver dans un brevet particulier ou dans un autre document publié; il ne suffit pas de recueillir des renseignements à partir de diverses publications antérieures et de les ajouter les uns aux autres et d'en arriver à l'invention revendiquée. Il faut en effet pouvoir s'en remettre à une seule publication antérieure et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l'invention revendiquée sans l'exercice de quelque génie inventif. Les instructions contenues dans la publication antérieure doivent être d'une clarté telle qu'une personne au fait de l'art qui en prend connaissance et s'y conforme arrivera infailliblement à l'invention revendiquée. Lorsque, comme c'est le cas ici, l'invention consiste en une combinaison de plusieurs éléments connus, une publication qui ne révèle pas la combinaison de tous ces éléments ne peut avoir un caractère d'antériorité.

Je tiens à souligner dès le début que les critères cumulatifs énoncés par le juge Gibson dans l'arrêt Reeves Bros. Inc. c. Toronto Quilting & Embroidery Ltd., [(1978), 43 C.P.R. (2d) 145 à la p. 157 (C.F., 1re inst.)], lesquels ont été retenus sans être examinés dans plusieurs arrêts canadiens subséquents, et notamment dans des jugements rendus par la présente Cour [Johnson Controls Inc. c. Varta Batteries Ltd. (1984), 80 C.P.R. (2d) 1 à la p. 11; Windsurfing Int'l Inc. c. Trilantic Corp. (1985), 8 C.P.R. (3d) 241 à la p. 255. Voir également William L. Hayhurst, c.r., « Recent Developments in Canadian Law: Intellectual Property » (1987) 19 Ottawa Law Review 137 à la p. 157.], et sur lesquels les intimées se sont appuyées dans leur mémoire, ont généralement été utilisés en dehors de leur contexte. Le juge Gibson avait seulement énuméré divers énoncés du critère d'antériorité qui avait été retenu dans des arrêts antérieurs; en réalité, sa conclusion est qu'il est impossible de conclure à l'antériorité à moins que l'un quelconque de ces huit « critères » soit satisfait, par opposition à l'ensemble de ces critères.


[111]        Dans la décision Reeves Brothers Inc. c. Toronto Quilting & Embroidery Ltd. (1978), 43 C.P.R. (2d) 145 (C.F. 1re inst.), le juge Gibson indique :

Si je comprends bien, pour qu'il y ait constatation d'antériorité, la technique courante doit : (1) avoir donné antérieurement une description exacte; (2) donner des directives qui ne conduisent qu'au résultat revendiqué; (3) indiquer clairement, sans erreur possible, une direction; (4) donner des renseignements qui, à toutes fins pratiques, valent ceux que donnent le brevet en cause; (5) informer celui qui est aux prises avec le même problème suffisamment pour qu'il puisse dire : « c'est ce que je cherche » ; (6) informer suffisamment pour permettre à celui qui n'a que des connaissances ordinaires de percevoir immédiatement l'invention; (7) en l'absence de directives explicites, indiquer un [TRADUCTION] « résultat certain » qui [TRADUCTION] « ne sera vérifié que par l'expérience » ; et (8) satisfaire à tous ces critères en un seul article, sans qu'il soit nécessaire de fabriquer une mosaïque. Ces critères ont été énoncés dans les décisions suivantes : Steel Co. of Canada Ltd. c. Sivaco Wire and Nail (1973) 11 C.P.R. (2d) 153, aux pages 189 à 192, Pope c. Spanish River (1929) 46 R.P.C. 23, à la p. 54, Lovell c. Beatty (1964) 41 C.P.R. 18 aux pages 45 à 48, General Tire c. Firestone (1971) F.S.R. 417, à la p. 444, British Thompson, Houston c. Metropolitan Vickers (1928) 45 R.P.C. 1, aux pages 22 à 24, Letraset c. Dymo (1976) R.P.C. 65, à la page 75, Xerox c. IBM (1978) 33 C.P.R. (2d) 24, aux pages 46 à 48 et 49.

[112]        Selon Novartis, ni le brevet 307 ni le brevet 667 n'aboutissent inévitablement à la préparation d'un préconcentré de microémulsion d'huile dans l'eau de cyclosporine ou d'une formulation de microémulsion. Les brevets 667 et 307 porteraient plutôt sur des systèmes d'émulsion ordinaire que sur des préconcentrés de microémulsion d'huile dans l'eau ou sur des microémulsions. Donc, Novartis allègue que les brevets 667 et 307 n'enseignent pas un résultat inévitable qui équivaut à une antériorité, puisque rien ne permet de conclure que ces deux brevets donnent des directives qui ne conduisent qu'au résultat revendiqué, et qu'ils ne contiennent pas non plus d'instructions si claires qu'une personne du métier qui les lirait et les suivrait serait amenée, dans tous les cas et sans possibilité d'erreur, à l'invention revendiquée.


[113]        Les deux parties semblent s'entendre sur certains des enseignements des brevets 667 et 307 qui sont identifiés dans l'état de la technique du brevet 150.

[114]        Une personne du métier qui lirait les brevets 667 et 307 comprendrait les enseignements suivants :

a)        une composition pharmaceutique liquide sous la forme d'un préconcentré d'huile dans l'eau renfermant de la cyclosporine et un système à trois constituants comprenant une phase hydrophile, une phase lipophile et un tensioactif;

b)        le préconcentré de cyclosporine, à son entrée dans le tractus gastro-intestinal, s'auto-émulsionne, c'est-à -dire qu'il forme spontanément une émulsion avec les fluides (c.-à -d. la phase aqueuse) contenus dans le tractus gastro-intestinal;

c)        le préconcentré de cyclosporine dans le système à trois constituants donne un mode d'administration ayant une bonne stabilité et une meilleure biodisponibilité;

d)        le mode d'administration était efficace parce que, lors de l'émulsification, il y aurait une aire spécifique élevée de l'huile en contact avec l'eau (c.-à -d. de très petites gouttelettes) qui permettrait à la cyclosporine de se séparer dans l'eau et d'être absorbée dans la circulation sanguine à travers la muqueuse intestinale.

[115]        Le brevet 307 décrit spécifiquement les compositions divulguées et revendiquées :

[TRADUCTION] Les compositions comprenant un système à trois constituants a) + i) + iii) possèdent également l'avantage de former un système auto-émulsionnant en présence d'eau, sans qu'il y ait précipitation immédiate de l'ingrédient actif. Cela est important du point de vue de la biodisponibilité de cet ingrédient, car la précipitation dans le milieu aqueux de l'estomac ou lors d'une injection intra-musculaire par exemple, altère fortement la résorption. On sait qu'il existe des problèmes liés à la biodisponibilité de la cyclosporine dans le cas de formulations connues, problèmes qui ont d'ailleurs fait l'objet de discussions [...]


[116]        Selon les demanderesses, le technicien de métier qui suit les instructions du brevet 667 ou 307 ferait une émulsion ordinaire de cyclosporine, il ne ferait pas nécessairement une microémulsion d'huile dans l'eau ou un préconcentré de microémulsion. Tous les experts ont formulé des commentaires semblables; par exemple, M. Robinson, expert d'Apotex, dans son contre-interrogatoire à la question 506, a convenu qu'on n'aboutirait pas inévitablement à une microémulsion :

[TRADUCTION]

506.          Q. ...conviendriez-vous avec moi que, selon les enseignements du brevet 307, on n'aboutirait pas inévitablement à une microémulsion?

R.           Oh, oui.

[117]        De son côté, Apotex allègue que le technicien de métier comprendrait, à partir des enseignements des brevets 667 et 307, que, pour améliorer la stabilité et la biodisponibilité obtenues avec le mode d'administration de ces brevets, il faudrait avoir recours à un procédé de microémulsion de manière à obtenir une formulation comportant une aire spécifique élevée d'huile en contact avec l'eau qui permette à la cyclosporine de se séparer dans l'eau et d'être absorbée dans la circulation sanguine à travers la muqueuse intestinale.

[118]        La question clé consiste à déterminer si un formulateur de métier saurait que plus la taille des gouttelettes est petite, plus l'aire spécifique de contact entre l'huile et l'eau augmente et donc meilleures sont les concentrations sanguines de médicament que l'on obtient.


[119]        Il est clair que les brevets 667 et 307 ne décrivent pas les émulsions formées par les compositions divulguées, sinon en disant qu'il s'agit d'une émulsion. Selon Apotex, une personne du métier comprendrait que ces brevets comprennent une microémulsion, qui constitue un sous-ensemble des émulsions.

[120]        Les experts ont longuement discuté, en renvoyant à divers documents, de la différence exacte entre une émulsion et une microémulsion. Apotex a cité la récente décision Smithkline Beecham Pharma Inc. et Smithkline Beecham P.L.C. c. Apotex Inc., [2001] A.C.F. n ° 1118 (C.F. 1re inst.), dans laquelle le juge Gibson a indiqué :

Le brevet 637 s'intitule « Paroxetine Tablets and Process to Prepare Them » . Les extraits suivants sont tirés de la divulgation du brevet 637 :

[...]

[TRADUCTION] On a constaté que les comprimés de paroxétine prenaient souvent une teinte rose, ce qui n'est absolument pas souhaitable.

[...]

Par conséquent, la présente invention concerne de la paroxétine formulée en comprimés à l'aide d'un procédé sans eau.

Un tel procédé de formulation peut consister, par exemple, en une méthode de compression directe par voie sèche de la paroxétine ou de granulation par voie sèche de la paroxétine suivie d'une compression du produit sous forme de comprimés. La présente invention permet donc d'obtenir de la paroxétine préparée par compression directe et mélangée à des excipients secs sous la forme d'un comprimé et une formulation comprenant de la paroxétine granulée et comprimée par voie sèche et mélangée à des excipients secs sous la forme d'un comprimé.

[...]

Le brevet 060 intitulé « Crystalline Paroxetine HCL » a été délivré à Beecham Group P.L.C. le 30 juillet 1991. Le résumé du brevet 060 se lit comme suit :


[TRADUCTION] L'invention concerne le chlorhydrate de paroxétine semi-hydraté cristallin, ses procédés de préparation, les compositions qui en contiennent et son usage thérapeutique.

[...]

On découvre maintenant qu'on peut fabriquer le chlorhydrate de paroxétine sous forme cristalline reproductible à l'échelle commerciale.

[...]

Le chlorhydrate de paroxétine semi-hydraté est stable et non hygroscopique.

[...]

Sous son aspect privilégié, la présente invention permet d'obtenir du chlorhydrate de paroxétine semi-hydraté sous forme acceptable sur le plan pharmaceutique.

La présente invention permet aussi d'obtenir une composition pharmaceutique comprenant du chlorhydrate de paroxétine semi-hydraté cristallin et un adjuvant acceptable sur le plan pharmaceutique.

Les compositions de cette invention sont habituellement adaptées pour une administration par voie orale, mais les formulations destinées à une dissolution en vue d'une administration parentérale font également partie de cette invention.

[...]

Les formes posologiques unitaires privilégiées comprennent les comprimés ou les capsules.

La composition de cette invention peut être formulée suivant les méthodes courantes de mélange consistant, par exemple, à mélanger, remplir et comprimer.

On n'a pas fait valoir devant moi le fait que les méthodes courantes de mélange et de formulation seraient comprises par les personnes expertes dans l'art d'inclure la granulation par voie humide, la granulation par voie sèche et la compression directe.

[...]


Si l'on revient à la brève analyse du brevet 637 et du brevet 060 exposée plus haut, le seul objet divulgué dans le brevet 637 qui ne l'est pas dans le brevet 060 est qu'une ou plusieurs des [TRADUCTION] « méthodes courantes de mélange consistant, par exemple, à mélanger, remplir et comprimer » pour réaliser la formulation, à l'échelle commerciale, des comprimés de paroxétine, soit [TRADUCTION] « un procédé de formulation » sans eau, [TRADUCTION] « la granulation par voie sèche » de la paroxétine ou comprenant [TRADUCTION] « l'étape consistant à mélanger la paroxétine avec des excipients secs » , sont moins susceptibles de donner naissance au problème de coloration rose que la granulation par voie humide. Il est intéressant de remarquer que cet avantage particulier de certaines des [TRADUCTION] « méthodes courantes de mélange » divulgué dans le brevet 060 n'est pas mentionné dans les revendications du brevet 637. Cela étant dit, même dans le cadre d'une interprétation généreuse du brevet 637, qui placerait l'avantage de l'atténuation du [TRADUCTION] « problème de coloration rose » dans la portée large des revendications du brevet 637, je conclus qu'il satisfait au critère de l'antériorité.

À la lumière du critère énoncé dans l'arrêt Beloit, je suis persuadé qu'une personne ayant des compétences et des connaissances moyennes dans le domaine, d'après la preuve établie devant moi, pourrait prendre connaissance d'une seule publication antérieure, soit le brevet 060, et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l'invention du brevet 637 sans l'exercice du moindre génie inventif. Le brevet 060 comporte des instructions d'une clarté telle qu'une personne au fait de l'art qui en prend connaissance et s'y conforme arrivera infailliblement à l'invention revendiquée.

Ayant conclu que la formulation par voie humide des comprimés de paroxétine suscite un [TRADUCTION] « problème de coloration rose » , dont l'importance est telle qu'elle pousse une personne au fait de l'art à chercher à le résoudre, à tout le moins en partie, je suis persuadé que logiquement, la première étape de toute personne au fait de l'art serait de se tourner vers les autres procédés de formulation divulgués dans le brevet 060 pour voir si l'un ou l'autre ne résoudrait pas, en totalité ou en partie, le problème. Je suis également persuadé que cette recherche n'impliquerait aucune étape inventive ni aucun génie inventif. Elle mettrait seulement en jeu l'application de l'enseignement du brevet 060.

[121]        Sur le fondement de la décision Smithkline, précitée, Apotex conclut que, par analogie, la revendication 1 du brevet 150 ne divulgue pas les compositions pharmaceutiques précises des éléments qu'elle inclut. Les compositions précises se trouvent dans les revendications 2 et 3, qui ne font pas l'objet de l'avis d'allégation d'Apotex.

[122]        La revendication 1 est ainsi conçue :


[TRADUCTION] Une composition pharmaceutique sous la forme d'un préconcentré de microémulsion d'huile dans l'eau et comprenant de la cyclosporine dissoute dans 1) un constituant de la phase hydrophile; 2) un constituant de la phase lipophile; et 3) un tensioactif.

[123]        Bref, selon les allégations d'Apotex, si un technicien compétent suit les enseignements des brevets 667 et 307, il comprendrait que les deux brevets divulguent un procédé de microémulsion.

[124]        D'après la preuve présentée, la Cour est convaincue que le brevet 150 décrit des microémulsions formées de particules de petite taille, c.-à-d. moins de 2 000 Å, et optiquement transparentes.

[125]        Il semble que, lorsque la taille des particules dépasse 2 000 Å, on obtient une émulsion ordinaire.

[126]        Selon les brevets 667 et 307, il était clairement établi qu'il restait des problèmes définis à résoudre avec la cyclosporine.

[127]        Les difficultés rencontrées dans l'administration de la cyclosporine avaient trait à la biodisponibilité, à l'uniformité de la dose, à la palatabilité et au potentiel de toxicité. L'invention divulguée et revendiquée dans les brevets 667 et 307 fournit une solution au problème lié à la cyclosporine.


[128]        La divulgation du brevet 307 indique ce qui suit :

[TRADUCTION] La présente invention porte sur une composition pharmaceutique renfermant un peptide monocyclique possédant des propriétés pharmacologiques et un véhicule renfermant au moins l'un des constituants suivants :

a)            un produit de trans-estérification d'un triglycéride d'huile végétale; hydrogénée et d'un polyalkylènepolyol

b)           un triglycéride d'acide gras saturé;

c)            un monoglycéride ou un diglycéride.

Les compositions de l'invention sont particulièrement utiles pour les peptides hydrophobes et (ou) lipophiles, qui sont insolubles ou très peu solubles dans les véhicules pharmaceutiques classiques, notamment les cyclosporines [...]

[129]        La revendication 1 du brevet 307 porte sur ce qui suit :

[TRADUCTION] Composition pharmaceutique liquide contenant une quantité de cyclosporine pharmacologiquement active et un véhicule renfermant les constituants suivants :

a)            un produit de trans-estérification d'un triglycéride d'huile végétale naturelle et d'un polyalkylènepolyol;

b)           une huile végétale;

c)            éthanol, le rapport du constituant a) à la cyclosporine étant de 10:0,2 à 10 parties en poids, la quantité du constituant b) étant de 35 à 60 % du poids total de la composition, et la quantité du constituant c) étant de 1 à 20 % du poids total de la composition.

[130]        La revendication 3 du brevet 667 va dans le même sens que la revendication 1 du brevet 307 :

[TRADUCTION] Une composition pharmaceutique, selon la revendication 1, où le véhicule comprend le constituant a) avec x) une huile végétale et y) l'éthanol.

[131]        La revendication 1 du brevet 667 porte sur ce qui suit :


[TRADUCTION] Une composition pharmaceutique contenant une cyclosporine comme ingrédient actif et un véhicule renfermant au moins l'un des constituants suivants :

a)            un produit de trans-estérification d'un triglycéride d'huile végétale naturelle ou hydrogénée et d'un polyalkylènepolyol;

b)           un triglycéride d'acide gras saturé;

c)            un monoglycéride ou un diglycéride.

[132]        La revendication 1 du brevet 150 porte sur ce qui suit :

[TRADUCTION]

1.            Une composition pharmaceutique sous la forme d'un préconcentré de microémulsion d'huile dans l'eau et comprenant de la cyclosporine dissoute dans 1) un constituant de la phase hydrophile; 2) un constituant de la phase lipophile; et 3) un tensioactif.

[133]        Il est clair, selon la Cour, que la seule distinction entre la composition de la revendication 1 du brevet 150 et les compositions divulguées et revendiquées dans les brevets 667 et 307 consiste en ce que la revendication 1 du brevet 150 mentionne le fait que les compositions pharmaceutiques empruntent la forme d'une microémulsion.

[134]        Le dernier point que je dois trancher, en tenant pour acquis que les brevets 667 et 307 enseignent des formulations d'émulsion, c'est de savoir si ces enseignements comprennent les microémulsions.


[135]        Les émulsions et les microémulsions sont les unes et les autres bien connues dans l'industrie. Je suis enclin à être d'accord avec la proposition formulée par M. Langer, expert d'Apotex, selon laquelle une microémulsion est simplement une émulsion dans laquelle la taille des gouttelettes est très petite.

[136]        Les systèmes de microémulsion ont été décrits pour la première fois en 1943 par le professeur Jack Shulman. Les deux parties conviennent également que les publications scientifiques au sujet des microémulsions sont nombreuses depuis cette époque.

[137]        Selon Apotex, compte tenu des enseignements des brevets 667 et 307 et des publications existantes, un formulateur de métier comprendrait que les compositions bien formulées couvertes par les brevets 667 et 307 emprunteraient la forme d'un préconcentré de microémulsion ainsi qu'il est indiqué dans la revendication 1 du brevet 150 et il en découle que les systèmes d'émulsion et de microémulsion ont été développés comme moyen d'augmenter les taux de transfert de masse du médicament vers la phase aqueuse. Il était également bien connu que les taux de transfert de masse du médicament vers la phase aqueuse augmenteraient à mesure que diminuerait la taille des gouttelettes d'huile, c'est-à-dire que plus la taille des gouttelettes est petite, plus l'aire spécifique de contact entre l'huile et l'eau augmente et donc meilleures sont les concentrations sanguines de médicament que l'on obtient. La véritable question est de savoir si tout formulateur compétent devrait savoir que plus l'aire spécifique de la phase dispersée (huile dans l'eau) est élevée, c'est-à -dire dans une émulsion à particules de petite taille, plus l'absorption/la biodisponibilité sont élevées.


[138]        Selon Apotex, l'émulsion et la microémulsion sont des procédés qui étaient bien connus dans l'industrie et les formulateurs compétents connaissaient ces procédés à l'époque du brevet. Selon la défenderesse, il était connu que l'utilisation d'une microémulsion d'huile dans l'eau pour l'administration de médicaments hydrophobes entraînait une amélioration de l'uniformité et du contrôle du dosage, la rapidité d'action, la réduction des effets secondaires, ainsi que l'amélioration de la palatabilité et de la stabilité au cours du stockage. La défenderesse indique également qu'il était connu que les formulations de ces systèmes sous forme de préconcentré entraîneraient un supplément d'amélioration de la stabilité et de l'efficacité.

[139]        Les déficiences des formulations de cyclosporine en ce qui a rapport à l'absorption et à la biodisponibilité ainsi qu'à la stabilité étaient bien connues. Apotex soutient qu'un formulateur compétent comprendrait que les produits en émulsion, la cyclosporine en particulier, devaient être fabriqués avec les particules d'huile les plus petites possible, puisqu'il saurait que cela optimiserait le mouvement du médicament dans le tissu gastro-intestinal et, par la suite, dans la circulation sanguine, ce qui maximiserait la libération du médicament dans l'organisme.

[140]        Je dois décider si cela provient du recul ou si cela découle clairement des enseignements des brevets 667 et 307.

[141]        Compte tenu de la preuve présentée à la Cour et à la lumière de la décision du juge Gibson dans l'affaire Smithkline, précitée, je suis convaincu que les brevets 667 et 307 constituent des antériorités pour la revendication du brevet 150.


[142]        Je conclus également que la personne du métier, compte tenu de l'état de la technique, nommément des brevets 667 et 307 et des connaissances communes à l'époque pertinente, serait arrivée, dans tous les cas et sans possibilité d'erreur, à la formulation qui fait l'objet de la revendication 1 du brevet 150.

[143]        Étant donné la preuve présentée au sujet des revendications 6 à 12, 15 à 17 et 27, je conclus que chacune de ces revendications dépend de la revendication 1 et que, par conséquent, les brevets 667 et 307 constituent des antériorités pour chacune.

b)        Les revendications 1, 6 à 12, 15 à 17 et 27 sont-elles invalides au motif de l'évidence?

[144]        Dans l'arrêt Beloit Canada Ltd. c. Valmet OY, précité, la Cour d'appel fédérale a expliqué :

Pour établir si une invention est évidente, il ne s'agit pas de se demander ce que des inventeurs compétents ont ou auraient fait pour solutionner le problème. Un inventeur est par définition inventif. La pierre de touche classique de l'évidence de l'invention est le technicien versé dans son art mais qui ne possède aucune étincelle d'esprit inventif ou d'imagination; un parangon de déduction et de dextérité complètement dépourvu d'intuition; un triomphe de l'hémisphère gauche sur le droit. Il s'agit de se demander si, compte tenu de l'état de la technique et des connaissances générales courantes qui existaient au moment où l'invention aurait été faite, cette créature mythique (monsieur tout-le-monde du domaine des brevets) serait directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet. C'est un critère auquel il est très difficile de satisfaire.

[...]

Bien que, à mon avis, le témoignage d'un expert soit à juste titre recevable même quand il porte sur une question « décisive » comme l'évidence de l'invention, il me semble qu'il doit être considéré avec beaucoup de soins.


Une fois qu'elles ont été faites, toutes les inventions paraissent évidentes, et spécialement pour un expert du domaine. Lorsque cet expert a été engagé pour témoigner, l'infaillibilité de sa sagesse rétrospective est encore plus suspecte. Il est si facile de dire, une fois que la solution préconisée par le brevet est connue : « j'aurais pu faire cela » ; avant d'accorder un poids quelconque à cette affirmation, il faut obtenir une réponse satisfaisante à la question : « Pourquoi ne l'avez-vous pas fait? »

[145]        Dans l'arrêt Beecham Canada Ltd. et al. c. Procter & Gamble Co. (1982), 61 C.P.R. (2d) 1 (C.A.F), la Cour d'appel fédérale a expliqué :

La question est de savoir si, à l'époque de l'invention (vers août ou septembre 1964), un technicien qualifié mais peu imaginatif, se fondant sur ses connaissances générales, sur ce qui avait été écrit dans le domaine et sur les renseignements qu'il avait à sa disposition, aurait été amené directement et sans aucune difficulté à l'invention de Gaiser. Le juge de première instance a dit que, même s'il avait ajouté foi aux dépositions des dix-neuf témoins, ce qu'ils ont fait (c.-à-d. dans le domaine en cause) ne faisait pas partie des connaissances des personnes auxquelles s'adressait le brevet Gaiser.

[146]        Dans la décision Bayer Aktiengesellschaft et al. c. Apotex Inc. (1995), 60 C.P.R. (3d) 58 (Div. gén. Cour Ont.), confirmée, modifiée pour d'autres motifs (1998), 82 C.P.R. (3d) 526 (C.A. Ont.), le juge Lederman a déclaré :

[TRADUCTION] L'évidence, cela va de soi, indique quelque chose qui aurait été apparent ou, dans le langage ordinaire, « simple comme bonjour » ou « clair comme de l'eau de roche » pour le technicien de métier moyen à la date de l'invention. [...]

Le technicien compétent abstrait peut être un groupe de scientifiques, de chercheurs et de techniciens qui apportent chacun leur propre expertise à l'examen du problème en cause. « Cela est particulièrement vrai lorsque l'invention se rapporte à une science ou à un art qui vise plusieurs disciplines scientifiques » (le juge Wetston dans l'affaire Mobil Oil Corp. c. Hercules Canada Inc. (non publiée, 21 septembre 1994, C.F. 1re inst., à la page 5 [maintenant publiée à 57 C.P.R. (3d) 488 à la page 494, 82 F.T.R. 211]).)


Ce qui semble paradoxal, c'est que ce technicien à tête d'hydre est compétent dans les sciences pertinentes et pourtant totalement dépourvu d'imagination. On arrive difficilement à se représenter une telle personne comme un parfait nullard. C'est peut-être ce qui a amené John Bochnovic, dans un chapitre intitulé [TRADUCTION] « Invention, activité inventive, évidence » dans l'ouvrage Patent Law of Canada (Toronto : Carswell), à indiquer (sans aucune jurisprudence à l'appui) à la page 48 : « L'idée que le technicien compétent devrait être dépourvu d'imagination ne devrait pas conduire à le dépouiller de toute capacité de mener des enquêtes raisonnables et logiques. »

M. Radomski a également cité les commentaires de lord Mustill dans Genentech Inc.'s Patent, [1989] R.P.C. 147 (C.A.), exposés dans les passages suivants aux pages 276 et 279, à l'appui de la proposition qu'une chose est évidente si elle peut être établie au moyen de techniques d'essai bien connues :

... Donc, dans une affaire comme la présente espèce, qui ne fait pas intervenir un simple passage de l'état de la technique à l'invention (comme dans le type de cas de James Watt), mais implique plutôt un cheminement comportant de nombreuses étapes selon une séquence donnée, la Cour doit se demander par quelles voies il aurait été possible d'atteindre le but à partir du point de départ. Puis, la Cour doit voir quels obstacles la personne compétente aurait rencontrés dans ces voies et se demander comment elle aurait pu les surmonter, de la façon de l'inventeur lui même a surmonté les obstacles dans la voie qu'il a choisie, en les contournant ou en les surmontant de quelque autre manière, en choisissant une autre voie dès le départ, ou en abandonnant une voie et en choisissant une autre voie.

Après avoir établi ces divers moyens, la Cour doit finalement se demander s'ils auraient pu être mis en oeuvre simplement par la persistance, la bonne technique ou par tâtonnements, ou s'il aurait fallu une étincelle d'imagination en plus de l'imagination qu'il convient d'attribuer à la personne du métier.

De même, je ne suis pas persuadé que la norme de résultat envisagée par ces articles sera toujours la même (encore qu'elle sera souvent la même) pour les membres individuels de l'équipe fictive de destinataires que pour l'équipe fictive de découverte. Pour exploiter le brevet, les destinataires suivent les instructions, en comblant les lacunes et en clarifiant les points obscurs au moyen du sens commun ou par tâtonnements. Cela peut exiger une compétence et de l'expérience, mais non une faculté inventive. Mais l'équipe de découverte n'a pas d'instructions à suivre. Contrairement aux destinataires, elle ne connaît pas les réponses à l'avance et, en pratique, les membres qui la constituent devront exercer des talents différents de ceux qui prennent les renseignements divulgués dans le brevet et les mettent en pratique.


À mon avis, cette distinction se situe près du coeur de ce m'a semblé l'un des aspects prêtant le plus à confusion dans cette affaire difficile, à savoir l'existence indéniable dans la jurisprudence de déclarations qui semblent nier à la personne compétente toute capacité inventive. Cela ne peut sûrement pas s'appliquer de façon littérale à des affaires comme la présente espèce, puisque, si c'était le cas, une invention ne serait presque jamais évidente, car toutes les voies vers le résultat désiré poseront vraisemblablement des problèmes, plus ou moins difficiles. Ce problème ne se pose pas dans le contexte du paragraphe 14(3). Lorsqu'il s'agit de déterminer si le brevet enseigne au lecteur comment exploiter l'invention, le fait qu'elle ne puisse être exploitée est rédhibitoire, puisqu'il démontre que la description est insuffisante. Mais lorsqu'on regarde l'équipe de recherche, on ne peut traiter ses membres comme des bûcheurs bornés, parce que de telles personnes ne feraient pas partie de l'équipe de recherche, sinon comme assistants de laboratoire. Il faut se représenter des personnes qui sont compétentes, et compétentes dans le métier en cause. Ici, nous avons un métier difficile, dans lequel la compétence consiste en un degré substantiel de capacité de résoudre des problèmes. Il s'ensuit, selon moi, qu'il faut attribuer à la personne compétente abstraite cette capacité particulière au degré voulu.

Il semble y avoir une différence importante entre les capacités du technicien fictif anglais versé dans l'art et celui du Canada. En effet, l'exécution de recherches ou d'expérimentations semble être hors du champ d'activité du technicien fictif compétent canadien. Dans la décision Cabot Corp. c. 318602 Ontario Ltd. (1988), 20 C.P.R. (3d) 132 à la p. 146 (C.F. 1re inst.), le juge Rouleau [de la présente Cour] a cité un extrait de H.G. Fox dans Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions :

[TRADUCTION] Pour qu'une invention soit considérée comme « évidente » , il faut qu'elle ait été directement découverte par la personne qui recherchait quelque chose de neuf, un nouveau procédé de fabrication ou autre, sans avoir besoin d'expérimentation, de réflexion profonde, de recherche que ce soit en laboratoire ou dans les textes.

Aussi, même si on s'imaginerait normalement que le laboratoire de cette personne mythique est plein d'éprouvettes et de boîtes de Pétri mythiques et qu'elle passe sa vie en expérimentations, aucune recherche de cette nature n'est prise en compte aux fins de l'application du critère juridique. Toute logique qu'ait pu paraître à une personne effectivement versée dans l'art à cette époque, en fonction de l'état des connaissances, de mener certaines expérimentations, cela n'est pas permis au technicien mythique versé dans l'art. Ce chercheur mythique ne peut posséder un esprit de recherche ou de réflexion qui le conduirait ultimement à la solution, mais on attend plutôt de lui qu'il s'exclame instantanément et spontanément, sans plus, « Je connais déjà la réponse et elle est évidente » . Pas plus qu'il ne convient de dire qu'il y avait des indications importantes qui guidaient l'expert mythique vers la solution ou des indices suffisants pour que l'invention « vaille la peine d'être tentée » . Dans la décision Farbwerke Hoechst Aktiengesellschaft Vormals Meister Lucius & Bruning c. Halocarbon (Ontario) Ltd. (1974), 15 C.P.R. (2d) 105, à la p. 114, le juge Collier [de la présente Cour] en rejetant le critère de l'expérience qui « vaut d'être tentée » a déclaré :

Il est facile de dire a posteriori, avec l'avantage du recul, qu'une expérience dans des circonstances telles qu'on les suppose ici, lorsque le temps et les dépenses sont illimités, vaut ou valait la peine d'être tentée.


En appel, la Cour suprême du Canada a confirmé cette position ([1979] 2 R.C.S. 929), déclarant à la page 155 :

Très peu d'inventions sont des découvertes imprévues. En pratique, tous les travaux de recherches suivent l'orientation donnée par l'état de la technique. Dans ces conditions et avec l'avantage du recul, il y aurait presque toujours moyen de dire qu'il n'y a aucun esprit inventif dans les nouveaux perfectionnements parce que chacun peut alors voir comment les réalisations antérieures montraient la voie.

On peut penser que c'est la raison pour laquelle le juge Hugessen a déclaré que la question qu'il posait dans l'arrêt Beloit, ... au sujet de la créature mythique est « un critère auquel il est très difficile de satisfaire » .

[147]        Ainsi qu'il a été indiqué dans l'arrêt Beecham Canada, précité, la question est de savoir si, à l'époque de l'invention, soit en septembre 1988, un technicien qualifié mais peu imaginatif, se fondant sur ses connaissances générales, sur ce qui avait été écrit dans le domaine et sur les renseignements qu'il avait à sa disposition, aurait été amené directement et sans aucune difficulté à l'invention du brevet 150.

[148]        D'après la jurisprudence, je comprends que le critère de l'évidence est un critère auquel il est difficile de satisfaire. Il est clairement établi, d'après la preuve présentée à la Cour, que la cyclosporine présentait des problèmes d'administration en ce qui concerne la biodisponibilité, l'uniformité du dosage, la palatabilité et le potentiel de toxicité.

[149]        Les procédés de l'émulsion et de la microémulsion étaient également connus depuis au moins 1943 et le professeur Jack Schulman est identifié comme l'un des premiers à avoir décrit le système de microémulsion.


[150]        Il y avait, à l'époque de l'invention, de nombreux comptes rendus d'ouvrages, textes de conférences et autres documents se rapportant aux émulsions et aux microémulsions. Il était également connu que l'utilisation des microémulsions améliorait l'efficacité thérapeutique et minimisait aussi les effets secondaires toxiques de médicaments hydrophobes comme la cyclosporine. M. Langer, expert d'Apotex, déclare au paragraphe 37 de son affidavit :

[TRADUCTION] L'utilisation de microémulsions pour l'administration de médicaments était un domaine faisant l'objet de recherches actives et d'intérêt en septembre 1988. La capacité des microémulsions d'améliorer l'administration des formes posologiques existantes était bien documentée à cette époque. Par exemple, Bhargava et al. dans un article intitulé « Using Microemulsions for Drug Delivery » (L'utilisation de microémulsions pour l'administration de médicaments) et publié en 1987 (joint en annexe comme pièce 14) disent (page 46 de la pièce 14) :

« Au cours des dernières années, on a porté beaucoup d'attention à la conception de nouvelles formes posologiques qui augmentent l'efficacité des médicaments existants. L'utilisation de cette approche rend possible non seulement d'améliorer l'efficacité thérapeutique d'un médicament, mais aussi de réduire la dose totale nécessaire, ce qui réduit au minimum les effets secondaires toxiques. »

Ces propositions sont particulièrement pertinentes par rapport à des médicaments comme la cyclosporine, pour lesquels les formes posologiques initiales étaient quelquefois inefficaces et dont on savait que les effets secondaires toxiques constituaient un problème. Bhargava et al. soulignent l'importance de la petite taille des microémulsions par rapport à l'amélioration de l'efficacité des formes posologiques de ces microémulsions dans le cas de médicaments hydrophobes dans les termes suivants (page 46 de l'annexe 14) :

« Parce que ses gouttelettes sont petites, la microémulsion offre des avantages comme véhicule pour les médicaments peu solubles dans l'eau. »


[151]        L'article auquel renvoie M. Langer a été rédigé par H.N. Bhargava, A. Narvrkar et L.M. Lieb; il s'intitule « Using Microemulsions for Drug Delivery » (L'utilisation des microémulsions pour l'administration de médicaments) et sa référence est (1987) Pharmaceutical Technology 46.

[152]        À mon avis, cet article était accessible à toute personne travaillant dans ce secteur, particulièrement au technicien de métier.

[153]        Il était également bien connu, à l'époque de l'invention, que les systèmes de microémulsion consistaient en la combinaison d'une phase hydrophile (aqueuse, non aqueuse ou une combinaison des deux), d'une phase huileuse lipophile et d'un ou de plusieurs tensioactifs, les dimensions des particules de la phase interne étant comprises dans la fourchette voulue pour que l'émulsion reste optiquement claire.

[154]        M. Robinson, expert d'Apotex, a indiqué au paragraphe 18 de son affidavit :

[TRADUCTION][...] On comprenait que des formulateurs compétents formeraient des produits en émulsion avec des particules les plus petites possible (c.-à-d. une microémulsion) pour maximiser la libération du médicament dans l'organisme. Les principes scientifiques et la technologie de la préparation des microémulsions étaient connus depuis des décennies à la date de dépôt du brevet 150 et on trouvait même de nombreuses publications traitant du choix du ou des tensioactifs et des conditions appropriés pour préparer des systèmes d'émulsion de l'ordre du micron et de l'ultramicron.

[155]        M. Langer, expert d'Apotex, indique, dans son affidavit, au paragraphe 26 :


[TRADUCTION] Un point important qu'il faut noter est que l'emploi du terme émulsion pour décrire un système n'implique pas nécessairement que le système en cause ne soit pas une microémulsion ou ne puisse pas former une microémulsion dans des conditions déterminées. On savait que la terminologie employée par les auteurs pour décrire les sytèmes d'émulsion était quelque peu variable; on employait le terme émulsion pour désigner tant les macroémulsions que les microémulsions dans de nombreux cas. Par exemple, dans leur demande de brevet européen n ° 0211258 A2, publiée en 1987 et intitulée « Microemulsion Compositions » (Compositions de microémulsion) (annexée comme pièce 7), les brevetés indiquent que les émulsions comprennent les microémulsions comme sous-ensemble dans le passage suivant (page 1, lignes 1 à 5 de l'annexe 7) :

« L'invention porte sur les compositions d'émulsion en vue de l'administration parentérale. Plus particulièrement, elle porte sur les émulsions qui sont communément appelées des microémulsions, dans lesquelles la taille des particules de la phase dispersée est ordinairement inférieure à 0,125 micromètre. »

Plus loin dans la demande, dans la description de l'un des objectifs de l'invention, les brevetés indiquent (page 4, lignes 20 à 23 de la pièce 7) :

« Un autre objectif de cette invention est de fournir une émulsion grasse en vue de l'administration parentérale ou en vue de l'utilisation comme solution parentérale qui est pratiquement claire et incolore (non souligné dans l'original). »

Ce passage indique que les brevetés renvoient à une microémulsion dans leur exposé sur le système de l'émulsion grasse.

[156]        M. McGinity, expert de Novartis, a également indiqué à la page 135 de son contre-interrogatoire :

[TRADUCTION]

Q.           D'accord. On savait donc que dans les - je vais employer le terme « émulsions » dans un sens très général, comme terme très général.

             On savait que les émulsions pouvaient exister avec différentes tailles de gouttelettes, allant des petites tailles, soit le niveau des microémulsions, jusqu'à la fourchette ordinaire, des tailles importantes au-dessus du niveau des microémulsions. Cela était également connu à la date de priorité du brevet 150, n'est-ce pas?

R.           C'est exact.

[157]        En outre, les listes d'agents émulsifiants et les méthodes de sélection de ceux-ci étaient accessibles dans les publications avant la date de l'invention.


[158]        Au paragraphe 42 de son affidavit, M. Langer, expert d'Apotex, indique ce qui suit :

[TRADUCTION] La formulation des émulsions, y compris les macroémulsions et les microémulsions, était déjà bien connue dès septembre 1988. Des listes étendues d'agents émulsifiants et la méthode de sélection de ceux-ci (quant au type d'émulsion recherchée et aux constituants lipophiles ou hydrophiles envisagés) étaient disponibles dans des documents publiés avant septembre 1988 (voir, par exemple, le tableau II de la pièce 14 et les tableaux III et V de la pièce 22). Ce processus de sélection était largement fondé sur l'appariage de la valeur HLB des émulsifiants en question avec la valeur HLB requise de l'huile, constituant à émulsifier (voir les exemples page 48 de la pièce 14, page 140 de la pièce 22 et page 80 de la pièce 23). Par exemple, on savait que pour obtenir une microémulsion d'huile dans l'eau avec une huile végétale standard comme constituant lipophile, un émulsifiant avec une valeur HLB supérieure à 10 constituait le meilleur choix (voir page 668 de la pièce 20 et page 140 de la pièce 22). La formation de ces microémulsions d'huile dans l'eau serait donc facilitée par un choix d'agents émulsifiants similaires à un grand nombre de ceux énumérés dans le brevet 150.

[159]        M. McGinity, expert de Novartis, a également indiqué à la page 211 de son contre-interrogatoire :

[TRADUCTION]

Q.           (Par M. Radomski) Et voici ma question : Ce genre d'essai était connu de la personne du métier? Cette personne saurait comment procéder à des essais sur une grande variété de tensioactifs pour obtenir une microémulsion?

R.           Elle saurait comment concevoir les formulations ou procéder aux essais sur ces formulations?

Q.           Nous parlons d'essais. Il est dit qu'il faut procéder à des essais sur une grande variété de tensioactifs pour obtenir une telle microémulsion. D'accord? Donc en ce qui concerne ces essais, la personne du métier - vous convenez avec moi que la personne du métier connaîtrait ce type d'essais?

R.            La personne du métier?

Q.           Oui, elle saurait comment procéder aux essais sur une grande variété de tensioactifs, n'est-ce pas?

R.           Si c'est une personne du métier, elle saurait.

(non souligné dans l'original)


[160]        M. Langer, expert d'Apotex, explique également, aux paragraphes 43, 44 et 45 de son affidavit que plusieurs protocoles spécifiques de formulation de microémulsions en vue d'applications pharmaceutiques ont été publiés avant septembre 1988, tant dans les études de recherche que dans les brevets, notamment des protocoles portant spécifiquement sur la formulation de microémulsions d'huile dans l'eau.

[161]        Je conviens avec M. Langer, expert d'Apotex, que l'état de la technique à l'époque indique que les émulsions et les microémulsions ont été développées comme moyen d'augmenter le taux de transfert de masse du médicament vers la phase aqueuse.

[162]        En outre, je conclus sans aucune hésitation que les formulateurs compétents savaient en septembre 1988 comment obtenir des gouttelettes de taille plus petite. En fait, les formulateurs savaient que l'on peut obtenir des très petites tailles de particules au moyen d'un procédé d'émulsion et des gouttelettes de taille encore plus petite au moyen d'un système de microémulsion.

[163]        La formulation de préconcentré auto-émulsionnant était également connue des formulateurs à l'époque de l'invention. M. Robinson, expert d'Apotex, indique au paragraphe 11 de son affidavit :


[TRADUCTION] Les émulsions sont des formes posologiques qui remontent à l'antiquité et les formulateurs savent bien que plus la taille des gouttelettes est petite, plus l'aire spécifique de contact entre l'huile et l'eau est élevée et meilleures sont les concentrations sanguines obtenues. Ils savent bien également, du fait de leur métier, comment obtenir des lipides auto-émulsionnants, qui seraient placés dans une capsule gélatineuse molle, et comment obtenir des gouttelettes d'émulsion de très petite taille.

[164]        M. McGinity, expert de Novartis, a également admis dans son contre-interrogatoire, aux pages 107 à 111, que le préconcentré d'émulsion ordinaire d'huile dans l'eau n'était pas une notion nouvelle.

[165]        Compte tenu de la preuve présentée à la Cour et des affidavits fournis par les deux parties établissant que l'utilisation de microémulsions d'huile dans l'eau pour l'administration de médicaments hydrophobes entraînerait une amélioration de l'uniformité et du contrôle du dosage, la rapidité d'action, la réduction des effets secondaires ainsi qu'une amélioration de la palatabilité et de la stabilité au cours du stockage, je conclus que ces éléments étaient connus à l'époque de l'invention. Il était également connu que les formulations de ces systèmes sous la forme de préconcentré produiraient un supplément d'amélioration de la stabilité et de l'efficacité.

[166]        Au sujet de l'utilisation pour la cyclosporine du système auto-émulsionnant du préconcentré d'émulsion, M. Langer, expert d'Apotex, indique aux paragraphes 51 et 52 de son affidavit :


[TRADUCTION] Les possibilités d'améliorations dans l'administration de la cyclosporine grâce aux moyens indiqués ci-dessus (par comparaison aux méthodes existantes) étaient également connues avant septembre 1988. Ainsi que je l'ai indiqué au paragraphe 6 du présent affidavit, l'absorption et la biodisponibilité médiocres des formulations de cyclosporine administrées par le moyen de la phase solide ou dans un véhicule huileux, ainsi que l'instabilité de ces formulations au cours du stockage étaient bien documentées à cette époque (voir page 1, lignes 5 à 15 de la pièce 2, colonne 1, lignes 31 à 40 de la pièce 3), et page 107 de la pièce 33). Les améliorations apportées par l'administration de la cyclosporine dans des véhicules à base d'huile et des dispersions aqueuses contenant de nombreux tensioactifs et émulsifiants indiqués dans le brevet 150 étaient également bien connues à cette époque (par exemple, voir la pièce 10).

En raison de la divulgation du brevet 307 et des succès remportés dans le développement de microémulsions d'huile dans l'eau et de formulations de préconcentré de microémulsion pour d'autres médicaments hydrophobes, ainsi qu'il a été indiqué ci-dessus, il était évident en septembre 1988 qu'une microémulsion d'huile dans l'eau ou une formulation de préconcentré de microémulsion formée d'un véhicule contenant un constituant de la phase hydrophile, un constituant de la phase lipophile et un ou plusieurs tensioactifs donnerait une forme posologique acceptable du point de vue pharmaceutique pour la cyclosporine.

[167]        M. Robinson, expert d'Apotex, a également indiqué au paragraphe 18 de son affidavit :

[TRADUCTION] Ni le brevet 667 ni le brevet 307 n'emploient les termes macroémulsion ou microémulsion. On comprenait que des formulateurs compétents formeraient des produits en émulsion avec des particules les plus petites possible (c.-à -d. une microémulsion) pour maximiser la libération du médicament dans l'organisme. Les principes scientifiques et la technologie de la préparation des microémulsions étaient connus depuis des décennies à la date de dépôt du brevet 150 et on trouvait même de nombreuses publications traitant du choix du ou des tensioactifs et des conditions appropriés pour préparer des systèmes d'émulsion de l'ordre du micron et de l'ultramicron.

[168]        La revendication 1 du brevet 150 ne porte pas sur une formulation de travail spécifiquement définie de préconcentré de microémulsion. Ces formulations font l'objet de la revendication 2 et de certaines revendications postérieures.


[169]        La revendication 1 du brevet 150 ne fait qu'exprimer l'idée générale de l'utilisation d'une formulation de microémulsion de cyclosporine et d'un préconcentré de microémulsion contenant des constituants hydrophile et hydrophobe ainsi que des tensioactifs. Tous les préconcentrés de microémulsion d'huile dans l'eau dans les systèmes à trois constituants sont couverts par la revendication 1. Il est clair que tous les préconcentrés possibles de microémulsion d'huile dans l'eau ne conduiront pas un formulateur compétent à un préconcentré de microémulsion de cyclosporine qui soit acceptable. Le préconcentréacceptable de microémulsion d'huile dans l'eau fait l'objet de la revendication 2 et de certaines revendications postérieures qui ne sont pas visées par le présent avis d'allégation.

[170]        Novartis fait valoir que la Cour devrait également considérer un certain nombre d'autres facteurs dans l'examen de la question de l'évidence. Ces facteurs ont été appelés les indices secondaires et sont énumérés ci-dessous.

[171]        En premier lieu, Novartis avance que [TRADUCTION] « le succès commercial sur le marché par suite d'un avantage revendiqué dans le brevet, que ce soit au Canada ou ailleurs » est une considération pertinente. En fait, le brevet a remporté un succès commercial, mais il faut se rappeler que c'est dans le contexte du monopole, où Novartis ne fait face à aucune concurrence.

[172]        Il est clair à mes yeux que Novartis était le seul fournisseur de Sandimmune® pour commencer; que, deuxièmement, elle a décidé de remplacer le Sandimmune® par le Neoral® sur le marché et que, en dernier lieu, les demanderesses ont concentré leur publicité sur le nouveau produit Neoral®; le succès commercial est simplement normal.


[173]        Deuxièmement, le point de savoir si [TRADUCTION] « l'invention du brevet procure un avantage inattendu » . En fait, cela se rapporte au nouveau produit Neoral® qui apportait une solution aux problèmes identifiés au sujet du produit Sandimmune® qui se trouvait auparavant sur le marché. Un avantage a bien été obtenu, mais ce n'est pas un avantage inattendu compte tenu de la revendication 1 du brevet 150.

[174]        Troisièmement, [TRADUCTION] « le brevet surmonte-t-il le problème dans l'état de la technique? » C'est peut-être le cas, mais toute amélioration d'une invention précédente sera toujours vue comme surmontant un problème dans l'état de la technique. Le fait qu'il existe des antériorités répond à cette considération.

[175]        Quatrièmement, y avait-il [TRADUCTION] « reconnaissance d'un besoin, ressenti de longue date dans l'état de la technique, d'une solution au problème que vient résoudre l'invention brevetée, solution qui n'avait été trouvée par aucun inventeur antérieur? » Cet indice doit être rejeté, puisque le procédé de microémulsion était déjà connu à l'époque de l'invention.

[176]        Cinquièmement, y a-t-il [TRADUCTION] « acceptation et adoption générales ou universelles de l'invention dans l'industrie pour répondre au besoin visé par l'invention (souvent accompagnées du remplacement généralisé de types antérieurs dans l'industrie ou dans le domaine)? » À cet égard, le système de microémulsion était déjà connu de l'industrie et était déjà utilisé.


[177]        Sixièmement, [TRADUCTION] « la partie qui attaque la validité du brevet sur la base de l'évidence alléguée a-t-elle elle-même cherché à obtenir un brevet à peu près pour la même invention ou a-t-elle été titulaire d'une licence portant sur un brevet étranger revendiquant la même invention ou une invention équivalente? » S'agissant de cet indice, je conviens avec Apotex que le brevet recherché ne revendique pas la même invention ou une invention équivalente, mais un autre constituant qui est visé par la revendication 2 et les autres revendications, plutôt que par la revendication 1 du brevet 150.

[178]        Finalement, y avait-il [TRADUCTION] « des idées reçues dans l'industrie à l'époque de l'invention qui orientaient dans une direction opposée à l'enseignement du brevet ou y a-t-il eu dans l'industrie une résistance initiale à l'invention qui a fini par être surmontée? » À mon avis, c'est l'inverse qui semble juste, étant donné que l'industrie s'acheminait dans la même direction et qu'il n'y avait aucune résistance à l'utilisation du système de microémulsion pour la cyclosporine.

[179]        En conclusion, je juge que la formulation générale spécifiée dans la revendication 1 du brevet 150 et ses avantages auraient été évidents à un formulateur compétent à la date de l'invention (septembre 1988).

[180]        S'agissant des revendications 6 à 12, 15 à 17 et 27, je conclus également que ces revendications dépendent de la revendication 1 et auraient donc été évidentes à un formulateur compétent à la date de l'invention (septembre 1988).


c)      Les revendications 1, 6 à 12, 15 à 17 et 27 ont-elles une portée trop large?

[181]        Je suis d'opinion que l'idée d'appliquer une composition de microémulsion à un préconcentré de cyclosporine dans le système hydrophile, lipophile et tensioactif, compte tenu de l'état des connaissances au sujet de l'utilisation des microémulsions et du fait qu'une formulation de cyclosporine en préconcentré dans un système à trois constituants était déjà connue, ne constituait pas une invention. L'invention véritable est celle qui fait l'objet de la revendication 2 et des autres revendications postérieures du brevet 150.

[182]        Les demanderesses ne peuvent prétendre que toutes les compositions résultant de la formulation de préconcentré de microémulsion sont envisagées par le brevet 150, sans identifier les compositions utiles qui résultent de l'utilisation des agents particuliers qui sont précisés dans la revendication 2 et les revendications postérieures.

[183]        Dans la décision Lovell Manufacturing Co. and Maxwell Ltd. c. Beatty Bros. Ltd. (1962), 41 C.P.R. 18 (C. de l'É.), on trouve l'explication suivante :


L'autre attaque était que les revendications étaient trop larges parce qu'elles réclamaient plus que ce qui avait été inventé. Cela reprend le thème central que j'ai mentionné, à savoir la prétention que l'invention se limitait aux constructions particulières d'essoreuse décrites dans le mémoire descriptif et que, à moins que les revendications ne soient limitées dans leur application aux inventions de ces constructions particulières, elles étaient trop larges et partant invalides. La réponse à cette prétention est simple. Si les revendications se lisent bien en fonction de ce qui a été divulgué et illustré dans le mémoire descriptif et les dessins, comme c'est le cas, elles ne sont pas plus larges que l'invention. Les constructions particulières d'essoreuse décrites dans le mémoire descriptif sont simplement des spécimens ou des illustrations de l'invention. Les revendications les embrassent et peuvent embrasser d'autres spécimens ou illustrations similaires. On ne trouve rien dans le mémoire descriptif qui limiterait les revendications à l'une des constructions particulières d'essoreuse ou à toutes celles-ci.

[184]        Donc, à mon sens, les revendications 1, 6 à 12, 15 à 17 et 27 ont une portée trop large.

CONCLUSION

[185]        À mon sens, Novartis ne s'est pas acquittée de son fardeau.

[186]        Apotex a réussi à démontrer qu'il existe des antériorités pour les revendications 1, 6 à 12, 15 à 17 et 27, que ces revendications sont évidentes et qu'elles sont trop larges.

[187]        Comme je l'ai déjà indiqué, la revendication 1 du brevet 150 ne porte pas sur une formulation de travail définie de préconcentré de microémulsion.


                                           ORDONNANCE

[188]        Pour tous ces motifs, la requête est rejetée avec dépens en faveur de la défenderesse Apotex.

                « Pierre Blais »                       

                         Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 18 octobre 2001

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        T-1266-99                                

INTITULÉ :                                                 NOVARTIS AG et NOVARTIS

PHARMACEUTICALS CANADA INC.

c. APOTEX INC. et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

LIEU DE L'AUDIENCE :                   OTTAWA (ONTARIO)      

DATE DE L'AUDIENCE :                  LES 4, 5, 6 et 13 SEPTEMBRE 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : MONSIEUR LE JUGE BLAIS

DATE DES MOTIFS :                       LE 18 OCTOBRE 2001

COMPARUTIONS :

M. ANTHONY G. CREBER                        POUR LES DEMANDERESSES

Mme JENNIFER L. WILKIE                          POUR LES DEMANDERESSES

M. HARRY B. RADOMSKI                        POUR LA DÉFENDERESSE APOTEX INC.

M. ANDREW R. BRODKIN                       POUR LA DÉFENDERESSE APOTEX INC.         

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

GOWLING LAFLEUR HENDERSON LLP              POUR LES DEMANDERESSES

Ottawa (Ontario)

GOODMAN, PHILLIPS & VINEBERG     POUR LA DÉFENDERESSE APOTEX INC.

Toronto (Ontario)

MORRIS ROSENBERG                                                POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada                              LE MINISTRE DE LA SANTÉ

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