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Date : 20010402

Dossier : T-1859-00

                                                   Référence neutre : 2001 CFPI 279

Ottawa (Ontario), le lundi 2 avril 2001

EN PRÉSENCE DE Madame le juge Dawson

ENTRE :

                    BOVAR WASTE MANAGEMENT INC.

                  ET CHEM-SECURITY (ALBERTA) LTD.

                                                                                     demanderesses

                                                  - et -

DAVID ANDERSON, MINISTRE DE L'ENVIRONNEMENT

          et PETER BLACKALL, DIRECTEUR RÉGIONAL,

   SERVICE DE LA PROTECTION ENVIRONNEMENTALE,

                           ENVIRONNEMENT CANADA

                                                                                                  intimés

        MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON

[1]    Les demanderesses souhaitent obtenir l'autorisation de déposer l'affidavit supplémentaire de M. Graham Latonas.


[2]    Même si je suis persuadée qu'il existe une bonne raison pour expliquer le dépôt tardif de l'affidavit supplémentaire et que les intimés ne subiraient aucun préjudice découlant de ce retard, on n'a pas réussi à me convaincre du fait que cet affidavit supplémentaire est pertinent au regard de la demande de contrôle judiciaire actuellement en instance.

[3]    Cette demande de contrôle judiciaire vise une directive formulée par le ministre de l'Environnement et le directeur régional, Service de la protection environnementale, Environnement Canada. Cette directive ordonne aux demanderesses de procéder à un carottage destructif et à des essais touchant la structure de confinement. À titre de mesure de redressement, on demande le prononcé d'une ordonnance annulant la directive.

[4]         Les moyens suivants sont allégués au soutien de la demande :

1.          La directive outrepasse la compétence du Ministre en ce qu'elle vise à obliger les demanderesses à procéder à un programme de carottage destructif tandis que, selon la Loi canadienne sur la protection de l'environnement, le pouvoir du Ministre touche uniquement à la production d'échantillons déjà obtenus et se trouvant en la possession du destinataire de la directive;

2. À titre subsidiaire, si le Ministre est autorisé à ordonner aux demanderesses d'entreprendre un programme de recherches, ce pouvoir viole la Charte canadienne des droits et libertés;

3.          La directive se fonde sur une interprétation erronée du Règlement sur les biphényles chlorés, DORS/91-152, et sur une interprétation excessivement large du terme « environnement » ;

4.    La directive a été donnée contrairement aux règles de la justice naturelle et de l'équité procédurale en ce qu'elle se fonde, entre autres choses, sur une ou plusieurs erreurs de fait et qu'elle a été formulée d'une façon arbitraire et sans qu'il soit tenu compte des éléments déposés devant les intimés, y compris la conclusion erronée selon laquelle il existait des renseignements utiles à obtenir.

[5]       Selon les conclusions écrites initialement présentées par les demanderesses, les éléments de preuve qu'on souhaite produire par voie d'affidavit supplémentaire seraient :

[TRADUCTION] [...] essentiels, d'une part, pour montrer que leur observation de la directive n'a pas eu pour effet de priver leur demande de contrôle judiciaire d'intérêt pratique et, de l'autre, pour établir le montant des coûts directs engagés. À cet égard, les essais n'ont révélé aucun signe de contamination par des BPC et, par conséquent, il n'existe aucune question liée à de quelconques poursuites fondées sur la preuve obtenue au moyen d'une mesure administrative invalide. Le seul fondement susceptible de justifier la Cour d'examiner la demande de contrôle judiciaire est l'exigence obligeant les intimés à payer les frais découlant de l'observation de la directive.

[6] Cet argument a été quelque peu nuancé dans les conclusions écrites supplémentaires des demanderesses :

[TRADUCTION] [...] il n'en demeure pas moins que la Cour doit décider si la directive outrepasse la compétence du ministre de l'Environnement, quelles dépenses les demanderesses sont susceptibles d'avoir engagées pour se conformer à une ordonnance invalide et si les demanderesses doivent obtenir le remboursement des coûts relatifs à la mise en oeuvre du programme de carottage et de sondage destructif. L'affidavit supplémentaire touche directement à ces questions.


[7]         Bien qu'il ne fasse aucun doute que la taxation définitive des dépens relatifs à la demande de contrôle judiciaire en instance est une question sérieuse, j'accepte la conclusion des intimés selon laquelle la preuve présentée par les demanderesses ne vise pas vraiment le montant des débours ou des articles des dépens envisagés dans le tarif applicable des Règles de la Cour fédérale (1998). De fait, il est plus approprié de qualifier la réclamation concernant les « dépens » de demande de dommages-intérêts. Or, il est bien établi en droit qu'on ne peut faire droit à une demande de dommages-intérêts dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire.

[8]         Même si je suis dans l'erreur sur ce point, on ne m'a pas convaincue du fait qu'il soit nécessaire, ou même opportun, de déposer maintenant une preuve relative au montant des coûts supportés plutôt qu'au moment de n'importe quelle taxation subséquente des dépens ordonnée après l'audition de la demande de contrôle judiciaire.

[9]         J'accepte également la conclusion des intimés voulant qu'il existe un autre obstacle à la pertinence de l'affidavit supplémentaire proposé : il s'agit d'un élément de preuve nouveau dont l'instance décisionnelle n'était pas saisie au moment où elle a décidé de formuler la directive. Il est de droit constant qu'une demande de contrôle judiciaire doit être examinée à la lumière des éléments de preuve produits devant l'instance décisionnelle et qu'en principe, la preuve extrinsèque au dossier dont le décideur est saisi ne peut être introduite devant la Cour. Ce principe général ne supporte qu'une exception limitée. En effet, la preuve extrinsèque peut être admissible lorsque le seul moyen « [...] d'attaquer le défaut de compétence est de présenter cette nouvelle preuve devant la cour de révision » : Gitxsan Treaty Society c. Hospital Empl. Union, [2000] 1 C.F. 135 (C.A.F.), à la page 143.


[10]       Malgré cette exception limitée, je ne suis pas convaincue qu'en l'espèce une preuve extrinsèque est nécessaire pour examiner la question du défaut perçu de compétence. Il me semble que, si les demanderesses souhaitent invoquer l'incompétence du ministre à transférer ( « download » ), selon leur expression, des coûts élevés sous peine de sanction, elles peuvent fonder cet argument sur le dossier existant sans avoir à présenter des éléments de preuve supplémentaires quant à l'importance exacte des coûts engagés.

[11]       En concluant que cet élément de preuve n'est pas pertinent, je rejette l'argument des demanderesses selon lequel toute renonciation ou irrecevabilité applicable en l'espèce découle soit de la thèse invoquée par les intimés lors de la requête précédente visant à obtenir une ordonnance de sursis à l'égard de la directive, soit de l'ordonnance et des motifs de l'ordonnance prononcés par la Cour relativement à cette demande. Essentiellement, les demanderesses allèguent à cet égard que la Cour, en refusant d'accorder le sursis, a présumé que le ministre serait responsable des coûts entraînés par la directive.

[12]       Il est exact que le juge Teitelbaum a rejeté la requête en sursis des demanderesses parce que ces dernières n'ont pas réussi à établir qu'elles subiraient un préjudice irréparable si le sursis n'était pas accordé. Dans les motifs qu'il a prononcés à l'audience, le juge Teitelbaum mentionne ce qui suit :


D'abord, je ne puis voir en quoi un préjudice irréparable peut être causé à Bovar lorsque les demandeurs affirment que, si la Couronne veut faire elle-même les tests, elle peut procéder dès maintenant. Cela m'indique dès le départ qu'il n'y a aucun préjudice irréparable, parce que si Bovar doit faire les tests, le problème se résume simplement à une question d'argent. Les tests coûteront ‘X' milliers de dollars à Bovar, qui a été contrainte de faire les tests en question en raison d'une [TRADUCTION] « ordonnance invalide » . Bovar doit tout simplement formuler une réclamation contre le défendeur et nous ne pouvons pas dire que le défendeur n'a pas les moyens de payer les montants en question; par conséquent, tout cela m'indique dès le départ qu'il n'y a aucun préjudice irréparable.                 [Non souligné dans l'original].

[13]       À mon sens, aucune renonciation ni irrecevabilité ne découle de cette décision de la Cour. Selon moi, il est conforme à la thèse des intimés que si les demanderesses ont une demande de dommages-intérêts à faire valoir, cette réclamation doit être présentée par voie de déclaration. De plus, comme je l'ai fait remarquer à l'audience, les demanderessespourraient juger approprié de présenter à la place une requête en vue d'obtenir, en application du paragraphe 18.4 (2) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, une ordonnance prévoyant que la demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s'il s'agissait d'une action.

[14]       Les demanderesses soutiennent que, si le ministre souhaite alléguer l'absence d'intérêt pratique, il sera nécessaire de présenter d'autres éléments de preuve à la Cour. Or, jusqu'à présent, les intimés n'ont jamais prétendu qu'il y avait lieu de mettre un terme à l'instance au motif que la demande est dénuée d'intérêt pratique. Si la situation change, les intimés pourraient bien avoir à produire de nouveaux éléments de preuve et les demanderesses auront alors la possibilité de répondre à ceux-ci dans le cadre prévu par les Règles de la Cour fédérale (1998).


[15]       Dans la mesure où les demanderesses font valoir que l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale confère à la Cour le pouvoir de rendre un jugement déclaratoire et où cette compétence peut s'étendre au prononcé d'une déclaration imposant le versement de dommages-intérêts, on peut répondre succinctement que les demanderesses en l'espèce ne demandent pas de jugement déclaratoire. En effet, l'avis de demande vise uniquement le prononcé d'une ordonnance annulant la directive.

[16]       Pour ces motifs, j'ai décidé, dans l'exercice de mon pouvoir discrétionnaire, que la requête présentée par les demanderesses en vue d'obtenir l'autorisation de déposer l'affidavit supplémentaire de Graham Latonas devrait être rejetée.

[17]       Les intimés ont demandé les frais de la requête. Compte tenu de la situation, j'estime approprié d'adjuger les dépens de la présente requête aux intimés, suivant l'issue de la cause.

                                        ORDONNANCE

1.          La Cour ordonne que la requête des demanderesses visant à obtenir l'autorisation de déposer l'affidavit supplémentaire de Graham Latonas soit rejetée.


2.          La Cour ordonne que les dépens de la présente requête soient adjugés aux intimés, suivant l'issue de la cause.

                                                                                                           

           « Eleanor R. Dawson »                                                                                                               Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


Date : 20010402

Dossier : T-1859-00

Ottawa (Ontario), le lundi 2 avril 2001

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE DAWSON

ENTRE :

                    BOVAR WASTE MANAGEMENT INC.

                  ET CHEM-SECURITY (ALBERTA) LTD.

                                                                                     demanderesses

                                                  - et -

DAVID ANDERSON, MINISTRE DE L'ENVIRONNEMENT

          et PETER BLACKALL, DIRECTEUR RÉGIONAL,

   SERVICE DE LA PROTECTION ENVIRONNEMENTALE,

                           ENVIRONNEMENT CANADA

                                                                                                  intimés

                                        ORDONNANCE

VU LA REQUÊTE présentée pour le compte des intimés en vue d'obtenir les mesures suivantes :

1.      Une ordonnance enjoignant aux demanderesses de répondre à deux engagements pris lors du contre-interrogatoire sur affidavit de Graham Latonas, tenu le 20 décembre 2000;


2.          Une ordonnance prolongeant le délai applicable au dépôt du dossier des intimés jusqu'à ce que les réponses aux engagements soient fournies et que les autres interrogatoires en l'espèce soient terminés;

3.          Les dépens de la présente requête;

4.          Les autres mesures que la Cour estime appropriées;

ET APRÈS AVOIR LU l'affidavit de Tania Norris ainsi que les conclusions écrites des parties;

ET APRÈS AVOIR ENTENDU les conclusions des avocats des parties, particulièrement celles de l'avocat des demanderesses voulant que les intimés aient renoncé aux moyens énoncés aux alinéas 4(b) et 4(c) de l'avis de demande;

ET APRÈS AVOIR OBSERVÉ que les deux engagements en litige consistaient en des engagements demandés par les intimés relativement à la production de deux ensembles de documents, soit :

i.           les états financiers joints aux états financiers annuels relatifs à l'exploitation, par Chem-Security, du Swan Hills Treatment Centre;

ii.           les ententes de coentreprise et leurs modifications conclues entre le gouvernement de l'Alberta et les demanderesses;

ET APRÈS AVOIR OBSERVÉ que, lors du contre-interrogatoire, la première demande a fait l'objet d'une objection fondée sur la pertinence tandis que la seconde a été prise en délibérée puis refusée;


ET APRÈS AVOIR OBSERVÉ que, pour pouvoir contraindre l'auteur d'un affidavit déposé dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire à subir un contre-interrogatoire, les documents doivent être juridiquement pertinents; un document revêt ce caractère lorsqu'il est susceptible d'aider le tribunal à décider s'il peut accorder la réparation demandée [voir l'affaire Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (1997), 80 C.P.R. (3d) 550 ( C.F. 1re inst.), conf. Merck & Co. c. Canada (Ministre de la Santé) (1999), 3 C.P.R. (4th) 286 (C.A.F.)];

ET APRÈS AVOIR OBSERVÉ que les demanderesses soutiennent que leur exploitation du Swan Hills Treatment Centre ne vise pas des « fins de commerce, de fabrication ou de transformation » au sens où l'entend le Règlement sur les biphényles chlorés, DORS/91-152;

ET APRÈS AVOIR TENU COMPTE DU FAIT que, relativement aux états financiers, même si le déposant a reconnu lors de son contre-interrogatoire que l'installation était exploitée à des fins lucratives, il n'a pas été admis que des activités commerciales s'y déroulaient; en outre, l'avocat des demanderesses a fait savoir que les états financiers auraient été fournis avant le contre-interrogatoire si on les avait demandés; dans ces circonstances, j'arrive à la conclusion que les états financiers sont juridiquement pertinents et devraient être produits;


ET APRÈS AVOIR TENU COMPTE DU FAIT que, relativement aux ententes de coentreprise et leurs modifications, il ressort de la transcription du contre-interrogatoire que ces ententes ont été invoquées dans le contexte d'une assertion faite dans l'affidavit du déposant selon laquelle la province de l'Alberta est responsable de la réparation; le contre-interrogateur a mentionné qu'il souhaitait examiner les documents dans leur intégralité [TRADUCTION] « afin de pouvoir les examiner et me faire une opinion quant à la source de l'assertion formulée dans l'affidavit » ; à la lumière du désistement visant le moyen énoncé à l'alinéa 4(b) de l'avis de demande, les intimés n'ont pas réussi à me convaincre que les ententes de coentreprise sont juridiquement pertinentes;

ET APRÈS AVOIR OBSERVÉ que les intimés ont, à l'instar des demanderesses, sollicité les dépens liés à la présente requête; les intimés n'ont que partiellement obtenu gain de cause et, s'ils avaient fait preuve de diligence raisonnable, ils auraient pu demander aux demanderesses les états financiers qu'ils tentent maintenant d'obtenir ou encore les consulter par le truchement d'Internet avant l'interrogatoire; compte tenu de la situation, j'estime plus équitable que chaque partie assume ses propres frais de sorte qu'aucuns dépens ne seront adjugés.


LA COUR ORDONNE :

1.      Que les demanderesses fournissent aux intimés les états financiers joints aux états financiers annuels relatifs à l'exploitation, par Chem-Security, du Swan Hills Treatment Centre;

2.      Que le délai prévu par les Règles de la Cour fédérale (1998) pour le dépôt du dossier des intimés soit prolongé de manière à permettre à ces derniers de déposer leur dossier dans les 10 jours suivant la réception des états financiers ou la conclusion de tout autre interrogatoire du déposant relatif aux états financiers;

3.      Qu'aucuns dépens ne soient adjugés aux parties.

      « Eleanor R. Dawson »                                                                                                                 Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     T-1859-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                         Bovar Waste Management Inc. et Chem-Security (Alberta) Inc. c. David Anderson, ministre de l'Environnement, et Peter Blackall, directeur régional, Service de la protection environnementale, Environnement Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Calgary (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :                            Le 26 mars 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MADAME LE JUGE DAWSON LE 2 AVRIL 2001.

ONT COMPARU :

Richard Neufeld

Bernard Roth                                                     POUR LES DEMANDERESSES

Ken A. Manning                                                POUR LES INTIMÉS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Fraser Milner Casgrain                          POUR LES DEMANDERESSES

Barristers and Solicitors

Calgary (Alberta)

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                                               POUR LES INTIMÉS

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