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Recueil des arrêts de la Cour fédérale
Temple c. M.R.N. (1re inst.) [2002] 2 C.F. 458

Date : 20011115

Dossier : T-666-99

Référence neutre : 2001 CFPI 1254

ENTRE :

                                                              ANTHONY J. TEMPLE

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                     SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

                                représentée par le MINISTRE DU REVENU NATIONAL

                                                                                                                                                  défenderesse

                                                       MOTIFS DE L'ORDONNANCE

GENÈSE DE L'INSTANCE


[1]                 Dans la présente action, le demandeur poursuit la défenderesse pour les actes fautifs qu'elle aurait commis lors du recouvrement de l'impôt dû par des sociétés qui ont depuis cessé leurs activités, DPD Management Ltd. et A.J.F. Temple Co. Inc. Ces sociétés appartenaient au demandeur et étaient contrôlées par lui. L'impôt en question était exigible en raison du fait que les sociétés en question étaient considérées comme des employeurs qui auraient été tenus d'effectuer des retenues à la source au titre de l'impôt sur le revenu et des cotisations au régime d'assurance-chômage. Une troisième société qui a cessé depuis ses activités et qui appartenait aussi au demandeur et était contrôlée par lui est également en cause, Temple Construction Ltd. Cette société aurait été forcée de cesser ses activités en raison des diverses mesures de recouvrement prises par la défenderesse. L'intérêt personnel du demandeur donnerait également ouverture à un recours. L'action du demandeur repose notamment sur le fait qu'il était un administrateur des sociétés DPD Management Ltd. et d'A.J.F. Temple Co. Inc. à qui l'on réclamait aussi le paiement de l'impôt en question. Il fonde aussi sa demande sur les pertes financières qu'il a subies en tant que propriétaire des sociétés qui ont toutes les trois dû fermer leurs portes par suite des cotisations fiscales et sur le stress personnel qui lui a ainsi été causé.

[2]                 Les présents motifs concernent principalement la requête présentée par la défenderesse en vue de faire radier la déclaration en vertu surtout de la règle établie dans l'arrêt Foss v. Harbottle, (1843) 2 Hare 461, 67 E.R. 189. Suivant le principe qui a été posé dans l'arrêt Foss v. Harbottle et qui a été interprété au fil des ans, on ne peut, sauf dans le cas de certaines exceptions limitées, exiger l'exécution des obligations contractées envers une société qu'au moyen d'une action intentée par la société elle-même. Il y a également certains passages de la déclaration qui ne constitueraient que de simples assertions ou qui seraient des assertions qui sont de toute évidence fausses et qui devraient être radiées.

[3]                 J'aborderai également la requête en modification présentée par le demandeur en vue d'y alléguer que la cotisation est malveillante et déraisonnable. J'exposerai les autres faits pertinents au fur et à mesure de mon analyse.


REQUÊTE EN RADIATION : ANALYSE

[4]                 La requête que la défenderesse a présentée en vue de faire radier la déclaration ou, à titre subsidiaire, d'en faire radier certains passages, est fondée sur l'alinéa 221(1)a) des Règles, qui permet à la Cour de radier un acte de procédure lorsque, en tenant les faits pour avérés, cet acte de procédure ne révèle aucune cause d'action valable. La défenderesse réclame également, à titre subsidiaire, des éclaircissements.

[5]                 Le paragraphe 221(2) des Règles déclare inadmissible toute preuve par affidavit présentée au soutien d'une requête en radiation d'un acte de procédure pour absence de cause d'action, ce qui nous amène à examiner le premier de deux points préliminaires.

Points préliminaires : Utilisation d'une preuve par affidavit


[6]                 Ainsi que je l'ai dit, le paragraphe 221(2) des Règles interdit de présenter une preuve par affidavit dans le cadre d'une requête en radiation d'un acte de procédure pour absence de cause d'action. En l'espèce, la défenderesse invoque l'affidavit de M. Raymond Prenoveau. À cet affidavit sont jointes deux annexes. L'annexe A est un arrêt très bref rendu par la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans l'affaire DPD Management Ltd. v. Itoman Canada Inc., une décision vraisemblablement inédite rendue le 30 août 1993 dans le dossier CAO14795 du greffe de Vancouver. Il semble que, dans cet arrêt où elle a exposé peu de faits, la Cour d'appel ait jugé que DPD Management Ltd., une des sociétés appartenant en exclusivité au demandeur, M. Temple, qui en avait le contrôle, avait le droit de réclamer à Itoman le paiement de certaines dettes contractuelles, pour permettre à DPD Management de s'acquitter de diverses dettes, dont la présumée créance fiscale de Revenu Canada. Les juges de la Cour d'appel étaient quelque peu confus au sujet du montant du jugement -- 87 000 $ ou 71 000 $ --, mais cet aspect est secondaire.


[7]                 L'annexe B de l'affidavit de M. Prenoveau est le jugement ultérieur rendu par la Cour canadienne de l'impôt dans l'affaire Temple c. La Reine, [1997] 2 C.T.C. 2678. Il s'agissait d'une décision rendue par le juge Beaubier, de la Cour canadienne de l'impôt, au sujet du présent demandeur. Le juge Beaubier a conclu que la cotisation de Revenu Canada, sur laquelle la présente instance introduite devant la Cour fédérale est notamment fondée, n'aurait pas dû être établie à l'égard de la société de M. Temple, DPD Management Ltd., le mandataire et l'intermédiaire par lequel transitait le salaire payé aux ouvriers chargés d'effectuer des travaux de rénovation à l'hôtel, mais que c'est Itoman Canada Inc., le mandant, qui était également propriétaire de l'hôtel Harrison Hot Spring qui faisait l'objet de travaux de rénovation, qui aurait dû être imposé. Le juge Beaubier a par conséquent conclu que la cotisation d'impôt établie par Revenu Canada à l'égard de DPD Management Ltd. était irrégulière. On peut sans se tromper dire que le juge Beaubier était loin d'être impressionné par la façon dont Revenu Canada avait traité M. Temple, qu'il a qualifié d' « homme d'affaires mûr, raisonnable, expérimenté, compétent et bien informé » (à la page 2684), et qui, à son avis, n'a pas fait l'objet de toute la considération à laquelle il avait droit de la part de Revenu Canada. Le juge Beaubier a en outre conclu que c'étaient des fonctionnaires de Revenu Canada qui avaient donné à M. Temple l'idée de transférer les activités de DPD Management Ltd. à une autre de ses sociétés maintenant liquidées, A.J.F. Temple Co. Inc. C'était de toute évidence une mauvaise décision, dont Revenu Canada a tiré profit.

[8]                 Dans son affidavit, M. Prenoveau poursuit en précisant qu'il s'ensuit que les diverses allégations articulées aux alinéas 57i) et 57j) de la déclaration, qui ont trait au présumé défaut du fisc de porter certaines sommes au crédit de la société de M. Temple et aux demandes de paiement répétées adressées à titre personnel au demandeur en vertu de la cotisation principale (que le juge de la Cour de l'impôt a jugée irrégulière) sont manifestement fausses. Il précise ensuite dans son affidavit les sommes qui ont été portées au crédit de DPD Management Ltd. et le montant net que Revenu Canada a réclamé à M. Temple personnellement. Il semble qu'il ne tienne pas compte du fait que la Cour suprême de la Colombie-Britannique a conclu que DPD Management Ltd. ne devait en réalité rien à Revenu Canada et que M. Temple n'avait lui non plus rien à payer.

[9]                 Le type de faits relatés en preuve et invoqués par la défenderesse n'ont pas leur place dans une requête en radiation d'une déclaration pour absence de cause d'action, surtout lorsque les faits invoqués ne sont pas très bien articulés dans les pièces versées au dossier. Je tiens toutefois compte du jugement Cameron c. Ciné St-Henri Inc., [1984] 1 C.F. 421, une décision du juge Walsh.


[10]            Dans l'affaire Ciné St-Henri, le défendeur cherchait à déposer un affidavit au soutien d'une requête en radiation de certaines parties de la déclaration pour absence de cause raisonnable d'action au sens de l'alinéa 419(1)a) des Règles. Le juge Walsh a reconnu que le paragraphe 419(2), qui est semblable au paragraphe 221(2) des Règles actuelles, interdisait l'utilisation d'affidavits. Il a toutefois proposé une exception dans les cas où l'affidavit démontre clairement qu'une allégation contenue dans l'acte de procédure n'est pas vraie ou qu'elle est à tout le moins erronée et trompeuse, en faisant valoir que « [...] il serait déraisonnable de s'attendre à ce que la Cour ferme ses yeux et rende jugement en tenant l'allégation pour avérée » (à la page 426). Cette observation est logique, mais le jugement Ciné St-Henri nécessite une lecture plus attentive. En première lieu, le document qui, selon ce qu'estimait le juge Walsh, devait être admis en preuve et était annexé à l'affidavit en question, se trouvait déjà au dossier. Deuxièmement, le juge Walsh a choisi de ne radier aucune partie des actes de procédure, mais a pourtant ordonné à la demanderesse de fournir de plus amples précisions. Troisièmement -- et c'est là l'aspect le plus important --, la requête en radiation pour absence de cause raisonnable d'action dont il était question dans l'affaire Ciné St-Henri était fondée sur l'incompétence de la Cour et non sur une simple absence de cause raisonnable d'action.   

[11]            La différence entre une simple absence de cause d'action et une absence complète de compétence, dans le contexte de la radiation d'un acte de procédure et de l'utilisation d'un affidavit dans le cas de questions juridictionnelles a été précisée par la Cour d'appel dans l'arrêt MIL Davie Inc. c. Hibernia Management and Development Co., (1998) 226 N.R. 369, à la page 374 :


[8]            En général, lorsqu'une objection se rapportant à la compétence de la Cour est soulevée, la Cour doit être convaincue que des faits juridictionnels ou des allégations de tels faits étayent une attribution de compétence. L'existence des faits juridictionnels requis pourra habituellement être établie à partir des actes de procédure et des affidavits déposés au soutien de la requête ou en réponse à celle-ci. À cet égard, l'interdiction prévue à la Règle 419(2) en matière d'admissibilité de la preuve ne s'applique pas lorsque c'est la compétence même de la Cour qui est contestée, par opposition à la situation où il s'agit de la formulation d'une simple objection contre les actes de procédure au motif qu'ils ne révèlent aucune cause raisonnable d'action [voir l'arrêt Erasmus et autre c. Ministre du Revenu national, [1993] 1 C.N.L.R. 59; 145 N.R. 321 (C.A.F.)]. Nous disons cela afin de dissiper tout doute concernant l'admissibilité de la preuve par affidavit en l'espèce.

En résumé, il est permis de déposer un affidavit à l'appui d'une requête en radiation pour cause d'incompétence, mais pas lorsque le défaut reproché est simplement l'absence de cause d'action valable.

[12]            Il s'ensuit donc que, comme la présente requête vise simplement à obtenir la radiation de la déclaration pour absence de cause d'action valable, je ne devrais pas accepter l'affidavit proposé. Je dois toutefois tenir également compte d'une décision publiée pertinente, en l'occurrence le jugement Temple c. La Reine (précité) du juge Beaubier, sur lequel les deux parties se fondent. Bien que je ne sois pas lié par cette décision de la Cour de l'impôt, il m'est loisible d'en tenir compte, tout comme le juge Walsh a pris acte d'un document qui faisait déjà partie du dossier.


[13]            Au cours du débat, l'avocat du demandeur a par la suite tenté d'invoquer le jugement Temple c. La Reine (précité). L'avocat de la défenderesse s'est dit d'avis que le demandeur avait tort d'invoquer ce jugement, car ce qui a été décidé dans un procès civil antérieur ne constitue pas une preuve. Il semble qu'il s'agisse là d'une application stricte de l'arrêt Hollington v. F. Hewthorn & Co. Ltd., [1943] K.B. 587. Dans cet arrêt, la Cour d'appel d'Angleterre a jugé que les éléments de preuve relatifs à une condamnation antérieure n'étaient pas admissibles dans une affaire au civil pour prouver les faits sous-jacents sur lequel le jugement était fondé. Les auteurs actuels de l'ouvrage Sopinka on Evidence, 2e édition, 1999, Butterworths, ne sont pas certains que cette règle ait déjà fait partie de la common law au Canada (voir page 1120). Il se peut que l'arrêt Hollington soit également suspect, étant donné qu'une des raisons pour lesquelles la Cour d'appel anglaise a formulé la règle par laquelle elle rejetait la décision antérieure était que la preuve reposait sur du ouï-dire. Toutefois, à la page 1123 de Sopinka on Evidence, les auteurs vont un peu plus loin en soulignant que si, au Canada, la règle établie dans l'arrêt Hollington n'est pas reconnue dans le cas des condamnations antérieures, elle ne devrait pas non plus, en toute logique, s'appliquer dans le cas d'un jugement antérieur en matière civile :

[TRADUCTION]

Si la règle posée dans l'arrêt Hollington v. Hewthorn ne doit pas être reconnue dans le cas d'une condamnation antérieure au criminel, elle ne devrait pas non plus, en toute logique, s'appliquer dans le cas d'un jugement antérieur rendu en matière civile. Le fait qu'il s'agit d'un jugement civil n'a de l'importance que sur le plan de la valeur à accorder. La partie contre qui le jugement est rendu aurait de meilleures chances de l'expliquer ou d'invoquer des circonstances atténuantes (à la page 1123).

Sur le fondement de cet extrait de Sopinka on Evidence, j'estime que je puis tenir compte des conclusions tirées par le juge Beaubier dans le jugement Temple c. La Reine (précité), dans lequel on retrouve le texte de l'arrêt DPD Management Ltd. v. Homan Canada Inc. de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, mais que je dois éviter de leur accorder trop de poids. Même si on leur accorde peu de poids et qu'on donne au demandeur l'occasion de fournir des explications, ces conclusions risquent quand même de constituer un obstacle insurmontable pour le défendeur qui, dans le cas d'une requête en radiation, doit se décharger du lourd fardeau d'établir qu'il est évident, manifeste et indubitable que le demandeur n'a aucune chance d'obtenir gain de cause.


Radiation d'un acte de procédure après y avoir répondu

[14]            En l'espèce, la défenderesse a répondu à toute la déclaration et a même fait valoir un nouveau moyen de défense, en se fondant sur la règle établie dans l'arrêt Foss v. Harbottle, pour être en mesure d'introduire la présente requête.

[15]            Normalement, il faut demander la radiation d'un acte de procédure avant d'y répondre, mais il est possible de présenter en tout temps une requête en radiation fondée sur l'absence de cause d'action valable (voir l'arrêt Coca-Cola Ltd. c. Pardhan, (1999) 172 D.L.R. (4th) 31, de la Cour d'appel fédérale) :

[8]    Selon moi, le juge Wetston a appliqué correctement la jurisprudence bien établie émanant de la Cour, selon laquelle il faut normalement demander la radiation d'un acte de procédure avant d'y répondre, mais il est possible de présenter, à tout moment sous le régime de l'alinéa 419(1)a) des anciennes règles, une requête en radiation fondée sur l'absence de cause raisonnable d'action. Le juge Wetston a, à bon droit, limité son examen de la requête à ce moyen, qui ne lui permettait évidemment pas de prendre en compte d'autres éléments de preuve que le simple libellé de l'acte de procédure contesté.


L'autorisation de former un pourvoi contre cette décision devant la Cour suprême du Canada a été refusée le 3 mai 2000 dans le dossier 27392-CSC. Pour résumer l'arrêt Pardhan, il m'est loisible en tout temps de statuer sur une requête en radiation pour absence de cause d'action, même après que la partie adverse y a répondu, mais lors de l'examen d'une telle requête, je dois m'en tenir au texte même des actes de procédure. Évidemment, il peut se présenter à l'occasion des incidents de procédure qui entraînent des retards et qui peuvent empêcher la présentation d'une requête tardive en radiation. Tant la Cour d'appel que le juge Wetston (dont la décision est publiée à (1998) 139 F.T.R. 223) ont abordé ces questions. Dans le cas qui nous occupe, je ne peux reprocher à la défenderesse d'avoir tardé à agir.

[16]            Évidemment, la défenderesse ne peut pas, comme elle a essayé de le faire dans un passage de son argumentation écrite, soulever le caractère irrégulier d'un des moyens invoqués par le demandeur. Le temps de débattre de cette question est depuis longtemps révolu et a pris fin en même temps que le dépôt de la défense. Je passe maintenant à l'examen du bien-fondé de la requête de la défenderesse.

Bien-fondé de la requête de la défenderesse

[17]            Saisi d'une requête en radiation, je dois interpréter l'acte de procédure contesté en fonction du contexte et avec un esprit aussi généreux que possible et ne le radier que s'il est évident et manifeste qu'il sera rejeté au procès :

[TRADUCTION]

Un autre principe élémentaire veut que, saisi d'une requête en radiation comme celle-ci, le tribunal doive tenir compte de l'ensemble de l'acte de procédure contesté, l'interpréter en fonction de son contexte et avec ce qu'on pourrait appeler un esprit généreux et ne le radier que s'il est évident et manifeste qu'il sera rejeté au procès (Martel c. Bande indienne de Samson, jugement non publié rendu le 17 mars 1999 par le juge Hugessen dans le dossier T-2391-88).


La partie qui demande la radiation d'un acte de procédure se voit effectivement imposer un lourd fardeau. Elle doit démontrer qu'il est évident, manifeste et indubitable que la partie adverse n'a aucune chance d'avoir gain de cause (voir, par exemple, les arrêts Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959, à la page 979, Operation Dismantle Inc. c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441, aux pages 475 et suivantes et Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat du Canada, [1980] 2 R.C.S. 735, à la page 740).

[18]            En l'espèce, la défenderesse affirme que bon nombre des griefs formulés par le demandeur concernent ses sociétés. En revanche, suivant la déclaration, certains torts auraient été causés directement au demandeur. Je songe ici à plusieurs des moyens invoqués par le demandeur comme par exemple celui ayant trait aux cotisations personnelles dont il a fait l'objet en tant qu'administrateur de ses sociétés. Si l'on tient la déclaration pour avérée, il semblerait que Revenu Canada ait fait fi de l'arrêt de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dont il est question au paragraphe 8 de la déclaration et dans lequel la Cour a dégagé la société de M. Temple de toute responsabilité et a fait reposer le fardeau fiscal sur les épaules du propriétaire de l'hôtel Harrison Hot Spring. Pourtant, Revenu Canada a continué à réclamer le paiement de ces impôts au demandeur personnellement, en sa qualité d'administrateur. Ces passages de la déclaration sur lesquels je reviendrais en temps utile ne seront pas radiés. Toutefois, l'argument que les torts ont été causés aux sociétés de M. Temple et que ces torts ne donnent pas ouverture à une action personnelle de la part de M. Temple nous amène à examiner la règle posée dans l'arrêt Foss v. Harbottle, ce qui favorise la défenderesse. Je vais maintenant examiner ces questions de plus près.

La règle de l'arrêt Foss v. Harbottle


[19]            La défenderesse entame ce volet du débat avec la proposition suivant laquelle une société a une personnalité juridique distincte et séparée de celle de ses actionnaires et de ses administrateurs. Elle cite à cet égard l'arrêt Salomon v. Salomon, (1896) 66 L.J. Ch. 35, de la Chambre des lords. Bien sûr, cette théorie selon laquelle une société a une personnalité morale distincte de celle de ses actionnaires et de ses administrateurs constitue une règle générale qui comporte des exceptions dans certains cas, car pour rendre justice, les tribunaux ont à l'occasion écarté cette distinction en « levant le voile de l'anonymat » . Je reviendrai plus loin sur cette question.

[20]            Suivant la règle établie dans l'arrêt Foss v. Harbottle (précité), les actionnaires n'ont, à titre individuel, aucun droit de recours pour les préjudices causés à la société. Si une action doit être intentée pour les pertes imputables à ces préjudices, elle doit l'être soit par la société elle-même, soit par la voie d'une action oblique, laquelle est intentée par les actionnaires et dans laquelle l'auteur du dommage et la société sont désignés comme défendeurs. Dans le cas qui nous occupe, la défenderesse me renvoie à l'arrêt Hercules Managements et al. c. Ernst & Young et al., (1997) 146 D.L.R. (4th) 557, de la Cour suprême du Canada :

[59]    La règle de Foss c. Harbottle prévoit que les actionnaires n'ont, à titre individuel, aucune cause d'action en droit pour les préjudices causés à la société et que, si une action doit être intentée pour les pertes subies en raison de ces préjudices, elle doit l'être soit par la société même (par l'entremise de la direction), soit par voie d'action oblique. Le raisonnement juridique qui sous-tend cette règle a été exposé avec éloquence par la Cour d'appel anglaise dans l'arrêt Prudential Assurance Co. c. Newman Industries Ltd. (No. 2), [1982] 1 All E.R. 354, à la page 367 :      


[traduction] La règle [de Foss c. Harbottle] émane du fait qu'une société est une entité juridique distincte. Des droits et une responsabilité limités en découlent aussi. La société est responsable de ses contrats et des délits qu'elle commet; l'actionnaire n'assume pas cette responsabilité. La société acquiert des causes d'action pour inexécution de contrat et pour les délits qui lui causent un préjudice. L'actionnaire n'est investi d'aucune cause d'action. Lorsque l'actionnaire achète des actions, il accepte que la valeur de son placement suit le sort de la société et qu'il ne peut influer sur le sort de la société que par l'exercice de ses droits de vote lors des assemblées générales. La loi lui confère le droit de s'assurer que la société respecte les limites de son acte constitutif et que les autres actionnaires respectent la règle qui leur est imposée par les statuts constitutifs. S'il est vrai que la loi a conféré ou devrait conférer, dans certaines circonstances limitées, d'autres droits à un actionnaire, l'étendue et les conséquences de ces autres droits requièrent un examen attentif.

À ces remarques claires, j'ajouterais que la règle est aussi valable en principe, dans la mesure où elle permet d'éviter les tracasseries procédurales d'une multitude d'actions.


[21]            À titre d'exemple d'un cas d'application de la règle de l'arrêt Foss v. Harbottle, la défenderesse cite le jugement Rogers v. Bank of Montreal, (1985) 64 B.C.L.R. 63 (confirmé par la Cour d'appel de la Colombie-Britannique à (1987) 9 B.C.L.R. (2d) 190). Il s'agissait dans cette affaire d'une action introduite par les administrateurs et les actionnaires d'une société qui affirmaient avoir été lésés par suite d'une collusion de la part des défendeurs et notamment de la Banque de Montréal. Les défendeurs ont réussi à faire rejeter l'action car, ainsi que la Cour d'appel l'a fait observer, non seulement la règle de l'arrêt Foss v. Harbottle s'appliquait-elle, mais les demandeurs ne pouvaient pas non plus se soustraire à l'application de cette règle en accusant les défendeurs de collusion, étant donné qu'ils devaient faire la preuve d'un dommage direct par opposition à un dommage indirect (voir, le jugement de première instance, aux pages 93 et suivantes et l'arrêt de la Cour d'appel, aux pages 191 et 192). J'en arrive à une question épineuse : si l'on tient la déclaration pour avérée, les sociétés ont subi un préjudice qui a non seulement eu pour effet de causer un dommage indirect à M. Temple en tant qu'actionnaire, mais aussi un dommage direct à titre personnel, étant donné que, malgré ce qu'on est convenu d'appeler le voile de l'anonymat et l'absence de responsabilité de ses sociétés, il est devenu non seulement légalement responsable des présumées dettes de ses sociétés envers Revenu Canada, mais a également perdu son emploi.

[22]            L'avocat de la défenderesse cite également deux décisions dans lesquelles la Cour fédérale a appliqué la règle posée dans l'arrêt Foss v. Harbottle. Il s'agit des jugements Antrim Yards Ltd. c. Canada, (1991) 44 F.T.R. 299 (C.F. 1re inst.) et Dixon c. Ministre du Revenu national, (2001) 181 F.T.R. 104 (C.F. 1re inst.). Ces deux affaires portaient toutefois sur des pertes commerciales et sur la chute de la valeur d'actions et non sur une perte directe découlant de la responsabilité d'un administrateur ou sur une perte d'emploi directe, qui sont quelques-uns des droits d'action personnels invoqués en l'espèce.

[23]            Je vais commencer par la cause la plus récente, l'affaire Dixon. Les demandeurs étaient des actionnaires qui avaient intenté une action en raison d'une moins-value des actions qui était imputable à des actes illicites de Sa Majesté. Le juge Gibson a déclaré l'action irrecevable pour cause d'abus de procédure au motif que les actionnaires n'avaient aucun droit d'action relativement aux préjudices subis par la compagnie. Le juge Gibson a cité la règle de l'arrêt Foss v. Harbottle suivant laquelle lorsqu'une société acquiert un droit d'action contractuel ou délictuel, l'actionnaire n'est investi d'aucun droit d'action et il ne peut influencer le sort de la société que par l'exercice de son droit de vote lors des assemblées générales. Le juge Gibson a conclu que toutes les prétentions que les demandeurs pouvaient formuler découlaient de leur qualité d'actionnaires et il les a déboutés de leur action en invoquant la règle de l'arrêt Foss v. Harbottle ainsi que des décisions subséquentes dans lesquelles les tribunaux ont explicité cette règle.


[24]            Par contraste, en l'espèce, M. Temple fonde sa demande non seulement sur la chute de la valeur des actions, mais également sur la perte personnelle directe qu'il affirme avoir subie, et notamment sur une perte d'emploi, sur la perte de fonds personnels qui se trouvaient dans ses propres comptes bancaires, sur le fait qu'il a été à tort imposé à titre personnel et en tant qu'administrateur de la société et sur le traumatisme, le choc, le stress et l'anxiété qu'il a subis. Ces éléments permettent d'établir une distinction entre la présente espèce et l'affaire Dixon.

[25]            Dans le jugement Dixon, la Cour s'est fondée en partie sur le jugement Antrim Yards (précité) pour affirmer que les actionnaires demandeurs d'Antrim Yards Ltd. n'avaient aucun droit d'action pour les pertes commerciales subies par la société. Pourtant, le jugement Antrim Yards est certainement utile pour M. Temple, car, bien que les personnes physiques demanderesses n'avaient, en tant qu'actionnaires, aucun droit d'action en raison de l'application de l'arrêt Foss v. Harbottle et qu'elles n'avaient pas réussi à démontrer qu'elles avaient un droit d'action leur permettant d'exiger le remboursement d'une somme d'argent ou de réclamer des dommages-intérêts, la Cour a jugé qu'elles avaient qualité pour demander à la Cour d'invalider le texte de loi en cause. En l'espèce, ainsi que je l'ai déjà souligné, M. Temple ne fonde, en sa qualité d'actionnaire, qu'une partie de sa demande sur la diminution de la valeur des actions qu'il détient dans ses sociétés; ses autres griefs sont des réclamations personnelles dirigées contre Sa Majesté. Ces considérations nous amènent à examiner plus à fond la règle de l'arrêt Foss v. Harbottle et certaines des exceptions qu'elle comporte.

[26]            Dans son ouvrage Company Law, 3e édition, Stevens & Sons, Londres, Gower souligne, à la page 582 que [TRADUCTION] « [...] les tribunaux ont cessé d'être motivés par de pures questions de principe et accordent de plus en plus de poids aux avantages pratiques que comporte la règle posée dans l'arrêt Foss v. Harbottle » . Parmi les avantages pratiques que comporte la règle de l'arrêt Foss v. Harbottle, mentionnons le fait qu'elle empêche la multiplicité des actions intentées par les actionnaires et, avantage qui ne nous intéresse pas en l'espèce, le fait que si l'irrégularité dont se plaint un actionnaire est effectivement ratifiée lors d'une assemblée générale, saisir un tribunal de la question serait un gaspillage d'énergie. Il s'ensuit que la règle de l'arrêt Foss v. Harbottle comporte plusieurs exceptions, notamment dans les cas où l'actionnaire demandeur affirme qu'il a été lésé dans ses droits personnels. Je signale ici quelques décisions pertinentes, en l'occurrence Johnson v. Lyttle's Iron Agency, (1877) 5 Ch. D. 687 (C.A.), Pender v. Lushington, (1877) 6 Ch. D. 70, Wood v. Odessa Water Works Co., (1889) 42 Ch. D. 636, Salmon v. Quin & Axtens Ltd., [1909] 1 Ch. 311 (C.A.), confirmée à [1909] A.C. 442 [H.L.], British American Nickel Corporation v. O'Brien, [1927] A.C. 369 (C.P.), Edwards v. Halliwell, [1950] 2 All E.R.1064 (C.A.) et Hayes v. Bristol Plant Hire Ltd, [1957] 1 WLR 499. Je signale également le résumé du principe sous-jacent formulé par Gower (précité), à la page 584 de son ouvrage. Je reviendrai un peu plus loin sur l'arrêt de principe canadien en matière de droits personnels de l'actionnaire, l'arrêt Hercules Managements (précité).


[27]            Je dois également me demander si, comme l'avocat du demandeur l'affirme, on doit faire totalement abstraction de la personnalité morale qui fait en sorte qu'une société a une personnalité juridique distincte de celle de ces actionnaires ou pour employer une expression courante, si l'on doit « soulever le voile de l'anonymat » . Je me fonde à cet égard sur la décision du juge Wilson dans l'arrêt Constitution Insurance Co. c. Kosmopoulos, (1987) 34 D.L.R. (4th) 208 (C.S.C.), aux pages 213 et suivantes. Dans cette affaire, après avoir cité des extraits de la quatrième édition de l'ouvrage de Gower, Mme le juge Wilson reconnaît qu'en mettant les choses au mieux, le principe des « entités distinctes » « [...] n'est pas appliqué lorsqu'il entraînerait un résultat "trop nettement en conflit avec la justice, la commodité ou les intérêts du fisc" » . Avec beaucoup de justesse, le juge Wilson souligne ensuite que ceux qui optent pour les avantages de la constitution en personne morale doivent également supporter certains inconvénients et qu'on ne devrait faire abstraction de la personnalité morale que pour protéger des tiers qui subiraient sinon un préjudice. Il est curieux de constater qu'en l'espèce, en poursuivant M. Temple à titre personnel, la défenderesse a réussi à lever le voile de l'anonymat des sociétés en cause. Le demandeur affirme que, pour cette raison, il devrait en toute justice pouvoir faire abstraction de la personnalité morale de ses sociétés. Je n'accorde aucune valeur à cet argument, car la défenderesse a légalement le droit, en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, de faire abstraction de la personnalité morale d'une société dans certaines circonstances. Il est également intéressant de souligner le fait que les tribunaux peuvent eux aussi faire abstraction de la personnalité morale d'une société lorsque cela leur convient. Toutefois, compte tenu de l'arrêt Foss v. Harbottle, tel qu'il a été appliqué par la Cour suprême du Canada, par exemple, dans l'arrêt Kosmopoulos (précité), il est évident que l'on ne doit pas faire abstraction de la personnalité morale pour la simple raison que la société en question ne compte qu'un seul actionnaire (voir page 214).


[28]            Certes, les tribunaux font abstraction de la personnalité morale lorsque l'intérêt de la justice l'exige. Je crois qu'en pratique, lorsqu'un actionnaire cherche à lever le voile de l'anonymat d'une société, la norme est plus élevée. Lever le voile de l'anonymat n'est peut-être possible que lorsque les circonstances de l'espèce le commandent et que cette mesure est nécessaire pour faire justice à l'actionnaire qui a opté pour la structure et la protection de la personne morale. La norme est évidemment moins sévère lorsqu'il s'agit de faire justice à un tiers.

[29]            Ainsi que je l'ai déjà signalé, la Cour suprême du Canada s'est montrée par ailleurs assez inflexible sur cet aspect dans l'arrêt Hercules Managements Ltd. (précité), empêchant les actionnaires d'introduire une action à titre personnel lorsqu'elle doit être intentée au nom de la société. Pourtant, l'arrêt Hercules Managements confirme également que le demandeur en l'espèce peut fort bien avoir un droit d'action valable. Je cite à ce propos l'extrait suivant de la décision du juge LaForest, à la page 608 :

[62] Une dernière remarque s'impose ici. Invoquant l'arrêt Goldex Mines Ltd. c. Revill (1974), 7 O.R. (2d) 216 (C.A.), les appelants soutiennent que, lorsqu'un actionnaire, pris individuellement, a subi directement un préjudice, cet actionnaire peut avoir une cause d'action personnelle même si la société peut avoir elle aussi une cause d'action séparée et distincte. Rien, dans les paragraphes qui précèdent, ne devrait être interprété comme dérogeant à ce principe. En concluant que les actions relatives aux pertes découlant d'une prétendue incapacité de surveiller ou superviser la gestion sont en fait de nature oblique et non personnelle, je n'ai fait que conclure que les actionnaires ne peuvent pas, à titre individuel, intenter des actions pour un préjudice causé à la société. En fait, c'est la limite de la règle de Foss c. Harbottle. Cependant, lorsqu'une action séparée et distincte (en responsabilité délictuelle, par exemple) peut être intentée pour un préjudice causé à un actionnaire à titre individuel, il peut bien y avoir une cause d'action personnelle, à supposer qu'il soit possible de prouver l'existence de tous les éléments nécessaires d'une cause d'action.


Voilà une reconnaissance explicite du principe qu'un actionnaire peut intenter une action pour un tort qui lui a été causé personnellement.

CONCLUSIONS SUR LA REQUÊTE DE LA DÉFENDERESSE

[30]            En résumé, M. Temple n'a pas de cause d'action valable en tant qu'actionnaire, car il s'agit d'une cause d'action qui, de façon manifeste, évidente et indubitable, n'a aucune chance d'être retenue au procès. Cependant, les prétentions personnelles de M. Temple, c'est-à-dire son action personnelle, ont des chances de réussir. Pour en arriver à ce résultat, j'ai interprété la déclaration avec un esprit généreux, comme m'y invitait le jugement Martel c. Bande indienne de Samson (précité) et j'ai conservé, à titre de renseignements généraux, certains des paragraphes qui, selon ce qu'estime la défenderesse, violent la règle de l'arrêt Foss v. Harbottle.


[31]            Pour en arriver à cette conclusion, j'ai tenu compte de tous les faits pertinents, y compris de certaines conclusions quelque peu ambiguës que l'on retrouve dans le jugement Temple c. La Reine (précité) et des conclusions que la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a tirées dans l'arrêt DPD Management Ltd. v. Itoman Canada Inc., et qui sont reprises dans le jugement Temple c. La Reine. J'accorde peu de poids à ces conclusions. Ainsi que je l'ai déjà mentionné, je n'ai pas tenu compte de l'affidavit de la défenderesse qui, comme je l'ai déjà précisé, constitue une preuve inadmissible dans le cadre d'une requête en radiation pour absence de cause d'action valable. L'ordonnance qui sera prononcée tiendra compte de la séparation des droits d'action entre ceux que détient le demandeur en tant qu'actionnaire et ceux qu'il possède à titre personnel. Ayant déjà répondu à la déclaration, la défenderesse n'a pas besoin pour le moment d'éclaircissements au sujet de l'alinéa 58c), qui porte sur les fonds de son compte personnel que le demandeur affirme avoir perdus. Ce refus d'ordonner au demandeur de fournir des précisions est fait sans préjudice au droit de la défenderesse d'en réclamer pour le cas où, à la suite de l'enquête préalable, il serait nécessaire d'obtenir des éclaircissements pour la tenue du procès. Je vais maintenant examiner brièvement la requête en modification du demandeur.

REQUÊTE EN MODIFICATION : ANALYSE

[32]            Hormis certaines modifications d'ordre administratif qui ne sont pas contestées, le demandeur désire modifier sa déclaration pour ajouter la mention que les actes fautifs qu'il reproche à la défenderesse aux alinéas 57a) à k) ont, dans chaque cas, été accomplis « avec malveillance ou sans raison licite ou valable » . Le demandeur souhaite également ajouter au paragraphe 57 quatre autres cas supplémentaires d'actes fautifs comportant des circonstances aggravantes.


[33]            Au soutien de sa requête en modification, le demandeur cite le concept bien connu suivant lequel le tribunal doit permettre aux plaideurs de modifier leurs actes de procédure en tout état de la cause à condition que cette mesure ne cause pas de préjudice qui ne pourrait être réparé par les dépens. Il cite à cet égard l'arrêt Ministre du Revenu national c. Canderel Ltée, (1993) 157 N.R. 380 (C.A.F.) :

[...] même s'il est impossible d'énumérer tous les facteurs dont le juge doit tenir compte pour décider s'il est juste, dans une situation donnée, d'autoriser une modification, la règle générale est qu'une modification devrait être autorisée à tout stade de l'action aux fins de déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties, pourvu, notamment que cette autorisation ne cause pas d'injustice à l'autre partie que des dépens ne pourraient réparer, et qu'elle serve les intérêts de la justice. (À la page 384)

Dans l'affaire Canderel, le litige portait sur l'article 54 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt, mais cet article n'était pas essentiellement différent de la disposition relative aux modifications que l'on trouvait alors dans les Règles de la Cour fédérale.

[34]            La modification elle-même ferait suite à la communication préalable des documents et aux nouvelles cotisations que la défenderesse a établies. Le demandeur cite également certains commentaires formulés par le juge Beaubier dans le jugement Temple c. La Reine (précité).

[35]            Les arguments qu'invoque la défenderesse pour s'opposer à la modification réclamée par le demandeur en vue d'insérer des allégations de malveillance et d'absence de raisons licites et valables est que, dans chaque cas, le demandeur doit fournir des précisions au lieu de se contenter, selon la défenderesse, de simples assertions. Pour étayer sa thèse, la défenderesse invoque la décision apparemment inédite rendue par le juge Walsh dans l'affaire Vardy c. Canada, 21 octobre 1977 dans le dossier T-318-77 de la Cour fédérale :


Il est donc manifeste que, lorsque le demandeur affirme un point de droit, en alléguant que certaines actions des défendeurs auraient été illégitimes et illégales, il doit énoncer en détail les faits pertinents sur lesquels il a fondé sa conclusion, ainsi que l'allégation selon laquelle les agents défendeurs auraient agi avec une intention criminelle, car l'intention est un état d'esprit. (Au paragraphe 7)

[...] le demandeur doit avoir certains faits servant de fondement à sa revendication et ne devrait pas intenter les procédures sans une certaine connaissance desdits faits et l'espérance d'obtenir les renseignements factuels nécessaires plus tard, entreprenant ainsi une « recherche à l'aveuglette » . (Au paragraphe 9)

Le jugement Vardy était fondé sur l'alinéa 415(1)n) des anciennes Règles, mais il n'y a pas de différence fondamentale entre cet alinéa et l'alinéa 181(1)n) des Règles actuelles. J'accepte donc que celui qui accuse la partie adverse de malveillance doit fournir suffisamment de précisions pour justifier son allégation. Pour ce motif, il n'est pas nécessaire que j'examine la jurisprudence relative à la fraude que la défenderesse m'a citée.


[36]            La défenderesse affirme que l'emploi du terme « faussement » par le demandeur dans la modification proposée au paragraphe 57l) équivaut à une simple assertion de fraude. Or, le mot « faussement » qui est employé au nouveau paragraphe 57l) proposé a, contrairement à ce que prétend la défenderesse, un sens fort différent de celui de « frauduleusement » . À titre d'exemple, la septième édition courante du Black's Law Dictionary 1999, Westgroup, St. Paul (Minnesota) définit le terme « fausseté » comme ce qui est contraire à la vérité, ce qui est trompeur ou mensonger, que ce soit de façon volontaire, par accident ou par erreur. En revanche, une fraude est une affirmation mensongère faite de façon volontaire ou insouciante en étant conscient de sa fausseté et dans le dessein d'amener autrui à agir à son détriment. Dans le même ordre d'idées, Shorter Oxford Dictionary donne au mot « fausseté » une connotation d'erreur, qui peut aller jusqu'au mensonge et à la tromperie, tandis que la fraude, qui englobait jadis la tromperie, est définie comme un acte malhonnête visant à obtenir un avantage injuste. Les deux mots sont très différents. Je n'ai pas l'intention d'interpoler dans une allégation de fausse déclaration faite par la Couronne une allégation de déclaration frauduleuse.

[37]            Bien que je lui permette de modifier le paragraphe 57l) de sa déclaration, le demandeur doit simultanément fournir des précisions sur la façon dont on lui a réclamé le paiement des sommes dues par Temple Construction Ltd., ce qui semble être un nouveau moyen. À titre subsidiaire, s'il a eu tort de mentionner le nom de Temple Construction Ltd. au paragraphe 57l), le demandeur doit modifier sa déclaration sans y mentionner Temple Construction Ltd. Quant à l'allégation de malveillance contenue au paragraphe 57l), j'estime qu'il n'est pas nécessaire de fournir de plus amples précisions sur ce point, car on peut conclure à la malveillance à la lumière des propos tenus par le juge Beaubier dans le jugement Temple c. La Reine (précité).


[38]            Pour ce qui est de l'alinéa 57m), la nouvelle allégation est que la défenderesse a, de façon malveillante ou sans raison légitime ou valable, refusé les diverses dépenses dont Temple Construction Ltd. réclamait la déduction pour l'année 1990. Le demandeur affirme que cette cotisation est erronée et qu'elle a été annulée le 10 avril 2000 lorsque toutes les dépenses qui avaient jusqu'alors été refusées ont été accordées. Bien que M. Temple soutienne que cette mesure a eu des incidences sur lui-même personnellement en raison des préjudices économiques et psychologiques qu'elle lui a causés, j'estime qu'il n'existe aucune raison pour laquelle, tel qu'il est libellé, cet acte de procédure ne devrait pas tomber sous le coup de la règle énoncée dans l'arrêt Foss v. Harbottle (précité). Le demandeur ne sera par conséquent pas autorisé à modifier l'alinéa 57m) de sa déclaration.

[39]            La modification que le demandeur veut apporter à l'alinéa 57n) concerne le fait que la défenderesse aurait conseillé de façon malveillante au demandeur de procéder à des mutations de personnel entre deux de ses sociétés, en l'occurrence DPD Management Ltd. et A.J.F. Temple Co. Inc., pour leur permettre de continuer à exercer leurs activités, dans le but illégitime de pouvoir ensuite réclamer à la société bénéficiaire du transfert le paiement de la présumée dette fiscale de la société auteur du transfert. La défenderesse affirme que ce moyen viole la règle de l'arrêt Foss v. Harbottle. Toutefois, si l'on examine les allégations initiales de la déclaration et qu'on les tient pour avérées, on constate que M. Temple a été imposé personnellement tant pour l'impôt à payer par la société bénéficiaire du transfert que pour celui de la société qui était l'auteur du transfert. Pour ce motif, la modification proposée est accordée.


[40]            Finalement, le demandeur désire maintenant modifier sa déclaration pour accuser le député C. Cook d'avoir répondu avec malveillance et de façon à le tromper à la demande de renseignements qu'il lui avait adressée. La défenderesse s'oppose au texte de la modification proposée, en faisant allusion à la façon très sévère avec laquelle Revenu Canada a poursuivi les sociétés de M. Temple. Elle s'oppose aussi à ce que des représentants du ministre soient nommément désignés. J'estime pourtant, compte tenu de l'opinion du juge Beaubier et des notes de service des autorités fiscales qui sont jointes à l'affidavit souscrit le 10 mai 2000 par Ranj Saroya, que ce moyen repose sur des motifs et des éléments valables et qu'il ne s'agit pas d'une simple allégation non appuyée par des faits pertinents.

CONCLUSIONS AU SUJET DES MODIFICATIONS

[41]            L'insertion de l'allégation de malveillance et d'absence de raisons légitimes et valables aux alinéas actuels du paragraphe 57 constitue un moyen auquel la défenderesse a déjà répondu. Bien que le demandeur invoque maintenant certaines circonstances aggravantes, je suis d'avis que la défenderesse ne peut lui reprocher à cette étape-ci de ne pas être assez précis.

[42]            Quant aux nouveaux alinéas à ajouter au paragraphe 57, les modifications prévues aux alinéas n) et o) sont autorisées intégralement. Les modifications proposées à l'alinéa l) sont accordées, à condition toutefois que le demandeur fournisse des précisions au sujet de la participation de Temple Construction Ltd. ou, à titre subsidiaire, à condition qu'il ne mentionne pas le nom de Temple Construction Ltd. si celui-ci a été inclus par inadvertance dans la modification proposée.

[43]            Les modifications prévues à l'alinéa 57m) ne sont pas accordées en raison de la règle de l'arrêt Foss v. Harbottle.

[44]            Je remercie les avocats pour leur travail, pour leur argumentation et pour les nombreux documents qu'ils ont produits.

                                                                                 « John A. Hargrave »           

                                                                                                Protonotaire        

Winnipeg (Manitoba)

Le 15 novembre 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL. L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                 T-666-99

INTITULÉ :              Anthony J. Temple c. Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représentée par le ministre du Revenu national

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                              Le 23 août 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE du protonotaire John A. Hargrave

DATE DES MOTIFS :                                     Le 15 novembre 2001

COMPARUTIONS:

Me Michael R. Scherr                                           POUR LE DEMANDEUR

Me Sean Taylor                                                    POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pearlman & Lindholm                                           POUR LE DEMANDEUR

Victoria (Colombie-Britannique)

Swinton & Company                                            POUR LA DÉFENDERESSE

Vancouver (Colombie-Britannique)

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