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Date : 19990331


Dossier : T-1144-97

OTTAWA (ONTARIO), LE MERCREDI 31 MARS 1999

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM


ENTRE :



ELI LILLY AND COMPANY et

ELI LILLY CANADA INC.,

demanderesses,


- et -


APOTEX INC. et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ,

défendeurs.


     ORDONNANCE

     Pour les motifs rendus dans l"ordonnance, la demande de contrôle judiciaire est rejetée sans dépens.

     Max M. Teitelbaum

     J.C.F.

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.





Date : 19990331


Dossier : T-1144-97


ENTRE :



ELI LILLY & COMPANY et

ELI LILLY CANADA INC.,

demanderesses,



- et -



APOTEX INC. et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ,

défendeurs.



MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM

INTRODUCTION

[1]      Il s"agit en l"espèce d"une demande de contrôle judiciaire présentée conformément à l"article 18 de la Loi sur la Cour fédérale. Les demanderesses, Eli Lilly & Company et Eli Lilly Canada Inc. (Lilly), sollicitent un bref de certiorari annulant l"avis de conformité (ADC) délivré le 30 avril 1997 par le ministre de la Santé (le ministre) à Apotex Inc. (Apotex) pour des capsules de 150 mg et de 300 mg de nizatidine. Elles sollicitent également un jugement déclaratoire en insistant sur le fait que les ordonnances suivantes sont au coeur de la présente espèce :

         [traduction]
             1)      une ordonnance portant que le ministre de la Santé est tenu de se conformer au paragraphe 7(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement) avant de délivrer un avis de conformité à une seconde personne;
             2)      une ordonnance portant que le ministre de la Santé n"a pas respecté le paragraphe 7(1) du Règlement en délivrant l"avis de conformité à Apotex Inc. pour les capsules de 150 mg et de 300 mg de nizatidine le 30 avril 1997;
             3)      une ordonnance portant que l"avis d"allégation du 10 février 1995 n"était pas un avis d"allégation valide au sens du paragraphe 5(1) du Règlement;
             4)      une ordonnance portant que le ministre de la Santé est tenu de s"assurer qu"il y a une allégation au dossier dans la présentation de drogue nouvelle d"une seconde personne lorsque cette dernière signifie un avis d"allégation conformément à l"alinéa 5(3)b ) du Règlement;
             5)      une ordonnance portant que le ministre de la Santé est tenu de s"assurer qu"un énoncé détaillé du droit et des faits sur lesquels l"allégation est fondée a été fourni conformément au Règlement avant de délivrer un avis de conformité;
             6)      une ordonnance portant qu"Apotex Inc. n"a pas respecté l"alinéa 5(3)a ) du Règlement en ce qu"elle n"a pas fourni un énoncé détaillé du droit et des faits sur lesquels son allégation est fondée;
             7)      une ordonnance portant que le ministre de la Santé est tenu de veiller à ce que l"avis de conformité ne soit délivré que relativement à l"allégation, à l"avis d"allégation et à l"énoncé détaillé du droit et des faits sur lesquels est fondée l"allégation qui a été remis à la première personne.

CONTEXTE

[2]      La demanderesse, Eli Lilly & Company, est la propriétaire des brevets canadiens nos 1,166,248 et 1,221,369 afférentes à la nizatidine et elle a obtenu un avis de conformité (ADC) lui permettant de produire et de commercialiser une certaine forme posologique du médicament. La défenderesse, Apotex, est un fabricant de médicaments génériques qui, en 1993 et en 1995, a demandé au ministre l"autorisation de commercialiser la nizatidine, demande qui a entraîné d"interminables poursuites judiciaires. La présente espèce découle du deuxième avis d"allégation d"Apotex à la suite duquel le ministre a délivré un ADC à Apotex le 30 avril 1997.

Premier avis d"allégation

[3]      Le 28 avril 1993, Apotex a remis un avis d"allégation à Eli Lilly Canada Inc. afin d"obtenir un ADC pour des capsules de 150 mg et de 300 mg de nizatidine en déclarant qu"il n"y aurait pas contrefaçon des brevets canadiens nos 1,166,248 et 1,221,369 puisqu"elle s"engageait à s"approvisionner en nizatidine uniquement auprès de Novopharm Limited (Novopharm) en vertu d"une "entente mutuelle" conclue en novembre 1992 avec Novopharm qui était titulaire d"une licence obligatoire de Lilly.

[4]      Lilly a présenté une demande d"interdiction à la Cour fédérale du Canada, conformément à l"article 6 du Règlement, et le 9 février 1995, elle a obtenu du juge McGillis une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un ADC à Apotex. La Cour d"appel fédérale a confirmé l"ordonnance pour d"autres motifs le 2 avril 1996 ((1996) 66 C.P.R. (3d) 377), mais la Cour suprême du Canada l"a annulée le 9 juillet 1998 ((1998) 80 C.P.R. (3d) 321). La Cour suprême a statué qu"Apotex ne contreferait pas les brevets de Lilly en vendant simplement le médicament sous la forme prévue dans l"avis d"allégation.

Deuxième avis d"allégation

[5]      Le 10 février 1995, le lendemain du prononcé de l"ordonnance d"interdiction du juge McGillis, Apotex a produit un deuxième avis d"allégation dans lequel elle alléguait l"absence de contrefaçon du médicament ou du procédé. L"avis d"allégation ne contenait aucun détail sur le procédé qu"Apotex avait l"intention d"utiliser. Apotex était d"avis que les détails du procédé étaient confidentiels et ne seraient communiqués que lorsqu"ils feraient l"objet d"une ordonnance de confidentialité. Lilly n"a pas sollicité une ordonnance d"interdiction conformément à l"article 6 du Règlement, notamment parce que l"ordonnance d"interdiction du juge McGillis et l"alinéa 7(1) f) du Règlement empêchaient le ministre de délivrer un ADC et que le Règlement ne permettait pas la délivrance de multiples avis d"allégation.

[6]      Par la suite, le 12 juin 1995, Apotex a présenté une demande de mandamus afin d"obliger le ministre à traiter sa présentation de drogue nouvelle (PDN) et à lui délivrer un ADC. Le ministre a contesté la demande, mais le juge Jerome a accordé, le 25 avril 1997, un mandamus ordonnant au ministre de traiter la PDN d"Apotex; il a également déclaré que le Règlement n"interdisait pas au ministre de délivrer un ADC à Apotex (72 C.P.R. (3d) 421). Lilly a interjeté appel devant la Cour d"appel fédérale et le juge Marceau, au nom de la Cour, a confirmé la décision (76 C.P.R. (3d) 1). Il a été ordonné au ministre de délivrer un ADC malgré le Règlement. Le 30 avril 1997, le ministre a délivré un ADC à Apotex relativement à la nizatidine, ADC qui fait l"objet de la présente demande de certiorari .

Contexte procédural

[7]      La présente espèce a soulevé de nombreuses questions de preuve. Dans une requête déposée le 27 juin 1997, Apotex a demandé la radiation de l"avis de requête introductif d"instance de Lilly de même que de certaines parties des affidavits de P. Stringer et de T. McCool, notamment pour le motif qu"ils contenaient des renseignements divulgués dans une lettre du 29 novembre 1995 à l"égard desquels Apotex avait demandé la confidentialité. Le juge Gibson a rejeté la requête le 30 juillet 1997 en précisant qu"Apotex pourrait soulever ces questions à l"audience sur le fond. Il a accordé un délai de 14 jours à Apotex et au ministre défendeur pour produire leur preuve par affidavit, et il a accordé à Lilly un délai de 30 jours, après la réception des éléments de preuve des défendeurs, pour déposer son dossier de la demande. Le 22 août, Apotex a déposé en preuve les affidavits de J. Oudenes et de B. Sherman tous deux datés du 11 août 1997, de même que la lettre du 29 novembre 1995 qui a été produite sans demande de confidentialité. Apotex était d"avis que le contenu de la lettre n"était plus confidentiel.

[8]      Le 20 août 1997, le juge Richard a rejeté une autre requête présentée par Apotex en vue d"obtenir la radiation de l"avis de requête introductif d"instance ou la suspension des procédures. De plus, en septembre 1997, Lilly a présenté une requête à la Cour afin d"obtenir l"autorisation de produire des éléments de preuve en réponse aux affidavits de Oudenes et de Sherman datés du 11 août 1997 et déposés par Apotex. Dans une ordonnance datée du 25 septembre 1997, j"ai autorisé Lilly à produire une contre-preuve et j"ai accordé à Apotex le droit de contre-interroger les auteurs des affidavits produits en réponse. De plus, le 15 octobre 1997, Apotex a demandé à la Cour de réexaminer l"ordonnance du 25 septembre 1997. Le 14 novembre 1997, j"ai accordé à Apotex le droit de déposer des éléments de preuve en réponse aux affidavits de P. Stringer et F. Perry datés du 1er octobre 1997, de même qu"une prorogation du délai pour déposer la présente demande. Conformément à cette ordonnance, Apotex a déposé quatre affidavits afin de présenter une preuve d"expert.

ARGUMENTS DES PARTIES

Arguments de Lilly

[9]      Lilly prétend principalement que le procédé divulgué dans la PDN soumise au ministre qui a amené celui-ci à délivrer un ADC à Apotex le 30 avril 1997 est différent du procédé divulgué à Lilly dans l"énoncé détaillé qui lui a été transmis dans une lettre datée du 29 novembre 1995.

[10]      Les arguments de Lilly comportent deux volets. Premièrement, Lilly prétend que le ministre ne s"est pas assuré que les renseignements qui lui avaient été fournis correspondaient à ceux qui étaient contenus dans l"avis d"allégation et dans l"énoncé détaillé signifiés à la première personne, Lilly, avant de délivrer un ADC à Apotex en contravention du paragraphe 7(1) du Règlement. Bref, le ministre ne s"est pas assuré que le procédé qui lui avait été divulgué au soutien de l"ADC était identique au procédé divulgué à Lilly dans la lettre datée du 29 novembre 1995. Deuxièmement, Lilly prétend qu"Apotex ne lui a pas fourni un énoncé détaillé du droit et des faits précis sur lesquels l"allégation était fondée, en contravention de l"alinéa 5(3)a ) du Règlement. Lilly prétend que la violation du Règlement par Apotex pourrait avoir des "conséquences graves". Dans un cas comme dans l"autre, Lilly prétend que la réparation appropriée est un bref de certiorari annulant l"ADC délivré à Apotex le 30 avril 1997.

Arguments du ministre de la Santé nationale

[11]      Le ministre ne fait valoir aucun argument quant à savoir si le procédé qu"Apotex avait l"intention d"utiliser selon l"avis d"allégation est le même que le procédé Torcan, mais il soutient qu"il ne lui appartient pas de trancher ces questions sur la seule foi d"un avis d"allégation puisque, suivant l"article 6 du Règlement, ces questions sont habituellement examinées dans le cadre d"une demande d"interdiction.

[12]      Le ministre soutient que l"ADC contesté a été délivré à Apotex conformément au bref de mandamus accordé par le juge Jerome et confirmé par la Cour d"appel fédérale qui a ordonné au ministre d"examiner la PDN d"Apotex "sans tenir compte des listes de brevets" déposées par la requérante. Par conséquent, les questions soulevées par Lilly relativement à l"interprétation du Règlement pour ce qui de la délivrance de l"ADC ne sont pas pertinentes puisque la Cour a statué qu"il fallait examiner la PDN sans tenir compte du Règlement. En outre, la présente espèce résulte du fait que Lilly a omis de solliciter une ordonnance d"interdiction, et elle vise des questions qui ont été soulevées et rejetées lors de la contestation de la demande de mandamus et lors de l"appel interjeté de l"ordonnance de mandamus .

[13]      L"avocat prétend en outre que, compte tenu du régime législatif et réglementaire, le ministre n"est pas tenu de s"assurer en tout temps que la PDN est liée à l"avis d"allégation et à l"énoncé détaillé ou qu"elle y correspond puisque le paragraphe 5(3) du Règlement exige simplement la signification de l"avis d"allégation au ministre et non celle de l"énoncé détaillé du droit et des faits qui doit être signifié à la première personne. Le ministre n"est nullement tenu de signaler à une première personne que les documents ne concordent pas. Les incohérences dans la divulgation d"un procédé ne constituent pas en soi un motif d"annuler un ADC.

Arguments d"Apotex

[14]      Premièrement, Apotex soutient que les arguments du ministre au sujet du mandamus enjoignant au ministre de traiter la PDN d"Apotex constituent une réponse pleine et entière à la présente demande de contrôle judiciaire. L"avocat d"Apotex réitère que Lilly aurait pu soulever les questions en litige en l"espèce dans une demande d"interdiction, mais ne l"a pas fait non pas à cause des incohérences alléguées entre la PDN et l"énoncé détaillé, mais pour d"autres raisons, et qu"elle a soulevé les mêmes questions devant la Section de première instance et la Section d"appel qui ont rejeté cet argument. Deuxièmement, Apotex soutient que pour des spécialistes, tels les témoins experts qui ont déposé par affidavit, il n"y a aucune différence entre le contenu de la PDN et celui de l"énoncé détaillé. De plus, si on suppose que Lilly a raison quant aux faits, il n'est pas allégué que la présumée inexactitude des renseignements communiqués à Lilly a eu quelque répercussion que ce soit sur la question de la contrefaçon.

QUESTIONS EN LITIGE

[15]      En ce qui concerne la Cour, la principale question qui doit être tranchée est celle de savoir si les demanderesses lui ont démontré l"existence de motifs lui permettant d"exercer son pouvoir discrétionnaire par voie de certiorari pour d"annuler l"ADC délivré à Apotex par le ministre, le 30 avril 1997.

[16]      Une deuxième question se pose : si on présume que l"avis d"allégation envoyé à Lilly par Apotex dans le deuxième avis d"allégation contient des données trompeuses ou inexactes et que le procédé de fabrication de la nizatidine n"y est pas indiqué, ce seul fait justifie-t-il l"annulation de l"ADC délivré par le ministre ?

ANALYSE

[17]      La délivrance de l"ADC à Apotex a été l"aboutissement d"un long différend entre Apotex et Lilly. La première demande d"Apotex en vue d"obtenir un ADC a fait l"objet d"une ordonnance du juge McGillis interdisant au ministre de délivrer un ADC à Apotex, le 9 février 1995. Cette question n"est plus en litige puisque la Cour suprême du Canada a statué qu"Apotex ne contreferait pas le brevet de Lilly en obtenant le médicament en vertu de la licence obligatoire de Novopharm. La deuxième demande d"ADC présentée par Apotex a, elle aussi, fait l"objet d"un litige lorsque le ministre a affirmé qu"il ne pouvait pas délivrer d'ADC en raison de l"ordonnance d"interdiction du juge McGillis. Apotex a demandé une ordonnance de mandamus afin d"obliger le ministre à examiner sa PDN, demande qui, comme je l"ai déjà dit, a été accueillie par le juge Jerome le 25 avril 1997 et confirmée par la Cour d"appel fédérale le 29 septembre 1997.

[18]      Lilly fait valoir que le ministre a commis une erreur en délivrant un ADC à Apotex puisque l'ordonnance de mandamus ne le liait pas et qu"il ne s"était pas assuré que le Règlement avait été respecté avant de délivrer l"ADC.

[19]      Lilly prétend que l"ordonnance de mandamus rendue par le juge Jerome reposait sur l"hypothèse selon laquelle les faits qui ont été révélés dans la PDN mais qui n"ont pas été soumis à la Cour étaient exacts, lesquels faits, selon Lilly, seraient inexacts. Il est donc allégué que le ministre n"était pas lié par l"ordonnance de mandamus du juge Jerome et que celle-ci ne visait pas le procédé divulgué dans la PDN d"Apotex pour lequel un ADC a été délivré à Apotex le 30 avril 1995. Selon Lilly, le ministre était donc en présence de deux ordonnances contradictoires au moment où il a délivré l"ADC.

[20]      Malgré les arguments de Lilly que le ministre était en présence d"ordonnances contradictoires et que l"ordonnance de mandamus ne pouvait viser que les faits soumis au juge Jerome au moment où il l"a rendue, je souscris aux arguments du ministre défendeur qui affirme qu"il n"avait d"autre choix que de délivrer l"ADC conformément à la décision du juge Jerome qui a été confirmée par la Cour d"appel.

[21]      À mon avis, les ordonnances ne sont pas contradictoires et l"ordonnance de mandamus s"appliquait à l"ADC délivré par le ministre. Comme l"a soutenu le ministre, Lilly était représentée dans la procédure en mandamus engagée devant le juge Jerome qui a tenu compte de l"ordonnance d"interdiction du juge McGillis et qui a dit en ces termes, à la page 429, qu"elle ne s"appliquait pas dans les circonstances :

         Je ne trouve pas convaincants les arguments d"Eli Lilly quant au contenu de la PDN et à la question de la chose jugée. Le contenu de la PDN et son évaluation s"inscrivent dans un processus parallèle visé par le Règlement sur les aliments et drogues, et ils concernent la santé et la sécurité. Le contenu de la PDN n"a pas été soumis directement à la Cour. L"objet de l"examen de la Cour, eu égard au Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), sont l"avis d"allégation et la question de savoir s"il y a lieu d"interdire la délivrance d"un avis de conformité. La tâche de la Cour est de déterminer si l"avis d"allégation est fondé.
         De plus, il serait singulier d"interpréter l"ordonnance du juge McGillis comme ayant pour objet autre chose en plus de ce sur quoi elle était appelée à statuer. Le juge McGillis ne pouvait pas statuer pour l"avenir sur des questions et des éléments de preuve dont elle n"était pas saisie. Elle ne pouvait que trancher sur la question de savoir si l"allégation faite dans le premier avis était suffisamment fondée pour qu"elle autorise le ministre à délivrer un avis de conformité. Par conséquent, la portée de toute ordonnance d"interdiction rendue dans les procédures engagées en vertu du paragraphe 6(1) doit être limitée aux allégations précises faites dans ces procédures. Tirer une autre conclusion serait incompatible avec la jurisprudence de la présente Cour selon laquelle la seconde personne peut déposer plusieurs avis d"allégation. Eli Lilly avait la possibilité de déposer un avis de requête introductive d"instance en vue d"obtenir une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité. Si elle avait agi ainsi, une audience de contrôle judiciaire aurait eu lieu afin de décider si l"allégation relative à l"existence d"un procédé de fabrication ne violant pas le brevet était fondée. Comme Eli Lilly n"a pas sollicité d"ordonnance d"interdiction, je suis d"avis que rien n"empêchait le ministre, une fois expiré le délai de 45 jours, de délivrer un avis de conformité à Apotex relativement à ses capsules de 150 mg et de 300 mg de nizatidine.
         Pour ces motifs, la réparation demandée par la requérante est accordée.

[22]      Pour les motifs mentionnés ci-dessous, le juge Jerome a accueilli la demande et, comme je l"ai déjà dit, la Cour d"appel fédérale a confirmé son ordonnance le 29 septembre 1997.

[23]      Le ministre n"avait donc d"autre choix que de respecter l"ordonnance de mandamus et d"examiner la PDN d"Apotex, ce qui a entraîné la délivrance de l"ADC le 30 avril 1995.

[24]      En outre, Lilly prétend que le ministre devait s"assurer que les renseignements transmis au ministre par Apotex étaient les mêmes que ceux signifiés à Lilly en vertu du Règlement. Cet argument est également fondé sur l"hypothèse selon laquelle il y avait des incohérences ou des inexactitudes entre les détails du procédé fournis au ministre et ceux qui ont été fournis à Lilly dans une lettre datée du 29 novembre 1995. Lilly affirme que le ministre aurait dû vérifier si le procédé décrit dans la PDN était le même que celui qui avait été divulgué à Lilly.

[25]      Aux termes de l"alinéa 7(1)b) du Règlement, le ministre ne peut délivrer un ADC avant, notamment, que la seconde personne ne se soit conformée à l"article 5 du Règlement. Ces dispositions imposent des obligations précises tant au ministre qu"à la première personne.

[26]      L"avocat du ministre défendeur, qui ne s"est pas prononcé sur la question de savoir si le procédé divulgué à Lilly était le même que celui qui avait été divulgué au ministre, prétend, et je suis d"accord avec lui, qu"en vertu du Règlement, une seconde personne doit déposer un avis d"allégation auprès du ministre, de même qu"une preuve de la signification de l"allégation et de l"énoncé détaillé à la première personne. Le ministre affirme qu"il n"a pas accès à l"avis d"allégation et à l"énoncé détaillé signifiés à la première personne. Par conséquent, il ne peut s"assurer que les documents comportent les mêmes renseignements et il n"est pas tenu de se renseigner sur la justesse de l"avis d"allégation et de l"énoncé détaillé signifiés à la première personne.

[27]      L"avocat de Lilly prétend que l"obligation du ministre découle de la décision du juge Wetston dans l"affaire Merck & Co. c. Canada (décision non publiée), 31 mars 1998, T-1273-97. Selon l"avocat, cette décision signifie que le ministre doit s"assurer de la concordance des renseignements qui figurent dans la PDN et dans l"avis d"allégation avant de délivrer l"ADC. Voici les passages pertinents de cette décision :

         Il est évident que le ministre a l"obligation d"observer le Règlement sur les AC, mais j"estime qu"il n"était nullement tenu d"informer Merck du retrait présumé de la PDN de 1993 ou de jouer quelque autre rôle dans la demande d"ordonnance d"interdiction. Son obligation se limite à veiller à ce que les exigences réglementaires soient respectées avant de délivrer un AC. C"est-à-dire qu"il doit s"assurer qu"un registre des brevets est tenu et qu"aucun AC n"est délivré à moins que le titulaire d"un brevet ou d"une licence n"ait eu la possibilité de contester l"avis d"allégation visant un brevet inscrit sur la liste.
         J"ai déjà conclu qu"une demande d"ordonnance d"interdiction ne repose pas sur la PDN. Le ministre n"est aucunement tenu de s"assurer de la continuité de l"existence d"un lien entre la PDN de la seconde personne et l"avis d"allégation et l"énoncé détaillé, ni d"informer la première personne de toute différence pouvant exister entre la PDN et ces autres documents. Comme je l"ai déjà indiqué, le ministre doit s"assurer de la concordance entre les données figurant dans la PDN et dans l"avis d"allégation avant de délivrer un AC (Eli Lilly , précité, et Smithkline Beecham, précité). Comme il ne lui incombait pas, en l"occurrence, d"informer la Cour du retrait de la PDN, ses représentants n"assumaient aucune obligation à cet égard en tant qu"officiers de justice.

[28]      À mon avis, ni le Règlement ni la jurisprudence n"obligent le ministre à s"assurer que les documents déposés à son bureau et les documents signifiés à la première personne ont le même contenu. Le ministre doit vérifier si son bureau a reçu une preuve de la signification de l"avis d"allégation et de l"énoncé détaillé à la première personne. Le Règlement n"exige pas que la seconde personne envoie une copie de l"avis d"allégation et de l"énoncé détaillé au ministre. Par conséquent, le ministre n"est pas légalement tenu de les comparer afin d"en vérifier l"exactitude.

[29]      Le deuxième argument de Lilly est que l"avis d"allégation que lui a fourni Apotex ne décrivait pas la nature véritable de l"usage proposé du procédé divulgué dans la PDN d"Apotex, ou qu"il était inexact. Elle invoque l"arrêt Hoffman-La Roche Ltée c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1996), 70 C.P.R. (3d) 206 (C.A.F.) afin de démontrer à la Cour l"importance de fournir des avis d"allégation et des énoncés détaillés exacts. À la page 213, le juge Stone dit, au nom de la Cour d"appel :

         Selon le Règlement, l"intimée devait se conformer de bonne foi aux exigences des paragraphes 5(1) et (3). Dans le cas de l"alinéa 5(3)a ), cette obligation signifiait que l"intimée devait fournir un énoncé détaillé du "droit et des faits sur lesquels elle se fonde" (non souligné dans l"original). Comme la présente Cour l"a fait observer dans les arrêts Merck Frosst , et Bayer AG précités, les règles de procédure applicables de la partie V.1 n"exigent pas qu"une allégation fondée sur l"alinéa 5(1)b ) soit justifiée au moyen d"un affidavit ou que cette assertion soit vérifiée en contre-interrogatoire. Néanmoins, je suis convaincu que cette allégation doit être exacte. Une fois que le produit d"une deuxième personne atteint le marché, la première personne est en mesure de vérifier l"exactitude de l"énoncé détaillé; si celui-ci devait s"avérer inexact, les conséquences pourraient effectivement être très graves pour la deuxième personne.

[30]      Il est allégué qu"à tout le moins, les conséquences graves invoquées par le juge Stone exigent, dans les circonstances en l"espèce, l"annulation de l"ADC délivré à Apotex.

[31]      Cette opinion repose sur le fait qu"Apotex a eu tort de fournir des documents inexacts à Lilly et qu"il faut condamner son geste. Si on présume qu"il y avait des inexactitudes, et je suis convaincu que les renseignements fournis relativement au procédé étaient à tout le moins trompeurs, qu"entend-on par conséquence grave? Dans l"arrêt Merck , précité, le juge Stone a invoqué la possibilité de vérifier l"allégation une fois que le produit atteint le marché. Dans l"affaire Apotex Inc. c. Canada , précitée, le juge Marceau a répété que le Règlement ne vise pas à ouvrir la porte à des instances dans lesquelles sont tranchées directement des questions de contrefaçon ou de validité des brevets, et il a conclu que "l"appelante n"est nullement privée des recours qui sont normalement ouverts au titulaire d"un brevet pour lui permettre de faire valoir ses droits".

[32]      L"avocat de Lilly prétend que l"expression "conséquences graves" s"entend de conséquences hors de l"ordinaire, ce qui exclut les conséquences d"une action en contrefaçon. À mon avis, les conséquences graves peuvent être des dommages extraordinaires pouvant entraîner des dommages-intérêts exemplaires et des frais entre avocat et client, mais cela ne veut pas dire qu"un ADC délivré par le ministre conformément à la loi par suite d"une ordonnance de mandamus peut être annulé.

[33]      Malgré les arguments de Lilly, je suis d"avis que la procédure en certiorari n"est pas l"instance appropriée pour déterminer les différences, les incohérences ou les inexactitudes du procédé divulgué par Apotex au ministre et à Lilly. La question qu"il faut trancher est celle de savoir si le ministre a commis une erreur susceptible de contrôle pouvant justifier l"intervention de la Cour. Lilly ne m"a pas convaincu que le ministre a commis une erreur susceptible de contrôle pouvant justifier l"annulation de l"ADC qui a été délivré.

[34]      En dernière analyse, la question la plus importante dans ce type de procédure est celle de la contrefaçon. Un avis d"allégation pose la question de la contrefaçon. Si les renseignements divulgués à Lilly dans l"avis d"allégation se révèlent inexacts, un tribunal pourra, dans une action en contrefaçon, déterminer si Apotex a contrefait le brevet de Lilly en utilisant un procédé différent de celui pour lequel l"ADC a été délivré. Le cas échéant, Apotex pourrait subir des "conséquences graves" et obtenir, outre des dommages-intérêts ordinaires, des dommages-intérêts exemplaires et les frais entre avocat et client.

CONCLUSION

[35]      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

DÉPENS

[36]      J"ai soulevé la question des dépens avec les parties. Je suis convaincu, après avoir entendu l"argument selon lequel la présente affaire soulève une nouvelle question, qu"aucune des parties n"a droit aux dépens.

"Max M. Teitelbaum"

J.C.F.


Ottawa (Ontario)

31 mars 1999



Traduction certifiée conforme


Suzanne Bolduc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


N DU GREFFE :                  T-1144-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :          ELI LILLY AND COMPANY ET AL. ET APOTEX INC. ET AL.

LIEU DE L"AUDIENCE :              Ottawa

DATE DE L"AUDIENCE :          29 mars 1999

MOTIFS DE L"ORDONNANCE DU JUGE TEITELBAUM en date du 31 mars 1999


ONT COMPARU :

Me A. Creber

Me P. Smith                       pour les demanderesses

Me Harry B. Radomski              pour la défenderesse (Apotex Inc.)

Me F.R. Woyiwada                  pour le défendeur (ministre de la Santé)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling, Strathy & Henderson

Ottawa (Ontario)                  pour les demanderesses

Goodman Philips & Vineberg

Toronto (Ontario)                  pour la défenderesse (Apotex Inc.)

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                  pour le défendeur (ministre de la Santé)

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