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     Date : 20000721

     T-22-00


OTTAWA (ONTARIO), LE VENDREDI 21 JUILLET 2000

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE REED


E n t r e :

     PREMIÈRE NATION LIIDLII KUE

     demanderesse

     et

     PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

     MAUREEN BERNIER

     défendeurs



     ORDONNANCE


     LA COUR, STATUANT SUR une demande de contrôle judiciaire entendue à Vancouver (Colombie-Britannique) les 13 et 14 avril 2000,

     ET pour les motifs de l'ordonnance prononcés ce jour :
1.      ANNULE le permis délivré le 9 décembre 1999 qui fait l'objet du présent contrôle judiciaire ;
2.      RENVOIE la demande de permis de Mme Bernier pour qu'elle soit examinée par un autre gestionnaire d'utilisation des terres que M. Hornby ;
3.      ENJOINT au gestionnaire d'utilisation des terres de procéder à son examen d'ici le 22 octobre 2000 et de fixer des dates limites raisonnables à ceux qui doivent être consultés pour prendre une décision au sujet de la demande de permis dans les délais prescrits, sous réserve du droit de la Cour de modifier la date limite du 22 octobre 2000 ;
4.      CONDAMNE le procureur général du Canada à payer les dépens des autres parties au tarif des dépens entre parties à compter de la date de l'ouverture des débats, le 13 avril 2000 ;
5.      CONDAMNE la demanderesse à payer les dépens des défendeurs au tarif des dépens entre parties à compter de la date en question.

     B. Reed

                                         Juge

Traduction certifiée conforme



Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.



     Date : 20000721

     T-22-00


E n t r e :

     PREMIÈRE NATION LIIDLII KUE

     demanderesse

     et

     PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

     MAUREEN BERNIER

     défendeurs


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE REED

[1]      Les présents motifs se rapportent au contrôle judiciaire de la décision par laquelle un gestionnaire d'utilisation des terres, M. Hornby, a délivré un permis d'utilisation des terres à la défenderesse Maureen Bernier. La décision qui fait l'objet du présent contrôle judiciaire est datée du 9 décembre 1999 et a été prise en vertu du Règlement sur l'utilisation des terres territoriales, C.R.C., ch. 1524.

[2]      La demanderesse conclut non seulement au prononcé d'une ordonnance annulant la décision du 9 décembre 1999 de M. Hornby, mais également un jugement déclarant qu'il existe une obligation constitutionnelle et fiduciaire de la consulter adéquatement avant de délivrer un permis, un bref de mandamus contraignant les défendeurs de la consulter [TRADUCTION] « au sujet de la portée, de la nature et de l'ampleur des répercussions » que la délivrance du permis est susceptible d'avoir sur les droits issus de traités de la demanderesse, une ordonnance interdisant aux défendeurs de délivrer un tel permis tant que les consultations en question ne seront pas terminées et une ordonnance par laquelle la Cour réserve sa compétence sur la demande de permis d'utilisation des terres afin de permettre à toute partie de se présenter à nouveau devant elle pour faire trancher toute question que l'exécution des ordonnances de la Cour pourrait soulever.

Genèse de l'instance

[3]      Mme Bernier a soumis le 7 décembre 1998 une demande de permis d'utilisation des terres. Elle demandait la permission d'effectuer des sondages dans des zones pour lesquelles Mme Bernier détenait des claims miniers. Une copie de la demande de permis d'utilisation des terres a été annexée à une liste de distribution sur laquelle le nom de la demanderesse figurait à titre de bénéficiaire. Le Denendeh Resource Committee et la Première nation Deh Cho faisaient également partie des organismes mentionnés dans la liste de distribution. Les intéressés étaient invités à formuler leurs observations au sujet de la demande au plus tard le 8 janvier 1999.

[4]      La demanderesse a répondu le 8 janvier 1999 en insistant pour que l'examen de la demande de Mme Bernier soit retardé pour lui donner le temps de consulter ceux de ses membres qui seraient directement touchés. Elle insistait également pour que l'évaluation des répercussions que les sondages auraient sur les droits d'exploitation des ressources fauniques des autochtones soit effectuée par une personne au fait des méthodes autochtones en matière d'exploitation des ressources fauniques ou encore par un biologiste spécialisé dans l'étude des mammifères, et plus spécialement dans l'étude des comportements des animaux et des mouvements de population, et non par un fonctionnaire. La demanderesse se plaignait de la qualité de la documentation qui lui avait été envoyée. Elle affirmait que les cartes étaient de mauvaise qualité et que leurs points de référence étaient inexacts.

[5]      Le même jour, le 8 janvier 1999, le gestionnaire du Denendeh Resource Committee a répondu qu'il contestait la demande de Mme Bernier, [TRADUCTION] « au motif qu'elle porte atteinte aux droits des chasseurs, trappeurs et pêcheurs traditionnels membres de la Première nation Liidlii Kue, en l'occurrence Jane McPherson, dans le secteur du lac Antoine, et la famille Mouse, dans la région de la rivière Liard » . Une lettre appuyant l'opposition de la demanderesse a également été envoyée par les Premières nations Deh Cho. Cette lettre portait que la prospection minérale compromettrait les moyens de subsistance des familles Mouse, Cholo et McPherson, étant donné que leur source de revenus et leur mode de vie étaient tributaires du piégeage dans la région en question.

[6]      L'examen de la demande de permis a été reporté pour permettre la tenue d'autres consultations avec la demanderesse. M. Hornby a écrit à la demanderesse pour lui dire qu'il serait utile de consulter les personnes les plus directement visées par les sondages projetés :

     [TRADUCTION]
     [...] Les éclaircissements que je pourrais obtenir de la part des chasseurs et des trappeurs eux-mêmes sur les incidences précises que les activités projetées pourraient avoir sur la chasse et le piégeage me permettraient de bien évaluer les incidences éventuelles de ces activités sur la chasse et le piégeage et de comprendre comment ces incidences jouent. Il sera alors possible de déterminer s'il est possible de réduire ou d'éviter ces incidences en prenant les mesures d'atténuation voulues ou en effectuant les modifications opérationnelles nécessaires ou, si cela est impossible, en explorant d'autres pistes de solution.


[7]      Le 26 janvier 1999, la Première nation Jean-Marie a écrit une lettre dans laquelle elle affirmait qu'elle n'avait pas été mise au courant de la demande et qu'elle insistait pour en être dûment avisée et pour être consultée au sujet des incidences du permis. M. Hornby a répondu en présentant ses excuses pour avoir oublié de mentionner la Première nation Jean-Marie sur la première liste de distribution. Il a fixé au 28 février 1999 la date limite de présentation des observations. La Première nation Jean-Marie a répondu par une lettre datée du 8 février 1999 dans laquelle elle a déclaré que la demande de permis compromettait directement ses réserves en eau et la chasse dans la région. La Première nation Jean-Marie a demandé un délai pour consulter les membres qui seraient touchés par les activités projetées. Elle a également demandé que la demande de permis soit évaluée par quelqu'un d'autre qu'un fonctionnaire et se plaignait de la mauvaise qualité des cartes qui avaient été fournies.

[8]      Le 28 janvier 1999, la demanderesse a insisté pour dire que, comme elle n'avait pas en mains les coordonnées des emplacements de forage, elle n'avait que les coordonnées des claims miniers pertinents, de sorte qu'il lui était impossible d'évaluer les zones et d'élaborer un plan de travail acceptable tant qu'elle ne serait pas mise au courant des zones où les forages auraient lieu. M. Hornby a répondu qu'en raison de la nature même de la prospection minérale en cause, le promoteur ne pouvait savoir, avant de commencer, où se trouveraient les emplacements de forage effectifs. C'est à partir des résultats de la carotte obtenue lors d'un forage que l'on peut déterminer où se trouvera le prochain site de forage :

     [TRADUCTION]
     Comme le processus est dynamique et que les décisions sur le lieu de forage sont prises au jour le jour en fonction des renseignements obtenus grâce à la carotte extraite des terres ce jour-là, il n'est pas possible pour le promoteur de préciser l'emplacement du forage à l'étape de la demande de permis. Il est donc nécessaire de mettre au point une procédure d'examen des demandes de permis qui permette de connaître avec suffisamment de précision les répercussions éventuelles et de concevoir des mesures d'atténuation suffisantes sans connaître l'emplacement précis de chaque forage.
     Je sais que c'est possible. On y est parvenu un nombre indéfini de fois par le passé et on a obtenu des résultats remarquables. Je suis sûr qu'on peut le faire dans ce cas-ci aussi.


[9]      Dans le cadre de sa décision de consulter davantage la demanderesse, Sa Majesté a convenu de financer une étude devant être réalisée par la demanderesse. Les parties n'ont pas réussi à s'entendre sur l'ampleur que devait avoir cette étude.

[10]      La demanderesse a remis le 12 février 1999 un plan de travail dont le coût était estimé à 66 575 $. M. Hornby a rejeté ce plan de travail, en affirmant qu'il ne convenait pas, étant donné qu'il concernait une exploitation minière de grande envergure, alors que le permis d'utilisation des terres n'autorisait que des forages d'exploration. Il a également informé la demanderesse que moins de un pour cent des sites de forage deviennent par la suite des mines :

     [TRADUCTION]
     Vous avez joint à votre lettre du 12 février un plan de travail dans lequel il est question d'évaluer les répercussions éventuelles d'une exploitation minière. Cela n'est de toute évidence pas nécessaire ou justifié pour le moment. Moins de un pour cent des travaux de prospection de gisements de minéraux effectués par forage au diamant se soldent par une exploitation minière une fois les étapes d'exploration et de forage de délimitation progressives franchies. L'approbation du forage au diamant ne se traduit pas automatiquement par l'approbation de l'une quelconque des étapes subséquentes nécessaires pour procéder à la mise en valeur de la mine. Il n'est pas nécessaire -- ni d'ailleurs permis par la loi actuelle -- d'examiner un projet de forage d'exploration au diamant dans le contexte d'une éventuelle mise en valeur d'une mine.


[11]      M. Hornby a expliqué que les activités d'utilisation des terres qui seraient entreprises consisteraient en le forage de douze trous de sonde au moyen d'une foreuse au diamant assistée par un hélicoptère.

     [TRADUCTION]
     En termes simples, il s'agit de percer jusqu'à douze trous de forage au diamant à l'aide d'une foreuse au diamant assistée d'un hélicoptère. Le forage aura lieu soit dans une clairière naturelle de la forêt, soit, au besoin, dans une zone dégagée à la main d'une superficie suffisante pour recevoir la foreuse et l'hélicoptère. La foreuse sera transportée d'un lieu de forage à l'autre par hélicoptère, ce qui implique plusieurs trajets aller-retour d'un endroit à l'autre. L'équipe de forage, qui compte deux hommes, est transportée par hélicoptère jusqu'au lieu de forage, d'où elle est également transportée par hélicoptère, ce qui suppose deux voyages par jour. La foreuse au diamant nécessite quelques milliers de litres d'eau pour le forage de chaque trou de sonde. On s'approvisionne habituellement en eau auprès d'un plan d'eau local. Outre la carotte de sondage qui est extraite du sol grâce à la foreuse et qui est examinée et entreposée dans des caisses à l'emplacement du forage, la foreuse produit aussi une petite quantité d'agrégats rocheux, dont la granulité varie entre celle de lamelles argileuses à celle du sable fin. Ces havrits sont normalement déposés avec l'eau de forage dans un bassin ou dans une petite dépression naturelle pour les empêcher de se déverser dans des eaux où fraie le poisson. Aucun campement n'est prévu pour cette opération, étant donné que l'équipe logera dans des locaux commerciaux déjà existants.


[12]      M. Hornby a déclaré que, pour son enquête, il avait besoin d'une personne pour rencontrer la plupart, sinon la totalité des huit trappeurs mentionnés dans la correspondance déjà évoquée, pour recueillir leur opinion au sujet des incidences que les activités projetées auraient sur leurs activités de chasse et de piégeage. Il a précisé qu'il prévoyait que le tout ne prendrait que quelques semaines et coûterait entre 3 000 $ et 5 000 $. Il a ajouté que, si la demanderesse n'était pas en mesure d'appuyer cette façon de procéder à l'aide des sources de financement actuelles dont elle disposait en vertu de l'Aide provisoire en matière de gestion des ressources (APGR), le bureau de M. Hornby devait en être informé. La demanderesse avait déjà obtenu pour l'année un financement d'environ quatre vingt mille dollars dans le cadre de l'APGR.

[13]      Le désaccord s'est poursuivi. La demanderesse insistait pour qu'aucune activité minière ou activité d'utilisation des terres ne soit entreprise sans son consentement (en vertu, respectivement du Règlement sur l'exploitation minière au Canada, C.R.C., ch. 1516 et du Règlement sur l'utilisation des terres territoriales). Dans une lettre datée du 29 juillet 1999, M. Hornby a une fois de plus précisé ce qu'il estimait être la portée de l'enquête exigée :

     [TRADUCTION]
     Je me suis effectivement engagé à fournir jusqu'à 5 000 $ pour aider à répondre aux questions précises que j'ai posées dans mes lettres du 26 février et du 20 janvier 1999. Il s'agirait de préciser l'identité des trappeurs qui utilisent le secteur, à les interroger pour délimiter les territoires de piégeage et connaître les zones à risque, telles que les terres salines et les dépressions. Les trappeurs pourraient expliquer en quoi ils estiment que le forage au diamant assisté par hélicoptère pourrait nuire à leurs activités.


[14]      À la lecture de l'ensemble de la correspondance, la position de M. Hornby semble être la suivante. Il ne serait pas prêt à empêcher les mesures qui seraient prises pour atténuer le préjudice causé aux populations touchées par les sondages. Dans une lettre adressée le 7 décembre 1999 au géologue de Mme Bernier, M. Hornby explique, par exemple, que si un trappeur réussissait à démontrer que les sondages lui causeraient un préjudice, [TRADUCTION] « le permissionnaire pourrait être forcé de lui verser une indemnité » .

[15]      En tout état de cause, la demanderesse a écrit le 10 septembre 1999 à M. Hornby pour l'informer qu'elle acceptait les 5 000 $, mais qu'elle continuerait à essayer d'obtenir du financement supplémentaire pour évaluer les répercussions des activités projetées. La demanderesse a joint à cette lettre un plan de travail d'une envergure semblable à celle du plan initialement soumis et elle s'est plainte une fois de plus de ne pas être informée de l'emplacement effectif des forages. M. Hornby n'a pas répondu à cette lettre.

Analyse des prétentions et moyens des parties

     (i) Annulation de la décision - Absence de portée pratique

[16]      Le procureur général a reconnu, avant l'ouverture des débats, que le permis devait être annulé. Il avait été convenu que la demanderesse recevrait une somme de 5 000 $ pour lui permettre de consulter ceux de ses membres qui étaient susceptibles d'être directement touchés par la délivrance du permis, ainsi que le gestionnaire d'utilisation des terres. Cet engagement n'a pas été respecté. Si j'ai bien compris sa thèse, le procureur général soutient que les principes ordinaires de la justice naturelle et le principe des attentes raisonnables exigent que l'engagement qui a été pris soit respecté et qu'en conséquence, la décision qui fait l'objet du présent contrôle judiciaire devrait être annulée.

[17]      Le procureur général soutient que le reste de la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse devient de ce fait sans objet et que la Cour ne devrait pas l'examiner. À titre subsidiaire, il affirme que les autres réparations sollicitées par la demanderesse ne pourraient être examinées que si la demande était convertie en action.

[18]      La demanderesse et la défenderesse Bernier s'opposent à ce que la Cour annule la décision de M. Hornby sans examiner aussi les autres réparations demandées. Elles estiment toutes les deux que, si la Cour se contente de renvoyer l'affaire à un autre gestionnaire d'utilisation des terres pour qu'il l'examine, certaines questions constitutionnelles demeureront en suspens, ce qui obligerait les parties revenir à nouveau devant le tribunal plus tard, prolongeant ainsi le litige. L'avocat de Mme Bernier craint notamment que sa cliente se retrouve au centre d'une controverse qu'elle n'aurait pas suscitée et il se dit d'avis qu'on devait trouver une solution pratique au litige. Il estime que la pierre d'achoppement est le désaccord sur l'ampleur des renseignements dont la demanderesse a besoin pour pouvoir procéder à des consultations satisfaisantes.

[19]      L'avocat de la demanderesse a pour sa part soutenu que le règlement des questions en litige ne devrait pas être considéré comme une question sans portée pratique et il n'est pas d'accord pour que les aspects de la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse qui ne sont toujours pas résolus soient convertis en une action. Il affirme qu'il n'est pas nécessaire qu'on tienne un long procès dans chaque cause portant sur les droits ancestraux pour pouvoir trancher le débat et que les questions en litige en l'espèce peuvent être tranchées dans le cadre d'un contrôle judiciaire.

[20]      J'accepte l'argument selon lequel l'instance en contrôle judiciaire devrait se poursuivre en ce qui concerne les aspects de la demande sur lesquels les parties sont toujours en désaccord. Les points litigieux sont en grande partie des points de droit. En outre, compte tenu du fait que c'est la demanderesse qui a introduit la présente instance, il y a lieu de faire preuve d'une certaine retenue à l'égard de la thèse de la demanderesse en ce qui a trait à la procédure à suivre. Je suis donc d'accord pour dire que, dans toute la mesure du possible, la façon la plus économique pour toutes les personnes en cause de trancher les questions non encore résolues consiste à le faire dans le cadre de la présente instance.

     (ii) Régalement sur l'exploitation minière au Canada

[21]      Le Règlement sur l'exploitation minière au Canada prévoit la délivrance de licences de prospection relativement à des terres domaniales situées dans les Territoires du Nord-Ouest. Le registraire minier est tenu d'enregistrer un claim à la demande d'un titulaire de licence, à condition que les dispositions du Règlement sur l'exploitation minière au Canada aient été respectées. Les claims de Mme Bernier ont été jalonnés et enregistrés selon cette procédure.

[22]      Mme Bernier a ensuite demandé la permission de procéder à des sondages dans les zones visées par les claims. Ainsi que je l'ai déjà signalé, cette permission est accordée par un gestionnaire de l'utilisation des terres en vertu du Règlement sur l'utilisation des terres territoriales.

[23]      La demanderesse conteste la constitutionnalité du Règlement sur l'exploitation minière au Canada au motif qu'il permet la prospection et le jalonnement et l'enregistrement de claims sur les terres en question sans que la demanderesse soit consultée. Elle soutient que le Règlement est par conséquent inconstitutionnel. La décision qui fait l'objet du présent contrôle judiciaire est celle que M. Hornby a prise le 9 décembre 1999 en vertu du Règlement sur l'utilisation des terres territoriales. Cette décision ne met pas en jeu le Règlement sur l'exploitation minière au Canada. La décision de délivrer à Mme Bernier une licence ou un permis de prospection et d'enregistrer par la suite les claims jalonnés par elle constitue une décision antérieure qui est distincte de celle qui fait l'objet du présent contrôle judiciaire. Il n'est pas loisible à la demanderesse de contester le Règlement sur l'exploitation minière au Canada en l'espèce. Qui plus est, l'article 302 des Règles de la Cour fédérale prévoit qu'une demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule décision. Or, les décisions qui ont été prises en vertu du Règlement sur l'exploitation minière au Canada sont non seulement des décisions antérieures distinctes de la décision visée par la présente demande, mais le fait d'intégrer ces décisions dans la présente instance irait à l'encontre de l'article 302 des Règles.

     (iii) Constitutionnalité du Règlement sur l'utilisation des terres territoriales

[24]      L'avocat de la demanderesse invoque l'arrêt R. c. Adams, [1996] 3 R.C.S. 101 au soutien de son affirmation que le Règlement sur l'utilisation des terres territoriales est inconstitutionnel parce qu'il ne renferme aucune indication explicite sur la façon dont on doit tenir compte des droits issus de traités en question. Au paragraphe 54 de l'arrêt Adams, le juge en chef Lamer affirme que le législateur fédéral ne pouvait pas se contenter d'établir un régime administratif fondé sur l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire non structuré qui risquerait de porter atteinte aux droits ancestraux en l'absence d'indications explicites contenues dans la loi en ce qui concerne les modalités d'exercice de ce même pouvoir discrétionnaire.

     [54]      Je suis d'avis que la même analyse ne devrait pas être adoptée pour déterminer s'il y a atteinte aux droits visés par le par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 . Compte tenu des obligations uniques de fiduciaire qu'a la Couronne envers les peuples autochtones, le Parlement ne peut pas se contenter d'établir un régime administratif fondé sur l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire non structuré et qui, en l'absence d'indications explicites, risque de porter atteinte aux droits ancestraux dans un nombre considérable de cas. Si une loi confère un pouvoir discrétionnaire administratif susceptible d'entraîner d'importantes conséquences pour l'exercice d'un droit ancestral, cette loi ou son règlement d'application doit énoncer des critères précis, balisant l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'accueillir ou de refuser les demandes et tenant compte de l'existence des droits ancestraux. En l'absence de telles indications précises, la loi ne donne pas aux représentants de l'État des directives suffisantes pour leur permettre de s'acquitter de leurs obligations de fiduciaire, et, suivant le critère établi dans Sparrow, on jugera que la loi porte atteinte aux droits ancestraux.


[25]      L'arrêt Adams n'est pas utile pour se prononcer sur les dispositions législatives en cause en l'espèce. Dans l'affaire Adams, le règlement provincial en cause habilitait le ministre à délivrer « un permis spécial dans lequel il détermine les conditions, autoris[ant] un Indien ou un Inuk, une bande d'Indiens ou un groupe d'Inuit à prendre du poisson pour se nourrir. » Dans ce contexte, la Cour a statué que le régime de réglementation ne suffisait pas à restreindre le droit ancestral de pêcher. Le règlement en question n'a pas été déclaré inconstitutionnel. Il a été déclaré tout simplement inopérant à l'égard de l'appelant. Le passage précité ne signifie pas que tout texte législatif provincial ou fédéral d'application générale qui serait susceptible de porter atteinte aux droits ancestraux doit renfermer des dispositions tenant compte des droits ancestraux. L'arrêt Adams n'est d'aucune utilité pour la demanderesse.

     (iv) Éléments dont l'auteur de la décision ne disposait pas

[26]      Le procureur général soutient qu'une grande partie des documents déposés à l'appui de la demande de la demanderesse ne sont pas admissibles parce qu'ils n'ont pas été portés à la connaissance de l'auteur de la décision en cause. Le dossier dont l'auteur de la décision, M. Hornby, disposait a été soumis à la Cour le 28 janvier 2000. Après cette date, six affidavits ont été produits au soutien de la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse. Le procureur général a par la suite déposé deux affidavits en réponse à ces affidavits. Dans l'intervalle, la demanderesse a déposé une requête en suspension du permis d'utilisation des terres jusqu'à ce que la demande de contrôle judiciaire soit tranchée au fond. À l'appui de cette requête, la demanderesse a déposé l'affidavit de Petr Cizeck, auquel était annexé un rapport de juin 1998 intitulé Liidlii Kue First Nation Traditional Land Use and Occupancy Mapping Project (1997-98). Final Report. Ce rapport a été mis à jour en février 2000 par l'ajout des coordonnées des claims miniers de Mme Bernier sur les cartes que l'on trouve dans le rapport.

[27]      Mme Bernier a ensuite déposé trois affidavits à l'appui de sa thèse que la Cour ne devait pas accorder la suspension demandée. Il s'agit des affidavits souscrits par Mme Keough et par MM. Crichton et Broadbent respectivement. M. Crichton est un biologiste de la faune. Il s'est dit d'avis que [TRADUCTION] « bien que les vols à basse altitude qui seront effectués régulièrement au-dessus de la même zone risquent de causer le déplacement de certaines espèces fauniques hors de cette zone [...] l'ampleur des vols par hélicoptère projetés [pour procéder aux sondages] n'aura aucun incidence marquée sur l'une quelconque des espèces fauniques se trouvant dans les environs immédiats de la zone visée et ne provoquera pas le déplacement de certaines espèces fauniques vers l'extérieur de leur aire de distribution géographique habituelle » .

[28]      Mme Keough, la géologue de Mme Bernier qui avait travaillé dans la région où se trouvent les claims, a déclaré dans son affidavit qu'elle n'avait jamais trouvé d'indices de parcours de piégeage ou de sentiers de trappeurs dans les zones en question. Elle a également affirmé qu'à cause de la proximité de l'aéroport de Fort Simpson, les zones en question faisaient déjà l'objet de fréquents vols à basse altitude. M. Broadbent, qui est un pilote d'hélicoptère commercial, a confirmé que les claims se trouvaient dans une zone faisant l'objet de fréquents vols à basse altitude et qu'en règle générale, les animaux sauvages sont plutôt insensibles aux mouvements des hélicoptères. Il a également affirmé qu'il lui était souvent arrivé de prendre et de déposer des membres des Premières nations dans la région, à leur demande, et de transporter pour leur compte de l'équipement et des fournitures.

[29]      Le 21 mars 2000, date à laquelle il a été saisi de la requête en suspension, le juge Gibson a ordonné que la demande de contrôle judiciaire soit instruite sur le fond selon la procédure accélérée. Il a ensuite établi de consentement le calendrier de toutes les mesures préalables à l'audition. Le calendrier prévoyait le dépôt d'autres affidavits au plus tard le 7 avril 2000, ainsi que la tenue de contre-interrogatoires sur ces affidavits. La demanderesse a déposé le 7 avril 2000 un nouvel affidavit souscrit par un biologiste de la faune, M. Morgantini. M. Morgantini s'est dit d'avis que les travaux d'exploration projetés étaient susceptibles d'avoir des répercussions néfastes sur les espèces sauvages de la région, ce qui n'a pu être confirmé, faute de meilleures données de base.

[30]      Tous les éléments susmentionnés ont été versés aux dossiers de la demande qui avaient été produits en vue de l'audition de la demande de contrôle judiciaire. Je suis d'accord pour dire qu'une grande partie des renseignements contenus dans ces affidavits n'avaient pas été portés à la connaissance de l'auteur de la décision. Il est d'ailleurs regrettable que le rapport de 1998 de M. Petr Cizeck n'ait pas été remis à M. Hornby en janvier 1999. L'omission de la demanderesse de révéler qu'elle avait à l'époque ces renseignements en main soulève des doutes quant au manque de franchise qui a marqué ses rapports avec M. Hornby.

[31]      Le principe suivant lequel le contrôle judiciaire d'une décision ne peut avoir lieu qu'en fonction des éléments dont disposait son auteur s'applique lorsqu'une décision est contestée au motif qu'elle est fondée sur une conclusion de fait erronée tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont l'auteur de la décision disposait. Or, la contestation de la décision en cause en l'espèce ne repose pas sur ces motifs. Elle repose sur l'argument que l'auteur de la décision était tenu de consulter suffisamment la demanderesse, que ces consultations n'ont pas eu lieu et qu'on n'envisage pas en tenir.

[32]      Lorsqu'une décision est contestée au motif que l'équité procédurale n'a pas été respectée étant donné qu'on n'a pas accordé à la personne qui s'estime lésée une possibilité suffisante de faire valoir son point de vue, il arrive le plus souvent qu'on produise des éléments d'information dont ne disposait pas l'auteur de la décision. En l'espèce, les éléments de preuve se rapportant au statut de la demanderesse et à la question de savoir s'il existe une obligation de la consulter, de même que la portée de cette obligation, constituent des éléments de preuve pertinents, même s'ils n'avaient peut-être pas été portés à la connaissance de l'auteur de la décision. Dans la mesure où les nouveaux éléments de preuve se rapportent à ces questions, c'est à bon droit qu'ils ont été versés aux dossiers de la demande.


     (v) Obligation de présenter une nouvelle demande

[33]      La demanderesse affirme que, non seulement la décision visée par le présent contrôle judiciaire devrait-elle être annulée, mais qu'en outre, la Cour devrait enjoindre à Mme Bernier de déposer une nouvelle demande devant l'Office des terres et des eaux de la vallée du Mackenzie. Cet office, qui a été constitué sous le régime de la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie, L.C. 1988, ch. 25, est charge de décider toutes les demandes de permis d'utilisation des terres présentées après le 21 mars 2000.

[34]      Les dispositions législatives applicables précisent bien que l'Office des terres et des eaux de la vallée du Mackenzie a compétence sur les permis d'utilisation des terres déposées après la création de l'Office, le 31 mars 2000. Les demandes déposées avant cette date continuent à être jugées conformément au Règlement sur l'utilisation des terres territoriales. Le paragraphe 154(1) de la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie dispose :

     154. (1) Sont instruites en conformité avec les règlements d'application de la Loi sur les terres territoriales -- dans leur version en vigueur au moment de la présentation -- les demandes présentées en vertu de ces textes avant l'entrée en vigueur des articles 54 et 56 ou 99 et relatives à l'utilisation des terres soit d'une région désignée, soit de toute autre région de la vallée du Mackenzie, selon le cas.


[35]      Ni Mme Bernier, ni le procureur général ne désirent reprendre le processus depuis le début. Ils souhaitent protéger dans toute la mesure du possible le travail d'enquête et de consultation qui a déjà été fait.

[36]      Bien que je convienne que la Cour peut avoir compétence, dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire, pour accorder la réparation demandée (le dépôt d'une demande entièrement nouvelle), j'estime qu'il n'y a pas lieu de prendre une telle mesure dans le cas qui nous occupe. Il n'y a aucune raison convaincante de rendre une telle ordonnance.

     (vi) La Première nation Jean-Marie

[37]      L'avocat de la demanderesse a fait état des [TRADUCTION] « vives préoccupations » formulées par la Première nation Jean-Marie au sujet de la délivrance du permis de forage et il affirme qu'on n'a jamais répondu à ces préoccupations. La Première nation Jean-Marie n'est pas intervenue à la présente instance en contrôle judiciaire en tant que codemanderesse et elle n'a introduit aucune instance de son propre chef. Ses présumées « vives préoccupations » n'ont donc pas été portées à l'attention de la Cour.

     (vii) Nature des droits de la demanderesse

[38]      Les terres visées par le permis de forage se trouvent sur un territoire assujetti au traité no 11. Ce traité a été signé par différentes bandes à compter du 21 juin 1921. La dernière signature a eu lieu à Laird River le 17 juillet 1922. Le Traité a été ratifié au moyen de décrets datés du 22 octobre 1921 et du 29 mars 1923. Il est utile d'en reproduire certains extraits :

     [...] ET CONSIDÉRANT que les dits Indiens ont été notifiés et informés par ledit commissaire de Sa Majesté que c'est le désir de Sa Majesté d'ouvrir à la colonisation, à l'immigration, au commerce, aux opérations minières et forestières et à telles autres fins que Sa Majesté pourra trouver convenables, une étendue de pays, bornée et décrite, tel que ci-après mentionné et d'obtenir à cet égard le consentement de ses sujets indiens habitant le dit pays, et de faire un Traité et de s'arranger avec eux, de manière que la paix et la bonne harmonie puissent exister entre eux et les autres sujets de Sa Majesté, et qu'ils puissent connaître et savoir avec certitude quels octrois ils peuvent espérer recevoir de la générosité et de la bienveillance de Sa Majesté;
                         [...]
         ET CONSIDÉRANT que le dit Commissaire a procédé à négocier un traité avec les Esclaves, les Côtes-de-Chien, les Loucheux, les Lièvres et les autres Indiens habitant le district ci-après défini et décrit, et que ce traité a été finalement accepté et conclu par les bandes respectives aux dates ci-dessus mentionnées, les dits indiens par le présent, cèdent, abandonnent, remettent et rendent au gouvernement de la Puissance du Canada pour Sa Majesté le Roi et ses successeurs à toujours, tous droits, titres et privilèges quelconques qu'ils peuvent avoir aux terres comprises dans les limites suivantes, savoir:
                         [...]
         ET AUSSI tous leurs droits, titres et privilèges quelconques à toutes autres terres situées dans les Territoires du Nord-Ouest et du Yukon ou dans toute autre partie du Canada.
         Pour, Sa Majesté le Roi et Ses Successeurs, avoir et posséder les dits droits, titres, et privilèges à toujours.
         ET Sa Majesté le Roi convient par les présentes avec les dits Indiens qu'ils auront le droit de se livrer à leurs occupations ordinaires de la chasse au fusil, de la chasse au piège et de la pêche dans l'étendue de pays cédée telle que ci-dessus décrite, subordonnées à tels règlements qui pourront être faits de temps à autre par le gouvernement du pays agissant au nom de Sa Majesté et sauf et excepté tels terrains qui de temps à autre pourront être requis ou pris pour des fins d'établissements, de mine, de commerce de bois, ou autres objets.
         Et Sa Majesté le Roi par les présentes convient et s'oblige de mettre à part des réserves pour chaque bande, pourvu que ces réserves n'excèdent pas en tout un mille carré pour chaque famille de cinq personnes, ou dans la même proportion pour des familles plus ou moins nombreuses ou petites.
                             [Non souligné dans l'original.]


[39]      Les traités étaient des ententes verbales qui ont été expliquées aux Indiens puis consignées par écrit par les négociateurs de Sa Majesté. Une série de principes régissant l'interprétation de ces traités ont été élaborés par les tribunaux. Ces principes sont résumés dans l'arrêt Saanichton Marina Ltd. v. Tsawout Indian Band, (1989), 57 D.L.R. (4th) 161 (C.A.C.-B.). Ce résumé est fondé sur les principes posés dans les arrêts Nowegijick c. R., [1983] 1 R.C.S. 29, Simon c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 387, R.c. Bartleman, (1984), 12 D.L.R. 73 (C.A.C.-B.) et Taylor v. La Reine, (1981), 34 O.R. (2d) 360 (C.A. Ont.).

[40]      Ces principes ont été approfondis plus récemment par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Badger, [1996] 1 R.C.S. 771. Le juge Cory déclare, à la page 798 :

     [...] il faut garder à l'esprit les principes d'interprétation applicables. Les traités et les lois qui concernent les Indiens doivent être interprétés de façon libérale, et toute incertitude ou ambiguïté doit profiter aux Indiens. En outre, le tribunal qui examine un traité doit tenir compte du contexte dans lequel les traités ont été négociés, conclus et couchés par écrit. En tant qu'écrits, les traités constataient des accords déjà conclus verbalement, mais ils ne rapportaient pas toujours la pleine portée de ces ententes verbales : voir Alexander Morris, The Treaties of Canada with the Indians of Manitoba and the North-West Territories (1880), aux pp. 338 à 342; Sioui, précité, à la p. 1068; Report of the Aboriginal Justice Inquiry of Manitoba (1991); Jean Friesen, Grant me Wherewith to Make my Living (1985). Les traités, qui ont été rédigés en anglais par des représentants du gouvernement canadien qui, on le présume, connaissaient les doctrines de common law, n'ont toutefois pas été traduits, par écrit, dans les diverses langues (en l'espèce le cri et le déné) des nations indiennes qui en étaient signataires. D'ailleurs, même s'ils l'avaient été, il est peu probable que les Indiens, qui communiquaient exclusivement oralement, les auraient interprétés différemment. Par conséquent, il est bien établi que le texte d'un traité ne doit pas être interprété suivant son sens strictement formaliste, ni se voir appliquer les règles rigides d'interprétation modernes. Il faut plutôt lui donner le sens que lui auraient naturellement donné les Indiens à l'époque de sa signature. Cela vaut également pour les mots d'un traité qui ont pour effet de limiter le droit accordé dans celui-ci. Voir Nowegijick, précité, à la p. 36; Sioui, précité, aux pp. 1035, 1036 et 1044; Sparrow, précité, à la p. 1107; et Mitchell, précité, où le juge La Forest a fait état de l'importante différence qui existe entre l'interprétation des traités avec les Indiens et des lois touchant ces derniers.


[41]      Le rapport soumis le 12 octobre 1921 par le commissaire au traité no 11 (H.A. Conroy) au surintendant général adjoint du Département des Affaires indiennes est semblable à celui qui avait été présenté au sujet du traité no 8 dont il était question dans l'arrêt R. c. Badger. Il fait état de toutes les adhésions au Traité, sauf celles de Fort Liard. C'est M. T.W. Harris qui était commissaire lors de la signature de Fort Liard. Voici un extrait du rapport du commissaire Conroy sur le traité no 11 :

     [TRADUCTION]
     Nous avons rencontrés les Indiens à plusieurs reprises et leur avons expliqué les conditions du traité. Ils étaient impatients de poser des questions et, comme dans tous les autres postes où nous avons eu à faire signer le traité, ces questions et les difficultés rencontrées se sont révélées être à peu près les mêmes. Les Indiens semblaient entre autres craindre qu'on leur enlève ou qu'on réduise leur liberté de chasse, de piégeage et de pêche, mais nous les avons assurés qu'il n'en serait rien, le gouvernement s'attendant à ce qu'ils continuent d'assurer eux-mêmes leur subsistance et prévoyant leur donner, aux termes du traité, plus de ficelle à rets et de munitions qu'il n'avait été prévu dans aucun traité antérieur. Ces renseignements ont contribué pour beaucoup à apaiser leurs craintes. Nous leur avons en outre signalé que les lois sur le gibier étaient à leur avantage et que, indépendamment de leur adhésion au traité, ils demeuraient assujettis aux lois du Dominion. Ils semblaient également craindre que la signature du traité les contraigne au service militaire ou les confine dans leurs réserves. Mais, lorsque nous leur avons appris qu'ils seraient exemptés du service militaire, qu'ils choisiraient eux-mêmes, pour leur usage et non celui des blancs, les réserves mentionnées dans le traité et qu'ils seraient libres d'aller et venir comme bon leur semblerait, ils ont semblé satisfaits.

[42]      La présente affaire porte donc sur les obligations auxquelles Sa Majesté est assujettie relativement à des terres pour lesquelles un traité abolissant le titre autochtone a été signé, lequel traité accorde par ailleurs aux Indiens le droit de se livrer à leurs occupations ordinaires de chasse au fusil, de piégeage et de pêche, sauf sur les terrains qui « de temps à autre pourront être requis ou pris pour des fins [...] de mine » et à l'égard desquels il y a certains éléments de preuve tendant à démontrer que des assurances ont été données aux Indiens pour leur garantir que leur mode de vie ne serait pas touché (voir l'affidavit du chef Rita Cli).

[43]      Bien que la demanderesse fonde sa réclamation sur le droit issu du traité susmentionné, son avocat cite des décisions qui semblent remettre en question la constitutionnalité du traité en question. L'avocat de la demanderesse cite en effet la décision rendue par le juge Morrow dans l'affaire Paulette's Application, [1973] 6 W.W.R. 97 (T.N.-O.). Dans cette décision, le juge Morrow a conclu qu'il était incontestable que le traité no 11 avait éteint le titre autochtone sur les terres en question. Il s'est demandé s'il y avait effectivement eu accord de volonté entre les Indiens et les négociateurs du gouvernement. La Cour d'appel des Territoires du Nord-Ouest ([1976] 2 W.W.R. 193) et la Cour suprême du Canada ([1977] 2 R.C.S. 628) n'ont ni l'une ni l'autre confirmé la décision du juge Morrow, mais elles n'ont pas fait allusion à la possible inconstitutionnalité du Traité. Cette question n'a pas été abordée. Bien que l'avocat de la demanderesse ait cité la décision du juge Morrow, lors du débat, il a expliqué qu'il avait été décidé de ne pas soumettre à la Cour, dans le cadre de la présente demande, des éléments de preuve se rapportant à la constitutionnalité du traité.

[44]      Compte tenu du fait que la demanderesse a demandé à la Cour de rendre sa décision sur le fondement du présent dossier, je dois tirer une conclusion sur la nature des droits de la demanderesse en fonction des éléments de preuve qui ont été portés à ma connaissance, ce qui n'empêcherait pas un autre tribunal de procéder plus tard à un examen plus fouillé à la lumière d'autres éléments de preuve.

[45]      Je vais donc examiner en l'espèce la nature des droits de la demanderesse en fonction des droits de la demanderesse qui sont exposés dans le texte du Traité qui a été déposé en preuve et qui est complété par le rapport du commissaire qui a également été versé au dossier. Je tiendrai également compte de l'affidavit du chef Rita Cli, ainsi que des affidavits souscrits par les autres membres de la Première nation Liidlii Kue.

[46]      Selon mon interprétation, le droit conféré par le Traité est un droit limité ou conditionnel, celui de chasser, de trapper et de pêcher sur des terres domaniales inoccupées tant que Sa Majesté ne les réquisitionnera pas. Il n'est pas nécessaire dans le cas qui nous occupe d'examiner les restrictions à la portée de la « prise » à laquelle Sa Majesté peut procéder tout en respectant les engagements qu'elle a pris envers les Indiens en leur garantissant qu'ils pourraient conserver leur mode de vie, étant donné que l'utilisation visée est extrêmement limitée, parce qu'elle est temporaire et ne vaut que pour un territoire peu étendu.

     (vi) Obligation de consulter

[47]      Je conviens que Sa Majesté est assujettie à une obligation constitutionnelle de consulter ceux qui exercent en vertu d'un traité le droit de chasser, de trapper et de pêcher sur des terres domaniales inoccupées lorsque Sa Majesté décide d'occuper les terres en question. Les traités précisent que ce droit vaut tant que les terrains ne sont pas « requis ou pris » (dans les présents motifs, j'emploie le mot « occuper » dans le même sens que les termes « requis ou pris » , et le mot « inoccupé » au sens de « [territoire] non requis ou pris » ).

[48]      Bien que l'affaire Delgamuukw c. Colombie-Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010, portât sur des terres sur lesquels le titre ancestral des Indiens n'avait pas été éteint par traité, le principe de la consultation énoncé dans cet arrêt était libellé en des termes généraux. La Cour a précisé que ce principe s'appliquait non seulement lorsque le titre aborigène était en litige, mais également lorsque des droits issus de traités portant sur des terres de réserve étaient en cause. Voici en quels termes le juge en chef Lamer s'est exprimé à la page 1113 :

     [...] Il y a toujours obligation de consultation. La question de savoir si un groupe autochtone a été consulté est pertinente pour décider si l'atteinte au titre aborigène est justifiée, au même titre que le fait pour la Couronne de ne pas consulter un groupe autochtone au sujet des conditions auxquelles des terres d'une réserve sont cédées à bail peut constituer un manquement à l'obligation de fiduciaire de celle-ci en common law (Guerin). La nature et l'étendue de l'obligation de consultation dépendront des circonstances. Occasionnellement, lorsque le manquement est moins grave ou relativement mineur, il ne s'agira de rien de plus que la simple obligation de discuter des décisions importantes qui seront prises au sujet des terres détenues en vertu d'un titre aborigène. Évidemment, même dans les rares cas où la norme minimale acceptable est la consultation, celle-ci doit être menée de bonne foi, dans l'intention de tenir compte réellement des préoccupations des peuples autochtones dont les terres sont en jeu. Dans la plupart des cas, l'obligation exigera beaucoup plus qu'une simple consultation. Certaines situations pourraient même exiger l'obtention du consentement d'une nation autochtone, particulièrement lorsque des provinces prennent des règlements de chasse et de pêche visant des territoires autochtones.

De la même façon, il semble que cette exigence doive s'appliquer aux droits issus de traités d'une portée plus restreinte tels que le droit de chasser, de trapper et de pêcher sur des terres domaniales inoccupées.

[49]      En outre, dans l'arrêt Halfway River First Nation v. British Columbia (Minister of Forests), [1999] 4 C.N.L.R., la Cour d'appel de la Colombie-Britannique s'est prononcée sur l'obligation de consultation lorsqu'on envisage de restreindre éventuellement le droit de chasser et de pêcher à des fins de subsistance sur des terres domaniales inoccupées (en vertu du Traité no 8). Le libellé des dispositions pertinentes de ce traité est semblable à celui du Traité no 11.

[50]      Bien qu'une partie du raisonnement suivi dans ces décisions implique l'existence d'une obligation constitutionnelle (voir, par exemple, le paragraphe 191 de l'arrêt Halfway River), aucun de ces deux arrêts n'élève explicitement l'obligation de consultation au rang d'obligation constitutionnelle. L'arrêt Halfway River reposait sur des dispositions législatives et réglementaires provinciales qui rendaient la consultation obligatoire. Par ailleurs, il est difficile de considérer comme constitutionnels des textes législatifs provinciaux ou fédéraux qui prétendent supprimer une obligation de consultation imposée par la common law. Je suis disposée à accepter que la reconnaissance et la confirmation des droits issus de traités dont il est question au paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 s'accompagnent de l'obligation constitutionnelle imposée à Sa Majesté de consulter ceux qui possèdent en vertu d'un traité le droit de chasser, de trapper et de pêcher sur des terres domaniales inoccupées dans des circonstances comme celles de l'espèce.

[51]      En tout état de cause, M. Hornby a reconnu l'existence d'une obligation de consultation (sans juger nécessaire d'établir le fondement juridique de cette obligation), ainsi qu'il ressort à l'évidence des faits suivants. Mme Bernier a d'abord présenté une demande de permis d'utilisation des terres en demandant la modification du permis d'utilisation des terres dont elle était déjà titulaire. M. Hornby a refusé d'accorder cette modification. Dans une lettre en date du 27 novembre 1998, il a expliqué de la façon suivante sa décision : [TRADUCTION] « La zone pour laquelle vous sollicitez une autorisation ne coïncide pas avec la zone déjà autorisée et avant de pouvoir autoriser des activités sur des terres de la Couronne, je dois m'assurer qu'il n'y aura aucune atteinte aux droits autochtones traditionnels » . M. Hornby a envoyé la demande de permis d'utilisation des terres et les cartes pertinentes à la demanderesse et aux autres personnes intéressées en les invitant à lui adresser leurs observations. M. Hornby a prorogé le délai imparti pour présenter des observations pour permettre des consultations. Il a expressément demandé qu'on consulte ceux qui utilisaient déjà les terres visées. Ainsi, en pratique, la seule raison pour laquelle il est nécessaire en l'espèce de préciser le fondement juridique de la présumée obligation constitutionnelle de consulter est que la Cour a accepté en l'espèce d'examiner les réparations sollicitées par la demanderesse dans sa demande et que le fondement constitutionnel de cette obligation peut être pertinent lorsqu'il s'agit de préciser l'ampleur de l'obligation de consultation.

     (vii) Portée et nature de l'obligation de consultation - Jurisprudence

[52]      Il est de jurisprudence constante que la portée de l'obligation de consultation varie selon la nature des droits ancestraux en question.

[53]      Une grande partie des décisions citées portent sur des droits différents de celui qui nous occupe en l'espèce. Ainsi, les arrêts Delgamuukw et R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075, portaient sur des droits ancestraux lorsqu'il n'y a pas eu extinction du titre aborigène. L'affaire Guerin c. Canada, [1984] 2 R.C.S. 335, portait quant à elle sur des droits ancestraux sur des terres réservées en vertu d'un traité à l'usage exclusif des Indiens (terres de réserve des Indiens). Bon nombre des décisions citées portaient sur l'application des lois provinciales ou fédérales à des Indiens lorsqu'ils exercent leur droit de chasser, de pêcher ou de trapper sur des terres domaniales inoccupées (certaines portaient sur les droits élargis découlant de conventions sur le transfert de ressources naturelles). En l'espèce, la question qui se pose est celle de la portée de l'obligation de consulter lorsque l'Administration fédérale décide d'utiliser ou de permettre à autrui d'utiliser des terres à l'égard desquelles les Indiens ont le droit de chasser, de pêcher et de trapper tant que les terres en question ne seront pas « requises ou prises pour des fins [...] de mine » .

[54]      En plus de varier selon la nature du droit ancestral en question, la portée et la nature des consultations exigées varie aussi selon la portée et la nature des obligations imposées à Sa Majesté en raison de la nature du droit en question. Ainsi, dans l'arrêt Halfway River, le juge Finch a déclaré que le critère de justification posé dans l'arrêt Sparrow s'appliquait aux restrictions apportées aux droits conférés en vertu d'un traité de chasser, de trapper et de pêcher sur des terres domaniales inoccupées :

     [TRADUCTION]
     145.      Il a brièvement été question au paragraphe 83 de l'analyse à laquelle il convient de se livrer pour décider si une atteinte à un droit issu d'un traité est justifiée. Même si l'affaire Sparrow ne portait par sur un traité, je suis d'avis que le même raisonnement s'applique dans une affaire comme celle dont nous sommes saisis qui porte sur des droits ancestraux, étant donné que tant les droits issus de traités que les droits ancestraux sont protégés par le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.
     146.      Pour se prononcer sur la question de la justification, il faut se pencher sur les questions suivantes (qui, selon l'arrêt Sparrow, ne constituent pas une liste exhaustive ou exclusive) :
         1.      L'objectif législatif ou administratif visé est-il suffisamment important pour justifier une atteinte ?
         2.      Les mesures législatives ou administratives prises portent-elles le moins possible atteinte aux droits issus de traités ?
         3.      Les conséquences de l'atteinte l'emportent-elles sur les avantages que comporte les mesures administratives qui ont été prises ?
         4.      Des consultations sérieuses et suffisantes ont-elles eu lieu ?

[55]      En revanche, Mme le juge Huddart s'est dite d'avis que les principes de justification posés dans l'arrêt Sparrow ne s'appliquent pas nécessairement. En ce qui concerne la nécessité de l'existence d'un objectif législatif ou administratif qui soit suffisamment important pour justifier une atteinte, elle a fait remarquer, aux paragraphes 186 et 187 de sa décision, que dans l'arrêt Halfway House, l'atteinte découlait du déboisement des terres visées, ce qui constituait un objectif reconnu par le traité lui-même comme justifiant une atteinte par l'État au droit de chasse conféré par un traité. Le juge Huddart a également estimé que les exigences de l'arrêt Sparrow ne s'appliquaient pas intégralement lorsqu'on concluait que l'utilisation des terres par des non-autochtones et leur utilisation par des autochtones étaient compatibles :

     [TRADUCTION]
     190.      Lorsque l'auteur de la décision a jugé que les utilisations projetées sont compatibles avec le droit ancestral en question, la question qui se pose en est alors une d'harmonisation plutôt qu'une question d'exercice du droit ancestral en question à l'exclusion de l'utilisation projetée de Sa Majesté. Dans l'arrêt Sioui, précité, la Cour a statué qu'il appartenait à la Couronne de « prouver que l'occupation qu'elle fait du territoire ne peut s'accommoder de l'exercice raisonnable des droits des Hurons » si elle veut affirmer que l'occupation du territoire en question est incompatible avec l'exercice des rites et coutumes hurons. Il se peut que ce concept fournisse des points de repère dans le cadre du contrôle judiciaire d'une décision administrative portant sur l'affectation de ressources en fonction d'utilisations compatibles.
     191.      En résumé, pour s'acquitter des obligations constitutionnelles et fiduciaires de Sa Majesté envers Halfway, le directeur régional doit mener des consultations sérieuses et suffisantes avec Halfway pour déterminer la nature et la portée des droits issus du traité en question. Après quoi, ayant déterminé les conséquences de l'utilisation non autochtone projetée, il doit ensuite décider si l'utilisation projetée est compatible avec les droits issus du traité. Dans l'affirmative, il doit chercher à concilier les deux types d'utilisations. C'est sur le fruit de ce travail de conciliation que le tribunal saisi d'une demande de contrôle judiciaire se penchera en tenant compte d'un critère de justification dont les paramètres restent encore à préciser.
     192.      Si le directeur régional conclut que l'utilisation projetée est incompatible avec les droits issus du traité, il doit alors établir les limites géographiques de ces droits. En pareil cas, je suis d'accord avec le juge Finch pour dire que sa décision peut faire l'objet d'un contrôle judiciaire en fonction de l'analyse exposée dans l'arrêt Sparrow.

[56]      Dans l'arrêt R. c. Badger, le juge Cory, qui s'exprimait pour le compte de la majorité, s'est d'abord penché sur la question de la limitation territoriale apportée au droit de chasser conféré par traité qui s'était produite après que l'État eut « requis ou pris » des terres. Il a ensuite examiné la mesure dans laquelle ces droits pouvaient être réglementés au moyen d'une loi provinciale. La Cour a conclu que le droit de chasser issu du traité ne s'étendait pas aux terres qui avaient été « requises ou prises » , c'est-à-dire aux terres affectées à une utilisation manifestement incompatible avec le droit de chasse. Le juge Cory a ensuite appliqué le critère de l'arrêt Sparrow, mais uniquement dans le but de déterminer la mesure dans laquelle une loi provinciale permettait de réglementer le droit de chasser sur des terres qui n'avaient pas été « requises ou prises » .

[57]      La question a de nouveau été abordée dans l'arrêt R. c. Sundown, [1999] 1 R.C.S. 393. L'applicabilité d'une loi provinciale au droit de chasser sur des terres sur lesquelles les Indiens avaient un droit d'accès en vertu du traité no 6 était en litige. La convention de transfert des ressources naturelles conclue avec la Saskatchewan était également en litige. Le juge Cory, qui s'exprimait au nom de la Cour, a énuméré trois restrictions au droit de chasser conféré par le Traité : (1) mesure législative provinciale en matière de conservation qui respecte la norme de justification énoncée dans l'arrêt Sparrow ; (2) compatibilité entre l'utilisation que fait Sa Majesté des terres en cause (dans ce cas, un parc provincial) et le droit issu de traité revendiqué (construire et utiliser une cabane pour chasser) ; (3) clause restreignant l'exercice du droit de chasse aux terrains non « requis ou pris » .

[58]      En ce qui concerne la troisième restriction, le juge Cory écrit ce qui suit, à la page 415 :

     Il s'agit essentiellement d'un sous-ensemble de la deuxième limite puisque, par définition, la prise de terres pour des fins d'établissement est une utilisation de terres par Sa Majesté tout à fait incompatible avec l'exercice du droit de chasse. En conséquence, si les terres du parc étaient transformées en terres destinées à l'établissement, tous les droits sur une cabane de chasse cesseraient d'exister s'il était jugé que le droit de chasse lui-même a été éteint.

Et à la page 417 :

     [...] Le ministère public ne pourrait se contenter d'affirmer que les dispositions réglementaires sont « nécessaires » à des fins de conservation.
                         [...]
         Le ministère public devrait aussi démontrer que le texte de loi ne porte pas atteinte indûment à des droits issus de traité [...] Les droits issus de traités ne doivent pas être enfreints à la légère. Il faudrait une preuve de justification claire pour qu'une atteinte puisse être acceptée.

[59]      Après l'audition de la présente demande, l'avocat du procureur général a demandé la permission de déposer une copie de la décision rendue dans l'affaire Ontario (Minister of Municipal Affairs and Housing) v. Transcanada Pipelines Ltd., [2000] O.J. No. 1066 (5 avril 2000). L'avocat de la demanderesse s'est opposé à cette mesure en faisant valoir que cette décision avait déjà été rendue au moment de l'audition mais qu'elle n'avait pas été citée. Bien que la permission demandée ait été accordée et que la Cour ait donné aux autres parties la possibilité de répondre, je ne suis pas convaincue que cette décision soutienne la thèse du procureur général.

[60]      Dans l'arrêt Transcanada Pipelines, la Cour d'appel de l'Ontario a statué que l'obligation de consulter entre en jeu comme facteur dont il y a lieu de tenir compte au cours de l' « étape de justification » de l'instance. La Cour a statué que [TRADUCTION] « ce qui déclenche l'examen de l'obligation de consultation de Sa Majesté est la preuve, par la Première nation, d'une violation d'un droit autochtone existant -- ancestral ou issu d'un traité -- reconnu et confirmé par le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 » . Il semble que la Cour d'appel ait estimé que, comme le dossier qui lui était soumis n'était pas suffisant pour lui permettre de conclure péremptoirement que le droit ancestral ou issu d'un traité requis existait effectivement, la question de savoir si le projet de restructuration municipal à l'examen porterait atteinte aux présumés droits ancestraux ou issus de traités était en conséquence d'ordre spéculatif et qu'il n'existait donc pas d'obligation de consultation.

[61]      Si j'ai bien compris l'argument de l'avocat du procureur général, la demanderesse [TRADUCTION] « n'a pas soumis à M. Hornby d'éléments d'information qui permettraient de conclure, de prime abord, à l'existence d'un droit issu d'un traité et à la violation de ce droit » . Toutefois, M. Hornby était de toute évidence conscient du fait que la demanderesse renvendiquait des droits issus de traités, car il y fait allusion dans sa lettre du 27 novembre 1998 à Maureen Bernier. L'arrêt Transcanada Pipelines serait plus pertinent si les droits que la demanderesse revendique étaient plus incertains ou flous.

[62]      Un autre facteur permettant de déterminer la nature et la portée des consultations exigées est la nature de l'éventuelle violation, ainsi qu'il en ressort de l'extrait suivant de l'arrêt Delgamuukw, précité : « lorsque le manquement est moins grave ou relativement mineur, il ne s'agira de rien de plus que la simple obligation de discuter des décisions importantes qui seront prises [...] Dans la plupart des cas, l'obligation exigera beaucoup plus qu'une simple consultation [...] » L'affirmation que la nature et le contenu de l'obligation varient selon la nature de l'éventuelle violation est également implicite dans la décision de Mme Huddart, lorsqu'elle discute des utilisations compatibles dans l'affaire Halfway River, ainsi que dans l'analyse précitée du juge Cory dans l'arrêt R. c. Sundown.

[63]      Finalement, voici les propos qu'a tenus le juge Finch, de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, aux paragraphes 160 et 161 de l'arrêt précité :

     [TRADUCTION]
         L'obligation de consultation à laquelle Sa Majesté est assujettie lui impose un devoir positif de s'assurer de manière raisonnable que les peuples autochotones disposent en temps opportun de tous les éléments d'information nécessaires pour pouvoir formuler leur observations et leurs préoccupations et pour s'assurer que l'on tienne sérieusement compte de leur point de vue et, dans la mesure du possible, qu'on les intègre dans le plan d'action proposé (voir les arrêts R. v. Sampson, (1995), 16 B.C.L.R. (3d) 226, à la page 251 (C.A.), R. v. Noël, [1995] 4 C.N.L.R. 78 (C.T.Y.), aux pages 94 et 95, R. v. Jack, (1995), 16 B.C.L.R. (3d) 201, aux pages 222 et 223 (C.A.), Bande d'Eastmain c. Robinson, (1992), 99 D.L.R. (4th) 16, [1993] 1 C.F. 127, aux pages 16 à 27 D.L.R. (C.A.F.) et R. v. Nikal, précité.
         Les peuples autochtones ont pour leur part l'obligation réciproque de formuler leurs observations et leurs préoccupations une fois qu'ils ont eu l'occasion d'examiner les renseignements communiqués par Sa Majesté et de consulter de bonne foi les intéressés en recourant aux moyens dont ils disposent. Ils ne peuvent faire échouer le processus de consultation en refusant de rencontrer les autorités compétentes ou en refusant de participer aux rencontres ou en imposant des conditions déraisonnables (voir les décisions Ryan et al. v. Fort St. James Forest District (District Manager), [1994] B.C.J. No. 2642, (25 janvier 1994), Smithers No. 7855, confirmée à (1994), 40 B.C.A.C. 91).

Nature et portée des consultations exigées en l'espèce

[64]      Ainsi que je l'ai déjà souligné, à mon sens, la jurisprudence exige un contenu et des normes de consultation différentes selon les circonstances de chaque espèce. Dans le cas qui nous occupe, le droit issu d'un traité qui est revendiqué est celui de chasser, de trapper et de pêcher sur des terres domaniales inoccupées. Ainsi qu'il ressort du libellé même du traité, il s'agit d'un droit conditionnel qui vaut tant que les terres visées ne sont pas réquisitonnées pour l'une des utilisations énumérées au traité. Il n'est pas nécessaire d'obtenir le consentement des Indiens pour prendre les terres en question pour l'une des fins mentionnées. Par ailleurs, au moment où le traité a été conclu, Sa Majesté s'est engagée à ne pas supprimer ou diminuer le droit de chasser, de trapper ou de pêcher. Ainsi que je l'ai déjà fait remarquer, si la totalité du territoire visé par le traité, ou une partie importante de ce territoire était pris ou risquait d'être pris, le traité perdrait alors tout son sens. Compte tenu de l'utilisation restreinte prévue au permis à l'examen, ce facteur ne joue pas vraiment en l'espèce.

[65]      Les obligations imposées à Sa Majesté sont à mon avis celles qu'a formulées le juge Finch dans l'extrait précité de l'arrêt Halfway River. Les peuples autochtones doivent pouvoir disposer en temps opportun de tous les éléments d'information nécessaires pour pouvoir formuler leurs observations et leurs préoccupations et pour s'assurer que l'on tienne sérieusement compte de leur point de vue.

[66]      Je ne suis pas convaincue qu'il soit nécessaire de se livrer à une analyse qui soit conforme aux critères posés dans l'arrêt Sparrow pour justifier l'utilisation des terres envisagée. Ainsi que Mme le juge Huddart l'a fait remarquer, le premier critère est satisfait par le texte du traité lui-même. Le deuxième et le troisième ne cadrent pas très bien. D'ailleurs, même s'ils s'appliquent, les assurances données par M. Honrby et les offres de Mme Bernier en ce qui concerne la garantie que les forages auront des répercussions minimales sur les titulaires de droits issus de traités satisfont à ces exigences.

[67]      L'éventuelle violation est minime et temporaire. Ainsi que je l'ai déjà souligné, il s'agit de creuser douze trous de forage avec des foreuses au diamant assistées par des hélicoptères. Les personnes qui effectueront ces travaux se déplaceront par hélicoptère ; il n'y aura pas de campements. Mme Keough s'est engagée à ne pas procéder à des forages sur des emplacements culturels ou sur des lieux de sépulture, en supposant qu'on l'informe de leur emplacement.

[68]      La portée de la consultation qui a été offerte est précisée au paragraphe 5. Je reproduis ici ce texte par souci de commodité :

     [TRADUCTION]
     [...] Les éclaircissements que je pourrais obtenir de la part des chasseurs et des trappeurs eux-mêmes sur les incidences précises que les activités projetées pourraient avoir sur la chasse et le piégeage me permettraient de bien évaluer les incidences éventuelles de ces activités sur la chasse et le piégeage et de comprendre comment ces incidences jouent. Il sera alors possible de déterminer s'il est possible de réduire ou d'éviter ces incidences en prenant les mesures d'atténuation voulues ou en effectuant les modifications opérationnelles nécessaires ou, si cela est impossible, en explorant d'autres pistes de solution.

[69]      Il ressort donc de la jurisprudence que la demanderesse a le droit constitutionnel d'être consultée au sujet de l'utilisation projetée, mais qu'il n'est pas nécessaire d'obtenir son consentement pour procéder à l'utilisation projetée. La nature et la portée de la consultation exigée sont directement fonction de la nature du droit ancestral en question et dépendent aussi de la nature de l'activité qui porterait atteinte au droit ancestral en question ainsi que d'autres facteurs. La méthode qu'a suivie M. Hornby en cherchant à obtenir des renseignements précis de la part de ceux dont les territoires de piégeage, etc. étaient susceptibles d'être directement touchés, le tout dans le but de minimiser les incidences néfastes, était légitime et suffisante et remplissait les obligations constititutionnelles qui existent. Le type d'étude détaillée des répercussions environnementales que la demanderesse a tenté de demander, en réclamant notamment l'identification des lieux de forage alors qu'il est impossible de les connaître à l'étape de l'exploration, n'est pas raisonnable.

Dispositif

[70]      Ainsi que je l'ai déjà précisé, la décision à l'examen sera annulée et renvoyée pour être examinée par un autre gestionnaire d'utilisation des terres conformément au Règlement sur l'utilisation des terres territoriales. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de rendre un jugement déclarant que Sa Majesté est assujettie à une obligation constitutionnelle et fiduciaire de tenir des consultations. Ainsi que je l'ai déjà fait observer, l'offre de consultation qui a été faite était suffisante eu égard aux circonstances de l'espèce. Je n'estime pas nécessaire non plus de délivrer un bref de mandamus pour forcer Sa Majesté à tenir des consultations, ni de rendre une ordonnance lui interdisant de prendre un décret tant que les consultations ne seront pas terminées. Je suis convaincue que le gestionnaire d'utilisation des terres agira comme il se doit. Compte tenu du temps écoulé depuis la présentation de la demande de permis de Mme Bernier, la Cour enjoindra au gestionnaire d'utilisation des terres de procéder à son examen de la demande de permis dans un délai de trois mois. Elle autorisera également la fixation de délais raisonnables aux personnes consultées pour s'assurer que l'échéancier fixé soit respecté. Les parties peuvent au besoin demander la modification des délais prescrits par l'ordonnance.

Dépens

[71]      Le défaut de tenir compte de l'omission de M. Hornby de répondre plus tôt à la lettre du 10 septembre 1999 et l'acceptation, à la dernière minute, de l'annulation de sa décision (deux jours avant l'audience) ont entraîné des frais inutiles pour tous. Dans ces conditions, le procureur général défendeur devrait payer les dépens de la demanderesse et de Mme Bernier au tarif des dépens entre parties jusqu'à la date de l'audience. La demanderesse est condamnée à payer les dépens des défendeurs au tarif des dépens entre parties à compter de la date de l'ouverture des débats.

     B. Reed

                                         Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 21 juillet 2000


Traduction certifiée conforme


Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :              T-22-00
INTITULÉ DE LA CAUSE :      PREMIÈRE NATION LIIDLII KUE c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et MAUREEN BERNIER

LIEU DE L'AUDIENCE :          Vancouver (C.-B.)
DATE DE L'AUDIENCE :          Le 13 avril 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge Reed le 21 juillet 2000



ONT COMPARU :

Me Jeffrey R.W. Rath                      pour la demanderesse

Me Allisum Taylor Rana

Me Larry M. Huculak                      pour le défendeur,
Me Ursual M. Tauscher                  le procureur général du Canada
Me Geoffrey D. Baker                  pour la défenderesse,
                             Maureen Bernier


PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

Rath & Company                      pour la demanderesse

Priddis (Alberta)

Me Morris Rosenberg                      pour le défendeur,
Sous-procureur général du Canada              le procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Carscallen Lockwood                      pour la défenderesse,
Calgary (Alberta)                      Maureen Bernier
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