Date : 20001218
Dossier : T-640-99
Ottawa (Ontario), le 18 décembre 2000
En présence de Monsieur le juge Muldoon
Entre :
TRON GREGORY GAMBLIN ET ANGELA FAYE MONIAS
demandeurs
- et -
LE CONSEIL DE BANDE DE LA NATION CRIE DE NORWAY HOUSE
défendeur
O R D O N N A N C E
AYANT examiné à Winnipeg le 27 juin 2000 la demande de contrôle judiciaire présentée par les demandeurs à l'égard de certaines décisions du défendeur et ayant entendu les arguments présentés par les avocats respectifs des parties,
1. LA COUR ORDONNE que soit rejetée la requête présentée par les demandeurs pour obtenir l'annulation de la décision les expulsant de la maison mobile qui leur avait été attribuée à titre de logement et qui se trouvait sur les terres de la réserve indienne de Norway House,
2. LA COUR DÉCLARE que la résolution du conseil de bande mentionnée au paragraphe [3] des motifs exposés par la Cour à cette même date, entrée apparemment en vigueur le 1er septembre 1998, que la Cour estime ne pas relever des pouvoirs du conseil de bande de la Nation crie de Norway House est nulle et sans effet; par conséquent, la présumée expulsion du demandeur par le défendeur pour des présumées violations de ladite résolution est illégale et dépourvue d'effet; il n'est donc pas interdit aux demandeurs de revenir sur la réserve de la Nation crie de Norway House et la Cour ordonne au défendeur d'annuler ladite résolution et de demander au Ministre d'approuver sa politique avant de mettre à nouveau en vigueur les directives contenues dans cette résolution.
3. LA COUR ORDONNE EN OUTRE que, compte tenu des erreurs commises par les demandeurs et le défendeur, aucuns dépens ne seront accordés en l'espèce.
Juge
Traduction certifiée conforme
_______________________________
Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad a.
Date : 20001218
Dossier : T-640-99
Entre :
TRON GREGORY GAMBLIN AND ANGELA FAYE MONIAS
demandeurs
- et -
LE CONSEIL DE BANDE DE LA NATION CRIE DE NORWAY HOUSE
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
Le juge Muldoon
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, par les demandeurs à l'égard d'une décision du conseil de bande défendeur qui ordonnait aux demandeurs de quitter leur maison et leur interdisait de pénétrer sur les terres de réserve de Norway House au Manitoba.
LES FAITS
[2] Les faits consignés ici se limitent à ceux dont les parties reconnaissent avoir eu une connaissance directe.
La résolution du conseil de bande
[3] Le 1er septembre 1998, une résolution du conseil de bande (ci-après la résolution) qui avait été ratifiée par le conseil de bande de la Nation crie de Norway House est entrée en vigueur. Le conseil de bande avait adopté cette résolution pour s'attaquer au problème de l'usage illégal des drogues et de l'alcool de contrebande sur la réserve de la Nation crie de Norway House (la réserve). Elle se lisait ainsi :
[Traduction]
Résolution du conseil de bande
Problèmes des drogues illégales et de l'alcool de contrebande
Attendu que la Nation crie de Norway House entend mettre en oeuvre des projets, des programmes, des initiatives destinés à améliorer la situation et à favoriser la qualité de vie dans la collectivité,
Et attendu qu'il s'exerce dans la réserve des activités illégales reliées aux drogues et à l'alcool de contrebande qui constituent un fléau pour notre peuple et qui représentent la principale cause de nos problèmes et difficultés sur le plan social dans notre collectivité,
Et attendu que nous avons le devoir, la responsabilité et le pouvoir de prendre des décisions et d'émettre des directives visant à mettre fin aux activités illégales exercées par les personnes qui vendent, utilisent, sont en possession ou favorisent l'utilisation illégale des drogues ou de l'alcool dans la réserve,
Il est, par conséquent, résolu que toute personne qui vend, utilise, possède ou favorise l'utilisation illégale des drogues ou de l'alcool dans la réserve est susceptible de faire l'objet des sanctions suivantes :
1. Elle peut être congédiée.
2. Il peut être mis fin au soutien financier qu'elle reçoit (c.-à-d., aide sociale, appui économique et éducatif) ou ce soutien peut lui être refusé.
3. Un logement peut lui être refusé et le nom de cette personne rayé de la liste de logement.
4. Les contrevenants peuvent être arrêtés et inculpés.
5. Le nom de contrevenants peut être affiché publiquement.
6. La Nation crie de Norway House et les sociétés et organismes affiliés ou reliés à celle-ci peuvent refuser de faire des affaires avec les contrevenants.
7. Les récidivistes peuvent être en dernier recours expulsés de la Nation crie de Norway House.
Il est en outre résolu qu'une récompense de 5 000 $ sera remise pour tout renseignement pouvant entraîner la condamnation de toute personne qui vend des drogues ou de l'alcool de contrebande dans la réserve de la Nation crie de Norway House. Toute personne reliée, directement ou indirectement, à des activités illégales à l'égard des stupéfiants dans la réserve de la Nation crie de Norway House ou à la vente d'alcool de contrebande peut, avant le 1er octobre 1998, se présenter volontairement devant le chef et le conseil de bande en vue de signer un accord dans lequel elle se déclare prête à cesser ses activités illégales et à changer de mode de vie et obtenir en retour de l'aide et le pardon de la Nation crie.
Des messages d'information ont été diffusés par les stations locales de radio et de télévision et des affiches faisant état du contenu de la résolution et des conséquences que celle-ci pouvait entraîner ont été placées dans divers endroits de la réserve. On voulait ainsi faire connaître à tous les résidents de la réserve la nature de la résolution et les buts qu'elle recherchait.
[4] Le 1er octobre 1998, la période d' « amnistie » prévue par la résolution a pris fin. Après cette date, toute personne se trouvant sur la réserve agissant contrairement à la résolution était susceptible d'en subir les conséquences. À ce moment, le détachement local de la GRC a remis au conseil de bande une liste d'environ 80 résidents dont on savait qu'ils exerçaient, directement ou indirectement, des activités interdites par la résolution. Les personnes dont le nom figurait sur la liste qui ne s'étaient pas présentées volontairement au conseil de bande pendant la période d' « amnistie » ont reçu une lettre dans laquelle on leur demandait de rencontrer le chef et son conseil et on les informait des conséquences que pourrait entraîner la poursuite de leurs activités illégales. Le 5 octobre 1998, Tron Gamblin et Angela Monias, les demandeurs, ont chacun reçu une de ces lettres.
[5] Le 2 novembre 1998, Tron Gamblin a assisté à une réunion avec le conseil de bande pour parler de la lettre. Le compte rendu de la réunion indique que M. Gamblin a affirmé qu'il ne vendait ni drogue ni alcool. Il indique également que M. Gamblin a été informé des conséquences qu'il pourrait subir s'il était constaté qu'il avait commis une infraction ou qu'il était inculpé d'une infraction mentionnée dans la résolution. Après qu'il ait signé une déclaration indiquant qu'il cessait toute activité illégale reliée aux drogues et à l'alcool, le conseil de bande a accepté de continuer à verser un soutien financier à M. Gamblin et à lui fournir un logement.
[6] Angela Monias n'a pas assisté à la réunion du 2 novembre 1998 parce qu'elle venait d'accoucher. Elle a toutefois assisté à une réunion le 18 février 1999 en réponse à la lettre qu'elle avait reçue. Mme Monias a déclaré au cours de cette réunion qu'elle n'était aucunement reliée, directement ou indirectement, à l'usage de drogues illégales ou d'alcool, parce qu'elle ne voulait pas mettre en danger ses enfants. À la fin de ses observations, le conseil de bande lui a exposé à nouveau les conséquences que pourrait avoir toute violation par elle de la résolution.
[7] En mars 1999, le demandeur, M. Gamblin, a été inculpé de possession d'une substance désignée (marijuana).
[8] Plusieurs jours après que M. Gamblin ait fait l'objet d'accusations, Mme Monias et lui ont reçu des lettres émanant du conseil de bande qui leur demandaient de quitter leur résidence. M. Gamblin a alors pris des dispositions pour rencontrer le chef et le conseil de bande le 23 mars 1999. Cette rencontre n'a pas convaincu M. Gamblin que le conseil de bande avait vraiment le pouvoir de prendre ce genre de mesure et sa famille a refusé de quitter le logement qu'elle occupait.
[9] Le 30 mars 1999, le conseil de bande a adopté deux résolutions qui appuyaient sa décision d'expulser Gamblin et Monias de la réserve parce qu'ils violaient la résolution et avaient refusé de quitter leur logement. Le 1re avril 1999, des constables de bande ont escorté Gamblin au bureau de la bande pour essayer de tenir une réunion avec le chef et son conseil. Gamblin a refusé cette offre et a été par la suite expulsé de la réserve. Pendant ce temps, des travailleurs sociaux conduisaient Monias et ses enfants à Cross Lake au Manitoba (sa collectivité d'origine) et enfin, à Thompson, au Manitoba où ils résident actuellement. Il a été interdit à Gamblin et à Monias de revenir sur la réserve, tant que le conseil de bande ne les y aurait pas autorisés.
Les personnes concernées
[10] M. Gamblin est membre de la Nation crie de Norway House. Au moment de l'adoption de la résolution, il vivait dans un logement de la bande avec sa fiancée, Mme Monias, sa nièce, sa fille et leurs deux bébés. Mme Monias n'est pas membre de la Nation crie de Norway House.
[11] Lorsqu'il y a des logements libres, ils sont habituellement attribués par le conseil de bande aux membres qui en ont fait la demande et dont le nom a été inscrit sur une liste d'admissibilité. Seuls les membres de la bande peuvent présenter une demande de logement. Il est difficile de savoir si une entente relative au logement a été signée en l'espèce (aucun document à ce sujet n'a été présenté), mais il ressort de l'affidavit de M. Gamblin qu'il savait que le droit au logement était assorti d'une condition, à savoir qu'il ne fallait pas exercer d'activités illégales sur les lieux, condition qu'il avait acceptée.
[12] Depuis son expulsion de la réserve, M. Gamblin a plaidé coupable à l'accusation de possession d'une substance désignée. Les poursuites relatives à l'accusation de possession de biens volés ont été suspendues.
ARGUMENTS DES DEMANDEURS
[13] Les demandeurs soutiennent que le conseil de bande n'avait pas le pouvoir d'expulser les demandeurs de la réserve et de les obliger à quitter leur logement pour les raisons mentionnées ci-dessus. Les demandeurs affirment qu'ils n'ont pas été avisés du fait qu'ils risquaient d'être expulsés et qu'il y a donc eu violation des règles d'équité à leur endroit. En outre, les demandeurs soutiennent que le conseil de bande n'a pas le pouvoir d'expulser un membre de la bande des terres de réserve.
[14] Les demandeurs soutiennent que la résolution ne précisait pas le type de sanctions dont étaient assortis les différents comportements décrits et que cette politique était par conséquent imprécise. En outre, les demandeurs soutiennent qu'il n'est pas possible de leur imposer les sanctions qui leur ont été imposées, parce qu'ils n'ont jamais été informés de cette possibilité.
Règlements administratifs
[15] Voici les articles pertinents de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5 (ci-après la Loi) :
81. (1) Le conseil d'une bande peut prendre des règlements administratifs, non incompatibles avec la présente loi ou avec un règlement pris par le gouverneur en conseil ou par le ministre, pour l'une ou l'ensemble des fins suivantes :
...
c) l'observation de la loi et le maintien de l'ordre;
d) la répression de l'inconduite et des incommodités;
...
q) toute question qui découle de l'exercice des pouvoirs prévus par le présent article ou qui y est accessoire;
r) l'imposition, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, d'une amende maximale de mille dollars ou d'un emprisonnement maximal de trente jours, ou de l'une de ces peines, pour violation d'un règlement administratif pris aux termes du présent article.
[16] L'article 85.1 énonce :
85.1 (1) Sous réserve du paragraphe (2), le conseil d'une bande peut prendre des règlements administratifs en vue :
a) d'interdire la vente, le troc, la fourniture ou la fabrication de boissons alcoolisées sur la réserve de la bande;
b) d'interdire à toute personne d'être en état d'ivresse sur la réserve;
c) d'interdire à toute personne d'avoir en sa possession des boissons alcoolisées sur la réserve;
d) de prévoir des exceptions aux interdictions visées aux alinéas b) ou c).
La Loi énonce également qu'un règlement administratif ne peut entrer en vigueur qu'après avoir été présenté au ministre des Affaires indiennes et du Nord et avoir été approuvé par lui. Les demandeurs affirment que la mise en oeuvre de la résolution n'a pas été effectuée conformément à cette procédure et que la résolution est donc contraire à la Loi. C'est pourquoi les demandeurs soutiennent que les pouvoirs accordés au conseil de bande par les articles 81 et 85.1 ne leur permettaient pas d'imposer les sanctions en question par le biais de la résolution.
[17] Les demandeurs soutiennent que les résolutions du conseil de bande servent uniquement à enregistrer les décisions prises par le conseil de bande au cours de ces réunions, que ces résolutions ne constituent pas des documents législatifs et qu'elles n'ont qu'une force juridique limitée. Par conséquent, ces résolutions lient uniquement les membres du conseil.
Expulsion du logement et expulsion de la réserve
[18] Les demandeurs soutiennent que la loi ne prévoit pas l'imposition de sanctions comme l'expulsion d'un logement et de la réserve et que ces mesures ne peuvent donc être prises à l'égard des membres de la bande pour quelque motif que ce soit.
[19] Ils soutiennent que l'entente intervenue entre le conseil de bande et les demandeurs pour ce qui est du logement qui leur a été attribué découlait d'une fiducie et non pas d'un contrat de location résidentielle. Cette affirmation se fonde sur l'argument que la Couronne conserve le titre de propriété de common law mais que la bande possède le titre en fiducie pour ses membres, comme c'est le cas de tous les biens constituant des biens de la bande. C'est sur cet argument que se fondent les demandeurs pour affirmer que le conseil de bande devait obtenir une ordonnance judiciaire pour les expulser de leur logement.
[20] En outre, les demandeurs soutiennent que seul M. Gamblin a été inculpé d'une infraction mais que c'est la famille tout entière qui a été punie. Ils soutiennent que Mme Monias et les enfants auraient dû être autorisés à demeurer dans le logement parce qu'il avait été attribué à une unité familiale et non pas uniquement à M. Gamblin. Cet argument est renforcé par le fait que les deux jeunes enfants sont membres de la Nation crie de Norway House.
[21] Les demandeurs affirment que le défendeur a violé son obligation d'agir équitablement à leur endroit parce qu'il ne les a pas avisés qu'il envisageait de prendre à leur endroit une sanction sous la forme d'une expulsion, ce qui ne leur a pas permis de présenter des observations qui auraient pu changer la décision du conseil de bande. Cet argument se fonde sur l'arrêt de la Section de première instance de la Cour fédérale prononcé dans l'affaire Obichon c. Heart Lake First Nation No. 176, [1989] 1 C.N.L.R 100. Lorsqu'il a rendu la décision, le juge Teitelbaum a déclaré :
[TRADUCTION] ... le conseil n'a pas agi de façon équitable lorsqu'il a omis de donner au requérant l'occasion de présenter des observations avant d'ordonner son expulsion...
[22] Pour ce qui est de l'expulsion de la réserve, les demandeurs n'ont découvert aucune disposition législative autorisant un conseil de bande à expulser un membre de la bande des terres de réserve. Ils affirment que cette sanction constitue un abus de pouvoir qui empêche les membres de la bande de voter, parce que ces derniers doivent résider habituellement dans la réserve pour pouvoir voter à l'élection des membres du conseil de bande. Les demandeurs affirment que si les conseils de bande pouvaient exercer ce genre de contrôle sur les personnes qui résident dans la réserve, ils pourraient en fait contrôler ainsi leur propre élection. Cela reviendrait à utiliser ce processus à des fins qui lui sont étrangères.
ARGUMENTS DU DÉFENDEUR
[23] La thèse du défendeur, le conseil de bande, porte sur quatre questions distinctes :
1. Le conseil de bande avait-il le pouvoir d'adopter la résolution?
2. Y a-t-il eu violation de l'obligation d'agir équitablement?
3. Le fait d'expulser de la réserve les membres qui ne respectaient pas la politique édictée revient-il à exercer un contrôle sur le processus électoral?
4. Les demandeurs ont-ils violé l'entente relative à leur logement en laissant s'exercer dans celui-ci des activités illégales? (Si tel est bien le cas.)
[24] Au sujet de la demande en général, le défendeur affirme qu'il s'agit là d'une situation où il y a lieu de faire preuve de retenue judiciaire. Cette position s'appuie sur l'idée que le conseil de bande possède une expertise particulière, dans la mesure où ses membres résident dans la collectivité où la politique en question a été mise en oeuvre. Si la cour reconnaissait que tel était bien le cas, il faudrait que le conseil de bande ait commis un excès de pouvoir pour pouvoir annuler sa décision et le redressement principal consisterait à renvoyer la question pour nouvel examen, conformément aux directives fournies.
Compétence
[25] Le défendeur commence par noter que le Traité du lac Winnipeg no 5 prévoit la possibilité d'interdire l'alcool sur les réserves et précise que toutes les lois adoptées à cette fin doivent être appliquées strictement. À partir de là, le défendeur soutient également que la Nation crie de Norway House a toujours eu la volonté de lutter contre la consommation de boissons enivrantes sur la réserve. Il affirme que cette volonté communautaire découle du traité initial. En se fondant sur cet objectif traditionnel et sur les alinéas 81(1)c) et 81(1)d) de la Loi, le conseil de bande affirme posséder le pouvoir d'adopter la politique formulée dans la résolution.
L'obligation d'agir équitablement
[26] Si le conseil de bande était tenu dans un tel cas d'agir de façon équitable, le défendeur soutient que cette obligation a été respectée. Néanmoins, à titre subsidiaire, le défendeur soutient que pour ce qui est de l'expulsion du logement, il n'était pas tenu d'agir de façon équitable, étant donné la nature privée de cet aspect.
[27] Le défendeur soutient que l'obligation d'agir équitablement comporte trois volets : 1) un avis, 2) l'impartialité du décideur et 3) l'obligation de fournir l'occasion de présenter des observations. Il soutient, pour ce qui est de l'avis, que le fait d'afficher des avis publics dans la collectivité de Norway House et de faire diffuser des messages d'information par les stations locales de radio et de télévision répond à cette condition. Dans leurs affidavits et au cours des contre-interrogatoires qui ont porté sur ces documents, les demandeurs ont reconnu qu'ils étaient au courant de la politique énoncée dans la résolution grâce aux messages d'information diffusés à la radio et à la télévision. En outre, Mme Monias reconnaît avoir assisté à une réunion publique concernant la mise en oeuvre de la résolution et avoir publiquement approuvé l'objectif recherché. Le défendeur se fonde sur ces éléments pour affirmer que les demandeurs ont été suffisamment informés, tant au sujet de la résolution que de ses conséquences possibles.
[28] Pour ce qui est de la deuxième condition, l'impartialité du décideur, aucune allégation de partialité n'a été soulevée en l'espèce. Le conseil de bande a préparé la résolution en ayant l'intention de l'appliquer uniformément à tous les membres de la collectivité, ce qu'il a tenté de faire le plus équitablement possible. Par exemple, le fils d'un membre du conseil a été sanctionné lorsqu'il a été constaté qu'il n'avait pas respecté la politique énoncée dans la résolution, ce qui montre qu'elle a été appliquée de façon équitable.
[29] Le dernier aspect, la possibilité de fournir des observations, a été parfaitement respecté, affirme le demandeur. Tout au long du déroulement de cette affaire, les demandeurs ont eu l'occasion de rencontrer le chef et le conseil de bande pour présenter des observations et expliquer leur point de vue. À un certain moment, M. Gamblin a demandé la tenue d'une réunion pour parler de l'aggravation de la situation, demande qui a été immédiatement acceptée par le conseil de bande. Le défendeur soutient que les demandeurs ont eu la possibilité de réagir à la situation qui se développait, et s'ils n'ont pas présenté d'observations, c'est parce que les demandeurs ont décidé de ne pas participer au processus.
Effet sur le processus électoral
[30] L'allégation selon laquelle les conseils de bande pourraient contrôler le processus électoral dans les réserves si on les autorisait à expulser les membres de la bande est, selon le défendeur, réfutée par l'arrêt de la Cour suprême dans l'affaire Corbiere c. Canada (ministre des Affaires indiennes et du Nord), [1999] 2 R.C.S 203. Le défendeur affirme que cette décision énonce que, même s'il est expulsé et qu'il ne réside pas ordinairement sur la réserve, un membre de la bande peut néanmoins participer à l'élection du conseil, parce que toute politique prévoyant le contraire serait discriminatoire et violerait le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B du Canada Act 1982 (U.K.), 1982, ch. 11. Par conséquent, le fait de pouvoir expulser les membres de la bande ne permet pas aux conseils de bande de contrôler le processus électoral, parce que cela ne modifie pas la composition du corps électoral, malgré le départ de la réserve d'un membre de la bande.
Violation de l'entente relative au logement
[31] Le demandeur affirme que toutes les personnes qui résidaient dans la réserve, y compris les demandeurs, connaissaient la politique adoptée par le conseil de bande selon laquelle les occupants d'un logement de la bande devaient veiller à ce qu'aucune activité illégale ne s'exerce dans leur logement s'ils voulaient continuer à l'occuper. En outre, les occupants de ces logements, y compris les demandeurs, savaient que la présence de substances illégales dans ces locaux annulerait l'autorisation qui leur avait été donnée d'utiliser ces logements. Cette position est appuyée par l'affidavit du demandeur Gamblin. Par conséquent, le défendeur estime que l'utilisation d'un logement de la bande est un privilège et non un droit. Dès lors, le fait que les demandeurs aient été mis au courant des conditions à plusieurs reprises et qu'ils les aient violées leur a fait perdre ce privilège, qui en fait leur a été retiré.
[32] Le demandeur affirme qu'aucun membre de la bande ne peut être propriétaire ou possesseur des terres de réserve ni y résider. La Couronne possède les terres pour le profit de la bande mais la Loi énonce que c'est le conseil de bande qui détermine en fin de compte comment ces terres seront utilisées. L'article 20 de la Loi précise la façon dont un membre de la bande peut obtenir des droits associés à la possession de terres de réserve. Par conséquent, aucun des demandeurs ne possédant un certificat de possession ou d'occupation tel que prévu à l'article 20, ils ne possédaient aucun des droits découlant d'un tel certificat. Ils n'étaient donc pas véritablement en possession d'un terrain, qui demeurait sous le contrôle du conseil de bande, et dont ils ont été finalement expulsés.
[33] Le défendeur affirme que la Cour suprême de la Colombie-Britannique a jugé, dans l'arrêt Joe v. Findlay, [1987] 2 C.N.L.R. 75, que, si les conseils de bande peuvent attribuer toutes les terres de réserve à des membres de la bande, tous les membres de la bande n'ont pas le droit de se voir attribuer une partie de ces terres. Ainsi, le fait de ne pas attribuer de terres à des membres de la bande a pour effet d'exclure de la réserve ces membres de la bande. C'est pour cette raison, soutient le défendeur, que la Cour a jugé que les membres de la bande ne possédaient pas le droit d'utiliser ou d'occuper des terres de réserve ou d'y résider.
[34] Le défendeur se base sur le fait que l'entente relative au logement est une question de droit privé et sur le fait que le logement est un privilège et non pas un droit pour les membres de la bande pour soutenir qu'il n'est pas possible de contester la validité de l'expulsion. Le défendeur adopte cette position parce que les demandeurs connaissaient les conditions dont était assortie l'utilisation du logement et qu'ils ont par la suite violé ces conditions. Le défendeur estime par conséquent qu'il n'avait aucune autre obligation contractuelle envers les défendeurs.
Réponse du défendeur aux arguments des demandeurs
[35] Le défendeur répond à l'affirmation selon laquelle un conseil de bande ne peut imposer une sanction à un membre de la bande si celui-ci n'a pas été déclaré coupable d'une infraction, en soutenant qu'il existe un certain nombre de gouvernements au Canada qui prennent des mesures ou refusent certains privilèges dès qu'une accusation a été portée. Pour étayer sa position, le défendeur cite les lois de la province du Manitoba qui prévoient que lorsqu'une personne a été inculpée de conduite avec facultés affaiblies, le véhicule qu'elle conduit est confisqué et le permis de conduire du conducteur suspendu. La Cour d'appel du Manitoba a déclaré que cette politique était raisonnable compte tenu de l'objectif social visé. Par analogie avec l'exemple ci-dessus, le défendeur soutient qu'il a mis en oeuvre une politique de tolérance zéro à l'égard des drogues et de l'alcool dans le but de protéger la santé des membres de la collectivité de Norway House.
[36] Pour ce qui est de l'allégation selon laquelle Monias aurait dû être autorisée à demeurer dans le logement attribué après que Gamblin en eût été expulsé, étant donné que le logement avait été attribué à toute la famille, le défendeur soutient que cela n'est pas le cas. Le paragraphe 28(1) de la Loi énonce :
Sous réserve du paragraphe (2), est nul un acte, bail, contrat, instrument, document ou accord de toute nature, écrit ou oral, par lequel une bande ou un membre d'une bande est censé permettre à une personne, autre qu'un membre de cette bande, d'occuper ou utiliser une réserve ou de résider ou autrement exercer des droits sur une réserve.
Angela Monias n'est pas membre de la Nation crie de Norway House et par conséquent, selon l'article 28, elle n'a pas le droit d'exercer les droits que possèdent les membres de la bande sur la réserve.
[37] Pour répondre à l'affirmation des demandeurs selon laquelle la résolution n'est pas un texte juridique valide susceptible d'être appliqué pour mettre en oeuvre la politique adoptée par le conseil de bande, le défendeur soutient que la loi n'exige pas que soit adopté un règlement administratif. Compte tenu du préambule de l'article 81 de la Loi, le défendeur affirme que l'expression « peut prendre des règlements administratifs, non incompatibles avec la présente loi » veut dire qu'il est possible d'adopter des règlements administratifs mais que cela n'est pas obligatoire. Il soutient par conséquent que les résolutions constituent un type de mesure valide qui ne lient pas uniquement les membres du conseil de bande.
LES QUESTIONS EN LITIGE
1. Le conseil de bande a-t-il commis une erreur susceptible d'entraîner l'annulation de la décision d'expulser M. Gamblin et Mme Monias du logement de la bande qui leur avait été attribué?
2. Le conseil de bande a-t-il commis une erreur susceptible d'entraîner l'annulation de sa décision d'expulser M. Gamblin et Mme Monias de la réserve à titre de mesure sanctionnant la violation de la résolution?
ANALYSE
La norme de contrôle applicable
[38] Pour déterminer la norme applicable à un tribunal administratif, la Cour suprême a affirmé dans l'arrêt Pushpanathan c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, que la question centrale lorsqu'il s'agit de déterminer la norme de contrôle applicable est la question de savoir si le législateur entendait que la décision en question relève de la compétence exclusive du tribunal. Par conséquent, pour déterminer si les tribunaux ont l'obligation de faire preuve de retenue à l'égard des décisions de ces tribunaux administratifs, il convient de tenir compte notamment des facteurs suivants : l'absence ou la présence d'une clause privative, le degré d'expertise du tribunal, l'objectif général de la loi et de la disposition en particulier ainsi que la nature du problème. Cette analyse découle de l'arrêt B.C. Telephone Co. c. Shaw Cable Systems (B.C.) Ltd., [1995] 2 R.C.S. 739, dans lequel la Cour a jugé que les tribunaux judiciaires doivent faire preuve de retenue à l'endroit d'un tribunal spécialisé agissant dans son domaine de compétence et dans le cadre de ses pouvoirs. Dans ce genre de cas, les décisions du tribunal en question sont déclarées valides, sauf si elles sont manifestement déraisonnables. Il est important de noter que la notion de décision manifestement déraisonnable est un critère de contrôle très strict et la décision d'un tribunal sera qualifiée de manifestement déraisonnable dans le seul cas où la décision outrepasse clairement les pouvoirs confiés par la loi au tribunal [Canada Safeway Ltd. c. R.W.D.S.U., Local 454, [1998] 1 R.C.S. 1079].
[39] Il convient toutefois de ne pas oublier que si le tribunal administratif (le conseil de bande en l'espèce) excède ses pouvoirs, ses décisions doivent être justes et les tribunaux judiciaires n'hésiteront pas à les annuler dans le cas contraire [C.P. Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3].
Expulsion
[40] Il est possible d'examiner séparément la question de l'expulsion des demandeurs de leur logement et celle de leur exclusion de la réserve, puisque la première décision n'est pas fondée sur la résolution.
[41] Pour l'essentiel, l'entente intervenue entre le conseil de bande et M. Gamblin au sujet de l'attribution d'un logement est un contrat de droit privé. Elle ne constitue pas un bail puisque l'utilisateur ne paie pas de loyer et il ne s'agit pas non plus d'une fiducie, comme le soutient le procureur des demandeurs, parce que la résidence appartient au conseil de bande et que celui-ci ne peut agir à titre de fiduciaire à l'égard de ses biens. Les éléments suivants démontrent l'existence d'un contrat de droit privé : Gamblin s'est vu offrir la possibilité de se loger dans la maison mobile, il a accepté l'offre avec les conditions dont elle était assortie; une contrepartie a été échangée par les parties sous la forme d'une promesse mutuelle - M. Gamblin promettait d'entretenir le logement et de ne pas autoriser que s'y exercent des activités illégales pour pouvoir continuer à s'y loger avec sa famille.
[42] Dans son affidavit, M. Gamblin mentionne clairement que « tout le monde » savait que lorsqu'un membre de la bande obtenait un logement, son utilisation était assortie d'une condition implicite voulant qu'aucune activité illégale n'y soit exercée. Il a affirmé également sous serment qu'il connaissait cette condition et qu'il avait accepté que la violation de cette condition lui interdise de continuer à occuper le logement. Par conséquent, lorsqu'il a été inculpé de possession d'une substance désignée (qui pourrait très rapidement perdre cette appellation), même sans tenir compte de la résolution, M. Gamblin a violé une condition implicite du contrat d'attribution de logement. Que la marijuana qui a été saisie chez lui lui appartienne ou non, il savait qu'elle se trouvait dans son logement et il n'a rien fait pour empêcher l'exercice de cette activité. M. Gamblin n'a fait aucune déclaration, que ce soit dans son affidavit ou au cours du contre-interrogatoire auquel celui-ci a donné lieu, pour indiquer qu'il avait pris des mesures pour éviter que soit utilisé ou possédé de la marijuana ou des biens volés dans son logement. Étant donné que M. Gamblin n'a pas empêché qu'une activité illégale soit exercée dans son logement, celui-ci a renoncé au privilège qui lui avait été accordé d'occuper un logement de la bande.
[43] Le conseil de bande s'est fondé sur la violation alléguée de la résolution pour appuyer sa décision d'expulser le demandeur, mais il n'y a pas d'obligation d'agir équitablement lorsqu'il s'agit d'un domaine de droit privé, et il n'y a donc pas lieu de tenir compte de cet aspect. Néanmoins, si l'on examine davantage cet argument, on peut déclarer que si le conseil avait effectivement l'obligation d'agir équitablement envers les demandeurs, il s'est acquitté de son obligation.
[44] La Cour suprême a déclaré dans l'arrêt Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de l'homme), [1989] 2 R.C.S. 879, que les règles de justice naturelle comme l'obligation d'agir équitablement étaient des normes variables. C'est pourquoi leur contenu varie selon les circonstances de l'affaire, les dispositions législatives et la nature de la décision à prendre. En l'espèce, les demandeurs ont été informés de l'adoption de la résolution et des conséquences qu'elle pourrait avoir, tant avant son entrée en vigueur que par la suite. En fait, Mme Monias reconnaît avoir assisté à une réunion publique au sujet du projet de résolution et avoir déclaré y être favorable. On ne peut d'un côté exprimer publiquement une opinion favorable à une certaine mesure et soutenir ensuite que l'on n'a pas été informé de la mesure en question. Le conseil de bande a fait tout son possible pour notifier les résidents de la collectivité en affichant des avis publics et en faisant diffuser des messages d'information sur les postes locaux de télévision et de radio. En outre, les résidents qui risquaient de contrevenir aux conditions énoncées dans la résolution ont été informés par courrier. Compte tenu des circonstances, il n'est pas possible d'exiger que le conseil de bande ait fait davantage.
[45] En outre, dans tous les avis et les lettres rédigés, le conseil de bande invitait les personnes susceptibles d'être touchées par la résolution à parler au chef et à son conseil de la façon d'éviter les conséquences éventuelles des violations de la résolution. Les deux demandeurs ont déclaré dans leurs affidavits qu'ils s'étaient prévalus de la possibilité de parler au chef et au conseil des lettres qu'ils avaient reçues. En fait, le procès-verbal de la réunion du 2 novembre 1998, à laquelle assistait M. Gamblin, indique que cet aspect a été traité et que les participants avaient parlé des sanctions susceptibles d'être imposées.
[46] L'affirmation selon laquelle Mme Monias et les enfants auraient dû être autorisés à demeurer dans leur logement après l'expulsion de Gamblin ne tient pas. Les membres de la bande qui ont droit à un logement de la bande doivent demander leur inscription sur la liste de logement; c'est la procédure officielle qu'il faut suivre. Mme Monias n'a pas droit à un logement, et n'a jamais eu ce droit, parce qu'elle n'est pas membre de la Nation crie de Norway House. L'article 28 de la Loi conforte également cette position puisqu'il déclare nuls tous les contrats, accords et autres documents juridiques concernant des personnes autres qu'un membre de la bande et touchant des droits sur la réserve. Par conséquent, il n'était pas possible d'attribuer à Mme Monias un logement de la bande, et cela n'a pas été fait.
[47] L'affirmation selon laquelle les enfants qui sont membres de la bande ont le droit de demeurer dans le logement n'est pas conforme à la politique de la bande. Les enfants sont bien membres de la bande mais ils n'ont pas demandé de logement et leur nom ne figure pas sur la liste d'admissibilité. L'examen de la liste d'admissibilité à un logement produite à titre de pièce « J » de l'affidavit de Nellie Swanson indique clairement que, lorsque l'on a l'intention d'attribuer un logement à plusieurs personnes, tous les noms des personnes admissibles y figurent. Il est peut-être regrettable que les enfants aient perdu leur logement à cause des gestes posés par leur père mais on ne peut demander à la bande de faire fi des politiques établies et de nuire aux autres personnes admissibles parce que M. Gamblin refuse de reconnaître qu'il a perdu le logement familial par sa faute. Après l'annulation de l'attribution du logement à M. Gamblin, aucun autre membre de sa famille ne répondait aux conditions exigées pour y demeurer. Il faut donc conclure que la résidence a été attribuée à M. Gamblin pour lui-même et sa famille, et non pas à sa seule famille. Cette cour n'est pas un tribunal de la famille mais il est possible de faire remarquer que si les demandeurs avaient abandonné leurs enfants - le ciel nous en préserve! - il aurait fallu trouver un foyer à ces enfants, à titre de pupilles de la Couronne.
[48] Le conseil de bande étant le seul tribunal administratif ayant l'expertise nécessaire pour établir des procédures efficaces pour attribuer un logement aux membres de la bande, l'article 20 de la Loi nous amène à conclure qu'il n'y a pas lieu d'intervenir dans la décision d'expulser M. Gamblin qu'a prise le conseil de bande. Il en résulte que la décision d'expulser l'appelant a été prise dans le cadre des pouvoirs conférés par la loi au conseil de bande. Par conséquent, la décision n'est pas manifestement déraisonnable et aucune erreur susceptible d'être sanctionnée n'a été commise.
[49] Le conseil de bande étant le seul tribunal administratif ayant l'expertise nécessaire pour établir des procédures efficaces pour attribuer un logement aux membres de la bande, l'article 20 de la Loi nous amène à conclure qu'il n'y a pas lieu d'intervenir dans la décision d'expulser M. Gamblin qu'a prise le conseil de bande. Il en résulte que la décision d'expulser l'appelant a été prise dans le cadre des pouvoirs conférés par la loi au conseil de bande. Par conséquent, la décision n'est pas manifestement déraisonnable et aucune erreur susceptible d'être sanctionnée n'a été commise.
Expulsion de la réserve
[50] La question de l'expulsion des demandeurs de la réserve est beaucoup plus litigieuse que celle de l'expulsion de leur logement. Il n'est pas difficile de reconnaître l'importance de l'objectif social recherché par le conseil de bande mais cela ne suffit pas à donner force de loi à la résolution.
[51] Le défendeur soutient non seulement que la résolution est une initiative juridiquement exécutoire qui lie tous les membres de la collectivité mais aussi que l'expulsion de la bande est une sanction reconnue par la coutume. Cependant, aucun ancien n'a été cité comme témoin pour parler de la coutume alléguée et elle est uniquement mentionnée dans une information contenue dans l'affidavit de Fred Muskego qui constitue du ouï-dire. Il faut donc partir du principe que l'unique fondement de l'expulsion de la réserve est la résolution. Dans cette optique, il y a lieu d'examiner la résolution dans le contexte de la Loi.
[52] Comme nous l'avons déjà noté, les articles 81 et 85.1 de la Loi accordent aux conseils de bande le pouvoir de prendre des règlements administratifs pour protéger la collectivité, notamment en interdisant les boissons alcoolisées et en imposant des sanctions en cas de contravention à ces règlements. À la suite des autres collectivités du nord du Manitoba qui ont déjà pris des mesures semblables, le conseil de bande défendeur a adopté la résolution dans le but d'éviter que l'abus de boissons enivrantes se développe à Norway House. Les intentions du conseil de bande sont louables mais il n'a pas utilisé pour adopter la résolution une procédure lui donnant une valeur juridique en regard de la Loi; néanmoins, le caractère louable de la résolution n'est manifestement pas pertinent.
[53] Le défendeur s'appuie sur les pouvoirs que lui attribuent les articles 81 et 85.1 de la Loi pour affirmer qu'il n'est pas nécessaire de procéder par voie de règlement administratif lorsque l'on crée des initiatives à des fins énumérées. Il est toutefois difficile de souscrire à cette interprétation de la Loi. Les articles invoqués traitent expressément des règlements administratifs et les dispositions pertinentes se trouvent dans la rubrique intitulée « règlements administratifs » . Par conséquent, considérer que les règlements administratifs sont uniquement une possibilité qu'envisage la Loi compromet la force juridique des règlements administratifs adoptés régulièrement. La résolution d'un conseil de bande n'est pas un règlement administratif et vice versa : leur accorder la même force juridique est une erreur.
[54] En l'espèce, la résolution a créé une situation où les demandeurs ont été sanctionnés parce que l'un d'entre eux, Gamblin, a plaidé « coupable » à une accusation de possession d'une substance désignée. Le fait qu'il ait plaidé coupable à cette accusation est important du fait que la résolution indique qu'une telle accusation suffit à justifier la prise de sanctions. Les demandeurs soutiennent que cette politique est contraire à la présomption d'innocence. Il faut examiner si le comportement interdit est mauvais par nature, s'il peut constituer seul une infraction ou s'il doit s'accompagner d'un état d'esprit coupable ou de l'absence de diligence raisonnable. Dans la présente affaire, il est possible que la diligence raisonnable puisse être un moyen de défense en cas de violation d'une politique énoncée dans la résolution mais Gamblin pourrait néanmoins faire l'objet de sanctions. Il demeure que, s'il maintient que la marijuana ne lui appartenait pas, Gamblin savait qu'elle se trouvait chez lui et il n'a pas exercé une diligence raisonnable pour la faire disparaître de son logement.
[55] La politique formulée dans la résolution s'attaque à la question grave et inquiétante de l'abus des intoxicants et l'on peut affirmer qu'elle crée une infraction de responsabilité stricte qui donne ouverture au moyen de défense fondé sur la diligence raisonnable. Cela n'est pas une nouvelle mesure visant un problème social connu et l'exemple cité plus haut de la politique adoptée par le Manitoba en matière de conduite en état d'ivresse est un exemple de situation où ce genre de mesure est raisonnable et nécessaire. Pour déterminer si la politique énoncée dans la résolution est déraisonnable, il y a lieu de citer un passage de l'arrêt de la Cour d'appel du Manitoba dans l'affaire R. v. Campbell (1996), 142 D.L.R. (4th) 496. La dernière partie du sommaire (à la p. 498) est celle qui nous intéresse. Elle se lit ainsi :
[TRADUCTION] APPEL par l'accusé d'un jugement du juge Wright, [1996] 2 W.W.R. 708, 106 Man.R. (2d) 135 *** qui rejetait une demande de l'accusé dans laquelle il contestait la constitutionnalité de l'art. 85.1 de la Loi sur les Indiens (Can.) et d'un règlement administratif adopté par une bande indienne conformément à cet article, qui limitait le droit des citoyens de posséder et d'utiliser des boissons alcoolisées sur une réserve indienne.
La Cour a déclaré à l'unanimité :
[TRADUCTION] Ces dispositions habilitantes ont pour objet de lutter contre l'abus des boissons alcoolisées dans les réserves qui connaissent ce problème. C'est aux bandes de décider si ce problème existe chez elles et, le cas échéant, s'il y a lieu d'imposer une interdiction générale ou partielle. L'interdiction peut être annulée en tout ou en partie lorsque la bande estime que la situation a changé. Il est difficile d'imaginer une loi qui serait davantage axée sur un problème précis. Elle est loin d'avoir une portée trop large.
À part quelques exceptions mineures pour ce qui est des fins médicales et religieuses, la ... bande a exercé de façon démocratique son pouvoir d'interdire la possession de boissons alcoolisées et l'état d'ivresse dans la réserve ... Le règlement administratif a été adopté ... pour répondre à la nécessité de lutter contre l'abus de ces boissons et la violence dans la réserve. Les membres de la bande ont estimé que c'était le seul moyen à prendre pour essayer de mettre un terme à ces abus et à la violence qu'ils entraînent.
Les interdictions sont logiquement reliées aux problèmes auxquels la bande cherche à remédier. Dans les circonstances révélées par la preuve, les moyens adoptés pour réaliser cet objectif sont ... à la fois raisonnables et nécessaires. Les tribunaux devraient hésiter à annuler une loi locale parce qu'elle a une portée trop large lorsqu'elle a été préparée par les personnes auxquelles elle s'applique dans le but de répondre à des besoins. (p.505) (juge Twaddle au nom de la Cour)
(Nos italiques)
[56] Les demandeurs affirment également que la résolution est imprécise parce qu'elle ne précise pas le type de sanction applicable à chaque type de violation. Cet argument ne peut être retenu. La résolution prévoit qu'une série de sanctions seront imposées à toute personne se trouvant sur la réserve qui [TRADUCTION] « vend, utilise, possède ou favorise l'usage illégal de drogue » ou d'alcool. Si l'on retenait l'argument des demandeurs au sujet du caractère imprécis de ces dispositions, on pourrait l'appliquer de la même façon au Code criminel du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-46. Les infractions susceptibles d'être sanctionnées sont clairement énoncées et la gamme des sanctions qui peuvent être imposées permet de tenir compte des circonstances particulières de chaque affaire - tout comme le fait le Code criminel. Cela ne correspond pas au contenu d'une politique imprécise. Pour reprendre les paroles de la Cour d'appel du Manitoba dans l'arrêt Campbell : [TRADUCTION] « Il faut éviter ... d'exiger qu'une infraction soit définie avec une précision inatteignable et par là nuire à la réalisation de buts sociaux valides. »
[57] Compte tenu de ces éléments, il est possible d'affirmer ce qui suit : Gamblin était au courant de l'initiative prise par le conseil de bande, il a été averti à plusieurs reprises des conséquences que pourrait avoir sa violation et il a obligé le conseil de bande à l'expulser de la réserve parce qu'il refusait de quitter son logement et contestait ouvertement l'autorité du conseil de bande et de la résolution. L'arrêt Campbell conforte les décisions qu'a prises le conseil de bande de la Nation crie de Norway House sur tous les points sauf celui-ci - le conseil de bande de la Nation crie de Norway House n'a pas adopté de règlement administratif à ce sujet.
[58] Si le conseil de bande avait adopté un règlement administratif semblable à la résolution et que celui-ci avait été approuvé par le Ministre, la décision du conseil de bande d'imposer l'expulsion de la réserve dans le but d'empêcher l'abus de boissons enivrantes dans la réserve aurait été valide. Cependant, le conseil de bande n'ayant jamais eu l'intention d'adopter un règlement administratif à ce sujet, comme cela est mentionné dans l'affidavit de Fred Muskego, la résolution ne bénéficie pas de l'autorité de la Loi. La mesure n'ayant pas été prise dans le cadre de la Loi, il importe peu que la collectivité ait appuyé cette politique et ses objectifs sociaux. Cette politique n'est pas légale et n'est donc pas applicable.
[59] En outre, en omettant d'adopter un règlement administratif et en tenant pour acquis qu'un tel règlement n'était pas nécessaire, le conseil de bande a manifestement excédé les pouvoirs que lui confiait la loi, et c'est donc la norme de la justesse qui s'applique au contrôle judiciaire de sa décision.
CONCLUSION
[60] Le conseil de bande s'est fondé en partie sur la résolution pour expulser de leur logement les demandeurs et leur famille mais cette décision est raisonnable compte tenu du fait que Gamblin a violé une condition implicite de l'entente relative au logement. La violation d'une disposition contractuelle implicite, qu'elle soit orale ou écrite, a vicié l'autorisation d'utiliser le logement et le conseil de bande a donc exercé régulièrement ses pouvoirs lorsqu'il a décidé d'expulser les demandeurs. La demande de contrôle judiciaire à l'égard de l'expulsion du logement est donc rejetée.
[61] Les objectifs sociaux recherchés par le conseil de bande sont louables, mais celui-ci a excédé son pouvoir lorsqu'il a mis en oeuvre la résolution sans que la loi lui en donne le pouvoir. Il a eu tort d'exercer ses pouvoirs de cette façon et sa décision est annulable. Par conséquent, il est fait droit à la demande du contrôle judiciaire à l'égard de l'expulsion des demandeurs de la réserve de la Nation crie de Norway House. La décision qu'a prise le conseil de bande à ce sujet est annulée et les demandeurs sont autorisés à revenir sur la réserve. La Cour ordonne au défendeur d'annuler la résolution et de demander l'approbation d'un règlement administratif avant de faire appliquer cette politique.
[62] La Cour n'accorde pas de dommages-intérêts en l'espèce parce que cela n'est pas approprié dans une demande de cette nature. La Cour refuse d'accorder des dépens aux demandeurs, compte tenu des tentatives qu'a faites le conseil de bande pour en arriver à une entente dès le début de cette regrettable histoire. Les demandeurs se sont toujours comportés comme s'ils étaient au-dessus des décisions du conseil de bande. La demande est rejetée parce que le conseil de bande a agi de façon illégale mais pour le reste, il n'a rien à se reprocher. En résumé, la demande est rejetée mais je n'accorde aucuns dépens.
Ottawa (Ontario)
le 18 décembre 2000
Juge
Traduction certifiée conforme
_______________________________
Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad a.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
NOMS DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-640-99
INTITULÉ DE LA CAUSE : TRON GREGORY GAMBLIN
ET ANGELA FAYE MONIAS
c. NATION CRIE DE NORWAY HOUSE
LIEU DE L'AUDIENCE : Winnipeg (Manitoba)
DATE DE L'AUDIENCE : le 26 juin 2000
MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE MULDOON
EN DATE DU : 18 décembre 2000
ONT COMPARU :
Michael Paluk pour les demandeurs
Paul Edwards
Harley Schachter pour le défendeur
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Michael Paluk
Winnipeg (Manitoba) pour les demandeurs
Duboff Edwards Haight et Schachter
Winnipeg (Manitoba) pour le défendeur