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Date : 20041021

Dossier : IMM-7290-03

Référence : 2004 CF 1461

Toronto (Ontario), le 21 octobre 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'KEEFE

ENTRE :

                                          MOON KAP KIM, BOK IN GRACE KIM,

SOO JUNG SUE KIM et SOO NAM PAUL KIM

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande contrôle judiciaire visant la décision, en date du 4 septembre 2003, par laquelle une agente d'immigration a conclu à l'insuffisance de motifs d'ordre humanitaire pour justifier que la demande de résidence permanente des demandeurs soit traitée au Canada et que soit accordée une dispense du paragraphe 11(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR).

[2]                Les demandeurs sollicitent une ordonnance :


1.          de la nature d'un certiorari pour faire annuler la décision, en date du 4 septembre 2003 et communiquée aux demandeurs le 9 septembre 2003, par laquelle l'agente d'immigration a rejeté la demande de ces derniers visant l'obtention d'une dispense de certaines exigences législatives pour que leur demande de résidence permanente fondée sur des motifs d'ordre humanitaire soit traitée au Canada;

2.          de la nature d'un mandamus pour faire renvoyer l'affaire à un autre agent d'immigration;

3.          de la nature d'une prohibition pour surseoir au renvoi des demandeurs jusqu'à ce que leur demande soit réévaluée.

Contexte

[3]                Les demandeurs sont des citoyens de la Corée. Le demandeur principal (le demandeur), Moon Kap Kim, est arrivé au Canada le 23 octobre 1999. Sa femme, Bok In Grace Kim, et leurs deux enfants, Soo Jung Sue Kim et Soo Nam Paul Kim, sont, quant à eux, arrivés au pays en décembre 1999. La famille a revendiqué le statut de réfugié, mais leur demande a été rejetée. Le 26 avril 2002, les demandeurs ont présenté une demande d'établissement fondée sur des raisons d'ordre humanitaire conformément au paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2. En raison de l'entrée en vigueur de la LIPR, la demande a été examinée au regard du paragraphe 25(1) de la LIPR. La demande a été rejetée le 4 septembre 2003.

[4]                Le demandeur a déclaré avoir vendu son entreprise dans les années 90 à cause de la crise économique en Corée. Il a ensuite réussi à subvenir aux besoins essentiels de sa famille en tant que professeur de tennis. Il a été incapable de se trouver un autre emploi en Corée avant son départ pour le Canada en raison d'une convention sociale de son pays d'origine suivant laquelle les personnes de plus de 50 ans ne sont plus considérées employables étant donné qu'elles doivent prendre leur retraire à 55 ans pour laisser leur place aux jeunes. Le demandeur affirme qu'il n'a ni maison, ni possibilité d'emploi, ni famille proche en Corée. Sa femme et lui travaillent depuis leur arrivée au Canada et tous deux font du bénévolat. Sa femme est pasteure et travaille dans une église à Toronto. Les enfants se sont bien adaptés à l'école au Canada. Ils participent également activement aux activités de leur église et font du bénévolat.

Notes de l'agente d'immigration

[5]                Les notes de l'agente d'immigration sont libellées comme suit :

[traduction] Sur le fondement de l'ensemble de l'information présentée et des renseignements susmentionnés, je ne suis pas convaincue que les clients éprouveraient des difficultés s'ils faisaient leur demande d'établissement de la façon normale.

Le client déclare qu'ils ont coupé tous les liens avec la Corée et qu'ils se sont établis culturellement et économiquement au Canada.


Ils ne pourraient pas quitter le pays sans connaître des difficultés. Je reconnais que les clients ont fait des démarches concrètes en vue de s'établir au pays, mais je ne suis pas convaincue que leur niveau d'établissement est tel qu'un préjudice serait causé s'ils devaient retourner dans leur pays. La preuve fournie est insuffisante pour démontrer qu'ils font partie intégrante de leur église, en ce sens qu'ils causeraient un préjudice [sic] et qu'ils ne pourraient pas continuer à fournir des services bénévoles dans une église en Corée. La preuve produite est insuffisante pour établir que la femme ne pourrait pas mener une carrière de pasteure en Corée. Elle a fait de la théologie en Corée et a animé des groupes d'études sur la Bible à Toronto. La preuve fournie est insuffisante pour conclure qu'ils se sont complètement intégrés à la société canadienne sur les plans social, financier et économique et qu'ils sont à ce point enracinés qu'ils causeraient un préjudice s'ils devaient retourner dans leur pays. La preuve fournie par les clients n'est pas suffisante pour établir qu'ils ne pourraient pas s'adapter à leur ancienne vie. Ils ont décidé de leur propre chef de quitter la Corée et de vendre leurs biens. C'est donc eux qui ont créé leur situation personnelle en Corée.

Le client déclare qu'il serait victime de persécution sociale dans son pays parce qu'il serait sanctionné socialement et culturellement en raison de son âge. Il n'est plus considéré employable et sa famille connaîtrait des jours sombres. Je reconnais que la structure sociale est différente en Corée et toute personne du groupe d'âge du client connaît des difficultés économiques supplémentaires, mais il ne s'agit pas d'un risque personnalisé et je n'estime pas que le changement de niveau de vie constitue une difficulté démesurée lorsque l'on vit dans un pays en récession. Le client et sa famille ont des ressources et la preuve fournie est insuffisante pour démontrer qu'ils ne pourraient pas s'adapter à un niveau de vie différent en Corée.

Le client affirme qu'il serait difficile pour ses enfants de s'adapter aux normes scolaires coréennes et de perdre leur réseau social (stimulus). Je reconnais que les enfants ont profité des possibilités de découvertes du monde qui leur ont été offertes, mais la preuve fournie ne permet pas de conclure qu'ils ne pourraient pas profiter d'expériences semblables en Corée. Les enfants sont venus au Canada pendant qu'ils étaient aux études et ils le sont toujours. La preuve produite est insuffisante pour me permettre de conclure qu'ils ne pourraient pas s'adapter à leur ancien système scolaire. Il reste à l'aînée une dernière année de collège à faire et elle pourrait finir par elle-même ses études et mettre à profit ses compétences en Corée.

Je prends acte que des membres de leur église ont fourni de nombreuses lettres de recommandation faisant état du fait que la famille fait partie du choeur de l'église et anime des groupes d'études. Même s'ils sont des membres importants de l'église, la preuve fournie est insuffisante pour établir que leur contribution est importante et que l'église subirait une grande perte s'ils devaient quitter le pays et qu'elle ne pourrait pas fonctionner sans leur aide. Me fondant sur les facteurs susmentionnés, je ne suis pas convaincue que la preuve présentée suffit pour démontrer que les clients connaîtraient des difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées s'ils faisaient leur demande d'établissement de la façon normale.

Questions

[6]                Les demandeurs ont formulé les questions suivantes :


1.          L'agente d'immigration a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte d'éléments de preuve pertinents, en se fondant sur des considérations non pertinentes et en n'interprétant pas correctement la preuve qui lui a été présentée?

2.          L'agente d'immigration a-t-elle commis une erreur en entravant l'exercice de son pouvoir discrétionnaire lorsqu'elle a conclu que les demandeurs n'étaient pas suffisamment bien établis au Canada?

3.          L'agente d'immigration a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte de l'intérêt supérieur des enfants?

4.          La décision était-elle raisonnable ou l'agente d'immigration a-t-elle commis une erreur de droit et/ou entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en concluant qu'il n'existait pas de difficultés inhabituelles, indues ou démesurées?

Observations du demandeur

[7]                 Invoquant l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration) (1999), 174 D.L.R. (4th) 193 (C.S.C.), les demandeurs ont affirméque la norme de contrôle pour les décisions CH était celle de la décision raisonnable simpliciter.


Suffisance de la preuve de ltablissement des demandeurs au Canada

[8]                 Les demandeurs ont fait valoir qu'ils ont fourni un grand nombre dléments de preuve pour démontrer qu'ils staient établis au Canada. La preuve comprenait des relevés bancaires, des déclarations de revenus, des attestations de réussite obtenues au Canada et 60 lettres de soutien provenant, pour la plupart, de membres de leur église.

[9]                 Les demandeurs ont soutenu que l'agente d'immigration a commis une erreur en exigeant que l'église ne soit pas en mesure de fonctionner advenant le départ des demandeurs pour que le rôle de ces derniers dans lglise puisse servir de preuve de leur établissement au Canada. L'agente a imposéune norme à laquelle les demandeurs ne pourraient réalistement jamais satisfaire.

[10]            Le demandeur a déclaré que sa femme était bien établie dans l'église en ce sens qu'elle y travaillait comme pasteure adjointe et qu'elle avait reçu une offre d'emploi à temps plein conditionnelle à son obtention de la résidence permanente.


[11]            Les demandeurs ont prétendu que l'agente d'immigration n'avait pas tenu compte des liens psychologiques et émotionnels qui unissent la famille à l'église. Elle n'a pas non plus tenu compte du fait que l'église et la communauté comptent sur les services de pasteure adjointe de la femme du demandeur et sur la participation de la famille aux oeuvres communautaires et charitables auprès de personnes âgées, de handicapés et d'autochtones.

[12]            Les demandeurs ont soutenu que la Cour a statué dans les décisions Raudales c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 385, et Jamrich c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 804, que le défaut de tenir compte façon appropriée de l'établissement des demandeurs constitue une erreur susceptible de contrôle.

Intérêt supérieur des enfants

[13]            Les demandeurs ont fait valoir que l'agente d'immigration a commis une erreur en ne tenant pas compte de façon appropriée de l'intérêt supérieur des enfants. Il incombait à l'agente d'immigration d'être réceptive, attentive et sensible aux droits des enfants.

[14]            Les demandeurs ont prétendu que l'agente d'immigration a commis une erreur de droit en n'étant pas sensible à l'effet qu'aurait sur les enfants la discrimination fondée sur lge dont serait victime le demandeur si la famille devait retourner en Corée et le fait que leur père ne serait pas en mesure de la soutenir financièrement. L'agente d'immigration était tenue de définir les besoins des enfants et d'en tenir compte eu égard à la capacitédes parents de les soutenir financièrement à leur retour en Corée.

[15]            Les demandeurs ont affirmé que l'agente d'immigration a commis une erreur en ne tenant pas compte du nombre d'années que les enfants ont passées au Canada et des liens qu'ils ont tissés avec les autres membres de la famille et la communauté de l'église. Les enfants sont encore très jeunes et ils ne pourront pas tout bonnement réintégrer la société coréenne et lcole comme l'a conclu l'agente d'immigration. Si l'on enjoint à la famille de retourner en Corée, le demandeur ne sera en mesure ni de financer leurs études, ni de leur fournir la possibilité de stablir, ni même de prendre soin d'eux de façon générale.

Difficultés inhabituelles, indues ou démesurées :

[16]            Selon les demandeurs, l'agente d'immigration a commis une erreur de droit et a mal interprété les faits. Contrairement à la conclusion de l'agente d'immigration, la preuve du demandeur n'indiquait pas qu'il connaîtrait des difficultés en raison d'une récession, mais parce qu'il ne serait pas en mesure de soutenir sa famille et de trouver un emploi à cause de son âge et de la discrimination dont sont victimes les personnes de son groupe dge.

[17]            Les demandeurs ont prétendu que l'agente d'immigration a commis en erreur de droit en exigeant qu'ils connaissent des difficultés démesurées et que celles-ci constituent un risque personnalisé.

[18]            Les demandeurs ont affirmé que si l'agente d'immigration avait tenu compte de façon appropriée de l'ensemble des facteurs comme elle était tenue de le faire, elle n'aurait peut-être pas conclu à l'absence de difficultés démesurées.

Observations du défendeur

[19]            Le défendeur a fait valoir que les notes de l'agente d'immigration démontrent qu'elle a tenu compte de l'ensemble de la preuve soumise. Rien n'indique qu'elle a mal interprété certains éléments de preuve. Les agents d'immigration jouissent d'un « pouvoir discrétionnaire considérable » lorsqu'ils examinent des demandes CH et le fait que les mêmes faits auraient pu donner lieu à une décision favorable ne suffit pas pour démontrer que l'agente a commis une erreur lorsqu'elle a exercé sa discrétion et rejeté la demande.

Suffisance de la preuve de l'établissement au Canada des demandeurs


[20]            Le défendeur a affirmé que les demandeurs ont tort lorsqu'ils prétendent que l'agente d'immigration les a astreint à une norme trop élevée lorsqu'elle a conclu que la preuve était insuffisante pour établir que l'église à laquelle ils appartiennent « ne pourrait pas fonctionner sans leur aide » . Selon le défendeur, les demandeurs ont fourni une preuve volumineuse, qui comprenait des lettres d'appui, concernant leur importance pour lglise dont ils sont membres. Les commentaires de l'agente d'immigration n'ont été formulés qu'en réponse aux déclarations contenues dans ces lettres. L'agente d'immigration ntait pas en train de fixer une norme de preuve inatteignable, mais elle était en train de répondre directement au contenu précis des lettres. On ne peut lui reprocher d'avoir répondu aux allégations des demandeurs présentées en preuve.

Chômage en Corée :

[21]            Le défendeur a fait valoir que les demandeurs ont tort lorsqu'ils soutiennent que la mention de la récession coréenne dans les notes de l'agente d'immigration prouve que celle-ci a mal interprété les préoccupations du demandeur à l'égard de la discrimination fondée sur l'âge et l'emploi en Corée. L'argument repose sur une lecture microscopique des notes de l'agente d'immigration, qui indiquent clairement que l'agente était pleinement consciente des préoccupations du demandeur quant à ses possibilités d'emploi en Corée à son âge. L'agente d'immigration a correctement décrit la peur du demandeur de ne plus être employable à cause de son âge et la forme de persécution sociale que constitue la discrimination fondée sur lge qui existe en Corée.

[22]            Il était loisible à l'agente d'immigration de mentionner que la Corée était en période de récession et que de nombreux autres Coréens âgés connaissaient le même type de difficultés à se trouver un emploi.


Intérêt supérieur des enfants

[23]            Le défendeur soutient que l'argument des demandeurs selon lequel l'agente d'immigration n'a pas tenu compte de façon appropriée des enfants n'est pas appuyé par la preuve. Les notes de l'agente d'immigration indiquent clairement qu'elle a tenu compte de façon appropriée de la situation des enfants, y compris du fait qu'ils étaient aux études lorsque leurs parents ont décidé de venir au Canada.

Dispositions législatives pertinentes

[24]            Aux termes du paragraphe 11(1) de la LIPR, un étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, faire sa demande de visa :

11. (1) L'étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l'agent les visa et autres documents requis par règlement, lesquels sont délivrés sur preuve, à la suite d'un contrôle, qu'il n'est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document shall be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

[25]            Le paragraphe 25(1) est rédigé comme suit :


25. (1) Le ministre doit, sur demande d'un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s'il estime que des circonstances d'ordre humanitaire relatives à l'étranger - compte tenu de l'intérêt supérieur de l'enfant directement touché - ou l'intérêt public le justifient.

25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister's own initiative, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

Analyse et décision

[26]            Me fondant sur l'arrêt Baker, précité, et les décisions qui ont suivi, je suis d'avis que la décision de l'agente d'immigration devrait être contrôlée selon la norme de la décision raisonnable simpliciter.

[27]            Je propose de traiter d'abord des questions 2 et 3.

[28]            Question 2

L'agente d'immigration a-t-elle commis une erreur en entravant l'exercice de son pouvoir discrétionnaire lorsqu'elle a conclu que les demandeurs n'étaient pas suffisamment bien établis au Canada?

L'agente d'immigration a écrit dans ses notes ce qui suit concernant l'établissement des demandeurs au Canada :


[traduction] Même s'ils sont des membres importants de l'église, la preuve fournie est insuffisante pour établir que leur contribution est importante et que l'église subirait une grande perte s'ils devaient quitter le pays et qu'elle ne pourrait pas fonctionner sans leur aide.

J'ai examiné attentivement le dossier du tribunal et le seul élément de preuve ou argument indiquant que l'église ne pourrait pas fonctionner sans l'aide de la femme du demandeur que j'ai trouvé est une lettre, à la page 236, où il est écrit ce qui suit : [traduction] « En particulier, en tant que famille de musiciens, ils fournissaient la plupart des services musicaux de l'église. » L'agente d'immigration semblait exiger que l'église ne soit pas en mesure de fonctionner sans leur aide pour que ce facteur démontre que le niveau d'établissement des demandeurs au Canada était suffisant. Il s'agit d'une norme trop élevée à laquelle la plupart des demandeurs ne pourraient jamais satisfaire. Les activités des demandeurs dans l'église pouvaient être prises en considération pour l'évaluation de leur degré d'établissement au Canada même si l'église était en mesure de fonctionner sans leur aide. Je suis d'avis que l'agente d'immigration a commis une erreur susceptible de contrôle à cet égard puisque je ne puis savoir quelle aurait été la décision de l'agente d'immigration si elle avait pris en considération de façon appropriée cette activité lors de son examen de la demande.

[29]            Question 3

L'agente d'immigration a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte de l'intérêt supérieur des enfants?


Il est clair que les agents d'immigration doivent tenir compte de façon appropriée de l'intérêt supérieur des enfants. Dans l'arrêt Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1687 (C.A.) (QL), le juge Evans a affirmé ce qui suit aux paragraphes 31 et 32 :

L'avocat a convenu que, conformément au critère juridique établi dans les arrêts Baker et Legault pour examiner la manière dont les agents ont exercé leur pouvoir discrétionnaire, le refus de l'agente d'accueillir la demande de considérations humanitaires de Mme Hawthorne pourrait être annulé au motif qu'il s'agit d'une décision déraisonnable si l'agente n'a « prêté aucune attention » à l'intérêt supérieur de Suzette. D'autre part, si le décideur a été « réceptif, attentif et sensible » à cet intérêt (Baker, par. 75), on ne pourrait soutenir qu'il s'agit d'une décision déraisonnable.

Il y a eu également consensus sur le fait qu'une agente ne peut démontrer qu'elle a été « récepti[ve], attenti[ve] et sensible » à l'intérêt supérieur d'un enfant touché par la simple mention dans ses motifs qu'elle a pris en compte l'intérêt de l'enfant d'un demandeur CH (Legault, par. 12). L'intérêt de l'enfant doit plutôt être « bien identifié et défini » (Legault, par. 12) et « examiné avec beaucoup d'attention » (Legault, par. 31) car, ainsi que l'a affirmé clairement la Cour suprême, l'intérêt supérieur de l'enfant constitue « un facteur important » auquel on doit accorder un « poids considérable » (Baker, par. 75) dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire sous le régime du paragraphe 114(2).

Il a ajouté ce qui suit au paragraphe 40 :

[. . .] l'omission de l'agente d'examiner attentivement l'intérêt supérieur de Suzette, comme le lui imposait la loi. Conformément à l'arrêt Baker et aux directives, le décideur doit nécessairement considérer la gravité du préjudice à l'égard de l'enfant qu'entraînera vraisemblablement le renvoi d'un parent. Cependant, à moins que le décideur ne tienne compte du degré de préjudice dans le contexte de l'intérêt supérieur de l'enfant, il s'écartera vraisemblablement de son obligation d'être « réceptif, attentif et sensible » à cet important facteur dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire. [. . .]

[30]            En ce qui concerne les enfants, l'agente d'immigration a écrit ce qui suit :

[traduction] Le client affirme qu'il serait difficile pour ses enfants de s'adapter aux normes scolaires coréennes et de perdre leur réseau social (stimulus). Je reconnais que les enfants ont profité des possibilités de découvertes du monde qui leur ont été offertes, mais la preuve fournie ne permet pas de conclure qu'ils ne pourraient pas profiter d'expériences semblables en Corée. Les enfants sont venus au Canada pendant qu'ils étaient aux études et ils le sont toujours. La preuve produite est insuffisante pour me permettre de conclure qu'ils ne pourraient pas s'adapter à leur ancien système scolaire. Il reste à l'aînée une dernière année de collège à faire et elle pourrait finir par elle-même ses études et mettre à profit ses compétences en Corée.

[31]            L'agente d'immigration n'a pas examiné certaines questions concernant les enfants. Comment l'absence d'une famille élargie et du soutien de la communauté en Corée pourrait-il avoir une incidence sur le soutien social dont pourraient bénéficier les enfants? Comment l'incapacité du père d'obtenir un emploi en Corée peut-il avoir une incidence sur les enfants et leurs possibilités de poursuivre leurs études? Concernant l'enfant aînée, l'agente d'immigration a déclaré qu'elle pourrait terminer sa dernière année de collège par elle-même et mettre à profit ses compétences en Corée. Si c'était le cas, il faut se demander où elle vivrait et qui la soutiendrait financièrement si son père ne travaille pas.

[32]            Il convient de soupeser les facteurs pertinents pour déterminer l'intérêt supérieur des enfants. Cela n'a pas été fait en l'espèce. À mon avis, l'agente d'immigration n'a pas été « réceptive, attentive et sensible » à l'intérêt supérieur des enfants. Par conséquent, la décision de l'agente d'immigration n'est pas raisonnable et doit être annulée.

[33]            Vu mes conclusions sur ces deux questions, je n'ai pas besoin d'examiner les autres questions.

[34]            La demande de contrôle judiciaire est par conséquent accueillie et l'affaire est renvoyée à un autre agent d'immigration pour que celui-ci statue à nouveau sur l'affaire.

[35]            Le défendeur n'a pas souhaité me soumettre une question grave d'importance générale aux fins de la certification.


[36]            Les demandeurs ont proposé aux fins de la certification la question suivante en tant que question grave de portée générale :

[traduction] Si la norme selon laquelle il doit exister des difficultés inhabituelles et injustifiées est évaluée par des agents dans des demandes CH fondées sur l'article 25 conformément à la section 6.6 du Guide de l'immigration eu égard aux difficultés que comporte le fait pour une personne de devoir faire la demande de résidence permanente de l'étranger, quelle incidence peut avoir sur la décision définitive le fait que le demandeur ne peut clairement pas demander ou obtenir la résidence permanente de l'étranger?

Je ne suis pas disposé à certifier cette question puisqu'elle n'est pas déterminante en l'espèce.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un autre agent d'immigration pour que celui-ci statue à nouveau sur l'affaire.

2.          Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

« John A. O'Keefe »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra D. de Azevedo, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                IMM-7290-03

INTITULÉ :               MOON KAP KIM, BOK IN GRACE KIM,

SOO JUNG SUE KIM et SOO NAM PAUL KIM

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 6 OCTOBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS ET DE

L'ORDONNANCE :                                      LE 21 OCTOBRE 2004

COMPARUTIONS :

Mario D. Bellissimo

POUR LES DEMANDEURS

Ann Margaret Oberst

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ormston, Bellissimo, Younan

Toronto (Ontario)          

POUR LES DEMANDEURS

Morris Rosenberg, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR


COUR FÉDÉRALE

Date : 20041021

Dossier : IMM-7290-03

ENTRE :

MOON KAP KIM, BOK IN GRACE KIM,

SOO JUNG SUE KIM et SOO NAM PAUL KIM

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                                      

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                      


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