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Date : 19990202


T-589-92

OTTAWA (ONTARIO), LE 2 FÉVRIER 1999.

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MacKAY

E n t r e :

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     demanderesse,

     - et -

     CANADA TRUSTCO MORTGAGE COMPANY,

     défenderesse.

     LA COUR, STATUANT SUR l'action introduite par la demanderesse en vue d'interjeter appel de la décision de la Cour canadienne de l'impôt publiée sous l'intitulé Canada Trustco Mortgage Corporation c. Ministre du Revenu national, (1991), 91 D.T.C. 1312;

     APRÈS AVOIR ENTENDU les avocats des parties à London (Ontario) les 23, 24 et 25 mars 1998, date à laquelle il a été sursis au prononcé de la décision et APRÈS EXAMEN des observations qui ont alors été formulées et des observations écrites produites par la défenderesse en réponse aux observations écrites de la demanderesse intitulées [TRADUCTION] " Exposé des faits et des questions en litige " qui ont été déposées à la clôture de l'audience :

     J U G E M E N T

1.      REJETTE l'action, tout comme l'appel interjeté par la demanderesse de la décision susmentionnée de la Cour canadienne de l'impôt;
2.      RENVOIE la présente affaire au ministre du Revenu national pour qu'il établisse une nouvelle cotisation en conformité avec le présent jugement;

3.      CONDAMNE la demanderesse aux dépens de l'action au tarif habituel des dépens entre parties.

    

                                         Juge

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL. L.


Date : 19990202


T-589-92

E n t r e :

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     demanderesse,

     - et -

     CANADA TRUSTCO MORTGAGE COMPANY,

     défenderesse.

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE MacKAY

[1]      La Cour statue sur l'appel interjeté au nom de Sa Majesté la Reine d'un jugement rendu en 1991 par la Cour canadienne de l'impôt1. Par ce jugement, le juge en chef adjoint Christie a accueilli l'appel que la défenderesse interjetait de la nouvelle cotisation fiscale qui avait été établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi) relativement aux années d'imposition 1984 et 1985 d'une compagnie que la compagnie défenderesse avait remplacée.

[2]      Lors de l'audition de l'appel, les parties s'entendaient sur la plupart des faits essentiels et sur les sommes en litige dans les nouvelles cotisations qui avaient été établies relativement au revenu de la défenderesse pour les années en question. Certaines des questions qui étaient en litige entre les parties lorsque l'affaire a été entendue par la Cour de l'impôt avaient été résolues, et la seule question en suspens au moment où la présente action a été introduite était celle de savoir si un certain revenu reçu au cours des années en question par une corporation étrangère affiliée contrôlée du prédécesseur de la défenderesse constituait un revenu tiré d'une entreprise exploitée activement ou s'il s'agissait d'un revenu étranger accumulé, tiré de biens du prédécesseur de la défenderesse (REAB) au sens de l'alinéa 95(1)b) de la Loi, dans sa rédaction en vigueur au cours des années en question. S'il doit être qualifié de la première façon, comme la Cour de l'impôt l'a fait, ce revenu n'est pas imposable à titre de revenu de la défenderesse. Si, en revanche, elles sont considérées comme un revenu étranger accumulé, tiré de biens (REAB), les sommes convenues constituent un revenu imputable à la défenderesse qui est imposable au Canada en vertu du paragraphe 91(1) de la Loi.

[3]      À mon avis, le juge de la Cour de l'impôt a eu raison de conclure que le revenu reçu par la filiale étrangère en l'espèce ne constituait pas un REAB au sens de la Loi et qu'il n'était pas imposable à titre de revenu du prédécesseur de la défenderesse. L'action de la demanderesse est donc rejetée et, par le fait même, l'appel interjeté de la décision de la Cour de l'impôt, pour les motifs qui suivent.

Contexte

[4]      La défenderesse est une compagnie qui a été constituée en personne morale le 31 décembre 1985 aux termes de lettres patentes de fusion délivrées en vertu de la Loi sur les sociétés de prêt du Canada, dans sa rédaction alors en vigueur2. La défenderesse a remplacé la Canada Trustco Mortgage Company et la Canada Permanent Mortgage Corporation (Canada Permanent), qui existaient depuis longtemps au Canada. Lors de sa constitution, la défenderesse est devenue assujettie à l'impôt sur le revenu dû par ses prédécesseurs et, partant, par Canada Permanent, pour les années 1984 et 1985.

[5]      Cette dernière compagnie avait, en décembre 1983, entrepris les démarches nécessaires pour que la Canada Permanent Trust Company B.V. soit constituée en personne morale sous le régime des lois des Pays-Bas. Cette dernière compagnie avait changé sa dénomination pour celle de Canada Trust Company B.V. en octobre 1986 après la constitution de la défenderesse. Elle sera désormais simplement désignée sous les lettres B.V. À l'époque en cause, B.V. était une " corporation étrangère affiliée contrôlée " au sens de l'alinéa 95(1)a) de la Loi et elle appartenait en propriété exclusive à Canada Permanent. Le siège social de B.V. était situé à Amsterdam.

[6]      Jusqu'à sa fusion, en 1985, Canada Permanent faisait partie du groupe de compagnies Genstar. Le 14 décembre 1983, Permanent Home Trade Plan Ltd., une filiale canadienne possédée en propriété exclusive par Canada Permanent, a émis à Canada Permanent des actions supplémentaires pour une valeur de 46 335 000 $. Le lendemain, Permanent Home Trade Plan Ltd. a acheté un billet à ordre de 55,5 millions de dollars de Genstar Mortgage Corporation à Genstar Finance Netherlands B.V. (le billet de Genstar). Le capital prévu au billet était remboursable à raison de 4 250 000 $ US par année à compter du 31 janvier 1985 jusqu'au 31 janvier 1994 et, par la suite, par le versement d'une somme de 2,6 millions de dollars à la même date annuelle jusqu'au 31 janvier 1999, et des intérêts étaient payables trimestriellement sur le capital impayé. Le même jour que celui où elle a acheté le billet de Genstar, le 15 décembre 1983, Permanent Home Trade Plan Ltd. a vendu le billet à ordre à B.V. au prix qu'elle l'avait payé, soit un prix réduit de 43 343 750 $ US, la valeur estimée du billet à cette date, pour lequel B.V. a payé comptant la somme de 6 191,964 $ US et a remis, pour le solde, un billet à ordre sur demande ne portant pas intérêts de 37 151 786 $ US.

[7]      En conséquence, B.V. a touché des intérêts sur le billet de Genstar pendant les quinze derniers jours de 1983. Pour 1984, elle a reçu de l'argent à titre de versement initial au titre du billet, ainsi que les versements trimestriels d'intérêts sur le billet, et elle a touché des intérêts bancaires sur les sommes reçues au titre du billet de Genstar qu'elle a par la suite déposées à court terme à sa banque. En 1985, B.V. a reçu des versements et un revenu similaires, et elle a également tiré un revenu sur les intérêts versés au titre des prêts hypothécaires qu'elle avait achetés cette année-là à des prêteurs agréés en vertu de la Loi nationale sur l'habitation (la LNH).

[8]      Ces achats ont été effectués après qu'on eut examiné d'autres perspectives de placement des fonds de B.V. au fur et à mesure de leur disponibilité et qu'on eut décidé d'investir dans des prêts hypothécaires consentis sur des immeubles situés au Canada. Aux termes de certains contrats de vente et d'administration, Canada Permanent et sa compagnie liée, Canada Permanent Trust Company, ont transféré à B.V. des prêts hypothécaires régis par la LNH pour les sommes suivantes :

     24 janvier 1985 -      par Canada Permanent : 1 173 855,33 $

             -      par Canada Permanent Trust Company : 6 830 190,53 $

    

     1er mars 1985 -      par Canada Permanent : 583 541,33 $

             -      par Canada Permanent Trust Company : 2 971 186,59 $

     1er mai 1985      -      par Canada Permanent : 1 316 451,45 $

             -      par Canada Permanent Trust Company : 5 170 121,03 $

[9]      Chacune de ces ventes visait un bloc de prêts hypothécaires et était assujettie à un contrat type qui stipulait notamment que la compagnie venderesse continuerait, moyennant certains frais, à administrer les prêts hypothécaires en cause à titre de fiduciaire de B.V., le bénéficiaire, et que le fiduciaire avait la faculté de racheter les prêts hypothécaires en tout temps conformément à une formule prescrite.

[10]      Les parties conviennent que c'est Canada Permanent ou Canada Permanent Trust Company qui a effectué les démarches nécessaires pour conclure et administrer les prêts hypothécaires qui ont été transférés à B.V., c'est-à-dire la vérification de la solvabilité des acheteurs éventuels, les vérifications nécessaires pour s'assurer que les prêts hypothécaires étaient garantis par la Loi nationale sur l'habitation, l'administration des divers prêts hypothécaires et la sélection des prêts hypothécaires inclus dans les divers blocs. Tous les prêts hypothécaires qui ont été achetés étaient des prêts garantis agréés. Les compagnies cédantes étaient des prêteurs agréés au sens de la Loi nationale sur l'habitation. B.V. n'était pas un prêteur agréé, et le contrat qui prévoyait que les prêteurs agréés continuaient à administrer les prêts hypothécaires permettait, conformément à la loi en question, le maintien de l'assurance qui garantissait ces prêts hypothécaires.

[11]      Le ministre du Revenu national a établi de nouveau l'impôt dû par la défenderesse pour son année d'imposition 1984 en partant du principe que le revenu net provenant des intérêts bancaires touchés par B.V. était un REAB, évalué à 389 543 $, d'une filiale étrangère contrôlée d'une corporation remplacée. La cotisation de l'année d'imposition 1985 portait sur un revenu analogue provenant d'intérêts bancaires et concernait également le revenu tiré par B.V. sur les prêts hypothécaires qu'elle détenait, revenu qui était évalué à 1 802 263 $. Les parties se sont par la suite entendues sur des montants différents pour les années en question, pour le cas où le revenu en question serait jugé être un REAB, ce qui est la question en litige à trancher dans le cadre du présent appel de la décision de la Cour de l'impôt.

[12]      Dans les cotisations de 1984 et de 1985, le ministre du Revenu national s'est fondé sur plusieurs hypothèses qui ne sont pas contestées, sauf celle suivant laquelle B.V. n'exploitait pas une entreprise active. La Cour de l'impôt a d'ailleurs écarté cette hypothèse dans la décision dont appel est interjeté pour le compte de Sa Majesté. Le juge en chef adjoint Christie a en effet conclu que B.V. exploitait effectivement une entreprise activement et que le revenu en litige en l'espèce provenait d'une entreprise exploitée activement et qu'il ne constituait donc pas un REAB au sens de l'alinéa 95(1)b) de la Loi.

[13]      Sur cette question, les parties ont fait valoir devant moi des points de vue divergents en ce qui concerne l'application de la Loi. Elles ont soulevé deux questions qui ne semblent pas avoir été débattues devant la Cour de l'impôt.

Questions en litige

[14]      L'avocat de la demanderesse affirme tout d'abord que le revenu en question peut être considéré comme un REAB compte tenu de sa provenance et de la manière dont il a été gagné et ce, même si d'autres revenus que B.V. a tirés d'autres sources sont considérés comme provenant d'une entreprise exploitée activement. L'avocat de la défenderesse soutient pour sa part que c'est la nature générale des activités de B.V. qui permet de déterminer si celle-ci exploite ou non une entreprise activement. Il ajoute que les revenus provenant de cette entreprise ne sont pas tous des REAB de sa société mère canadienne au sens de l'alinéa 95(1)b).

[15]      La seconde question qui a été soulevée lors du débat qui a eu lieu devant moi concerne l'application temporelle du concept d'entreprise exploitée activement. Ainsi, l'avocat de Sa Majesté soutient que, peu importe la qualification que l'on donne à l'entreprise que B.V. exploitait en 1985, on ne peut guère prétendre qu'elle exploitait une entreprise " activement " en 1984.

[16]      Par souci de clarté, il peut être utile de résumer les revenus de B.V. selon leur provenance et la qualification que le ministre leur a donnée dans ses cotisations. Au cours de années en question, les revenus de B.V. provenaient de trois sources différentes. Lors des deux années considérées, B.V. a tiré un revenu du billet de Genstar, sous la forme d'intérêts versés trimestriellement sur le billet et sous la forme d'une partie du remboursement annuel du capital. Les parties s'entendent pour dire que ce revenu ne constitue pas un REAB. Au cours des deux années en cause, B.V. a également tiré un revenu de deux placements à court terme sous forme de dépôts en banque du produit qu'elle avait reçu en paiement du billet de Genstar, en attendant qu'une décision soit prise au sujet d'autres formes de placements. Le ministre a considéré ce revenu comme un REAB pour les deux années en question. En 1985, les intérêts touchés sur les placements faits cette année-là dans les prêts hypothécaires régis par la LNH ont également été considérés comme un REAB. Voici un tableau récapitulatif des revenus, selon leur provenance et leur classification par le ministre :

         Source de revenu              1984          1985

                             gagné          gagné          Classé comme

     Revenu tiré des sommes reçues

     au titre du billet de Genstar              oui          oui          (pas REAB)

     Revenu tiré des dépôts en banque du      oui          oui          (REAB)

     revenu tiré du billet de Genstar

     Revenu tiré du portefeuille

     de prêts hypothécaires

          régis par la LNH              (aucun)      oui          (REAB)

[17]      Il semble que, devant la Cour de l'impôt, la possibilité de ne classer qu'une partie du revenu de B.V. comme REAB n'ait pas été envisagée directement, même si le ministre a qualifié une partie, mais pas la totalité, du revenu de REAB, vraisemblablement en fonction de la provenance du revenu. Après avoir conclu que B.V. exploitait une entreprise activement, compte tenu des diverses activités qu'elle avait exercées au cours de l'ensemble de cette période et en tenant compte jusqu'à un certain point de son évolution ultérieure, le juge en chef adjoint Christie a conclu que le revenu en question était entièrement généré par une entreprise exploitée activement par B.V. et ce, même si une partie de ce revenu était le fruit du travail effectué par des entrepreneurs indépendants, en l'occurrence les cédants des portefeuilles d'hypothèques. Ainsi, aucun des revenus en question n'a été considéré comme un REAB au sens de l'alinéa 95(1)b) de la Loi, indépendamment de sa provenance et indépendamment de l'année où il avait été gagné, étant donné qu'il s'agissait exclusivement de revenus tirés d'une entreprise exploitée activement.

Dispositions législatives applicables

[18]      La Loi prévoit, en ce qui concerne le calcul du revenu, l'inclusion de certains revenus en tant que revenus d'un actionnaire canadien à la sous-section i (actionnaires de corporations qui ne résident pas au Canada) de la section B (calcul du revenu). Les articles 90 et 91, qui font partie de cette sous-section, prévoient que le revenu d'un contribuable canadien doit inclure certains montants se rapportant aux dividendes reçus ou à d'autres versements effectués au titre d'actions détenues par une corporation qui ne réside pas au Canada. D'autres articles traitent de certains aspects des revenus provenant de sociétés étrangères, et l'article 95 traite du " revenu étranger accumulé, tiré de biens ", qui est désigné dans les présents motifs sous l'abréviation REAB. Les dispositions législatives sont complexes, mais il est clair, et il n'est pas contesté que les revenus tirés d'une entreprise exploitée activement ne font pas partie du REAB dont il est question à cet article, pour les années en question. À l'époque en cause, l'article 95 disposait notamment :

     95. (1) Dans la présente sous-section,

     a) " corporation étrangère affiliée contrôlée " s'entend d'une corporation étrangère affiliée d'un contribuable résidant au Canada qui, à une date donnée, est contrôlée par
         (i) le contribuable,
         [...]
     a.1) " bien exclu " d'une corporation étrangère affiliée d'un contribuable désigne tout bien de celle-ci
         (i) qu'elle utilise ou détient principalement en vue de tirer un revenu d'une entreprise exploitée activement...
         [...]
     b) " revenu étranger accumulé, tiré de biens " d'une corporation étrangère affiliée d'un contribuable pour une année d'imposition de la corporation affiliée, désigne la fraction, s'il en est, du total obtenu en additionnant
         (i) les revenus tirés de la corporation affiliée, pour l'année, de biens et d'entreprises autres que des entreprises exploitées activement autres que
     [...]
             [les dispositions A, B et C prévoient des exceptions dont aucune ne s'applique au cas du revenu de B.V.]

     (2) Aux fins de la présente sous-section,

     a) il doit être inclus dans le revenu provenant d'une entreprise exploitée activement d'une corporation étrangère affiliée d'un contribuable
         (i) tout revenu provenant de sources situées dans un pays autre que le Canada qui serait autrement un revenu de biens ou d'une entreprise exploitée activement, dans la mesure où il appartient ou se rapporte de manière accessoire à l'exploitation active d'une entreprise exploitée dans un pays autre que le Canada par la corporation affiliée ou par tout autre corporation non résidante avec laquelle le contribuable un lien de dépendance

         [...]     

            

Thèse des parties

[19]      L'avocat de la demanderesse affirme que la Cour devrait interpréter l'alinéa 95(1)b) en fonction de l'objet présumé que vise la loi en ce qui concerne le REAB, c'est-à-dire empêcher le report de l'impôt sur le plan fiscal lorsque la filiale étrangère contrôlée d'une corporation a peu ou point d'impôt à payer dans le pays où elle est située et que le revenu gagné serait autrement exempt de tout impôt. Dans le cas qui nous occupe, à l'époque en cause, B.V. avait peu ou point d'impôt à payer sur le revenu qu'elle avait gagné aux Pays-Bas à la suite d'une décision prise par le fisc hollandais en vertu des lois de ce pays peu de temps avant la constitution de B.V. en personne morale. En 1987, ces lois des Pays-Bas ont été modifiées de manière à supprimer l'exonération d'impôt dont bénéficiait le revenu tiré de prêts hypothécaires se rapportant à des immeubles situés à l'étranger, conformément aux modifications négociées dans les traités fiscaux signés entre le Canada et les Pays-Bas. Les prêts hypothécaires que B.V. détenait à l'époque ont été revendus aux administrateurs aux termes des contrats préalablement signés qui permettaient à B.V. de se porter acquéreur des prêts hypothécaires.

[20]      L'avocat de la demanderesse fait valoir que, compte tenu de l'objet général des dispositions législatives relatives au REAB, le revenu que B.V. a tiré en 1984 et 1985 des intérêts gagnés sur les dépôts en banque, ainsi que le revenu qu'elle a tiré en 1985 des prêts hypothécaires qui concernaient des immeubles situés au Canada et qui étaient garantis aux termes du programme de la L.N.H. étaient des REAB. L'avocat de la demanderesse soutient plus particulièrement que cette dernière source de revenus, le revenu tiré des hypothèques, était le fruit d'un simple transfert, à une filiale étrangère détenue en propriété exclusive, de portefeuilles de prêts hypothécaires concernant des immeubles situés au Canada qui appartenaient à des sociétés canadiennes. Il affirme que si, en conséquence, le revenu ne constitue pas un REAB, les sociétés en question ont éludé l'impôt au Canada et dans le pays de la filiale étrangère, et jouissent à toutes fins utiles d'une exonération d'impôt en ce qui concerne les revenus tirés des prêts hypothécaires qui ont été transférés. Je tiens à rappeler que ce n'est pas ce résultat, mais bien les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui déterminent si un impôt est payable sur le revenu qui nous intéresse en l'espèce.

[21]      L'avocat de la demanderesse soutient également que la défenderesse n'exploitait pas activement une entreprise commerciale en 1984 et que le revenu d'intérêts sur les dépôts en banque qu'elle a touché ne peut légitimement être considéré comme un revenu provenant d'une entreprise exploitée activement. Il ajoute que, contrairement à la qualification que le juge en chef adjoint Christie lui a donnée, ce revenu ne peut constituer des intérêts gagnés sur des fonds qui étaient nécessairement accessoires à l'entreprise exploitée activement par B.V.3, étant donné qu'elle n'exploitait pas d'entreprise activement à ce moment-là. À mon avis, cet argument ne traite pas du motif pour lequel le juge en chef adjoint Christie a considéré les intérêts bancaires comme un revenu tiré d'une entreprise exploitée activement. Cet argument ne tient pas compte de son appréciation des démarches entreprises par les administrateurs de B.V. pour examiner diverses propositions en vue d'étendre le champ d'activité de B.V. et ses activités de prêts, et elle considère les activités de la compagnie uniquement en fonction de la provenance du revenu tiré des dépôts en banque qui, comme il a été reconnu, constituent une source limitée. Qui plus est, cet argument méconnait le fait que la demanderesse a elle-même reconnu que B.V. exerçait effectivement une entreprise activement, ainsi que le démontre implicitement le fait que le ministre a reconnu que le revenu tiré des versements afférents au billet de Genstar ne constitue pas un REAB. En plus des intérêts, une partie des paiements annuels effectués au titre du billet doit avoir constitué un revenu, compte tenu du prix réduit auquel le billet a été acquis.

[22]      L'avocat de la demanderesse soutient finalement que la conception restreinte que son administrateur-gérant avait du rôle de B.V. à l'époque, le rôle limité qu'elle a effectivement joué en ce qui concerne les activités financières, le fait que B.V. n'avait pas ses propres employés et qu'elle n'exerçait elle-même aucune fonction administrative en ce qui concerne les prêts hypothécaires qu'elle avait achetés et le fait que B.V. ne faisait courir aucun risque appréciable à ses éléments d'actif dans l'exploitation de son entreprise permettent tous de conclure que B.V. n'exploitait pas une entreprise activement.

[23]      La défenderesse soutient pour sa part que, conformément aux objectifs précisés dans ses statuts constitutifs, B.V. est présumée exploiter une entreprise, tant selon le sens que la Loi donne à cette expression que selon les définitions courantes qu'en donnent les dictionnaires. La défenderesse affirme que, compte tenu des activités que ses administrateurs ont exercées pour son compte, l'entreprise de B.V. était exploitée activement. Elle n'en n'était pas moins exploitée activement parce que certaines des activités envisagées n'ont, pour diverses raisons, pas été exercées, ou parce qu'elle n'avait pas ses propres employés, mais qu'elle recourait aux services du personnel d'une autre compagnie. L'avocat de la défenderesse affirme que celle-ci a exploitée une entreprise activement en 1984 et en 1985, et que tous les revenus qu'elle a tirés des sommes versées au titre du billet de Genstar, des intérêts bancaires accumulés sur le dépôt bancaire à court terme du produit du billet de Genstar et, finalement, de ses placements hypothécaires, sont des revenus tirés d'une entreprise exploitée activement et ne constituaient pas des REAB au sens de l'alinéa 95(1)b) de la Loi.

Analyse

[24]      Les avocats des parties sont essentiellement d'accord pour dire que, pour interpréter la Loi, et plus particulièrement l'alinéa 95(1)b), il faut examiner la question en la situant dans le contexte de l'objet visé, tel qu'on peut le dégager de la lecture du libellé de la Loi et tel qu'il ressort de ce libellé eu égard à l'ensemble de la Loi4.

[25]      À l'époque en cause, il n'existait pas de définition de l'expression " entreprise exploitée activement " au sens où cette expression est employée à l'alinéa 95(1)b) . Elle a depuis été définie, pour préciser la portée du REAB, par suite d'une modification apportée à la Loi en 19955 à la suite de la décision rendue par la Cour de l'impôt dans la présente affaire. Les " entreprise[s] de placement exploitée[s] par la corporation affiliée [...] " sont expressément exclues de la définition de l'expression " entreprise exploitée activement " par une corporation étrangère affiliée contrôlée. Il semble donc que la modification exclue le revenu en litige en l'espèce qui est tiré d'une entreprise exploitée activement. Vu cette modification, il semble que le revenu en litige en l'espèce constituerait maintenant un REAB. Or, cette modification ne s'applique pas en l'espèce.

[26]      Le paragraphe 248(1) de la Loi définit le terme " entreprise " en précisant qu'y sont assimilés une profession, un métier, un commerce ou une industrie de quelque nature que ce soit, y compris, sauf pour l'application de [dispositions déterminées qui ne nous intéressent pas en l'espèce], un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial ". Il s'agit effectivement d'une définition large et il n'y a rien à l'alinéa 95(1)b) , dans sa rédaction en vigueur à l'époque en cause, qui pourrait nous amener à considérer que le législateur fédéral voulait que le mot " entreprise " que l'on trouve à cet alinéa soit interprété autrement que largement, conformément au paragraphe 248(1).

[27]      Voici, dans le cas qui nous occupe, quelques-uns des objets de B.V. qui étaient énoncés dans ses statuts constitutifs :

                 [TRADUCTION]                 
                 participer à d'autres sociétés, compagnies et entreprises, les financer et les administrer; faire des emprunts, prêter de l'argent et, de façon générale, conclure toutes formes d'opérations financières [...]                 

L'avocat de la demanderesse soutient qu'il ne s'agit là que d'une clause usuelle qui ne revêt pas de signification particulière pour B.V., mais, suivant la preuve administrée par la défenderesse, les objets en question constituent des dispositions courantes reconnues qui permettent de faire enregistrer une entreprise financière aux Pays-Bas. Peu importe que les objets de B.V. qui sont énoncés dans ses statuts constitutifs soient ou non courants, il n'y a aucun doute qu'ils définissent bel et bien les activités auxquelles la compagnie peut licitement se livrer. À mon avis, les activités qu'elle a exercés à partir de la fin de 1983 jusqu'à 1985 et par la suite faisaient partie de ses objets, et tombaient particulièrement sous le coup des mots " faire des emprunts, prêter de l'argent et, de façon générale, conclure toutes formes d'opérations financières ". Il s'agit manifestement là d'objectifs commerciaux. Tant qu'elle respectait ces objectifs, B.V. exploitait une entreprise6.

[28]      Le revenu provenant d'activités prévues par les objets d'une compagnie est présumé constituer un revenu tiré d'une entreprise7. Les faits de la présente affaire ne permettent pas de tirer d'autre conclusion. Je passerai aux faits de la présente affaire après avoir examiné un peu plus à fond les dispositions législatives et la jurisprudence relatives au sens de l'expression " entreprise exploitée activement " dans d'autres dispositions de la Loi .

[29]      Dans sa décision, le juge en chef adjoint Christie retrace l'évolution de l'expression " entreprise exploitée activement " dans la Loi de l'impôt sur le revenu8. Exception faite de cette décision, il n'existe pas de jurisprudence qui porte sur le sens de cette expression à l'alinéa 95(1)b). Dans son jugement, le juge en chef adjoint, avec lequel je suis d'accord, mentionne des décisions portant sur le sens de cette même expression dans d'autres dispositions de la Loi, conformément au principe reconnu d'interprétation de mots identiques employés par le législateur dans diverses dispositions de la même loi9.

[30]      Ces mots étaient auparavant employés sans être définis à l'alinéa 125(1)a), dans sa rédaction en vigueur avant 1979, relativement à l'impôt des petites entreprises ou, plus précisément, aux corporations privées dont le contrôle est canadien. Cette disposition permettait de déduire de l'impôt autrement payable par une telle corporation une somme calculée en partie en fonction du revenu tiré d'une " entreprise admissible exploitée activement " au Canada. Je suis d'accord avec le juge en chef adjoint Christie10 pour dire que certaines décisions portant sur l'application de l'ancien alinéa 125(1)a) sont utiles pour examiner l'expression " entreprise exploitée activement " telle qu'elle s'appliquait à l'alinéa 95(1)b) dans le cas qui nous occupe. Parmi ces décisions, mentionnons le jugement M.R.T. Investments Ltd., E.S.G. Holdings Limited et Rockmore Investments Ltd. c. La Reine11, cité en appel sous l'intitulé La Reine c. Rockmore Investments Ltd.12 et les arrêts La Reine c. M.R.T. Investments Ltd.13, E.S.G. Holdings Limited c. La Reine14. Le juge en chef adjoint Christie a également cité l'arrêt King George Hotels Limited c. La Reine15.

[31]      Il ressort de ces décisions qu'il n'existe pas de mesure quantitative de l'activité qui permette de conclure qu'une compagnie qui exerce les activités financières prévues par les objets de ses statuts constitutifs exploite effectivement une entreprise activement. Dans les affaires M.R.T., Rockmore et E.S.G., il a finalement été jugé que le revenu de ces trois compagnies provenait d'une entreprise exploitée activement. Ces compagnies occupaient toutes les trois les mêmes locaux et utilisaient les services du même personnel fourni par une société de gestion, et elles exploitaient toutes les trois une entreprise de prêt d'argent sur garantie d'hypothèque. La plupart des prêts consentis par les trois compagnies étaient accordés par l'intermédiaire de représentants qui obtenaient leur commission des emprunteurs. Au cours de l'année d'imposition en question, l'année 1972, M.R.T. avait un revenu d'environ 12 500 $, composé en grande partie d'intérêts accumulés sur une quinzaine de prêts hypothécaires évalués à environ 104 000 $; Rockmore avait retiré un revenu d'environ 4 600 $ des intérêts produits par trois prêts hypothécaires, ainsi qu'un modeste revenu provenant d'une petite propriété qui lui appartenait, et E.S.G. avait obtenu quelque 12 000 $ en revenus d'intérêts sur une dizaine de prêts hypothécaires évalués à environ 106 000 $. Dans le cas de M.R.T. et de Rockmore, le juge de première instance a conclu que leur revenu était tiré d'une entreprise exploitée activement, mais, dans le cas de E.S.G., qui était exploitée exclusivement par une société de gestion, et non par ses dirigeants, son personnel, ses administrateurs ou ses actionnaires, le juge a conclu qu'elle n'exploitait pas une entreprise activement. Les appels interjetés par Sa Majesté dans les affaires M.R.T. et Rockmore ont été rejetés et l'appel interjeté par E.S.G. a été accueilli, de sorte, qu'au bout du compte, il a été jugé dans les trois affaires que le revenu en litige était tiré d'une entreprise exploitée activement.

[32]      Ces décisions sont également utiles en ce qu'en appel, la Cour d'appel n'a pas infirmé la conclusion du juge de première instance suivant laquelle les activités exercées par les compagnies en cause avant et après l'année en cause étaient pertinentes pour qualifier l'entreprise d'entreprise exploitée activement. Ainsi, le juge en chef Jackett, de la Cour d'appel, a souligné que, pour déterminer si l'on est en présence d'une " entreprise exploitée activement ", on doit d'abord déterminer s'il y a une " entreprise " au sens de la définition du paragraphe 248(1), puis constater si, eu égard aux circonstances de l'affaire, l'entreprise en cause est une " entreprise exploitée activement " au sens de l'article applicable, dans ces affaires, l'article 125.

[33]      Dans l'arrêt King George Hotels Limited c. La Reine16, le juge Urie, qui s'exprimait au nom de la Cour d'appel, a déclaré ce qui suit dans le cadre d'un appel portant sur la question de savoir si le revenu tiré d'une entreprise de gestion immobilière constituait un revenu tiré d'une " entreprise autre qu'une entreprise activement exploitée " au sens de l'alinéa 129(4)a) de la Loi :

                 [...] je crois utile de souligner que la question de savoir si une entreprise est activement exploitée ou non est, comme je l'ai conclu conformément au précédent Rockmore, [...] une question de fait qui varie selon le cas d'espèce [...]                 

L'appel du contribuable a été rejeté, et la Cour d'appel a confirmé la décision du juge de première instance qui avait conclu, après avoir examiné la preuve, que l'entreprise en question était une entreprise exploitée activement.

[34]      L'avocat de la demanderesse soutient que l'arrêt Ensite Limited c. La Reine17 établit un critère, auquel B.V. n'a pas satisfait en l'espèce, pour déterminer si l'on peut considérer qu'un revenu déterminé est tiré d'une entreprise exploitée activement. Ce critère consiste à se demander si le bien duquel le revenu est tiré a été utilisé et risqué dans l'entreprise. L'avocat de la demanderesse affirme qu'en l'espèce, la nature des biens en cause, en l'occurrence des dépôts en banque et des prêts hypothécaires assurés concernant des immeubles situés au Canada ne présentaient pas de risque véritable pour B.V. Je ne suis pas persuadé que l'analogie tirée de l'arrêt Ensite soit pertinente. Le critère énoncé ne se rapporte pas à la question de savoir si une entreprise est exploitée activement, mais plutôt à celle de savoir si le revenu en litige dans cette affaire, à savoir des intérêts produits par des comptes bancaires des Philippines, constituaient, vu l'ensemble des faits de cette affaire, un " revenu de placements étrangers " ouvrant droit, en vertu du paragraphe 129(4), à une demande de remboursement de dividendes fondée sur l'alinéa 129(1)a) de la Loi. Bien que le paragraphe 129(4) définit effectivement le " revenu de placements étrangers " en partie en fonction de revenus provenant de l'extérieur du Canada, en l'occurrence une entreprise autre qu'une entreprise exploitée activement, le critère posé par la Cour suprême se rapporte, non pas à la nature de l'entreprise exploitée à l'étranger, mais à la classification du revenu provenant des fonds investis dans une entreprise autre qu'une entreprise exploitée activement. La Cour d'appel a estimé que ces fonds avaient été utilisés ou détenus dans le cadre de l'exploitation de l'entreprise du contribuable, laquelle entreprise était exploitée activement, et que les intérêts ainsi gagnés ne constituaient pas un revenu de placements étrangers. La Cour suprême du Canada a confirmé cette décision.

[35]      L'avocat de la demanderesse soutient également, en s'appuyant sur le jugement Ellaman Holdings Inc. c. Ministre du Revenu national18, que la Cour devrait conclure que B.V. n'exploitait pas en l'espèce une entreprise de prêt d'argent. Cette décision ne m'apparaît pas pertinente en l'espèce. Dans ce jugement, la Cour canadienne de l'impôt a conclu, sous la plume du juge Sarchuk, que la preuve ne justifiait pas la prétention que le contribuable exerçait une entreprise de prêt d'argent et, par conséquent, aucune déduction n'a été accordée au titre des pertes découlant du non-paiement des prêts hypothécaires que le contribuable, qui s'occupait par ailleurs exclusivement de la vente de papeterie et de fournitures, détenait à titre de placements. En l'espèce, en ce qui concerne l'ampleur des activités de prêt d'argent exercées par B.V. en conformité avec son objectif plus large d'agir comme société de financement, il n'y a aucun doute que B.V. a effectivement exercé de telles activités. La seule question qui se pose est celle de savoir si les activités qu'elle a exercées au cours des années en question démontrent qu'elle exploitait une entreprise activement.

[36]      C'est à la Cour qu'il incombe de trancher cette question dans le contexte de l'alinéa 95(1)b). Comme nous l'avons vu, cette disposition définit en partie le REAB, comme " la fraction, s'il en est, du total obtenu en additionnant (i) les revenus tirés par la corporation affiliée pour l'année, de biens et d'entreprises autres que des entreprises exploitées activement [...] ". À mon sens, ces mots ne permettent pas de traiter séparément, sur le plan fiscal, des tranches du revenu total d'une filiale qui exploite une entreprise activement, comme si certaines parties du revenu tiré de certaines sources ne provenaient pas d'une entreprise exploitée activement. À mon sens, le mot " revenu " vise des " biens " et des " entreprises autres que des entreprises exploitées activement "; il ne vise pas des tranches de revenus classés en fonction de leur provenance. Si j'ai raison, les nouvelles cotisations établies par le ministre doivent se rapporter à la totalité des revenus de B.V. et non seulement au revenu qu'elle a tiré en 1984 et en 1985 de ses dépôts bancaires. S'il en était autrement, tous les intérêts de ce type provenant d'affiliés étrangers seraient considérés comme des REAB. Qui plus est, ces nouvelles cotisations ne peuvent viser le revenu tiré en 1985 des prêts hypothécaires du simple fait que les immeubles grevés des hypothèques étaient situés au Canada. Si les hypothèques grevaient des immeubles situés ailleurs, par exemple au Royaume-Uni, l'entreprise de B.V. n'aurait pas été exploitée plus ou moins " activement ", et les intérêts ne constitueraient pas, selon moi, un REAB. La provenance des recettes qui viennent alimenter le revenu total de B.V. n'est pas le facteur déterminant lorsqu'il s'agit de décider si ce revenu constitue un REAB au sens de l'alinéa 95(1)b) . À mon avis, cette évaluation doit tenir compte de la totalité du revenu de B.V. à la lumière des éléments de preuve concernant la nature de son entreprise " entreprise exploitée activement ou autre ", considérée comme un tout.

[37]      Vu l'ensemble de la preuve, je suis persuadé qu'au cours des années en question, les années 1984 et 1985, B.V. exploitait une entreprise activement. La preuve est essentiellement constituée du témoignage non contredit donné par le premier administrateur-gérant de B.V., M. A.J. Unsworth, et des éléments de preuve documentaires qu'il a présentés pour appuyer son témoignage. Je constate qu'aucun élément de preuve n'a été présenté pour le compte de la demanderesse.

[38]      Voici un aperçu des démarches que M. Unsworth a entreprises pour le compte de B.V. sur l'ordre et avec l'approbation de ses supérieurs de Genstar et, plus tard, de Canada Trustco, ainsi que de ses administrateurs superviseurs de B.V.

[39]      En 1983, avant la constitution de B.V. en personne morale, mais en prévision de sa création, on a envisagé la possibilité pour B.V. de se livrer à des activités par lesquelles elle financerait des activités et des sociétés membres du groupe Genstar. Les démarches préalables à la constitution de la compagnie en personne morale ont été entreprises, notamment en concluant avec des banques new-yorkaises des ententes prévoyant la réception de fonds de Canada Permanent à titre de capitalisation initiale (environ sept millions de dollars), en échange des actions que B.V. devait émettre lors de sa création, en prévoyant des services bancaires à Amsterdam, en faisant les démarches nécessaires pour obtenir une décision du fisc hollandais et, par la suite, en entreprenant les démarches nécessaires pour l'achat du billet de Genstar, en constituant B.V. en personne morale et, finalement, en nommant ses premiers administrateurs superviseurs.

[40]      Le 14 décembre 1983, B.V. a été constituée en personne morale et, le lendemain, la première assemblée des actionnaires a eu lieu. L'administrateur-gérant avait été nommé fondé de pouvoir. L'assemblée a été suivie d'une rencontre, par conférence téléphonique, de l'administrateur-gérant et des administrateurs superviseurs. Au cours de ces rencontres, on a confirmé les ententes conclues par M. Unsworth au nom de B.V. au sujet des arrangements bancaires et des dispositions prises au sujet de la vérification comptable. On a également confirmé les dispositions qui avaient été prises au sujet de l'émission d'actions à la société mère de B.V., Canada Permanent, au sujet de la désignation d'administrateurs superviseurs, au sujet de l'achat du billet de Genstar et au sujet du placement à court terme du revenu et des éléments d'actif au moyen de dépôts en banque. Au cours de leur deuxième assemblée, les actionnaires ont ratifié l'engagement que l'administrateur-gérant avait donné au nom de B.V. au sujet de ses activités prévues de prêt et son engagement de rendre compte de ses activités et de sa situation financière au surintendant des assurances du Canada, engagements que la société mère de B.V. jugeait importants à l'époque. Au procès, cet engagement a quelque peu retenu l'attention, étant donné qu'il traduisait aussi la perception que M. Unsworth avait du pouvoir limité de B.V. de prêter de l'argent à des tiers autres que ses filiales directes, mais ni l'un ni l'autre de ces facteurs n'est important lorsqu'il s'agit de déterminer si la compagnie exerçait une entreprise activement.

[41]      À la fin de 1983 et jusqu'en 1984, M. Unsworth, après avoir consulté les dirigeants de Genstar et avoir fait rapport aux administrateurs superviseurs de B.V. dont il relevait, a étudié la possibilité pour B.V. d'effectuer les opérations suivantes en tant que possibles occasions de placement :

     i)      achat du billet de Genstar à un prix estimé produisant un rendement annuel moyen de 17,9 %, une opération qui, une fois terminée, donnerait lieu à une cession de créances au comptant des sociétés en activité de Genstar au groupe de sociétés de financement du Canada Permanent;
     ii)      l'acquisition par B.V. d'une autre des sociétés de financement de B.V., Genstar Securities Corporation, qui exerçait ses activités aux États-Unis, acquisition qui, au milieu de l'année 1984, n'était plus considérée opportune;
     iii)      l'acquisition par B.V. de la totalité ou d'une partie du groupe Americal, un groupe de sociétés de prêts hypothécaires qui exerçaient leurs activités aux États-Unis et au Royaume-Uni;
     iv)      l'acquisition par B.V. des prêts hypothécaires consentis par Broadmore Homes, une compagnie du comté d'Orange, en Californie, pour faciliter le financement de complexes domiciliaires par l'achat de blocs de prêts hypothécaires, projet qui a été abandonné au début de 1984;
     v)      la participation par B.V., avec d'autres filiales du Canada Permanent, à des prêts consortiaux consentis aux États-Unis;
     vi)      l'acquisition par B.V. de Canada Permanent U.K., une petite entreprise bancaire se livrant principalement à des opérations de prêts hypothécaires.

Ce dernier projet a amené M. Unsworth à se rendre au Royaume-Uni à deux ou trois reprises et a amené une fois des représentants de la société du Royaume-Uni à Amsterdam pour examiner plus à fond le projet d'acquisition de B.V. La société mère de B.K. n'a finalement pas approuvé ce projet et l'entreprise bancaire exploitée au Royaume-Uni a finalement été vendue à un tiers après que Canada Trustco eut été créé, en 1986. Pour examiner les autres acquisitions et activités envisagées, M. Unsworth s'est rendu aux États-Unis et au Canada, pour examiner ces possibilités et pour en discuter avec des dirigeants du Canada Permanent.

[42]      Il semble que les administrateurs superviseurs et les administrateurs-gérants de B.V. se rencontraient trimestriellement. Les procès-verbaux de leurs réunions qui sont consignés dans le recueil conjoint de documents qui a été versé au présent dossier et que M. Unsworth a cités dans son témoignage, font état des diverses activités qui avaient d'abord été envisagées, ainsi que des placements hypothécaires qui ont par la suite été faits.

[43]      Au milieu de 1984, les divers projets envisagés par M. Unsworth n'étaient plus jugés opportuns, sauf l'éventuelle acquisition de l'entreprise bancaire du Royaume-Uni. Les dirigeants de Canada Permanent ont alors envisagé la possibilité de prendre des dispositions pour verser à B.V. des dividendes spéciaux sur le billet de Genstar, une mesure qui aurait bloquer les chances de B.V. de devenir une société de financement. On n'a pas donné suite à ce projet et, à la fin de 1984, M. Unsworth avait été mis au courant des possibilités offertes à B.V. d'investir dans des prêts hypothécaires sur des immeubles situés au Canada et il a examiné cette éventualité. Il avait été mis au courant de ces possibilités par des tiers des Pays-Bays qui jugeaient ce type de placement alléchant, eu égard aux mesures fiscales applicables au Canada et au traité fiscal conclu entre le Canada et les Pays-bas. Après en avoir discuté avec des dirigeants de Canada Permanent et après avoir obtenu l'approbation des administrateurs superviseurs de B.V., des dispositions ont été prises en vue de l'achat de blocs de prêts hypothécaires des sociétés du Canada Permanent susmentionnées. Comme nous l'avons déjà vu, ces acquisitions ont eu lieu au début de 1985 à trois dates différentes, en vertu de trois ententes semblables prévoyant la vente de six blocs. Les achats totaux conclus en 1985 correspondaient à dix-huit millions de dollars en prêts hypothécaires assurés sur des immeubles situés au Canada. Pour la plupart, ces prêts hypothécaires devaient être remboursés en 1987, date de la renégociation prévue du traité fiscal conclu entre les Pays-bas et le Canada.

[44]      En 1984 et en 1985, et au cours des années qui ont suivi, B.V. a reçu et comptabilisé certaines sommes d'argent reçues en vertu du billet de Genstar. Elle utilisait les services à temps partiel de membres du personnel d'autres compagnies du groupe Genstar à Amsterdam, notamment les services de l'administrateur-gérant, M. Unsworth, et ceux du second administrateur-gérant qui s'est joint à lui en 1984. Ces sommes ont fait l'objet de dépôts à court terme, surtout dans la banque avec laquelle B.V. faisait affaire au Royaume-Uni, et les prêts hypothécaires régis par la LNH ont été achetés et les recettes en provenant, qui ont été reçues et comptabilisées chaque mois à compter d'octobre de cette année-là, ont été détenus pendant un certain temps sous forme de dépôts à court terme. À la fin de 1986, quelques mois après la création de Canada Trustco, les activités de B.V. ont fait l'objet d'un financement supplémentaire. À la fin de 1986 et en 1987, B.V. a conclu des ententes de prêt et de financement avec des tiers, principalement sous forme de financement hypothécaire, principalement sur des immeubles situés aux États-Unis. En 1987, B.V. avait ouvert une succursale à la Barbade et dirigeait et gérait ses activités en Amérique du Nord à partir de cette succursale.

[45]      Les activités que B.V. a exercées après 1985 témoignent de sa constante évolution comme société de financement. Elle a fini par devenir un établissement bancaire solidement implanté, malgré sa petite taille, et ses activités, recettes et profits ont continué à croître. Ses activités plus récentes ne sont pas très différentes de celles qui avaient été initialement prévues et envisagées au cours de ses premières années d'existence.

[46]      L'avocat de Sa Majesté soutient que les activités que B.V. a exercées en 1984 et en 1985 étaient essentiellement des activités de tenue de livres qu'elle effectuait sans son propre personnel ou ses propres locaux, sans un volume élevé d'activités de financement et avec des perspectives d'investissements limitées du point de vue de son administrateur-gérant. Ses activités n'étaient pas limitées par la loi, si ce n'est par ses statuts constitutifs. Au cours de ses premières années, elle aurait fort bien pu ajouter à ses emprunts ou à sa capitalisation les ressources limitées que lui procurait le billet de Genstar si elle avait jugé opportun de se lancer dans des activités de placement pour prendre de l'expansion à cette époque-là. On ne peut ignorer les démarches entreprises par M. Unsworth et celles que les administrateurs et la société mère de la compagnie ont envisagées dès les premiers jours pour financer B.V. Il ressort à mon avis de l'ensemble de ses activités et démarches que B.V. exploitait une entreprise activement en 1984 et en 1985.

[47]      L'avocat de Sa Majesté affirme que, suivant les règles du mandat, les vendeurs des blocs de prêts hypothécaires régis par la L.N.H. qui ont été vendus à B.V. ne pouvaient agir comme mandataires de B.V. pour administrer les prêts hypothécaires achetés et ce, si j'ai bien compris, parce que B.V. ne pouvait elle-même administrer les prêts hypothécaires en question. En toute déférence, je ne suis pas persuadé que les règles de droit du mandat puissent être présumées restreindre les pouvoirs que B.V. tient de ses statuts constitutifs ou que ces règles empêchaient l'achat par B.V. des prêts hypothécaires en question aux termes de contrats qui, selon l'interprétation que j'en fais, considéraient les vendeurs-administrateurs, les prêteurs agréés en vertu du programme des prêts hypothécaires régis par la L.N.H., comme des entrepreneurs indépendants, et non comme des mandataires de B.V. Les principes du droit du mandat ne sont pas utiles, selon moi, pour déterminer si les contrats hypothécaires devraient être examinés hors du cadre des activités de B.V. pour trancher les questions qui me sont soumises. B.V. avait le pouvoir de conclure ces contrats en vertu de ses statuts constitutifs. On ne ignorer ces contrats en invoquant des principes du droit du mandat. Ils ont été conclus dans le cadre des activités dont il faut tenir compte pour déterminer si B.V. exploitait une entreprise activement et si le revenu qu'elle a tiré en 1985 des paiements d'intérêts hypothécaires constitue un revenu tiré d'une entreprise exploitée activement et ne constitue donc pas un REAB.

Dispositif

[48]      Je conclus qu'au cours des années en question, les activités que B.V. a exercées étaient conformes aux objets de ses statuts constitutifs et que ces activités constituaient une entreprise exploitée activement. Le revenu que B.V. a tiré en 1984 de cette entreprise sous la forme du premier versement effectué en vertu du billet de Genstar et des intérêts trimestriels sur ce versement, ainsi que sous la forme du revenu tiré des dépôts en banque du produit du billet de Genstar, constituait un revenu tiré par B.V. d'une entreprise exploitée activement. Qui plus est, en 1985, le revenu provenant de ces deux mêmes sources et l'intérêt gagné sur les prêts hypothécaires grevant des immeubles situés au Canada, prêts achetés et administrés par des prêteurs agréés en vertu de la Loi nationale sur l'habitation, constituaient également un revenu tiré d'une entreprise exploitée activement. Le revenu tiré de dépôts en banque pour les deux années en question et le revenu provenant des prêts hypothécaires détenus en 1985 constituent également un revenu tiré d'une entreprise exploitée activement et ne constituent pas un REAB au sens de l'alinéa 95(1)a), dans sa rédaction alors en vigueur.

[49]      Par ces motifs, l'appel interjeté par la présente action par Sa Majesté de la décision de la Cour canadienne de l'impôt est rejeté. La Cour prononce une ordonnance rejetant l'action relativement aux deux années d'imposition, 1984 et 1985, condamne la demanderesse aux dépens et renvoie la question du revenu imposable de la défenderesse pour les années en question au ministre du Revenu national pour qu'il établisse une nouvelle cotisation en conformité avec les présents motifs.

    

                                         Juge

OTTAWA (Ontario)

Le 2 février 1999.

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL. L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              T-589-92
INTITULÉ DE LA CAUSE :      Sa Majesté la Reine
                     - et -     
                     Canada Trustco Mortgage Limited
LIEU DE L'AUDIENCE :          London (Ontario)
DATES DE L'AUDIENCE :      23, 24 et 25 mars 1998

MOTIFS DU JUGEMENT prononcés par le juge MacKay le 2 février 1999

ONT COMPARU :

Me Jag Gill                          pour la demanderesse

Me Susan Van Der Hout

Me Steven Adams                      pour la défenderesse

Me Brian Daly

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Morris Rosenberg                  pour la demanderesse

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

McCarthy Tétrault                      pour la défenderesse

London (Ontario)


__________________

     1      Canada Trustco Mortgage Company c. Ministre du Revenu national, (1991), 91 D.T.C. 1312 (C.C.I.).

     2      L.R.C. (1985), ch. L-12, abrogée par la Loi sur les sociétés de fiducie et de prêt , L.C. 1991, ch. 45, art. 561.

     3      Canada Trustco Mortgage Company c. M.R.N., supra, note 1, à la page 1325.

     4      Stubart Investments Limited c. Sa Majesté la Reine (1984), 84 D.T.C. 6305 (C.S.C.).

     5      L.C. 1995, ch. 21, par. 46(3).

     6      Commissioner of Income Tax v. Hanover Agencies Limited, [1967] A.C. 681, à la page 687 (C.P.).

     7      Canadian Marconi c. La Reine, (1986), 86 D.T.C. 6526, à la page 6528 (C.S.C.).

     8      Précité, note 1, aux pages 1319 et 1320.

     9      Voir le juge Estey, dans l'arrêt Thomson v. M.N.R., (1946), 2 D.T.C. 812, à la page 813 (C.S.C.).

     10      Supra, note 1, à la page 1320.

     11      (1975) 75 D.T.C. 5224 (C.F. 1re inst.).

     12      (1976) 76 D.T.C. 6156 (C.A.F.).

     13      (1976) 76 D.T.C. 6158 (C.A.F.).

     14      (1976) 76 D.T.C. 6158 (C.A.F.).

     15      (1981) 81 D.T.C. 5082 (C.A.F.).

     16      Ibid.

     17      (1986) 86 D.T.C. 6521 (C.S.C.).

     18      (1987) 87 D.T.C. 480 (C.C.I.).

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