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Date : 20020724

Dossier : T-576-01

Référence neutre : 2002 CFPI 811

Ottawa (Ontario), le 24 juillet 2002

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE DANIÈLE TREMBLAY-LAMER

ENTRE :

                                                              DONALD CAMPBELL

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                                              PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

  • [1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision du 5 décembre 2000 de la Commission de l'assurance-emploi du Canada (la « Commission » ) rejetant la défalcation du versement excédentaire de prestations d'assurance-emploi reçu par le demandeur.

  • [2]                 En 1984, le demandeur est devenu le tiers actionnaire de Cascade Woodworking Ltd. Il a présenté la même année sa première demande de prestations d'assurance-emploi. N'étant pas certain qu'il était admissible aux prestations, il a demandé à la Commission de faire enquête; la Commission a effectué une enquête à l'issue de laquelle elle a conclu qu'il était admissible aux prestations.
  • [3]                 En 1998, après une autre enquête, la Commission a déterminé que le demandeur n'était pas admissible aux prestations parce qu'il avait fait une déclaration fausse ou trompeuse en ce sens qu'il n'était pas sans emploi au moment où il avait reçu les prestations. On lui a demandé de rembourser le versement excédentaire de prestations reçu au cours des six dernières années, soit 11 716 $. On lui a également infligé une pénalité et on lui a adressé un avis de violation.
  
  • [4]                 Le demandeur a interjeté appel de ces décisions au Conseil arbitral, lequel a rejeté l'appel sur la question du paiement excédentaire, mais a conclu que le demandeur était crédible et n'avait pas fait de déclaration fausse ou trompeuse. Il a donc annulé l'avis de violation qui lui avait été adressé et la pénalité qui lui avait été infligée. Il a recommandé également que la Commission défalque le versement excédentaire [TRADUCTION] « comme moyen de corriger cette injustice qui a été causée lorsque l'appelant [le demandeur] s'est fondé à son détriment sur un mauvais conseil et/ou sur une mauvaise décision concernant l'admissibilité » .
  • [5]                 Vu cette décision, le demandeur a demandé à la Commission d'examiner la possibilité de défalquer le versement excédentaire de prestations en application du paragraphe 56(2) du Règlement sur l'assurance-emploi, DORS/96-332 (le Règlement).
  
  • [6]                 Par lettre du 5 décembre 2000, la Commission a rejeté la demande de défalcation pour le motif qu'il y avait une erreur dans la formule de demande : aucune mention n'y était faite de l'intérêt que possédait le demandeur dans la société Cascade Woodworking Ltd.
  • [7]                 Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.
  
  • [8]                 Le demandeur fait valoir qu'il a satisfait aux critères énoncés au paragraphe 56(2) du Règlement et que la Commission aurait pu exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui permettait de défalquer le versement excédentaire des prestations. Il affirme que la Commission aurait dû tenir compte des conclusions de fait du Conseil arbitral, qui avait conclu qu'il n'avait pas fait de déclaration fausse ou trompeuse. Selon lui, par cette omission, la Commission a restreint son pouvoir discrétionnaire.
  • [9]                 Le défendeur fait valoir que le pouvoir de défalquer un versement excédentaire de prestations en application du paragraphe 56(2) du Règlement relève de la compétence exclusive de la Commission, laquelle n'est nullement obligée de donner suite aux recommandations du Conseil arbitral.
  
[10]            Selon le défendeur, la Commission peut parvenir à une conclusion différente de celle du Conseil arbitral concernant la question de savoir si le demandeur a commis une erreur ou fait une déclaration trompeuse.

[11]            Le paragraphe 56(2) du Règlement prévoit en partie ce qui suit :                                     

Défalcation des prestations indûment versées

56. (2) La Commission peut défalquer la partie de toute somme due aux termes des articles 47 ou 65 de la Loi qui se rapporte à des prestations reçues plus de 12 mois avant qu'elle avise le débiteur du versement excédentaire, si les conditions suivantes sont réunies :

a) le versement excédentaire ne résulte pas d'une erreur du débiteur ni d'une déclaration fausse ou trompeuse de celui-ci, qu'il ait ou non su que la déclaration était fausse ou trompeuse;

b) le versement excédentaire est attribuable à l'un des facteurs suivants :

                                  . . .

                                  (ii) des mesures de contrôle rétrospectives ou un examen rétrospectif entrepris par la Commission,

                                  . . .

Write-off of Benefits Wrongly Paid

56.(2) That portion of an amount owing under section 47 or 65 of the Act in respect of benefits received more than 12 months before the Commission notifies the debtor of the overpayment may be written off by the Commission if

                 (a) the overpayment does not arise from an error made by the debtor or as a result of a false or misleading declaration or representation made by the debtor, whether the debtor knew it to be false or misleading or not; and

                 (b) the overpayment arises as a result of

                                  . . .

                 (ii) retrospective control procedures or a retrospective review initiated by the Commission,

                                  . . .


[12]            Il est maintenant bien établi que la Commission a seule le pouvoir discrétionnaire de défalquer un versement excédentaire de prestations (Canada (Procureur général) c. Filiatrault (1998), 235 N.R. 274 (C.A.F.)). Toutefois, elle doit agir de façon éclairée dans l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire. Dans Canada (Procureur général) c. Lai (1998), 229 N.R. 42, au paragraphe 2 (C.A.F.), le juge Marceau explique :

... Du moment que la Commission exerce ce pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire, c'est-à-dire en tenant compte de tous les facteurs pertinents et sans être influencée par des facteurs dénués de pertinence, ni la Commission, ni le juge-arbitre ni la Cour n'est en droit d'intervenir.

[13]            Dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, la Commission peut-elle tirer une conclusion de fait différente de celle du Conseil arbitral? Je ne le pense pas. La jurisprudence a établi que le Conseil arbitral, qui fonctionne comme un organisme quasi judiciaire, est mieux placé que la Commission, qui ne fonctionne pas comme un organisme quasi judiciaire, pour tirer des conclusions de fait. Les décisions à l'égard desquelles la retenue est de rigueur sont celles que rend le Conseil arbitral sur des questions de fait et non celles de la Commission. Le juge Robertson en relève une raison dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Purcell, [1996] 1 C.F. 644, à la page 662 (C.A.), où il explique que « ... le Conseil est appelé à entendre les témoignages et à recueillir les preuves fournies par les parties à un appel et, conformément au paragraphe 79(2) de la Loi, il est expressément tenu de conclure sur les questions de fait » . On ne peut dire la même chose de la Commission, qui ne tient pas d'audiences sur le fond d'une demande de défalcation d'un remboursement. À cet égard, le juge Collier (siégeant en qualité de juge-arbitre) a déclaré qu'il s'agit probablement d'une violation des règles de justice naturelle (CUB 12443).

  • [14]            De la même manière, dans l'arrêt Guay c. Canada (Commission de l'emploi et de l'assurance), [1997] A.C.F. no 1223, au paragraphe 2 (C.A.), le juge Marceau a qualifié le Conseil de « ... pivot de tout le système mis en place par la Loi pour ce qui est de la vérification des faits et de leur interprétation ... » . Ces commentaires montrent bien la retenue dont il faut faire preuve à l'égard des conclusions de fait du Conseil arbitral.
  • [15]            Dans l'arrêt Purcell, précité, la Cour d'appel fédérale a confirmé le rôle respectif aussi bien de la Commission que du Conseil arbitral à l'égard des conclusions de fait. Elle a clairement expliqué pourquoi on doit faire preuve de retenue à l'égard des conclusions de fait du Conseil arbitral. Elle déclare, à la page 663 :
  

À l'inverse, le rôle de la Commission ne consiste qu'à rendre une décision fondée sur les preuves qui lui paraissent pertinentes. Devant la Commission le prestataire n'a pas le droit d'être entendu, ni l'assurance que la preuve qu'il porte devant elle se verra accorder l'importance qu'elle mérite. Cela explique pourquoi un prestataire a le droit de contester une décision de la Commission en demandant que sa cause soit entendue de novo. C'est donc le Conseil et non la Commission qui fonctionne comme le ferait un organisme quasi judiciaire. Les décisions à l'égard desquelles on doit faire preuve de retenue sont donc les décisions du Conseil sur des questions de fait et non les décisions de la Commission.

  • [16]            À mon avis, ce rôle ne change pas parce que la Commission a été investie du pouvoir discrétionnaire de défalquer les versements excédentaires de prestations en application du paragraphe 56(2) du Règlement.
  • [17]            En l'espèce, la Commission a estimé que M. Campbell avait fait des déclarations fausses ou trompeuses en omettant des renseignements concernant la relation précise qui existait entre Cascade Woodworking Ltd. (affidavit de S. MacDonald, au paragraphe 11; affidavit de S. Trojanoski, au paragraphe 11) et lui.
  
  • [18]            En revanche, le Conseil arbitral a conclu que M. Campbell n'avait fait aucune déclaration fausse ou trompeuse.
  • [19]            La Commission ne pouvait faire abstraction des conclusions de fait que le Conseil arbitral a tirées à cet égard.
  
  • [20]            En ne tenant pas compte des conclusions de fait du Conseil arbitral, la Commission a restreint son pouvoir discrétionnaire et on ne peut pas dire qu'elle a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire.
  • [21]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L'affaire est renvoyée à la Commission pour réexamen en lui enjoignant de tenir compte des conclusions de fait du Conseil arbitral selon lesquelles le versement excédentaire ne découlait pas d'une déclaration fausse ou trompeuse du demandeur.
   

                                                                     ORDONNANCE

[1]                 La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  

[2]                 L'affaire est renvoyée à la Commission pour réexamen en lui enjoignant de tenir compte des conclusions de fait du Conseil arbitral selon lesquelles le versement excédentaire ne découlait pas d'une déclaration fausse ou trompeuse du demandeur.

    

                                                                                                                        « Danièle Tremblay-Lamer »   

JUGE

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

  

DOSSIER :                                           T-576-01

INTITULÉ :                                        DONALD CAMPBELL

                                                                                                                                                      demandeur

- et -

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                        défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :              Le 9 juillet 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DE MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER

DATE DES MOTIFS :                      Le 24 juillet 2002

  

COMPARUTIONS :

Leigh P. Gagnon                                                                             POUR LE DEMANDEUR

Glenn D. Rosenfeld                                                                         POUR LE DÉFENDEUR

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dinning Hunter Lambert & Jackson

Victoria (Colombie-Britannique)                                                   POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)                                               POUR LE DÉFENDEUR

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