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                                                                                                                                 Date : 20040813

                                                                                                                             Dossier : T-949-03

                                                                                                                Référence : 2004 CF 1129

ENTRE :

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                                                    YIN XIONG

                                                                                                                                      défenderesse

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PHELAN

Introduction

[1]                La personne qui a déménagé au Canada et y est resté pendant neuf jours, qui est retournée ensuite dans son lieu de résidence antérieure et qui a été physiquement présente au Canada pendant 329 jours au cours des trois ans (1 095 jours) exigés a-t-elle établi sa résidence aux fins de la Loi sur la citoyenneté?

[2]                Mme Xiong, une ressortissante chinoise, a étudié aux États-Unis entre 1996 et 1999 avant d'arriver au Canada. Elle a passé neuf jours à Toronto dans l'appartement de sa soeur. Le huitième jour, son mari et sa fille l'ont rejointe; elle est ensuite repartie aux États-Unis poursuivre ses études.

[3]                Au cours des trois années suivantes, Mme Xiong est revenue au Canada voir sa famille chaque fois qu'elle avait des vacances scolaires. Elle a beaucoup de famille au Canada et il est évident qu'elle a l'intention de s'établir au Canada.


[4]                Elle étudie aux États-Unis parce qu'elle n'a pas été admise dans le seul programme de doctorat au Canada qui soit dans son domaine, la littérature comparée. Elle fait des études de doctorat et étudie aussi en vue d'obtenir une maîtrise en informatique à l'Université de la Géorgie. Elle est employée comme assistante dans cette université.

[5]                La juge de la citoyenneté a résumé ainsi les motifs sur lesquels elle s'est fondée pour accorder la citoyenneté :

[traduction]

Le nombre des jours pendant lesquels elle a été physiquement présente au Canada et y a résidé est peu élevé mais sa résidence principale se trouve au Canada. Sa famille étendue - mère, soeur, frère et famille - est constituée de citoyens canadiens. Son mari vit ici. Elle revient pour les vacances et a présenté sa candidature à des postes de professeur d'université et de collège ici - formulaire joint.

[6]                Le formulaire joint auquel fait référence la juge de la citoyenneté pose les questions soulevées dans Re Koo (1992) Imm. L.R. (2d) 1, 59 FTR 27 [1993] 1 CF 286 (1re inst.). Dans ses réponses, la juge reprend le résumé des faits en accordant une attention particulière à la présence de membres de la famille au Canada.

Analyse

[7]                Le commentaire de la juge de la citoyenneté selon laquelle « le nombre des jours pendant lesquels elle a été physiquement présente... est peu élevé » est un euphémisme. J'ai joint dans une annexe aux présents motifs la liste des jours pendant lesquels Mme Xiong a été présente au Canada. Elle est demeurée 878 jours aux États-Unis et 329 jours au Canada au cours de la période de trois ans considérée.

[8]                La disposition applicable de la Loi, le sous-alinéa 5(1)c)(ii), énonce :



5.(1)         Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

c)      est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

5.(1)         The Minister shall grant citizenship to any person who

(c)     is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

(ii)    un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent; . . . .

(ii)    for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence; . . . .


[9]                Mme Xiong se fonde essentiellement sur la décision de notre Cour dans Canada (Secrétaire d'État) c. Man [1986] A.C.F. n ° 499. Elle soutient que cette décision est tout à fait pertinente, étant donné que M. Man était venu au Canada pendant neuf jours et qu'il était ensuite parti étudier, ne revenant voir ses parents que pendant les vacances scolaires.

[10]            Je dois mentionner que le droit a évolué depuis cette décision. En fait, cette décision s'explique principalement par la retenue dont font preuve les tribunaux à l'égard des décisions des juges de la citoyenneté.

[11]            Il est évident que le juge qui a prononcé la décision Man n'était pas tout à fait à l'aise avec cette décision, comme l'indiquent les passages suivants :

Je pourrais avoir certains doutes sur le sens élargi du terme « résidence » . Je pourrais m'interroger sur l'affaiblissement des conditions de résidence de trois ans sur quatre prévues à l'article 5 qui en résulte. Je pourrais réfléchir sur la faculté singulière avec laquelle un statut aussi précieux que celui de citoyen canadien peut être obtenu, lorsque tout ce qu'on pourrait exiger d'un immigrant qui a obtenu le droit d'établissement est qu'il ait un endroit au Canada où il peut laisser ses effets personnels tandis qu'il continue à vaquer à ses diverses occupations pour ne revenir qu'au bout de ses quatre ans pour réclamer ses papiers de citoyenneté.

Il s'agit d'un cas limite et j'imagine que d'autres personnes pourraient parvenir à une conclusion différente avec les mêmes faits...


[12]            La norme de contrôle applicable à une question de ce genre est celle de la décision correcte, étant donné qu'elle porte sur la question de savoir si l'auteur d'une demande de citoyenneté est réputé avoir été physiquement présent pendant la période requise (Zhang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2001 CFPI 501). Les tribunaux doivent faire preuve d'une certaine retenue lorsque la décision montre que son auteur comprend la jurisprudence et que les conclusions de fait sont conformes au critère légal.

[13]            Selon la jurisprudence de la Cour, la personne qui demande la citoyenneté doit démontrer, premièrement, qu'elle a établi sa résidence au Canada trois ans au moins avant la présentation de la demande et ensuite qu'elle a maintenu sa résidence pendant toute cette période. Re Kong [1999] A.C.F. n ° 665; Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Yun Ho Chang [2003] CF 1472.

[14]            Malgré tout le respect qui est dû à la juge de la citoyenneté, je conclus que cette décision est erronée. La juge n'a pas abordé la première question - le fait que Mme Xiong a établi sa résidence au Canada. La juge n'a pas abordé la question de savoir si celle-ci avait fait du Canada le centre de sa vie, trois ans avant sa demande de citoyenneté.

[15]            La juge de la citoyenneté a accordé une trop grande importance à la présence de membres de sa famille au Canada. Dans Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1998] A.C.F. n ° 1796, la Cour a souligné l'importance de l'attachement au Canada de l'auteur de la demande de citoyenneté et a déclaré que cet attachement doit aller au-delà de liens avec des membres de la famille résidant au Canada ou la possession de documents canadiens.


[16]            Dans un jugement plus récent, la Cour a, dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Chang [2003] A.C.F. n ° 1871; 2003 CF 1472, abordé la même question que celle qui est en litige ici - le défaut d'aborder la question des liens entre l'auteur de la demande de citoyenneté et le Canada, par opposition à ceux de sa famille. Ce n'est pas parce que son mari et son enfant résident au Canada que Mme Xiong y réside également.

[17]            À part le fait d'avoir investi au Canada en contribuant à un REER, dans un REEE et dans l'immobilier, il n'existe aucun élément indiquant que, lorsque Mme Xiong se trouvait au Canada, que ce soit au cours des neuf premiers jours ou pendant ses vacances, elle ait exercé des activités qui dénoteraient une intégration ou une participation à la société canadienne. En fait, il lui aurait été difficile d'exercer de telles activités, étant donné la brièveté de ses séjours dans ce pays.

[18]            La présente décision risque certes de décevoir Mme Xiong, mais celle-ci pourra présenter une nouvelle demande le moment venu. Les demandes de citoyenneté présentées par son mari et par sa fille sont en cours de traitement et seront examinées en temps voulu et selon leur mérite. La présente décision ne devrait aucunement nuire à ces demandes. J'ai pris note de l'assurance qu'a fournie l'avocat du ministre selon laquelle la présente affaire ne retarderait pas l'examen des demandes de citoyenneté présentées par son mari et par sa fille.

[19]            Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision de la juge de la citoyenneté datée du 16 avril 2003 est annulée. Les dépens n'ont pas été demandés et aucuns dépens ne sont adjugés.

                                                                                                                           _ Michael L. Phelan _              

                                                                                                                                                     Juge                            

Traduction certifiée conforme


Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


ANNEXE 1

30 janvier 1999                                                                         Droit d'établissement au Canada

30 janvier 1999 au 9 février 1999                                              Canada (9 jours)

9 février 1999 au 18 mars 1999                                                 États-Unis

18 mars 1999 au 28 mars 1999                                                 Canada (10 jours)

28 mars 1999 au 10 mai 1999                                       États-Unis

10 mai 1999 au 21 août 1999                                                    Canada (3,5 mois)

21 août 1999 au 18 décembre 1999                                          États-Unis

18 décembre 1999 au 3 janvier 2000                                         Canada (2 semaines)

3 janvier 2000 au 17 mars 2000                                                États-Unis

17 mars 2000 au 28 mars 2000                                                 Canada (11 jours)

28 mars 2000 au 15 mai 2000                                       États-Unis

15 mai 2000 au 8 août 2000                                                      Canada (3 mois)

8 août 2000 au 25 octobre 2000                                               États-Unis

25 octobre 2000 au 3 novembre 2000                           Canada (9 jours)

3 novembre 2000 au 16 mars 2001                                           États-Unis

16 mars 2001 au 28 mars 2001                                                 Canada (12 jours)

28 mars 2001 au 27 mai 2001                                       États-Unis

27 mai 2001 au 22 juin 2001                                                     Canada (1 mois)

22 juin 2001 au 23 décembre 2001                                           États-Unis

23 décembre 2001 au 3 janvier 2002                                         Canada (10 jours)

3 janvier 2002 au 14 avril 2002                                                 États-Unis

14 avril 2002 au 30 avril 2002                                       Canada (16 jours)


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           T-949-03

INTITULÉ :                                          LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION c. YIN XIONG

LIEU DE L'AUDIENCE :                    TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                  LE 16 JUIN 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                          LE JUGE PHELAN

DATE DES MOTIFS :                         LE VENDREDI 13 AOÛT 2004

COMPARUTIONS :

Sally Thomas                                                                                               POUR LE DEMANDEUR

Wennie Lee                                                                                            POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                                                                                         POUR LE DEMANDEUR

Wennie Lee

Toronto (Ontario)                                                                                   POUR LA DÉFENDERESSE

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