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     T-1832-96

OTTAWA (Ontario), le 17 septembre 1997

En présence de Monsieur le juge MacKay

Entre :

     LORNE JOSEPH KELLY,

     requérant,

     - et -

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     intimé.

     ORDONNANCE

     LA COUR,

     VU le recours en contrôle judiciaire introduit par le requérant qui conclut à l'annulation de la décision prise le 2 août 1996 au nom du ministre des Pêches et des Océans, de ne pas lui délivrer un permis de pêche au homard pour une période de quatre semaines consécutives à compter de l'ouverture officielle de la saison de 1996 dans la zone de pêche du homard 25,

     APRÈS avoir entendu les avocats respectifs du requérant, d'une part, et du procureur général du Canada et du ministre des Pêches et des Océans, d'autre part, à l'audience tenue à Halifax le 8 septembre 1997, à l'issue de laquelle la Cour a sursis au prononcé de sa décision, et après examen des arguments proposés à cette occasion, dont celui proposé par l'avocat représentant les deux ministres que l'intimé en l'espèce est le procureur général du Canada,

     ORDONNE CE QUI SUIT :

     1.      L'intimé en l'espèce le procureur général du Canada; le ministre des Pêches et des Océans, cité à l'origine en qualité d'intimé, est mis hors cause et l'intitulé de la cause est tel qu'il figure en tête de la présente ordonnance.
     2.      Il est fait droit au recours en contrôle judiciaire du requérant.
     3.      Est annulée la décision prise le 2 août 1996 au nom du ministre des Pêches et des Océans de ne pas au délivrer au requérant un permis de pêche au homard pour les quatre premières semaines de la saison de pêche de 1996 dans la zone de pêche du homard 25.
     4.      La Cour dit et juge que les pouvoirs discrétionnaires en matière de permis que le ministre tient de l'article 7 de la Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14, ne comprennent pas celui de refuser de délivrer un permis pour une partie de la saison de pêche à titre de sanction appliquée au demandeur qui aurait enfreint le règlement de pêche au cours d'une année antérieure.

     Signé : W. Andrew MacKay

     ________________________________

     Juge

Traduction certifiée conforme      ________________________________

     F. Blais, LL. L.

     T-1832-96

Entre :

     LORNE JOSEPH KELLY,

     requérant,

     - et -

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge MacKAY

     Il s'agit en l'espèce de recours en contrôle judiciaire par lequel le requérant conclut à ordonnance portant annulation de la décision en date du 2 août 1996 du directeur-général associé, Gestion des pêches du Golfe. Cette décision se rapportait à un incident survenu le 3 août 1995 près de Skinners Pond (Île-du-Prince-Édouard) et à la suite duquel le requérant avait été reconnu coupable d'infraction à l'alinéa 57(1)c) du Règlement de pêche de l'Atlantique de 1985, pris pour l'application de la Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14, modifiée (la Loi), en ce qu'il avait à bord un casier à homards durant la période de fermeture. Notant que le requérant avait comparu le 1er février 1996 devant la Cour provinciale, qui l'a condamné à une amende de 1 000,00 $ après l'avoir reconnu coupable d'un chef d'accusation formulé en application de l'alinéa 57(1)c) du Règlement, cette décision porte ce qui suit :

     [TRADUCTION]

         Conformément aux pouvoirs que me confère l'article 7 de la Loi sur les pêches, j'ordonne que la sanction suivante soit appliquée à l'égard de votre permis de pêche au homard pour 1996 dans la zone 25 :         
         Il ne vous sera pas délivré un permis 1996 de pêche au homard pour une période de quatre (4) semaines consécutives à compter de l'ouverture officielle de la saison de pêche du homard dans la zone de pêche 25.             
         La présente décision sera exécutée par le ministère des Pêches et des Océans lors du renouvellement de votre permis pour la saison de pêche du homard de 1996.         

     Le jour de l'infraction, savoir le 3 août 1995, la pêche du homard était fermée dans la zone 25 où eut lieu cette infraction, mais devait s'ouvrir dans les jours qui suivirent et rester ouverte pendant deux mois à peu près. La sanction a été imposée un an après par lettre en date du 2 août 1996, laquelle fut reçue par le requérant le 6 août 1996, deux jours avant l'ouverture de la saison, lorsqu'il allait renouveler sa licence et chercher les étiquettes pour ses casiers à homards.

     Par affidavit déposé à l'appui de son recours en contrôle judiciaire an août 1996, le requérant fait état des graves conséquences que représente pour lui cette décision. Compte tenu de ses prises de l'année précédente, il estime à 45 000,00 $ son manque à gagner pour les quatre premières semaines de la saison de pêche; il s'attend à perdre la couverture de l'assurance-emploi pour la même période, ce qui pourrait se traduire par une perte de prestations pour le restant de l'année. Avec l'hypothèque sur sa maison et son bateau, et vu la réduction substantielle du revenu prévu, il affirme qu'il risque de perdre la base de ses moyens de subsistance.

     Le recours en contrôle judiciaire a été déposé le 9 août 1996. Les dossiers de la demande ont été déposés respectivement le 15 août par le requérant, et le 20 septembre 1996 par l'intimé, mais l'affaire n'a été entendue que le 8 septembre 1997. Le délai tenait aux échanges entre les avocats des deux parties sur la question de savoir s'il fallait inscrire l'affaire au rôle, étant donné qu'on prévoyait que certaines affaires semblables iraient en appel, mais en fin de compte, l'affaire a été inscrite au rôle.

     Il y a lieu de noter qu'au moment où l'affaire a été entendue en septembre 1997, la saison de pêche 1996 du homard dans la zone de pêche 25 du Golfe du Saint-Laurent était terminée depuis longtemps, mais que la notification de la décision attaquée, qui était reçue juste deux jours avant l'ouverture de cette même saison de pêche, ne laissait aucun délai pour contester effectivement en justice la sanction imposée avant qu'elle ne devînt exécutoire, bien que de l'avis de la Couronne, le requérant eût pu saisir la Cour d'une demande en mesures provisoires, conformément à l'article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, modifiée.

     Les faits de la cause s'apparentent à ceux de la cause Matthews c. Canada (Procureur général) (1996), 118 F.T.R. 81, [1997] 1 C.F. 206, 43 Admin. L.R. (2d) 143 (C.F. 1re inst.). Dans cette affaire jugée en août 1996, j'ai conclu que le ministre avait outrepassé les pouvoirs qu'il tenait de l'article 7 de la Loi, en sanctionnant en 1995, une violation des conditions de permis durant la saison de pêche de 1994, par le refus de délivrer une licence de pêche au crabe des neiges pour les trois premières semaines de la saison de 1995 et par la réduction du quota à 50 p. 100 de celui de l'année précédente. Ainsi que je l'ai fait observer dans les motifs de l'ordonnance rendue dans cette affaire, le législateur a prévu dans la Loi la poursuite judiciaire des infractions, et même le pouvoir de suspendre les permis le cas échéant, ce qui fait que le ministre ne peut, dans l'exercice des pouvoirs discrétionnaires prévus à l'article 7, imposer des sanctions supplétives ou tenant lieu des procédures prévues par la loi.

     La seule différence avec la cause Matthews tient à ce qu'en l'espèce, l'infraction ne consistait pas en une violation des conditions d'un permis délivré au requérant, mais en la violation d'une interdiction imposée en application du Règlement. Une seconde différence réside dans le fait qu'en l'espèce, la sanction ordonnée au nom du ministre consistait à ne pas délivrer le permis pour une certaine période à l'ouverture de la saison qui suivit celle où l'infraction avait eu lieu, mais sans qu'il y eût réduction du quota comme dans l'affaire Matthews. Ces différences n'ont guère d'importance sur le plan juridique.

     La décision Matthews a été suivie par mes collègues le juge Dubé dans Duguay c. Canada (Ministre des Pêches et Océans) et al. (1996), 120 F.T.R. 227, et Mme le juge Tremblay-Lamer dans Thibeault c. Canada (Ministre des Pêches et Océans) et al. (1996), 123 F.T.R. 35. Toutes ces trois décisions, Matthews, Duguay et Thibeault, sont en appel devant la Cour d'appel fédérale.

     À l'audition de l'affaire en instance, l'avocat de l'intimé soutient que l'affaire Matthews était mal jugée au regard de l'arrêt Everett c. Canada (Ministre des Pêches et Océans) (1994), 80 F.T.R. 160, 25 Admin. L.R. (2d) 112, 169 N.R. 100, 47 A.C.W.S. (3d) 174 (C.A.F.), confirmant 63 F.T.R. 279, 40 A.C.W.S. (3d) 771 (C.F. 1re inst.), et surtout à la lumière de la décision de la Cour suprême du Canada dans la cause Comeau's Sea Foods Ltd. c. Canada (Ministre des Pêches et Océans) (1997), [1997] 1 R.C.S. 12, 142 D.L.R. (4th) 193, 206 N.R. 363, 43 Admin. L.R. (2d) 1, 31 C.C.L.T. (2d) 236.

     Dans Matthews, j'ai relevé la différence avec les faits de la cause Everett, et noté que dans cette dernière affaire, Mme le juge Desjardins a expressément conclu que la décision en cause du ministère n'était pas de nature pénale. Et, à ce que je vois, la Cour suprême n'était pas appelée, dans Comeau's Sea Foods, à se prononcer sur la question qui se pose en l'espèce et dans l'affaire Matthews, savoir si les pouvoirs discrétionnaires que le ministre tient de l'article 7 comprennent celui de sanctionner la violation, commise au cours d'une année antérieure, d'une condition de permis, comme dans Matthews, ou du Règlement, comme en l'espèce.

     Dans Comeau's Sea Foods, il s'agissait de savoir si le ministre était habilité à révoquer l'autorisation, précédemment accordée en application de l'article 7 de la Loi, de délivrer des permis de pêche. Prononçant le jugement de la Cour, le juge Major a examiné le pouvoir discrétionnaire que le ministre tient de l'article 7 et qui consiste non seulement à octroyer des baux et permis de pêche ainsi que des licences d'exploitation de pêcheries, mais encore à " en permettre l'octroi ". Il n'y était pas question du pouvoir qu'il aurait, lors de l'octroi d'un permis, de sanctionner une violation de conditions du permis ou du Règlement, lequel pouvoir n'est ni prévu ni autorisé expressément par la Loi qui comporte des dispositions relatives aux infractions à la Loi, au Règlement ou aux conditions du permis. Sauf mon respect pour ceux qui ne sont du même avis, je ne pense pas que la jurisprudence Comeau's Sea Foods diminue le raisonnement sur lequel était fondée la décision Matthews.

     En l'occurrence, je considère que l'affaire en instance s'apparente à la cause Matthews et, par les motifs prononcés à l'égard de cette dernière, je parviens à la même conclusion en l'espèce. Est annulée la décision prise au nom du ministre le 2 août 1996 d'appliquer au requérant une sanction pour violation du Règlement de pêche au cours d'une année antérieure, en sus de la sanction déjà prononcée à son égard par la Cour provinciale. Étant donné que cette conclusion ne se traduit dans les faits par aucune réparation à l'égard de la sanction appliquée au nom du ministre, sanction que la Cour juge illégale en ce qu'elle outrepasse les pouvoirs de ce dernier, et que cette question demeure importante, la Cour, de son propre chef, dit et juge aussi que les pouvoirs discrétionnaires que le ministre des Pêches et des Océans tient de l'article 7 de la Loi ne comprennent pas celui de refuser de délivrer un permis pour une partie de la saison de pêche à titre de sanction pour infraction au Règlement de pêche au cours d'une année antérieure.

     J'examine maintenant brièvement d'autres questions soulevées dans le cadre de ce recours.

     En premier lieu, le ministre des Pêches et des Océans, cité à l'origine en qualité d'intimé conjointement avec le procureur général, est mis hors de cause ainsi que le demande l'avocat des ministres dans ses conclusions écrites, ce qui fait que le procureur général du Canada est le seul intimé en l'espèce, et que l'intitulé de la cause est modifié de façon à se lire tel qu'il apparaît en tête des présents motifs et du dispositif de l'ordonnance.

     En deuxième lieu, je n'accepte pas l'argument du requérant que le directeur général associé, Gestion des pêches du Golfe, n'était pas habilité à représenter le ministre des Pêches et des Océans dans l'application de l'article 7 de la Loi. Il ressort du dossier que ce fonctionnaire fut informé par lettre en date du 14 septembre 1995 qu'à compter du 18 juillet de cette même année, il était chargé d'exercer tous les pouvoirs qu'avait exercés précédemment le directeur général à l'égard de la zone antérieurement connue sous le nom de Région du Golfe, en ce qui concernait notamment la Loi sur les pêches et les règlements pris pour son application, ainsi que la Politique des sanctions applicables aux permis du ministère. En outre, par décision ministérielle en date du 6 avril 1994, le ministre des Pêches et des Océans de l'époque a confirmé et maintenu en vigueur la décision aux termes de laquelle les directeurs généraux du ministère " exercent leurs fonctions dans le cadre des pouvoirs que le ministre tient des articles 7 et 9 de la Loi ". Ce qui fait que l'exercice des pouvoirs au nom du ministre est conforme à l'alinéa 24(2)d) de la Loi d'interprétation , L.R.C. (1985), ch. I-21, et dissipe tout doute sérieux sur l'autorité qu'a le directeur général associé de la région d'exercer les pouvoirs discrétionnaires du ministre au nom de ce dernier, sous le régime de l'article 7 de la Loi sur les pêches.

     En troisième lieu, je n'accepte pas l'argument que le défaut de laisser au requérant suffisamment de temps pour agir effectivement en contrôle judiciaire contre la décision de ne pas lui délivrer un permis pour quatre semaines, ce qui excluait dans les effets tout contrôle effectif avant l'exécution de la sanction, constitue un manquement aux principes de justice naturelle. Le moment de la décision n'excluait pas le contrôle judiciaire. La question de savoir si le requérant peut toujours obtenir réparation des effets financiers de la sanction sera tranchée ultérieurement.

     En quatrième lieu, je ne fais pas droit à l'argument du requérant que le directeur général associé de la région a commis une erreur de droit faute d'avoir motivé une sanction aussi sévère et pour avoir rejeté une preuve concluante, savoir les motifs que prononçait le juge en chef Ralph C. Thompson de la Cour provinciale en appliquant la peine après avoir déclaré le requérant coupable d'infraction au Règlement.

     Pour ce qui est de l'absence de motifs de décision, la jurisprudence bien établie de la Cour pose que sauf prescription de la loi à cet effet, l'autorité administrative, savoir l'office fédéral, n'est pas tenue de motiver ses décisions; cf. Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] 2 C.F. 646; 147 D.L.R. (4th) 93; 212 N.R. 63 (C.A.F.). Il n'y a dans la Loi ou le Règlement aucune disposition portant obligation pour le ministre ou son délégué de motiver une décision prise en application de l'article 7 de la Loi, mais en l'espèce, le motif fondamental a été clairement indiqué, savoir l'application d'une sanction.

     Je conviens avec l'intimé que les observations faites par le juge Thompson ne constituent pas une preuve; elles constituent cependant une conclusion qui n'est pas sans intérêt. En condamnant le requérant à une amende, il a fait l'observation suivante :

     [TRADUCTION]

     " la Cour est quelquefois priée d'imposer la révocation ou la suspension du permis. Et, par le passé, elle l'a fait à l'occasion. Vu le petit nombre de casiers en cause en l'espèce, vu le fait qu'il s'agissait de la première infraction, et vu les circonstances de la cause, je ne pense pas qu'il y ait lieu de suspendre le permis de l'accusé. Je ne sais pas ce qu'elle représente du point de vue du ministère, mais je suis disposé à juger sur la foi des preuves et témoignages produits, qu'une amende de mille dollars est indiquée et doit être considérée comme la seule sanction à appliquer en l'espèce.         

Il ressort du dossier que l'avocat du requérant a porté ces observations à l'attention du directeur général associé de la région, dans sa réponse à la notification que le ministère envisageait des sanctions. Cependant, l'autorité administrative n'était pas tenue de se conformer à l'avis du juge Thompson, dont les observations signifient juste que si le ministère devait décider d'une sanction, ce ne serait pas sa propre décision.

     Enfin, le requérant soutient que si le jugement Matthews n'est pas suivi en l'espèce, la décision entreprise est " manifestement déraisonnable en ce que la sanction appliquée est complètement disproportionnée à l'infraction et va à l'encontre des précédents ". La non-conformité relevée tient à la comparaison avec les cas évoqués dans un document daté du 8 juillet 1996 et rendu public par le ministère, sous le titre " Le MPO rend publique la liste des sanctions appliquées aux pêcheurs du Golfe en 1995 ". Cette liste ne cite que le cas d'un seul titulaire de permis de pêche au homard de l'Île-du-Prince-Édouard qui avait eu son permis suspendu juste pour le jour d'ouverture de la saison de 1995 pour avoir eu des casiers à homards à bord durant la période de fermeture l'année précédente. Les faits de cette affaire n'étaient pas rapportés en détail, ce qui ne permet aucune comparaison valable avec l'affaire en instance.

     Le requérant ne fait valoir aucune autre norme qui permette de juger si la sanction appliquée en l'espèce était si manifestement déraisonnable qu'elle doit échapper aux pouvoirs que le ministre tient de l'article 7. Deux autres cas sont les décisions Duguay et Thibeault, qui sont rapportées dans les recueils de jurisprudence.

     Dans la première de ces deux affaires, l'infraction reprochée consistait à ne pas respecter les conditions du permis de pêche au crabe des neiges, par le défaut de déclarer une partie de la prise, savoir trois plateaux pesant de 180 à 200 livres. Pour l'année subséquente, le permis délivré au pêcheur concerné prévoyait à titre de sanction une réduction du quota de deux tonnes métriques, par rapport à l'année précédente. Les débats ne portaient pas du tout sur la question de savoir si la sanction était déraisonnable, bien qu'il n'y eût pas de poursuite pénale et que le pêcheur concerné, protestant de son innocence, se fût plaint de ne pas avoir la possibilité de confronter ceux qui l'avaient accusé.

     Dans Thibeault, ma collègue Mme le juge Tremblay-Lamer a conclu qu'une importante réduction du quota attaché au permis de pêche au crabe des neiges pour la saison de 1995, laquelle réduction se traduirait par un manque à gagner estimé à 22 000,00 $ pour le pêcheur concerné à l'égard de la saison de pêche, était déraisonnable et, de ce fait, outrepassait le pouvoir discrétionnaire du ministre en la matière. Elle est parvenue à cette conclusion parce que le dossier ne disait rien des motifs sur lesquels la décision en question aurait été fondée, ce qui s'entendait également des règles de forme établies par les lignes directrices du ministère.

     Il n'était pas question en l'espèce de non-observation des règles de forme prescrites par le ministère. Au contraire, le requérant soutient que pour le simple fait d'avoir à bord deux casiers à homards quelques jours avant l'ouverture de la saison de pêche, la sanction appliquée par le ministre, savoir la perte du permis pour quatre semaines de la saison subséquente, était manifestement déraisonnable. C'est vraiment le cas de le dire, surtout si on compare le manque à gagner prévu pour le requérant, 45 000,00 $, à l'amende imposée par la Cour provinciale pour la même infraction au Règlement. Cependant, il s'agit là d'un motif différent de celui que la Cour avait pris dans Thibeault pour conclure que la sanction appliquée dans cette dernière affaire était déraisonnable au point d'outrepasser les pouvoirs du ministre.

     L'intimé soutient que le pouvoir conféré par l'article 7 au ministre étant expressément discrétionnaire, la Cour ne peut toucher à la sanction imposée. En l'absence d'une norme régissant le caractère raisonnable des responsabilités des agents du MPO au sujet des supposées infractions au Règlement, il est difficile de mesurer l'exercice par le ministre de son pouvoir discrétionnaire en l'espèce. Néanmoins, si le ministre tient de l'article 7 le pouvoir d'imposer une sanction pour violation du Règlement de pêche, je dois conclure, dans le même sens que la jurisprudence Thibeault, que la sanction imposée en l'espèce était si déraisonnable et si arbitraire qu'elle échappe à ce pouvoir. On peut mesurer le caractère raisonnable ne serait-ce qu'en comparant le manque à gagner prévu en raison de l'impossibilité de pêcher du homard pendant les quatre premières semaines de la saison de 1996, à l'amende imposée par la Cour provinciale pour la même infraction. À cet égard, il convient de rappeler que cette amende imposée par la Cour provinciale faisait suite à une procédure prévue par le législateur dans la Loi à l'égard des supposées infractions à la Loi ou au Règlement.

Conclusion

     Par le même raisonnement que celui tenu dans Matthews, je conclus que la décision attaquée en l'espèce, portant sanction contre le requérant pour violation du Règlement de pêche au cours de l'année précédente, outrepassait le pouvoir discrétionnaire que le ministre tient de l'article 7 de la Loi. À supposer que celui-ci soit investi du pouvoir discrétionnaire d'appliquer une sanction, je conclurais, à la lumière de la jurisprudence Thibeault, que la sanction appliquée en l'espèce était déraisonnable au point d'outrepasser ce pouvoir discrétionnaire.

     Signé : W. Andrew MacKay

     ________________________________

     Juge

OTTAWA (Ontario),

le 17 septembre 1997

Traduction certifiée conforme      ________________________________

     F. Blais, LL. L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :          T-1832-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Lorne Joseph Kelly

                         c.

                         Le procureur général du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :          Halifax (Nouvelle-Écosse)

DATE DE L'AUDIENCE :      8 septembre 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE MacKAY

LE :                          17 septembre 1997

ONT COMPARU :

John L. MacDougall, c.r.              pour le requérant

John L. Ashley                  pour l'intimé

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

MacLeod, MacDougall, Crane & Parkman      pour le requérant

Charlottetown (Î.P.-É.)

M. George Thomson                  pour l'intimé

Sous-procureur général du Canada

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