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     Date : 19991222

     Dossier : T-2311-97


Ottawa (Ontario), le mercredi 22 décembre 1999

En présence de Monsieur le juge Gibson


ENTRE :

     GORDON F. DIXON, BERNARD PRINGLE

     et ELIZABETH PRINGLE

     demandeurs

     (intimés)

     - et -


     SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

     LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL, REVENU CANADA

     et LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

     défendeurs

     (requérants)



     ORDONNANCE



     La Cour fait droit à la requête par laquelle les défendeurs concluent à la radiation de la déclaration des demandeurs et aux dépens de cette même requête. La déclaration des demandeurs


est radiée sans autorisation de modification, leur action est rejetée, et les défendeurs ont droit aux dépens de leur requête.

     Signé : Frederick E. Gibson

     ________________________________

     Juge



Traduction certifiée conforme,





Bernard Olivier, LL.B.



     Date : 19991222

     Dossier : T-2311-97


ENTRE :

     GORDON F. DIXON, BERNARD PRINGLE

     et ELIZABETH PRINGLE

     demandeurs

     (intimés)

     - et -


     SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

     LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL, REVENU CANADA

     et LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

     défendeurs

     (requérants)

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


Le juge GIBSON


[1]      Les présents motifs se rapportent à la requête par laquelle les défendeurs concluent à la radiation de la déclaration des demandeurs ainsi qu'aux dépens de la requête elle-même. Cette requête a été entendue en la ville de Calgary (Alberta), le 13 décembre 1999.

[2]      Les défendeurs invoquent les alinéas 221(1)a) et f) des Règles de la Cour fédérale (1998)1, que voici :


221. (1) On motion, the Court, may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it

(a) discloses no reasonable cause of action or defence, as the case may be,

"

(f) is otherwise an abuse of the process of the Court,

and may order the action be dismissed or judgment entered accordingly.

221.(1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d'un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas :

a) qu'il ne révèle aucune cause d'action ou de défense valable;

"

f) qu'il constitue autrement un abus de procédure.

Elle peut aussi ordonner que l'action soit rejetée ou qu'un jugement soit enregistré en conséquence.

LES FAITS DE LA CAUSE

[3]      Les demandeurs, résidents du Canada, détiennent des parts importantes dans la compagnie Highwood Distillers Ltd. (Highwood).

[4]      Les défendeurs ont lancé une enquête sur une supposée entreprise criminelle complexe consistant dans la vente illicite de spiritueux, dont des spiritueux produits par Highwood. La déclaration leur reproche

     [TRADUCTION]

     de ne pas avoir, par négligence, mis fin aux actes illégaux commis [par certaines personnes] contre Highwood, lesquels actes pourraient se traduire de façon prévisible et se sont effectivement traduits par une perte de biens et de recettes pour Highwood, et par des taxes, droits et amendes et autres charges imposés à cette dernière " pourraient compromettre et ont gravement compromis, sur le plan opérationnel et financier, l'aptitude de Highwood à poursuivre son entreprise, et ont eu pour résultat une grave atteinte à la réputation et au crédit de Highwood.

[5]      On peut encore lire ce qui suit dans cette déclaration :

     [TRADUCTION]

     16. Faute par les défendeurs, collectivement et individuellement, de s'acquitter de leurs responsabilités, dont celles qu'ils tiennent de la loi, et comme résultat direct et immédiat de leurs actes et omissions négligents, collectifs et individuels, Highwood a subi des pertes comme suit :
     a)      perte de stocks;
     b)      perte d'opportunités commerciales,
     c)      atteinte à la réputation,
     d)      atteinte à la stabilité financière,
     e)      atteinte à l'aptitude opérationnelle,
     f)      perte d'employés et d'administrateurs, et
     g)      surcroît d'impôts et taxes à payer sous le régime de la Loi sur la taxe d'accise, de la Loi sur l'accise, de la Loi de l'impôt sur le revenu et d'autres lois fédérales et provinciales.
     17. Ces pertes subies par Highwood avaient pour cause directe la chute du prix de ses actions, et pour résultat direct les pertes subies par les demandeurs "

[6]      Highwood a intenté une action contre Sa Majesté la Reine, le ministre du Revenu national et la Gendarmerie royale du Canada, essentiellement sous les mêmes chefs de plainte2.

[7]      Le critère applicable au Canada à la radiation des actes de procédure a été succinctement défini par Mme le juge Wilson au nom de la Cour suprême du Canada dans Hunt c. Carey Canada Inc.3, en page 980 comme suit :

     dans l'hypothèse où les faits mentionnés dans la déclaration peuvent être prouvés, est-il " évident et manifeste " que la déclaration du demandeur ne révèle aucune cause d'action raisonnable?

[8]      L'avocat des demandeurs cite Doe v. Metropolitan Toronto (Municipality) Commissioners of Police4, où le juge Henry, saisi d'une requête semblable à celle qui nous occupe, s'est prononcé en ces termes, page 398 :

     [TRADUCTION]

     Voici le critère à appliquer en cas de requêtes de ce genre :
     a)      Tous les faits articulés, à moins qu'ils ne soient manifestement ridicules ou improuvables, doivent être tenus pour avérés.
     b)      Il ne sera fait droit à la requête que si les parties requérantes prouvent qu'il est évident, manifeste et indubitable que le demandeur ne saurait avoir gain de cause.
     c)      Le caractère inédit de la cause d'action ne jouera pas contre le demandeur.

         "


d)      a.      un autre principe, récemment défini par la Cour suprême du Canada, pose que le juge doit lire la déclaration dans un esprit aussi généreux que possible et doit tolérer les défectuosités dans l'articulation des faits, qui ne sont que des fautes de rédaction "

                                                     [références occultées]

[9]      Ni l'une ni l'autre partie n'a cité une définition équivalente d'un critère généralement reconnu pour la radiation pour cause d'abus de procédure.

ANALYSE

[10]      Dans Hercules Managements Ltd. c. Ernst & Young5, le juge La Forest, prononçant le jugement de la Cour, a fait l'observation suivante au paragraphe 59 :

     La règle de Foss c. Harbottle prévoit que les actionnaires n'ont, à titre individuel, aucune cause d'action en droit pour les préjudices causés à la société et que, si une action doit être intentée pour les pertes subies en raison de ces préjudices, elle doit l'être soit par la société même (par l'entremise de la direction), soit par voie d'action oblique. Le raisonnement juridique qui sous-tend cette règle a été exposé avec éloquence par la Cour d'appel anglaise dans l'arrêt Prudential Assurance Co. v. Newman Industries Ltd. (No. 2), [1982] 1 All E.R. 354, à la p. 367 :
         La règle [de Foss c. Harbottle] émane du fait qu'une société est une entité juridique distincte. Des droits et une responsabilité limités en découlent aussi. La société est responsable de ses contrats et des délits qu'elle commet; l'actionnaire n'assume pas cette responsabilité. La société acquiert des causes d'action pour inexécution de contrat et pour les délits qui lui causent un préjudice. L'actionnaire n'est investi d'aucune cause d'action. Lorsque l'actionnaire achète des actions, il accepte que la valeur de son placement suit le sort de la société et qu'il ne peut influer sur le sort de la société que par l'exercice de ses droits de vote lors des assemblées générales. La loi lui confère le droit de s'assurer que la société respecte les limites de son acte constitutif et que les autres actionnaires respectent la règle qui leur est imposée par les statuts constitutifs. S'il est vrai que la loi a conféré ou devrait conférer, dans certaines circonstances limitées, d'autres droits à un actionnaire, l'étendue et les conséquences de ces autres droits requièrent un examen attentif.
     À ces remarques claires, j'ajouterais que la règle est aussi valable en principe, dans la mesure où elle permet d'éviter les tracasseries procédurales d'une multitude d'actions.

[11]      L'avocat des défendeurs soutient que l'affaire en instance tombe justement dans le champ d'application de la règle dégagée par la jurisprudence Foss v. Harbottle6, telle qu'elle a été évoquée et adoptée dans le passage cité ci-dessus.

[12]      L'applicabilité de la règle dégagée par la jurisprudence Foss v. Harbottle aux cas où, comme en l'espèce, la partie défenderesse est l'État fédéral, est démontrée dans Antrim Yards Ltd. c. Canada7, où le juge Strayer a fait l'observation suivante, au paragraphe 23 :

     En ce qui concerne la demande de dommages-intérêts ou de remboursement d'argent, je pense qu'il suffit de dire que les personnes morales demanderesses ont la qualité pour agir parce que ce qu'elles demandent, c'est d'être remboursées de l'argent qu'elles ont payé et d'être indemnisées des pertes que leur compagnie aurait subies en raison du décret d'exemption. Je suis incapable de trouver un fondement à la qualité des personnes physiques demanderesses pour demander le remboursement de l'argent payé par leur compagnie ou une indemnité pour les pertes commerciales qu'aurait subies leur compagnie en raison du décret contesté. J'estime que le principe posé dans l'arrêt Foss v. Harbottle rend irrecevable en droit toute action qu'elles pourraient intenter. À la différence d'une action en jugement déclaratoire, une action en remboursement d'argent ou en dommages-intérêts ne peut être intentée que par la personne qui a effectivement subi la perte. C'étaient les compagnies qui étaient les contribuables et qui étaient les concurrents des compagnies exemptées par le décret d'exemption. J'en viens donc à la conclusion que les personnes physiques demanderesses n'ont pas qualité pour demander d'être remboursées des sommes payées ou d'être indemnisées des dommages subis en raison du décret d'exemption.

                                                     [références occultés]

[13]      À l'argument d'" abus de procédure ", l'avocat des défendeurs oppose le précédent Burt v. McLaughlan8. Dans cette affaire qui faisait suite à la faillite de la Canadian Commercial Bank, une action intentée par le liquidateur de cette dernière contre les mêmes défendeurs avait été réglée à l'amiable. L'action citée a été intentée par des actionnaires de la banque. Le juge Wachowich s'est prononcé en ces termes, aux paragraphes 11 à 14 :

     [TRADUCTION]

     Le préjudice dont se plaignent les intimés et qui est leur chef de demande contre la partie requérante est essentiellement, à mon avis, la dévalorisation de leurs actions. Il s'agit là d'un dommage indirect, découlant du préjudice ou dommage qui aurait été causé à la C.C.B. [Canadian Commercial Bank]. Les intimés n'ont donc aucune cause d'action de leur propre chef. Il s'ensuit que tous droits qu'ils pourraient avoir et toutes réclamations qu'ils pourraient faire valoir contre les requérants découlent de leur qualité d'actionnaires. Leurs droits sont les mêmes que ceux de la banque; leurs réclamations sont les mêmes que celles de la banque. C'est par l'intermédiaire du liquidateur que s'exercent ces droits.
     En tirant cette conclusion, j'attache une importance particulière à la similarité entre la déclaration déposée par les intimés en l'espèce et celle qui émanait du liquidateur dans l'action précédente. Dans cette dernière, celui-ci poursuivait le requérant au nom de la banque; les faits articulés et les chefs de demande présentés dans la déclaration déposée en l'espèce sont dans une grande mesure identiques à ceux présentés dans l'action précédente. Les passages de la déclaration en l'espèce qui articulent les faits relatifs aux intimés semblent greffés sur la déclaration dans l'action précédente.
     Nul doute que dans cette dernière, le liquidateur représentait les droits et intérêts de la banque. Puisque, ainsi que je l'ai fait observer, l'action en instance des actionnaires est une action oblique, leurs droits, intérêts et chefs de demande ne sont que ceux de la société dans laquelle ils détiennent des parts. En d'autres termes, les droits, intérêts et chefs de demande invoqués dans cette action ne sont rien d'autre que les droits, intérêts et chefs de demande invoqués dans l'action du liquidateur. Puisque celui-ci représentait la banque dans l'action précédente, et que les chefs de demande des actionnaires sont ceux de la banque, il s'ensuit que le liquidateur les représentait aussi.
     L'action précédente a été réglée à l'amiable. Je pense donc que ce serait abuser des procédures de la Cour que de permettre aux actionnaires de poursuivre des chefs de demande qui ont été réglés "

[14]      L'avocat des défendeurs soutient qu'il en est exactement de même des faits de la cause.

[15]      L'avocat des demandeurs soutient que la règle dégagée dans la jurisprudence Foss v. Harbottle et, par voie de conséquence, la conclusion ci-dessus du juge Wachowich n'ont pas application dans les cas où, comme en l'espèce, les défendeurs sont sujets de droit public et où leur responsabilité, si responsabilité il y a, tient à un devoir de droit public et non de droit privé. Il cite à l'appui l'arrêt Hill v. Chief Constable of West Yorkshire9, où lord Keith of Kinkel fait observer en page 59 :

     [TRADUCTION]

     En common law, les agents et officiers de police sont tenus, envers le public, à l'obligation de faire respecter la loi pénale "

                                                     [références occultées]

[16]      Tout en reconnaissant que par l'effet de l'alinéa 18a) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada10, ce devoir de common law est devenu pour la défenderesse Gendarmerie royale du Canada, un devoir légal, il soutient que les autres défendeurs sont toujours tenus à l'obligation de common law envers le public.

[17]      Il cite encore ce passage en page 6 de l'arrêt Nash v. Ontario11 :

     [TRADUCTION]

     Pour ce qui est de [la question de savoir si le juge des référés a commis une erreur en déclarant irrecevables les chefs de manquement à devoir légal, d'exécution négligente de devoir ou pouvoir légal, et d'enquête négligente], le droit en ces matières n'est pas clair au point que nous serions en mesure de dire que ces actions sont vouées à l'échec. Même la Couronne a reconnu que ce domaine du droit est " incertain ". En conséquence, le juge des référés a commis une erreur en concluant qu'il est " évident, manifeste et indubitable " que ces actions ne sauraient aboutir.

[18]      Je ne tire pas des faits de la cause la même conclusion puisque, en l'espèce, une société s'interpose entre les demandeurs, en leur qualité d'actionnaires de cette dernière, et les défendeurs. À la lumière du critère défini dans l'arrêt Foss v. Harbottle, adopté et appliqué plus particulièrement dans les causes citées supra, je conclus que la règle de droit applicable aux faits de la cause n'est pas du tout " incertaine ". Je suis convaincu qu'il est " évident, manifeste et indubitable " que vu les faits tels qu'ils les articulent dans leur action, les demandeurs ne sauraient avoir gain de cause.

[19]      En outre, par application par analogie du raisonnement tenu dans Burt v. McLaughlan susmentionné, je conclus que cette action constitue un abus de procédure.

CONCLUSION

[20]      Par ces motifs, la Cour fera droit à la fin de non-recevoir opposée par les défendeurs. La déclaration des demandeurs sera radiée, sans autorisation de modification, et cette action sera rejetée avec allocation aux défendeurs des dépens de leur requête.

     Signé : Frederick E. Gibson

     ________________________________

     Juge

Ottawa (Ontario),

le 22 décembre 1999




Traduction certifiée conforme,





Bernard Olivier, LL.B.


     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER No :              T-2311-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Gordon F. Dixon, Bernard Pringle et Elizabeth Pringle

                         c.

                         Sa Majesté la Reine du chef du Canada, le ministre du Revenu national, Revenu Canada, et la Gendarmerie royale du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :          Calgary (Alberta)


DATE DE L'AUDIENCE :          13 décembre 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE GIBSON


LE :                          22 décembre 1999



ONT COMPARU :


Tiro Clarke                      pour les demandeurs

Dom Tomkins                  pour les défendeurs



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


Cabinet Dixon                  pour les demandeurs

Morris Rosenberg                  pour les défendeurs

Sous-procureur général du Canada

__________________

1      DORS/98-106.

2      Dossier no T-1741-96. Cette action a été réglée à l'amiable par accord conclu en novembre 1996. Par suite, il y a été mis fin entièrement le 24 janvier 1997.

3      [1990] 2 R.C.S. 959.

4      (1989), 58 D.L.R. (4th) 396.

5      [1997] 2 R.C.S. 165.

6      (1843), 67 E.R. 189.

7      (1991), 44 F.T.R. 229; [1991] 3 C.F. 459.

8      (1992), 11 C.P.C. (3d) 92 (Cour du Banc de la Reine de l'Alberta).

9      [1998] 1 A.C. 53 (Chambre des lords).

10      L.R.C. (1985), ch. R-9.

11      (1995), 27 O.R. (3d) 1 (C.A. Ont.).

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