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     T-2028-95

OTTAWA (ONTARIO), LE 18 AOÛT 1997.

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CULLEN

ENTRE :

     WHIRLPOOL CORPORATION et

     INGLIS LIMITED,

     demanderesses,

     - et -

     CAMCO INC. et GENERAL ELECTRIC COMPANY,

     défenderesses.

     JUGEMENT

1.      La Cour déclare que le brevet 803 est valide, mais que l'agitateur des défenderesses, tel qu'illustré à la pièce no 6 des demanderesses, ne le contrefait pas.

2.      La Cour déclare que le brevet 734 est valide et conclut qu'il est contrefait par les défenderesses.

3.      La Cour décerne une injonction permanente interdisant aux défenderesses de contrefaire le brevet 734 avant son expiration au Canada.

4.      Conformément à l'ordonnance du protonotaire adjoint en date du 26 février 1996, une référence aura lieu conformément aux règles 500 et suiv. pour trancher toute question relative à l'étendue de la contrefaçon, aux dommages-intérêts et aux profits découlant de la contrefaçon.

5.      La Cour ordonne que les demanderesses choisissent entre l'attribution de dommages-intérêts ou la remise des profits découlant de la contrefaçon du brevet 734 et communiquent leur choix aux parties au litige et à la Cour au plus tard 30 jours après la réception de la présente décision.

6.      Au chapitre des dommages-intérêts ou des profits qui peuvent être accordés par suite de la contrefaçon du brevet 734, toute question se rapportant de près ou de loin à la répartition est tranchée par l'arbitre conformément à l'ordonnance rendue en application de la règle 480. Il appartient à l'arbitre seul de déterminer dans quelle mesure la répartition doit être ordonnée, le cas échéant.

7.      Toute question concernant le droit des demanderesses à des dommages-intérêts exemplaires et le montant de tels dommages-intérêts, s'il en est, est tranchée par l'arbitre de la même façon que celle de la répartition.

8.      Les frais et dépens sont adjugés aux demanderesses sur le fondement de la validité des brevets 803 et 734 et de la contrefaçon, par les défenderesses, du brevet 734.

9.      La demande reconventionnelle est rejetée avec dépens, lesquels sont adjugés aux demanderesses.

                                 B. Cullen
                    
                                 JUGE
Traduction certifiée conforme         
                             Claire Vallée, LL.B.

     T-2028-95

ENTRE :

     WHIRLPOOL CORPORATION et

     INGLIS LIMITED,

     demanderesses,

     - et -

     CAMCO INC. et GENERAL ELECTRIC COMPANY,

     défenderesses.

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE CULLEN

LES FAITS

     Les brevets canadiens nos 1 045 401 [" 401 "], 1 049 803 [" 803 "] et 1 095 734] [" 734 "] portent sur un agitateur à double effet pour laveuse à linge et sont détenus par la société Whirlpool Corporation [" Whirlpool "]. La société Inglis Limited est titulaire d'une licence sous le régime de ces brevets. Selon les termes employés par l'avocat des demanderesses, ces trois brevets visent différentes variantes et divers perfectionnements de l'agitateur à double effet.

     Les dates de dépôt, de délivrance et de priorité sont celles inscrites dans l'en-tête des brevets 401, 803 et 734. Les dates d'invention consignées à leur égard sont respectivement (au plus tard) le 12 juillet 1972, le 22 mars 1973 et le 5 juin 1974. Le premier agitateur à double effet jamais utilisé a été offert sur le marché au mois de juin 1975.

    

     Vers la mi-août 1995, la défenderesse General Electric Company [" GE "] a lancé sur le marché américain des agitateurs et des laveuses équipées d'agitateurs à double effet du type décrit et revendiqué dans les brevets. La défenderesse Camco Inc. [" Camco "] a vendu au Canada des laveuses automatiques munies de l'agitateur illustré à la pièce no 6 des demanderesses.

     Les parties conviennent que chacune des revendications 1, 2 et 5 du brevet 803, sauf en ce qui concerne l'élément appelé "manchon", décrit bien l'agitateur des défenderesses, tel qu'illustré à la pièce no 6 des demanderesses.

     Les parties conviennent que chacune des revendications 1 à 5, 7 et 9 à 13 du brevet 734 (à l'exclusion donc des revendications 6, 8 et 14) décrit bien l'agitateur des défenderesses, tel qu'illustré à la pièce no 6 des demanderesses.

     La défenderesse GE a convenu que, si la Cour arrivait à la conclusion que la défenderesse Camco a contrefait une ou plusieurs revendications valides du brevet 803, elle serait réputée les avoir contrefait également.

Les allégations

     Les demanderesses allèguent que, en 1995, à l'expiration de leurs brevets américains portant sur l'agitateur à double effet, les défenderesses ont lancé un nouvel agitateur identique au leur. Elles soutiennent que GE et Camco se sont concertées pour mettre en marché au Canada des laveuses munies d'un tel agitateur sans obtenir leur autorisation ou leur consentement. Le brevet 803 était toujours valide au Canada lorsque les défenderesses ont lancé sur le marché canadien leur réplique de l'agitateur des demanderesses. Ces dernières demandent l'octroi de dommages-intérêts, la remise des profits et l'adjudication des dépens relativement à ce brevet.

     Plus précisément, les demanderesses prétendent que les revendications 1, 2 et 5 du brevet 803 et toutes les revendications (1 à 14) du brevet 734 ont été contrefaites par les défenderesses.

     Bien que les demanderesses n'allèguent pas que le brevet 401 ait été contrefait, celui-ci est pertinent, car il s'agit du premier des trois brevets canadiens des demanderesses portant sur l'agitateur à double effet et il fait l'objet d'allégations de la part de la partie défenderesse.

     Les défenderesses prétendent que leur agitateur ne contrefait pas le brevet 803, parce que celui-ci porte sur un manchon facile à enlever, tandis que leur agitateur ne comporte pas un tel élément. Subsidiairement, elles allèguent que les revendications 1, 2 et 5 du brevet 803 ont une portée plus large que l'invention elle-même, car elles englobent l'agitateur oscillant ainsi que la chemise unidirectionnelle. Le brevet serait donc invalide.

     Les défenderesses ajoutent que le brevet 734 est invalide, parce que la totalité de ses revendications le sont. Selon elles, l'invention visée par le brevet 734 consisterait uniquement en la substitution d'ailettes flexibles aux ailettes rigides prévues dans les brevets 401 et 803. Cette substitution :

     (i)          aurait été évidente pour une personne versée dans l'art;
     (ii)          est l'indice d'un double brevet;
     (iii)          est une simple juxtaposition de pièces et n'exigeait aucune ingéniosité inventive.

Les défenderesses allèguent par ailleurs que les revendications 1 à 11 sont invalides, leur portée étant plus large que l'invention décrite. Leur portée est plus large, car elles visent l'agitateur en entier, et non seulement le prétendu perfectionnement des ailettes flexibles. Elles ajoutent que, quoi qu'il en soit, elles n'auraient pu contrefaire les revendications 6, 8 et 14, étant donné que leur agitateur n'est pas doté d'un mécanisme d'entraînement capable d'assurer la mise en rotation en même temps que l'entraînement comme celui décrit dans ces revendications.

Redressement demandé

     Les demanderesses cherchent à obtenir des jugements déclaratoires selon lesquels les brevets 803 et 734 sont valides.

     En ce qui concerne le brevet 734, elles demandent une injonction permanente afin de protéger la période de validité du brevet non encore écoulée.

     Elles demandent par ailleurs l'octroi de dommages-intérêts ou la remise des profits, dont le montant serait déterminé dans le cadre d'une référence ultérieure, l'adjudication des dépens, notamment à l'égard de la demande reconventionnelle dont les défenderesses se sont désistées à la dernière minute, des intérêts avant et après jugement, ainsi que les frais taxés.

     Les défenderesses demandent des jugements déclaratoires selon lesquels les brevets 803 et 734 sont invalides et leur agitateur ne contrefait pas les revendications de ces brevets qui sont en cause. Elles demandent que l'action soit rejetée et que les dépens et les frais taxés leur soient adjugés. Elles demandent également, dans le cas où la Cour conclurait qu'il y a eu contrefaçon de leur part, que les demanderesses ne puissent choisir entre l'octroi de dommages-intérêts ou la remise des profits.

ANALYSE

Les brevets en cause -- contexte

     Brevet 401 : Ce brevet est intitulé " Agitateur combiné unidirectionnel et oscillant pour laveuse automatique ", et son inventeur est M. Clark I. Platt. Il porte sur un agitateur à double effet en deux pièces, d'une grande utilité pour les grosses lessives ou les vêtements très lourds, car il améliore le brassage des vêtements dans la laveuse et, de ce fait, l'efficacité du lavage. La partie supérieure de l'appareil est une chemise unidirectionnelle tandis que la partie inférieure consiste en un agitateur oscillant à ailettes. Ce brevet ne fournit aucune précision sur le type d'ailettes dont la partie inférieure de l'agitateur est munie, à l'exception de l'exigence selon laquelle les ailettes doivent être disposées sur le plan vertical et elles doivent excéder au moins une des ailettes inclinées de la chemise supérieure. Le mécanisme d'entraînement est constitué d'un arbre d'entraînement à oscillation.

     Le dossier d'antériorité afférent à ce brevet met l'accent sur des exemples d'autres agitateurs constitués de deux pièces. Cependant, il renvoie également aux agitateurs oscillants "traditionnels" monopièces qui permettent de laver les grosses lessives avec peu d'efficacité. Il n'y a aucune mention précise de l'agitateur fabriqué par la société Maytag et correspondant au brevet Smith 3 381 504 [le "brevet Smith"] à titre d'antériorité.

     Ce brevet a expiré. Aucune contrefaçon n'est alléguée à son égard.

     Selon les demanderesses, le brevet 401 décrit une laveuse dont l'agitateur à double effet est doté, à sa partie inférieure, d'ailettes rigides.

     Les défenderesses estiment pour leur part que le brevet 401 décrit une laveuse dont la partie inférieure de l'agitateur à double effet peut être dotée soit d'ailettes rigides, soit d'ailettes flexibles.

     Les défenderesses allèguent que ce brevet constitue une antériorité aux fins du brevet 734.

Observations préliminaires concernant les témoins

     Les demanderesses ont offert le témoignage de M. Werner à titre d'expert en matière d'agitateurs et de systèmes de lavage. M. Werner compte plus de vingt années d'expérience dans l'ingénierie d'agitateurs et, de manière générale, il connaît très bien le système d'agitation à double effet. Il est actuellement ingénieur-chef au service du développement de Whirlpool Corporation, l'entreprise pour laquelle il travaille depuis la fin de ses études universitaires en 1976.

     Pendant l'interrogatoire principal de M. Werner et le long contre-interrogatoire auquel il a été soumis, j'ai non seulement pu entendre son témoignage et examiner les pièces qu'il a présentées, mais j'ai aussi eu amplement l'occasion d'observer et de jauger son attitude. Malheureusement, le témoignage de M. Werner n'a été d'aucune utilité pour la Cour. Il ressort de sa propension à argumenter, de son refus de répondre à certaines questions de manière franche et directe, de sa réticence à admettre ce qui paraît évident et de la faiblesse de ses explications sur des points défavorables aux demanderesses, que M. Werner n'était pas disposé à considérer sérieusement ou à comprendre ce qui n'appuyait pas les prétentions des demanderesses. J'arrive donc à la conclusion que, malgré sa grande compétence, cette personne incline davantage à témoigner en faveur de son employeur, la demanderesse Whirlpool, ce qui, selon moi, compromet sérieusement sa crédibilité. Son témoignage était davantage celui d'un partisan que celui d'un expert. À sa décharge, M. Werner a subi de longs interrogatoires préalables et contre-interrogatoires et cela a pu avoir un effet négatif sur son attitude au moment de témoigner. Or, bien que je ne rejette pas en bloc son témoignage, je ne peux, en ce qui concerne les points susmentionnés, m'y fier suffisamment pour l'accepter sans réserves.

     Les défenderesses ont appelé à la barre M. Mellinger en sa qualité d'expert. Il s'agit d'un ingénieur en mécanique à la retraite qui a travaillé pendant de nombreuses années pour Maytag, le fabricant d'un agitateur à simple effet doté d'ailettes flexibles qui s'est révélé très populaire auprès des consommateurs. Il a commencé à travailler pour Maytag en 1954. Il a été ingénieur de produit et responsable de la conception des laveuses de 1962 à 1972. Il a par la suite été en charge de la recherche et du développement au sein de l'entreprise jusqu'en 1992. Depuis sa retraite, M. Mellinger consacre son temps au bénévolat et aux oeuvres de bienfaisance. Il a reconnu être rémunéré par GE pour témoigner. Cependant, il a dit faire don de sa rémunération, déduction faite de ses dépenses directes, au fonds de bourses d'études "Dollars for Scholars", dont il est le président.

     Le témoignage de M. Mellinger m'a paru instructif et digne de foi. En effet, M. Mellinger a témoigné d'une manière franche et directe et n'a pas hésité à reconnaître certains faits. Il a semblé répondre à toutes les questions au mieux de ses connaissances à titre d'expert dans le domaine et il n'a affiché aucun parti pris. Je crois qu'il a répondu à toutes les questions qui lui ont été posées avec soin et honnêteté.

     Le deuxième témoin des demanderesses, M. Pielemeier, dont Whirlpool retient également les services à titre d'ingénieur, compte au moins trente-sept années d'expérience dans le domaine des systèmes de lavage. Au moment considéré, il travaillait pour Whirlpool depuis environ 15 ou 20 ans et il était affecté à la mise au point de produits. Il a travaillé avec les inventeurs qui ont obtenu les brevets sur lesquels la Cour est appelée à se prononcer.

     Même si l'expérience directe de M. Pielemeier à l'égard des brevets en cause est supérieure et incomparable à celle des autres témoins entendus à l'audience, j'estime que son avis d'expert sur les brevets est moins utile que je ne l'aurais souhaité. Il en est ainsi parce que, de son aveu même, M. Pielemeier est d'un scepticisme implacable lorsqu'il s'agit d'examiner un brevet. Il le fait d'un point de vue critique à partir de ses propres connaissances. Or, l'interprétation des revendications d'un brevet doit se faire de manière impartiale, dans le but de comprendre -- et non dans le dessein de ne pas comprendre. Je ne peux donc considérer M.Pielemeier comme une personne versée dans l'art qui est en mesure de donner une interprétation téléologique aux brevets. Toutefois, en raison de son expérience directe à l'égard des inventions divulguées dans les brevets, son témoignage demeure valable.

     J'examinerai chacun des brevets à tour de rôle, soit le brevet 803 à la partie A, puis le brevet 734 à la partie B.

PARTIE A

1. Les revendications en cause -- le brevet 803

Voici le texte des revendications qui sont précisément en cause :

Revendication 1 :

         [TRADUCTION]
         1. Agitateur pour laveuse automatique muni d'un arbre d'entraînement oscillant, l'agitateur étant composé : d'une première section montée sur cet arbre à l'aide d'un raccord fixe et verrouillé, et constituée d'une partie supérieure et d'une partie inférieure dotée d'ailettes faisant saillie principalement sur le plan vertical; d'une deuxième section en forme de manchon et munie d'au moins une ailette inclinée faisant saillie, le manchon pouvant pivoter sur la partie supérieure de la première section de l'agitateur d'un embrayage unidirectionnel situé entre les première et deuxième sections de l'agitateur, la première de ces sections étant conçue de façon à commander l'embrayage et la deuxième section de l'agitateur étant constituée pour être entraînée par l'embrayage de manière que la rotation de la première section de l'agitateur transmette un mouvement de rotation contrôlé à la deuxième section de l'agitateur dans une seule des deux directions possibles, l'ailette inclinée pointant vers le haut par rapport à la direction du mouvement de rotation contrôlé de la deuxième section de l'agitateur et les ailettes verticales faisant saillie sur le plan radial, au moins à leur base, de manière à excéder au moins une ailette inclinée.             

Revendication 2 :

         [TRADUCTION]
         2. Un agitateur conforme à la revendication 1, où au moins une ailette dudit manchon a la forme d'une hélice.             

Revendication 5 :

         [TRADUCTION]
         Un agitateur conforme aux revendications 1, 2 ou 3, où la partie inférieure de la première section de l'agitateur est munie, à sa base, d'une jupe évasée.             

2. Interprétation du brevet 803

Principes généraux

     Dans le jugement Cochlear Corp. c. Cosem Neurostim Ltée. [" Cochlear Corp. "]1, le juge Joyal énonce comme suit les principes généraux qui régissent l'interprétation des revendications (à la page 31) :

              Il est bien établi que la première obligation de la Cour est d'interpréter les revendications du brevet en cause. Il s'agit d'une question de droit, comme le prévoit l'article 36 [maintenant l'art. 34] de la Loi sur les brevets qui exige que le demandeur décrive d'une façon complète son invention et expose clairement les diverses phases, notamment, de sa confection et de sa construction, son principe, la suite nécessaire ou les diverses phases de façon à distinguer l'invention d'autres inventions, de même que le perfectionnement ou la combinaison qu'il réclame.         
              Un examen de la jurisprudence permet aussi de dégager certains principes directeurs en ce qui concerne l'interprétation correcte d'un brevet. À cet égard, l'arrêt faisant autorité est Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504, où la Cour suprême du Canada a statué que le mémoire descriptif d'un brevet ne s'adresse pas au public, mais à une personne versée dans l'art en cause et possédant des connaissances communes. En d'autres termes, il faut tenir compte de ce que l'on appelle la "personne versée dans l'art". De plus, l'interprétation de la revendication doit être faite "impartialement", abstraction faite de la contestation de sa validité : Morenco Industries Inc. c. Créations 2000 Inc. (1984), 1 C.P.R. (2d) 407 (C.F. 1re inst.).         
              Plus récemment, dans l'affaire Hi-Qual Manufacturing Ltd. c. Rea's Welding & Steel Supplies, (1994), 74 F.T.R. 99, madame le juge Tremblay-Lamer a fait siens les principes directeurs suivants en ce qui concerne l'interprétation correcte des brevets :         
                 1)      Le moment sur lequel porte l'interprétation est la date du dépôt de la demande de brevet.                 
                 2)      La juridiction saisie interprète le brevet en se plaçant au point de vue de la personne versée dans l'art ou la science dont relève l'invention.                 
                 3)      Il faut interpréter le mémoire descriptif dans son ensemble.                 
                 4)      Il faut interpréter le mémoire descriptif abstraction faite des autres documents.                 
                 5)      L'interprétation doit être téléologique, sans être complaisante ni rigide.                 
                      a)      Savoir ce qui est "essentiel" est affaire d'interprétation.                 
                      b)      Les mêmes principes d'interprétation s'appliquent à tous les mémoires descriptifs.                 
                      c)      Lorsque plus d'une interprétation est possible, le tribunal retient celle qui valide le brevet.                 
                      d)      Si possible, il faut donner aux revendications leur sens respectif.                 

     Le paragraphe 36(2) de la Loi sur les brevets, R.C.S. 1970, ch. P-4 prévoit que le mémoire descriptif se termine par une ou plusieurs revendications exposant distinctement et en des termes explicites les choses que le demandeur considère comme nouvelles et dont il revendique la propriété ou le privilège exclusif.

     Il importe, en premier lieu, d'interpréter le brevet afin de déterminer en quoi consiste véritablement l'invention divulguée. Puis, la présomption légale de validité du brevet s'applique, et il incombe jusqu'à un certain point à l'opposant de réfuter la validité. Une fois la validité établie, on peut aborder la question de la contrefaçon, si nécessaire.

Analyse

a) le "caractère amovible" constitue-t-il l'invention ?

     À l'appui de leur prétention selon laquelle elles ne se sont rendues coupables d'aucune contrefaçon, les défenderesses renvoient à un certain nombre de mentions dans le brevet et dans la documentation connexe où il est question du caractère amovible de la chemise supérieure. Il convient alors de se demander si le "caractère amovible " constitue ou non l'invention comme telle. Examinons maintenant quelles sont les parties du brevet qui font mention du "caractère amovible".

(i) le titre du brevet

     La prétention des défenderesses : Selon les défenderesses, si l'invention divulguée dans le brevet 803 correspond à un accessoire amovible ou détachable, soit que les brevets des défenderesses ne contrefont pas ce brevet, soit que ce dernier est invalide.

     L'allégation des défenderesses selon laquelle l'invention des demanderesses est nécessairement un accessoire amovible ou détachable repose essentiellement sur le titre du brevet 803 : [TRADUCTION] " Accessoires d'agitation unidirectionnelle pour laveuse automatique " [non souligné dans l'original]. Les défenderesses comparent ce titre à celui du brevet précédent, le brevet 401 : [TRADUCTION] " Agitateur combiné unidirectionnel et oscillant pour laveuse automatique " [non souligné dans l'original]. Comme le brevet 401 portait déjà sur la totalité de l'agitateur, le brevet 803 ne peut viser autre chose que la partie supérieure de l'agitateur dont le caractère amovible constitue une caractéristique nouvelle. Selon cette description de l'invention, le brevet 803 ne devrait pas porter sur la partie inférieure oscillante de l'agitateur.

     Le droit applicable : L'interprétation d'un brevet ne saurait se fonder uniquement sur son titre. Il convient de citer les normes d'interprétation des brevets à cet égard, énoncées dans l'ouvrage Hughes and Woodley on Patents2 (à la page 386) :

         [TRADUCTION] Pour interpréter un brevet, les revendications sont un point de départ. Elles seules définissent le monopole conféré par la loi, et le breveté a l'obligation légale d'y préciser quelle est l'invention dont il demande la protection. Pour interpréter les revendications, la consultation du reste du mémoire descriptif est 1) permise pour aider à comprendre les termes employés dans les revendications, 2) inutile lorsque les mots sont clairs et non équivoques et 3) inappropriée pour modifier l'étendue ou la portée des revendications. Il ne s'ensuit pas que les revendications ne doivent jamais être interprétées à la lumière du reste du mémoire descriptif. Or, celui-ci ne doit que contribuer à la compréhension des mots ou des expressions employés dans les revendications; le renvoi à des énoncés vagues de la divulgation pour faciliter l'interprétation des revendications n'est pas autorisé, non plus que le recours à la divulgation pour modifier l'objet d'une revendication ou pour lui faire dire ce qu'elle ne dit pas. [...] Cependant, la revendication ne doit pas avoir une portée plus large que l'invention divulguée. Le brevet doit être interprété par une personne désireuse d'en saisir la portée, sans partialité, de façon qu'il appuie une invention véritablement utile.      [Non souligné dans l'original.]         

     Analyse : Lorsqu'elle est appelée à interpréter un brevet, la Cour se penche en premier lieu sur les revendications. Le titre du brevet n'est pas, en lui-même, un indice suffisant de l'essence du brevet. Selon moi, les revendications en cause décrivent un agitateur en deux pièces doté d'un embrayage unidirectionnel situé entre celles-ci. Les revendications sont claires et non équivoques. Le seul élément obscur qui m'inciterait à examiner les autres parties du brevet à des fins de clarification serait la mention d'un "manchon" dans la revendication 1. En quoi consiste un tel manchon ? Sinon, je ne vois rien d'autre, dans les revendications en cause, qui puisse m'inciter à croire que l'invention se limite à une chemise supérieure amovible.

(ii) renvoi à des caractéristiques ne figurant pas dans les revendications comme telles

     Prétention des défenderesses : Les défenderesses étayent également l'argument susmentionné en renvoyant à la partie du brevet 803 intitulée [TRADUCTION] " RENSEIGNEMENTS GÉNÉRAUX SUR L'INVENTION - Domaine ". L'invention faisant l'objet du brevet 803 y est décrite comme un [TRADUCTION] " accessoire d'agitation composé d'un manchon amovible à ailettes qui appuie l'action des ailettes de l'agitateur en poussant les pièces d'étoffe lavées vers le bas, en direction des ailettes de l'agitateur, pendant que ce dernier effectue un mouvement de va-et-vient ".

     Analyse : Je ne suis pas persuadé que ce renvoi limite l'invention à une simple chemise supérieure amovible. Selon une interprétation grammaticale normale, l'invention est décrite par la totalité des mots qui suivent l'expression " composé d'un ", et non pas seulement par les cinq premiers d'entre eux. En outre, la description de l'invention ne contient aucune indication selon laquelle l'expression " accessoire d'agitation " ne désigne pas l'agitateur à double effet dans son ensemble , lequel peut être facilement retiré de la laveuse, comme le révèle la preuve3. Aucune précision ou information fournie par l'avocat des défenderesses n'a pu me convaincre du contraire.

     Prétention supplémentaire des défenderesses : Les défenderesses renvoient également à la partie du brevet intitulée [TRADUCTION] " Description des variantes privilégiées ", où il est précisé que [TRADUCTION] " cet accessoire d'agitation peut facilement être détaché de l'agitateur de manière que la laveuse puisse être utilisée avec ou sans cet accessoire, selon la quantité de vêtements à laver ".

     Le droit applicable : Un énoncé général du droit applicable figure dans l'ouvrage Hughes and Woodley on Patents4 (à la page 386) :

         [TRADUCTION] Lorsque les mots employés ne sont pas ambigus, l'objet d'une revendication ne devrait pas se limiter à la variante privilégiée. La Cour ne doit pas adopter une démarche trop technique. Le teneur de l'invention doit ressortir du mémoire descriptif et, en particulier, de la revendication; ceux-ci définissent le monopole et s'adressent à des personnes versées dans l'art; les revendications fournissent des éclaircissements quant à ce qu'est vraiment l'invention et elles en définissent l'étendue, mais la divulgation décrit l'invention. La revendication doit divulguer l'invention, mais il n'est pas nécessaire qu'elle divulgue les avantages.         

     Cet énoncé général est repris par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Unilever PLC c. Procter & Gamble Inc. (1995), 61 C.P.R. (3d) 499 (à la page 507) :

         ...Si le titulaire d'un brevet définit et limite avec précision, dans un libellé qui est clair et non ambigu, ce qu'il prétend avoir inventé, les tribunaux n'ont pas à [TRADUCTION] "restreindre, élargir ou qualifier" la portée d'une invention en se référant au corps du mémoire descriptif : Electric & Musical Industries Ltd. et al. v. Lissen Ltd. (1939), 56 R.P.C. 23 (H.L.), motifs de lord Russell of Killowen, à la page 41. [...]         

     Il ressort de l'interprétation juridique de ce brevet que le caractère amovible est une caractéristique de l'invention. Le bref commentaire relatif au caractère amovible auquel renvoient les défenderesses, qui ne fait pas partie des revendications du brevet elles-mêmes, ne peut révéler l'" essence " de l'invention, à moins que les revendications n'insistent expressément sur cette caractéristique, ce qu'elles ne font pas. Le caractère amovible est un avantage de l'invention, et non l'essence de l'invention.

     Au lieu d'examiner de vagues phrases éparpillées ici et là dans un brevet, il faut chercher à établir quelle est la substance de l'invention5. Dans l'arrêt O'Hara Manufacturing Ltd. c. Eli Lilly and Company (1989), 26 C.P.R. (3d) 1, la Cour d'appel fédérale insiste sur le fait que, pour interpréter la revendication d'un brevet, il est impératif de déterminer quelle est l'"intention" de l'inventeur d'un point de vue juridique. La substance de l'invention ressort de cette intention.

     De quelle façon la Cour doit-elle déterminer quelle est l'intention de l'inventeur ? Elle peut le faire en considérant le brevet dans son ensemble, étant tenu pour acquis que ce sont les revendications qui définissent avant tout l'invention. Cependant, il faut se rappeler que lorsque les revendications sont claires et non équivoques, il n'est aucunement nécessaire de consulter d'autres rubriques du brevet pour circonscrire l'invention. Les revendications du brevet 803 sont, pour la plupart, claires et non équivoques.

     Toutefois, certaines autres mentions dans le brevet indiquent que l'invention divulguée dans les revendications n'est peut-être pas celle que l'inventeur avait en tête. Par exemple, selon le feuillet de divulgation de l'invention afférent au brevet 803, l'invention consiste en un [TRADUCTION] "accessoire d'agitation" qui "peut être utilisé au besoin et enlevé pour les lessives ordinaires". Il ne peut certainement pas s'agir de l'agitateur à double effet en entier. Le feuillet décrit ensuite la chemise supérieure de l'agitateur. La lecture du feuillet en entier ne permet pas de déterminer avec certitude si l'intention de l'inventeur était de créer seulement un accessoire d'agitation, à savoir une chemise supérieure amovible ou un agitateur complet se composant d'une chemise supérieure amovible ainsi que d'une partie inférieure oscillante et des accessoires. Le feuillet semble indiquer que l'invention ne vise que l'accessoire amovible.

Interprétation -- conclusion

     Il est bien établi en droit que, lorsque plus d'une interprétation raisonnable est possible, le tribunal retient celle qui est de nature à valider le brevet6. Je conviens à l'instar de l'avocat des demanderesses que le résumé de l'invention, qui figure dans le brevet lui-même, dit clairement et sans équivoque que l'invention du brevet 803 correspond au mécanisme unique d'entraînement reliant la partie inférieure de l'agitateur à la chemise supérieure en l'absence d'un arbre d'entraînement, et non à un manchon amovible. Aux fins de ce brevet, le caractère amovible du manchon supérieur constitue plutôt un avantage de fabrication ou pour le consommateur. Il ne s'agit cependant pas de l'invention. S'en remettre aux vagues (quoique nombreuses) mentions de la caractéristique de l'amovibilité aurait pour effet de modifier l'objet des revendications du brevet. Lorsque le libellé des revendications est clair et non équivoque, comme c'est le cas du brevet 803, il convient de s'en abstenir.

     Par conséquent, je conclus que le "caractère amovible" ne correspond pas à l'invention divulguée dans le brevet 803.

     L'interprétation correcte du brevet 803 peut être résumée comme suit.

     Le brevet 803 est intitulé [TRADUCTION] " Accessoires d'agitation unidirectionnelle pour laveuse automatique ", et son inventeur est M. Ernest B. Ruble. Ce brevet se distingue du brevet 401 en ce qu'il porte sur un système d'entraînement unique pour l'agitateur à double effet, constitué d'un embrayage unidirectionnel situé entre la chemise supérieure et la partie inférieure de l'agitateur, qui permet à la chemise supérieure d'être entraînée directement par la partie inférieure de l'agitateur. La chemise supérieure est parfois appelée " manchon ". L'embrayage unidirectionnel fait tourner la chemise supérieure de gauche à droite, par intermittence, pendant la moitié du mouvement oscillatoire de la partie inférieure de l'agitateur. Ce type d'embrayage rend l'arbre d'entraînement superflu, tout comme l'alignement sur l'axe vertical les parties inférieure et supérieure de l'agitateur. Dans une variante privilégiée de l'invention, la chemise supérieure peut être facilement détachée de la partie inférieure de l'agitateur de telle manière que la laveuse puisse être utilisée avec ou sans chemise. Cette caractéristique est mentionnée à la rubrique [TRADUCTION] " Description des variantes privilégiées " du brevet, mais ne figure pas dans les revendications.

     La partie inférieure de l'agitateur est munie, à sa base, d'une jupe évasée. Tout comme le brevet 401, le brevet 803 ne fournit aucune précision sur le type d'ailettes dont la partie inférieure de l'agitateur est munie. Celles-ci doivent seulement être disposées sur le plan vertical et faire saillie de manière à excéder au moins une des ailettes inclinées de la chemise supérieure.

     L'objet de cette invention permet de créer, dans le cas des grosses lessives, un mouvement hélicoïdal extrêmement utile entraînant successivement la chute des vêtements d'un côté et de l'autre, procédé qui permet de laver une plus grande quantité de vêtements avec une efficacité accrue.

     Les antériorités énumérées dans le brevet décrivent surtout d'autres modèles d'agitateurs constitués de deux pièces. Les exemples donnés sont les mêmes que dans le brevet 401, et les antériorités englobent en outre un renvoi à des agitateurs monopièces oscillants " traditionnels " qui n'assurent pas un lavage satisfaisant dans le cas des grosses lessives. On ne trouve, dans ces antériorités, aucune mention expresse de l'agitateur fabriqué par la société Maytag, également connu sous le nom de brevet Smith.

3. Validité du brevet 803

     Maintenant que nous connaissons la substance du brevet 803, l'étape suivante consiste à déterminer si le brevet est valide ou non.

Principes généraux

     Dans la décision Cochlear Corp.7, le juge Joyal énonce comme suit les principes généraux applicables aux fins de se prononcer sur la validité d'un brevet (à la page 35) :

         Suivant la définition de Gordon F. Henderson, c.r., dans Patent Law of Canada (Scarborough : Carswell, 1994), page 7, un brevet est un [TRADUCTION] "monopole temporaire conféré par l'État permettant de fabriquer, d'exploiter ou de vendre un produit, un appareil ou un procédé qui est la mise en application d'une invention respectant les exigences suivantes" :         
         1) Nouveauté. L'invention ne doit pas se heurter à un autre brevet ou publication "antérieurs" qui permettraient de conclure qu'elle ne satisfait pas au critère de nouveauté en vertu de la loi.         
         2) Utilité. L'invention doit être exploitable et avoir une certaine valeur commerciale.         
         3) Elle doit entrer dans une catégorie admise parce que tous les objets ne sont pas brevetables.         
         4) Elle doit avoir fait l'objet d'une activité inventive. Il s'agit d'une question de fait et de degré. La question de fait concerne les progrès réalisés dans l'art tandis que celle du degré suppose que les progrès ne sont ni "évidents" ni ne constituent un "simple perfectionnement".         
         5) On peut ajouter à ces principes la présomption légale de validité que prévoit l'article 47 (maintenant l'art. 45) de la Loi. Comme l'a réaffirmé le juge Décary dans l'arrêt Tye-Sil Corp. Ltd. c. Diversified Products Corp. et al., [1991] 35 C.P.R. (3d) 350, 125 N.R. 218, 41 F.T.R. 78 (C.A.), c'est toujours à la partie qui conteste un brevet qu'il incombe de prouver, suivant la prépondérance des probabilités, son invalidité.         

     Une fois qu'elle a conclu, le cas échéant, que le brevet est valide, la Cour peut examiner la question de savoir s'il y a ou non contrefaçon. Au Canada, la validité du brevet 803 n'a été contestée que seize ans après l'octroi du brevet et, chose intéressante, après l'expiration de celui-ci aux États-Unis. Le brevet ayant été tenu pour valide pendant une si longue période, la preuve d'invalidité avancée par la partie défenderesse doit être très probante. Cependant, le courant de pensée actuel veut qu'il incombe au breveté d'établir la validité du brevet une fois que la partie qui la conteste offre une certaine preuve en ce sens, selon la prépondérance des probabilités8.

     La Loi sur les brevets (la "Loi") a été modifiée en 1987, mais les anciennes dispositions continuent de s'appliquer aux brevets délivrés par suite de demandes déposées au Canada avant le 1er octobre 1989. Le brevet 803 ayant été délivré le 6 mars 1979, l'analyse qui suit se fonde sur les dispositions de la Loi qui s'appliquaient avant 1989.

Analyse

a) Les revendications du brevet 803 ont-elles une portée plus large que l'invention réalisée ?

     Les demanderesses ayant reconnu à l'interrogatoire préalable que les revendications en cause n'englobaient pas la caractéristique de l'amovibilité, les défenderesses soutiennent que les revendications ont une portée plus large que l'invention divulguée et réalisée. Le brevet serait par conséquent invalide. Cependant, cet argument tient à ce que le caractère amovible constitue un élément essentiel de l'invention. Comme je le dis précédemment, même s'il est question du caractère amovible dans le mémoire descriptif du brevet, il ne s'ensuit pas que cette caractéristique est essentielle ou déterminante quant au brevet. Les prétentions des défenderesses concernant la trop large portée des revendications ne sont donc pas fondées.

b) Visées trop ambitieuses ?

     Outre leur prétention selon laquelle les revendications ont une portée plus large que l'invention, les défenderesses font valoir que les demanderesses ne peuvent revendiquer tous les éléments de l'agitateur faisant l'objet du brevet 803, car l'invention ne porte que sur l'un de ces éléments, soit le manchon amovible. Les défenderesses citent à l'appui de cette proposition la décision Bergeron v. DeKermor Electric Heating [1927] 3 D.L.R. 99, à la p. 104 (C.É.), dont voici un extrait :

         [TRADUCTION] On ne peut proposer une modification ou un perfectionnement, brevetable ou non, à un appareil ou à une machine connu, puis prétendre avoir inventé l'appareil ou la machine en entier.         

Même si je suis d'accord avec cet énoncé du droit, celui-ci n'est d'aucun secours aux défenderesses, puisque l'invention ne se résume pas à la chemise supérieure amovible. L'invention vise l'unique agitateur à double effet doté d'un embrayage unidirectionnel.

     Les défenderesses soutiennent que, lorsque la première partie de l'invention, qui précède la description de la variante privilégiée, comprend un énoncé des objectifs de l'invention, celui-ci peut avoir pour effet de confiner l'invention susceptible d'être protégée à quelque chose qui a pour effet de réaliser les objectifs ainsi énoncés. Lorsque les revendications ne prévoient pas de restriction en fonction des objectifs énoncés, alors leur portée est plus grande que celle de l'invention décrite. Les défenderesses invoquent l'arrêt Amfac Foods Inc. et al. c. Irving Pulp & Paper Ltd. (1986), 12 C.P.R. (3d) 193 (C.A.F.). Elles avancent que les revendications en cause ne font pas mention du caractère amovible, lequel constitue l'invention visée par le brevet. En conséquence, les revendications ont une portée plus large que l'invention réalisée et divulguée.

     Or, le caractère amovible n'est pas l'élément essentiel de l'invention divulguée dans le brevet, de sorte que cet argument ne peut être retenu.

Validité -- conclusion

     Les défenderesses n'ont fourni aucun élément de preuve qui montre, même selon la prépondérance des probabilités, que le brevet 803 est invalide. La présomption de validité prévaut donc.

4. Contrefaçon

     Le brevet 803, aujourd'hui expiré, était valide au moment de la prétendue contrefaçon.

     La contrefaçon d'un brevet valide est une question mixte de fait et de droit. Le brevet 803 est valide. La nature du brevet 803 et l'interprétation de ses revendications sont des questions de droit qui ont été abordées précédemment. Reste la question de fait : quels sont les actes de contrefaçon reprochés aux défenderesses?

     Il incombe aux demanderesses d'établir la contrefaçon suivant la prépondérance des probabilités9.

     Les demanderesses allèguent que les revendications 1, 2 et 5 du brevet 803 sont contrefaites par les défenderesses. Celles-ci reconnaissent que chacune de ces revendications, sauf quant à l'élément appelé " manchon ", décrit bien leur agitateur illustré à la pièce no 6 des demanderesses. Selon ces faits dont les parties conviennent, sauf pour ce qui est du " manchon ", il y a contrefaçon prima facie du brevet des demanderesses par les défenderesses.

     Les demanderesses ont tenté de montrer que la partie de l'agitateur des défenderesses correspondant à la chemise supérieure peut, de fait, facilement être détachée, ce qui est compatible avec la notion de manchon amovible envisagée dans le brevet 803. À cette fin, leur principal témoin expert, M. Kurt Werner, a témoigné sur une bande vidéo admise en preuve. Il a cherché à établir que la chemise supérieure des défenderesses pouvait facilement être détachée de la partie inférieure de l'agitateur. Sur la bande vidéo, on voit M. Werner, un ingénieur qui travaille depuis de nombreuses années à la conception d'agitateurs, retirer l'agitateur en entier d'une laveuse, enlever de la chemise supérieure un élément en plastique faisant office de couvercle, puis, à l'aide d'un outil électrique, percer des trous dans la partie supérieure de l'agitateur. Ensuite, M. Werner enlève la chemise supérieure de la partie inférieure oscillante. Il a reconnu que si le forage n'était pas effectué avec soin, l'agitateur pouvait être rendu inutilisable.

     La bande vidéo établit-elle que la chemise supérieure est facile à enlever ? Je ne le crois pas. Les affirmations de M. Werner concernant le caractère amovible de la chemise supérieure des défenderesses, jumelées à la démonstration sur bande vidéo, ne sont pas probantes. Si la chemise supérieure était si facile à détacher de la partie inférieure oscillante, M. Werner aurait pu en faire la preuve à l'audience, plutôt que sur bande vidéo. Après tout, de nombreux agitateurs ont été déposés en preuve pendant l'audience. La bande vidéo ne permet pas de déterminer après combien d'essais M. Werner a réussi à forer des trous de façon à pouvoir retirer l'agitateur. Aucun élément de preuve n'établit combien de temps M. Werner a mis pour mettre au point ce moyen d'enlever la chemise. La comparaison des efforts déployés par M. Werner pour retirer la chemise supérieure de l'agitateur des défenderesses au moyen d'une perceuse et de la facilité avec laquelle l'avocat a pu, en salle d'audience, enlever la chemise supérieure de l'agitateur des demanderesses, d'une seule torsion du poignet, tend à réfuter le témoignage de M. Werner. Il me serait difficile de qualifier la méthode utilisée par celui-ci de moyen "facile" d'enlever la chemise supérieure de l'agitateur des défenderesses.

     D'autres raisons m'incitent à écarter le témoignage de M. Werner. Pendant celui-ci, le témoin s'est montré argumentateur. Ce n'est que de très mauvaise grâce qu'il a reconnu certains faits. Plus encore, il a répondu de façon évasive à des questions cruciales pour l'issue du litige et qui relevaient de son domaine d'expertise, comme celle de savoir ce qu'est une grosse lessive. La Cour estime que le témoignage de M. Werner, dans son ensemble, n'est ni fiable ni utile à cet égard.

     La chemise supérieure de l'agitateur des défenderesses n'est pas facilement détachable. L'agitateur ne s'accompagne d'aucun mode d'emploi quant au procédé complexe, illustré par M. Werner, qui permet d'enlever la chemise supérieure fixe. J'arrive donc à la conclusion que la chemise supérieure des défenderesses n'équivaut pas exactement au manchon amovible envisagé dans le brevet 803.

     Or, quelle est l'importance du renvoi au "manchon" dans le brevet 803 ? Pour répondre à cette question, il me semble utile d'examiner à nouveau le jugement Cochlear Corp.10, où le juge Joyal se penche sur les principes généraux applicables en matière de contrefaçon (à la page 42) :

              Comme l'a dit madame le juge Tremblay-Lamer dans l'affaire Hi-Qual, précitée, l'interprétation utilitaire des brevets qui a été élaborée par lord Diplock dans Catnic Components Ltd. et al. v. Hill and Smith Ltd., [1981] F.S.R. 60; [1982] R.P.C. 237 (H.L.), a trouvé des partisans au Canada. La Cour s'est éloignée du double critère de la contrefaçon littérale et de la contrefaçon de la substance.         
              Dans le passé, la Cour était obligée d'examiner un double critère. En l'absence d'une contrefaçon littérale ou textuelle, il lui fallait analyser les variantes introduites par un défendeur pour éviter d'utiliser le texte exact des revendications, afin de déterminer si elles étaient visées par "l'essentiel du brevet" ou "la substance ou l'essence" de l'invention. Ce principe empêchait de se soustraire d'une manière "déguisée" à la portée de revendications.         
              Dans l'affaire Catnic Components Ltd., précitée, lord Diplock, appliquant l'interprétation utilitaire, a formulé la question de la manière suivante :         
                 [TRADUCTION] La question qui se pose dans chaque cas est de savoir si des personnes ayant des connaissances et une expérience pratiques dans le domaine dans lequel l'invention est censée être employée, concluraient que le breveté a voulu poser comme exigence fondamentale qu'on suive à la lettre telle phrase ou tel mot figurant dans une revendication, de sorte que toute variante échapperait au monopole revendiqué, même si elle ne pouvait avoir aucune incidence importante sur le fonctionnement de l'invention.                 

Si j'applique ce raisonnement aux faits de la présente espèce, je conclus que le "caractère amovible" ne constituait pas une exigence fondamentale pour le breveté. Les revendications du brevet ne font pas état des avantages d'un manchon amovible. Partant, le seul fait que l'agitateur des défenderesses ne soit pas amovible ne permet pas de repousser l'allégation de contrefaçon.

     Le juge Joyal poursuit (aux pages 42 et 43) :

         Lord Diplock ajoute que la Cour doit également examiner si les variantes analysées auraient une incidence sur le fonctionnement de l'invention.         
                 [TRADUCTION] Bien entendu, la question ne se pose pas lorsque la variante aurait en fait une incidence importante sur le fonctionnement de l'invention. Elle ne se pose pas non plus si, à la date de la publication du mémoire descriptif, il ne serait pas évident pour un lecteur averti que la variante aurait cet effet. Lorsque les connaissances dont on dispose à une époque donnée ne sont pas de nature à rendre cela évident, le lecteur peut à bon droit supposer que le breveté a estimé au moment de la rédaction du mémoire descriptif qu'il avait de bons motifs de restreindre si strictement son monopole et que telle a été son intention, même si les travaux accomplis ultérieurement par lui ou par d'autres personnes dans le domaine dont relève l'invention peuvent démontrer l'inutilité de cette restriction. La question ne doit recevoir une réponse négative que s'il serait évident pour un lecteur qui s'y connaît dans le domaine que le breveté, s'y connaissant également, n'a pu vouloir que telle expression ou tel mot descriptifs employés dans une revendication emporte l'exclusion de variantes mineures qui, autant que lui et les lecteurs auxquels le brevet est destiné sachent, ne peuvent avoir aucune incidence importante sur le fonctionnement de l'invention.                 

À partir de ce raisonnement, j'arrive à la conclusion que la chemise non amovible des défenderesses constitue une telle "variante mineure". Le caractère amovible n'a pas une incidence importante sur le fonctionnement de l'invention dans le cas des grosses lessives.

     Le juge Joyal ajoute (à la page 43) :

         Comme l'a souligné madame le juge Tremblay-Lamer dans l'affaire Hi-Qual, précitée, cette méthode a été appliquée pour la première fois par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt O'Hara Manufacturing Ltd. v. Eli Lilly and Company (1989), 26 C.P.R. (3d) 1, qui fait maintenant autorité au Canada. Dans cet arrêt, la Cour d'appel fédérale a formulé la question de la manière dont, a-t-elle présumé, lord Diplock l'aurait fait, question qui, aux fins de l'espèce, pourrait être exprimée de la manière suivante : un lecteur versé dans l'art conclurait-il du texte de la revendication que l'implant cochléaire ne pouvait pas avoir été destiné à exclure les implants cochléaires dans lesquels la stimulation pourrait aussi s'effectuer suivant d'autres modes de fonctionnement que la stimulation séquentielle, bipolaire de paires d'électrodes, qui est perçue comme si elle se produisait simultanément.         
         La Cour d'appel a en outre ajouté qu'en interprétant la revendication du brevet pour déterminer les réponses à ce genre de questions, elle tente simplement de vérifier l'"intention" de l'inventeur dans un sens juridique.         
         Par conséquent, lorsqu'un inventeur soutient qu'un élément particulier de son invention est nécessaire, si cet élément est différent dans des inventions ultérieures, il n'y a eu aucune contrefaçon peu importe que cet élément soit vraiment nécessaire, étant donné que l'inventeur doit s'en tenir aux revendications de son brevet. À cet égard, l'intention de l'inventeur est essentielle.         

Par conséquent, je conclus que si l'inventeur du brevet 803 avait considéré qu'un manchon amovible était nécessaire, cet élément aurait été inclus dans les revendications du brevet.

Contrefaçon -- conclusion

     Bien que l'agitateur des défenderesses ne soit pas muni de l'élément appelé " manchon " dans les revendications du brevet 803, je conclus que la chemise supérieure de l'agitateur des défenderesses est néanmoins visée par le brevet 803. Cela ne constitue toutefois pas un facteur déterminant quant à la contrefaçon.

     Le fait que l'agitateur des défenderesses, tel qu'illustré à la pièce no 6 des demanderesses, soit muni d'ailettes flexibles sur sa partie inférieure oscillante constitue par contre un facteur déterminant quant à la contrefaçon. La présence d'ailettes flexibles n'est pas précisée dans le brevet 803, celui-ci demeurant " muet " sur le type d'ailettes dont la partie inférieure oscillante de l'agitateur doit être dotée. À la partie B portant sur le brevet 734, je conclus qu'un agitateur à double effet doté d'ailettes flexibles ne peut pas constituer l'invention divulguée dans le brevet 803. Voici pourquoi.

     Selon le témoignage de M. Pielemeier, au moment de l'invention de l'agitateur à double effet, l'utilisation d'ailettes flexibles avec ce type d'agitateur n'avait pas été envisagée11. J'accepte cet élément de preuve. Je reconnais également que les agitateurs à double effet et les agitateurs à simple effet constituent deux catégories d'agitateurs tout à fait distinctes. Par conséquent, je fais droit à la prétention voulant que, malgré le succès de l'utilisation d'ailettes flexibles sur un agitateur à double effet, ce ne soit néanmoins que rétrospectivement que l'on puisse conclure que les brevets 401 et 803 englobaient les agitateurs à ailettes flexibles comme inventions réalisables. Toutefois, en faisant abstraction de cette analyse rétrospective, je dois conclure que les ailettes dont il est fait mention dans le brevet 803 désignent uniquement des ailettes rigides.

     En conséquence, bien que le brevet 803 n'exclue pas expressément les agitateurs à ailettes flexibles, il ne les englobe pas. Le brevet 803 n'envisage que des ailettes rigides. La pièce no 6 des demanderesses décrit des ailettes flexibles. Par conséquent, l'agitateur auquel renvoie cette pièce n'est pas visé par la revendication 1 du brevet 803.

     En conclusion, je déclare le brevet 803 valide. Toutefois, l'agitateur des défenderesses illustré à la pièce no 6 des demanderesses ne contrefait aucunement ce brevet. Je ne peux accepter l'exposé conjoint des faits selon lequel :

         [TRADUCTION]             
         7. Chacune des revendications 1, 2 et 5 du brevet 803, à l'exception de l'élément appelé " manchon ", décrit correctement l'agitateur des défenderesses tel qu'illustré à la pièce no 6 des demanderesses.             

Reconnaître la véracité de cet exposé des faits aurait pour conséquence d'attribuer un sens différent au progrès technique divulgué dans le brevet 803 et de remettre en question le sens du progrès technique divulgué dans le brevet 734, ce que je ne suis pas disposé à faire. Une telle décision serait tout simplement erronée.

PARTIE B

1. Les revendications en cause -- le brevet 734

     Toutes les revendications du brevet 734 sont contestées. Les revendications 1 à 10 décrivent l'invention. Voici un bref résumé de chacune d'elles :

     La revendication 1 constitue une description générale d'un agitateur à double effet muni d'ailettes flexibles et d'un mécanisme d'entraînement qui actionne simultanément la chemise supérieure et la partie inférieure oscillante de l'agitateur, lequel produit un mouvement hélicoïdal entraînant successivement la chute des vêtements d'un côté et de l'autre pendant le lavage12.

     La revendication 2 indique la position d'une jupe au-dessous des ailettes flexibles de la partie inférieure de l'agitateur13.

    

     La revendication 3 décrit la configuration des ailettes flexibles par rapport à la jupe de la partie inférieure de l'agitateur14.

     La revendication 4 décrit de façon plus détaillée les ailettes flexibles15.

     La revendication 5 traite du mécanisme d'entraînement qui commande le mouvement intermittent de la chemise supérieure de l'agitateur16.

     La revendication 6 porte sur le mécanisme d'entraînement qui commande le mouvement continu de la chemise supérieure de l'agitateur17.

     La revendication 718 précise que l'agitateur est muni d'un mécanisme d'entraînement qui transmet un mouvement oscillatoire à la partie inférieure de l'agitateur et un mouvement unidirectionnel à la partie supérieure de l'agitateur. L'ajout d'ailettes flexibles permet de créer un mouvement hélicoïdal continu entraînant successivement la chute des vêtements d'un côté et de l'autre pendant le lavage. Le premier segment du mouvement hélicoïdal est attribuable à l'emplacement précis des composants supérieur et inférieur de l'agitateur. Le deuxième segment de ce mouvement hélicoïdal est créé par la flexion des ailettes flexibles sur la partie inférieure oscillante de l'agitateur.

     La revendication 8 traite de la rotation continue, dans une seule direction, de la chemise supérieure19.

     Selon la revendication 920, la partie supérieure de l'agitateur tourne dans une direction et doit être alignée dans le même axe que la partie inférieure décrivant un mouvement oscillatoire. La revendication 9 traite également des ailettes flexibles d'un agitateur à double effet et de leur contribution au mouvement hélicoïdal assurant le brassage des vêtements, lequel à son tour réduit l'entrelacement des pièces d'étoffe sous l'effet du mouvement de la chemise supérieure.

     La revendication 1021 explique comment s'effectue le lavage en présence de cet agitateur. La partie inférieure oscillante de l'agitateur secoue uniformément les pièces d'étoffe, et les ailettes flexibles s'inclinent en douceur sous une charge relativement importante de vêtements. Cette flexion empêche tout entrelacement excessif des pièces d'étoffe occasionné par le mouvement unidirectionnel de la chemise supérieure par rapport à la partie inférieure oscillante.

     Les revendications 11 à 14 décrivent les divers perfectionnements que présente cette invention. En voici un bref résumé.

     La revendication 11 décrit le perfectionnement de l'agitateur en précisant qu'il s'agit d'un mécanisme d'entraînement combiné à un agitateur à double effet équipé d'ailettes flexibles, ce perfectionnement se traduisant par un nettoyage satisfaisant des vêtements et une réduction de leur entrelacement sous l'effet du mouvement de rotation unidirectionnel de la chemise supérieure22.

     Selon la revendication 12, le perfectionnement de l'agitateur à double effet provient du mouvement hélicoïdal entraînant successivement la chute des vêtements d'un côté et de l'autre, que l'on peut attribuer à l'ajout des ailettes flexibles et de la jupe inférieure de l'appareil23.

     La revendication 13 traite du perfectionnement de l'agitateur à double effet grâce à la présence d'ailettes flexibles plutôt que rigides, ce qui assure une orientation en douceur des vêtements vers le bas et une réduction de la charge exercée par une grosse lessive sur la partie inférieure oscillante24.

     Enfin, la revendication 14 décrit le perfectionnement de l'invention comme étant l'intégration d'ailettes flexibles et d'un dispositif d'entraînement continu et unidirectionnel assurant la rotation continue de la chemise supérieure, cette rotation générant un mouvement hélicoïdal qui entraîne successivement la chute des vêtements d'un côté et de l'autre dans la laveuse25.

     Ce brevet expire au mois de février ou de mars 1998.

2. Interprétation du brevet 734

     Les mêmes principes généraux d'interprétation que ceux énoncés à l'égard du brevet 803 s'appliquant en l'espèce, nul n'est besoin de les répéter. L'analyse qui suit se fonde sur ces principes.

     Selon les témoins des demanderesses et des défenderesses, le libellé des revendications du brevet 734 est clair, non équivoque et facile à comprendre. Il n'est donc pas nécessaire d'aller au-delà des revendications pour faciliter l'interprétation du brevet.

     Les demanderesses allèguent que l'agitateur des défenderesses contrefait toutes les revendications du brevet 734. Les défenderesses reconnaissent que toutes les revendications du brevet 734, sauf les revendications 6, 8 et 14 dans la mesure où elles visent un entraînement continu, décrivent bien leur agitateur. La question est donc de savoir quelle interprétation il convient de donner aux revendications 6, 8 et 14.

Interprétation -- "entraînement continu"

     L'interprétation qu'il convient de donner à l'expression "entraînement continu" dans les revendication 6, 8 et 14 du brevet 734 est une question de droit. Ces revendications font mention d'un mécanisme d'entraînement continu. Les défenderesses affirment que leurs agitateurs ne contrefont pas ces revendications, car le mouvement de la chemise supérieure est intermittent, et non continu. L'avocat des défenderesses fait valoir que la question de fait qui découle de la question de droit est de savoir si l'agitateur des défenderesses est doté du mécanisme d'entraînement continu.

     L'avocat des demanderesses soutient que l'agitateur des défenderesses est doté du mécanisme d'entraînement continu, comme l'atteste le mouvement de la chemise en présence de lessives petites ou moyennes.

La preuve

     L'avocat des demanderesses avance que l'agitateur des défenderesses est muni d'un mécanisme d'entraînement continu. À l'appui de cet argument, la bande vidéo renfermant le témoignage de M. Werner montre comment fonctionne l'agitateur des défenderesses dans une laveuse dans le cas d'une lessive petite ou moyenne. Une ligne noire est tracée au-dessus de la chemise supérieure de façon à faciliter l'observation du mouvement de celle-ci. M. Werner place sa main sur la chemise afin de simuler les conditions d'une lessive plus importante. J'ai remarqué que, dans ces conditions, la chemise supérieure bougeait de façon intermittente. Lorsque M. Werner enlève sa main de la chemise, il est facile d'observer le mouvement différent de la chemise en présence d'une lessive petite ou moyenne.

     L'avocat des demanderesses fait valoir que le mouvement de la chemise supérieure qui pouvait être observé dans le cas d'une lessive petite ou moyenne était continu. À l'audience, je n'ai pu déterminer si le mouvement était intermittent ou continu dans ce cas. Depuis lors, j'ai visionné la bande plusieurs fois et je ne peux toujours pas déterminer avec certitude s'il s'agit, dans ces conditions, d'un mouvement continu ou intermittent. Parfois il semble continu, parfois il semble intermittent. Cela dépend peut-être de la vitesse du mouvement.

Analyse

     Les défenderesses prétendent que, contrairement à celui que décrivent les revendications 6, 8 et 14 du brevet 734, leur agitateur n'est pas muni d'un tel mécanisme d'entraînement, parce qu'il n'y a aucun entraînement continu dans le cas des lessives importantes ou moyennes. Dans ce dernier cas, le mouvement de la chemise supérieure est intermittent. Ce n'est que lorsqu'il n'y a pas d'eau ou qu'il y en a peu que le mouvement continu de l'agitateur des défenderesses peut être observé.

     Je signale cependant que l'avocat des défenderesses n'a fourni aucune preuve directe quant à savoir en quoi consiste exactement l'entraînement ou le mécanisme d'entraînement de l'agitateur de ses clientes. Il s'en est tenu à ce que ce mécanisme n'était pas. Il n'a pas précisé en quoi il consistait.

     En ce qui a trait aux lessives petites ou moyennes, le témoignage de M. Werner sur bande vidéo ne me convainc pas que le mouvement de la chemise des défenderesses est continu. Cet élément de preuve est, au mieux, ambigu. M. Werner contribue peu à sa crédibilité en affirmant catégoriquement que le mouvement est continu, alors que la démonstration qu'il fait, sur la bande vidéo, n'est pas concluante à cet égard.

     Les revendications relatives à l'entraînement continu ne doivent pas être interprétées indépendamment des autres revendications du brevet. Les revendications pertinentes en ce qui concerne l'entraînement de l'agitateur des demanderesses sont donc les suivantes. La revendication 5, qui fait mention d'un mécanisme d'entraînement communiquant un mouvement intermittent à la chemise supérieure. La revendication 6, qui fait mention d'un mécanisme d'entraînement communiquant un mouvement continu à la chemise supérieure. La revendication 8, qui fait mention d'un mouvement de rotation continu et unidirectionnel de la chemise supérieure. La revendication 14, qui fait état d'un mécanisme d'entraînement continu unidirectionnel qui communique un mouvement de rotation continue à la chemise supérieure.

     Il s'agit de déterminer avec précision le sens du terme "continu". La revendication 5 parle d'un entraînement intermittent, et la revendication 6, d'un entraînement continu. Ces revendications ne sont ni mutuellement inclusives ni mutuellement exclusives. Aucune d'entre elles ne brouille les pistes en faisant mention de la rotation de la chemise supérieure. Ces deux revendications semblent décrire deux variantes différentes possibles du mécanisme d'entraînement de l'invention. Par conséquent, des mécanismes d'entraînement intermittent et continu sont envisagés. Il est même possible d'ajouter à cette équation un mécanisme d'entraînement qui soit à la fois intermittent et continu. C'est-à-dire qu'il peut y avoir un mouvement " intermittent continu " lorsque pendant le fonctionnement de la machine, la chemise supérieure mise en rotation effectue, de manière continue, des arrêts ou des accélérations intermittents. Je ne crois donc pas que l'argument des demanderesses concernant le mouvement de la partie supérieure de l'agitateur des défenderesses revête un caractère crucial quant à l'issue du litige. Il n'est pas nécessaire de montrer que l'entraînement, dans le cas des lessives petites ou moyennes, est strictement continu. Tant qu'il n'est pas sporadique, le mouvement peut très bien être envisagé par les revendications de l'invention. Selon moi, c'est ce genre de mouvement -- et non un mouvement strictement continu -- qui a pu être observé pendant le visionnement de la bande vidéo renfermant le témoignage de M. Werner.

Interprétation -- conclusion

     Le brevet 734 est intitulé [TRADUCTION] " Agitateur combiné unidirectionnel et oscillant pour laveuse automatique ". L'inventeur est M. Clark I. Platt, qui est également l'inventeur du brevet 401. Ce brevet porte sur la chemise supérieure unidirectionnelle et la partie inférieure oscillante d'un agitateur muni d'ailettes flexibles et actionné par un embrayage unidirectionnel. L'invention assure un meilleur brassage des vêtements dans la laveuse, sous l'effet d'un mouvement hélicoïdal, ce qui réduit l'entrelacement des pièces d'étoffe et améliore la qualité du lavage dans le cas de grosses lessives. L'exposé de l'invention précise que les caractéristiques particulières énoncées dans le brevet 734 se rapportent principalement au caractère flexible des ailettes de la partie inférieure de l'agitateur, sans aucune mention de leur alignement coaxial par rapport à celle-ci, et à la transmission continue ou par intermittence d'un mouvement dans une direction donnée par le mécanisme d'entraînement.

3. Validité du brevet 734

Principes généraux

     Vu les critères de validité résumés par le juge Joyal dans la décision Cochlear Corp.26, l'invention doit avoir les qualités suivantes : 1) la nouveauté, 2) l'utilité, 3) l'appartenance à une catégorie admise et 4) le caractère inventif. S'ajoute évidemment à cette liste la présomption légale de validité.

     Il ne fait aucun doute que l'invention en cause est utile, ce dont atteste son succès commercial. Nul ne conteste non plus que l'invention appartienne à une catégorie admise.

     Sauf preuve du contraire, un brevet canadien est présumé valide pendant dix-sept ans à compter de la date à laquelle il est délivré27. Le brevet 734 est présumé valide, à moins que les défenderesses ne prouvent le contraire. Dès qu'une preuve d'invalidité est présentée, la présomption légale de validité disparaît28.

     Les questions en litige qui demeurent non résolues sont donc la nouveauté et le caractère inventif de l'invention divulguée dans le brevet 734, et le fait de savoir si la preuve d'invalidité suffit à faire tomber la présomption légale de validité.

Les prétentions

     Les défenderesses considèrent que l'invention divulguée dans le brevet 734 correspond au perfectionnement décrit et revendiqué dans les brevets 401 et 803, soit le remplacement des ailettes rigides de l'agitateur par des ailettes flexibles. Les brevets 401 et 803 seraient des antériorités selon la divulgation. Les défenderesses soutiennent que le perfectionnement est évident, et qu'il s'agit d'une juxtaposition.

     Les défenderesses appuient leur argumentation relative au caractère évident en interprétant les faits comme suit. Les brevets 401 et 803 ne limitent pas les inventions qu'ils décrivent à l'adjonction d'ailettes rigides à l'agitateur inférieur. Leurs inventions consistaient en l'utilisation d'une chemise et d'un agitateur inférieur traditionnel reliés par des mécanismes d'entraînement uniques. Les brevets ont été rédigés de façon à englober tant les ailettes rigides que les ailettes flexibles. Les croquis montraient des ailettes rigides parce qu'il s'agissait alors du seul agitateur fabriqué par les demanderesses. Mais il est établi que certains agitateurs traditionnels étaient alors munis d'ailettes flexibles en leur partie inférieure. Comme les brevets 401 et 803 ne distinguaient pas leurs inventions par l'utilisation d'autre chose que les agitateurs traditionnels quant à la partie inférieure, toute personne compétente qui aurait lu le texte de ces deux brevets aurait su que les ailettes flexibles fonctionneraient, en raison des avantages connus de l'utilisation de telles ailettes sur les agitateurs traditionnels. Par conséquent, aucune invention ne correspond à l'utilisation d'ailettes flexibles, dans la mesure ou l'on peut déduire des brevets 401 et 803 qu'ils englobent cette solution.

     Pour leur part, les demanderesses considèrent que l'ajout d'ailettes flexibles à un agitateur à double effet dans le but de créer un type d'agitateur entièrement nouveau, comme celui divulgué dans le brevet 734, est un trait d'inventivité, voire de génie.

Analyse

a) Droit applicable -- nouveauté

     La nouveauté étant si fondamentale à toute invention, son absence a pour effet d'invalider le brevet et il s'agit d'un élément suffisant pour faire rejeter une action en contrefaçon29. La nouveauté est une question de fait30, et elle est présumée31. La nouveauté doit être établie à la date de l'invention ou pendant les deux années qui précèdent le dépôt du brevet32.

La preuve

     Selon le témoignage de M. Pielemeier, qui travaillait pour Whirlpool au moment de l'invention, l'agitation à double effet était un système de lavage si innovateur qu'elle créait une catégorie entièrement nouvelle par rapport à celle des systèmes de lavage par agitation à simple effet. En conséquence, l'ingéniosité inhérente à la mise au point de systèmes de lavage par agitation à simple effet n'était pas la même que celle inhérente à la conception de systèmes d'agitation à double effet, la nature du milieu dynamique créé par l'agitation à double effet étant si totalement différente. En fait, il a fallu six mois pour mettre au point l'agitateur à double effet doté d'ailettes flexibles à partir de l'agitateur à double effet muni d'ailettes rigides. L'ajout d'ailettes flexibles à ce système de lavage entièrement nouveau était innovateur.

     Selon le témoignage de M. Mellinger, étant donné que les agitateurs à simple effet dotés d'ailettes flexibles de Maytag remportaient déjà un franc succès sur le marché, l'emploi de telles ailettes sur la partie inférieure oscillante de l'agitateur à double effet ne pouvait être considéré comme nouveau. Cependant, M. Mellinger n'a aucune expérience directe dans le domaine des agitateurs à double effet, ni en ce qui a trait au milieu de lavage unique créé par l'agitation à double effet.

Les prétentions

     Toutes les parties reconnaissent que l'agitation à double effet a constitué un progrès considérable par rapport à l'agitation à simple effet. Les demanderesses prétendent que l'ajout d'ailettes flexibles à un agitateur à double effet a donné naissance à quelque chose de nouveau. Les défenderesses font valoir que cette création était évidente et déjà implicite dans les brevets antérieurs 401 et 803.

Nouveauté - analyse et conclusion

     Il appartient aux défenderesses d'établir l'absence de nouveauté. L'essentiel de leur preuve s'appuie sur l'avis d'expert de M. Mellinger. Or, cet avis repose sur la connaissance de l'ingénierie des agitateurs à simple effet, à l'exclusion de toute familiarisation avec l'agitation à double effet. Il doit être comparé avec le témoignage contraire de M. Pielemeier, lequel a participé à la mise au point de l'agitation à double effet. Si l'on soupèse le témoignage de ces deux experts, j'incline à conclure que les défenderesses n'ont pas présenté un élément de preuve qui, selon la prépondérance des probabilités, tende à réfuter la nouveauté de l'ajout d'ailettes flexibles à l'agitateur à double effet. Bien que certaines interrogations susbistent dans mon esprit quant à la preuve offerte par les demanderesses, la présomption de nouveauté du brevet 734 prévaut en l'absence de preuve à l'effet contraire.

    

b) Caractère inventif -- le droit applicable

     Pour qu'un brevet soit inventif, le progrès ne doit pas être évident et constituer un simple perfectionnement. Il y a évidence lorsqu'une personne ordinaire versée dans l'art ou la science en question, à la recherche de quelque chose de nouveau, sans entreprendre une réflexion, une recherche ou une expérimentation sérieuse, serait directement arrivée à la solution que préconise le brevet33. La " personne ordinaire versée dans l'art " est définie comme étant le technicien versé dans son art mais qui ne possède aucune étincelle d'esprit inventif ou d'imagination; un paragon de déduction et de dextérité complètement dépourvu d'intuition34.

     Dans Beloit Canada Ltée c. Valmet Oy35, le juge Hugessen, J.C.A., décrit comme suit le critère relatif à l'évidence :

         Pour établir si une invention est évidente, il ne s'agit pas de se demander ce que des inventeurs compétents ont ou auraient fait pour solutionner le problème. Un inventeur est par définition inventif. [...] Il s'agit de se demander si, compte tenu de l'état de la technique et des connaissances générales courantes qui existaient au moment où l'invention aurait été faite, cette créature mythique (monsieur tout-le-monde du domaine des brevets) [c.-à-d. la personne ordinaire versée dans l'art] serait directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet. C'est un critère auquel il est très difficile de satisfaire.             
         [Non souligné dans l'original.]         

C'est aux défenderesses qu'il incombe de prouver que l'invention était évidente36.

     Pour qu'il y ait esprit inventif, le progrès divulgué dans le brevet ne peut non plus être simplement une juxtaposition d'éléments déjà connus. Le droit relatif à la juxtaposition est énoncé par le juge Strayer dans Crila Plastic Industries Ltd. c. Ninety-Eight Plastic Trim Ltd. (1986), 10 C.P.R. (3d) 226 (C.F. 1re inst.) [" Crila Plastic "], puis confirmé par la Cour d'appel fédérale37. À la page 236, le juge Strayer cite un extrait du jugement rendu par le juge Collier dans Domtar Ltée. c. MacMillan Bloedel Packaging Ltée (1977) 33 C.P.R. (2d) 182 (C.F. 1re inst.)38, aux pages 189 et 191 (12 et 15 de la version française) :

         La seule juxtaposition des parties est insuffisante pour obtenir un brevet. Les éléments doivent s'unir pour produire un résultat unitaire. Si un élément quelconque de la combinaison a un effet propre à lui sans que la combinaison produise un résultat pour autant, il n'y a donc pas d'invention.             
         [...] À mon avis, les éléments que j'ai soulignés ci-dessus ont des fonctions essentiellement indépendantes. Ils ne sont pas assemblés pour produire un résultat nouveau mais commun. À mon avis, si l'on retirait l'un de ces éléments, les autres continueraient à remplir leur propre fonction. Il s'agit là d'une juxtaposition et non d'une combinaison.             

Les questions en litige

     Quatre questions se posent en ce qui a trait au caractère ou à l'esprit inventif. La première est de savoir si, en rassemblant tous les éléments du brevet 734, le breveté a donné naissance à une " combinaison " qui est inventive -- ou s'il s'agit d'une simple juxtaposition d'éléments bien connus. Si la combinaison n'est pas une simple juxtaposition, une deuxième question doit être posée. L'ajout d'ailettes flexibles était-il en quelque sorte évident? La troisième question, qui est liée à la deuxième, est de savoir ce qu'est exactement l'antériorité d'une invention. La dernière question : y a-t-il double brevet en ce qui concerne le brevet 734?

(i) Juxtaposition -- la preuve

     Il ressort de la preuve que l'enlèvement de la chemise supérieure de l'agitateur des demanderesses n'a pas d'effet sur le mouvement oscillatoire de la partie inférieur de l'agitateur.

Analyse

     La revendication 7 du brevet 734 fait mention du mouvement hélicoïdal à deux segments résultant de l'invention. L'avocat des défenderesses prétend que si la chemise supérieure de l'agitateur à double effet visé par le brevet 734 était enlevée, chacune des pièces restantes continuerait de fonctionner en grande partie de la même façon qu'auparavant. Compte tenu des éléments de preuve dont je dispose, j'estime que cette prétention est fondée. Après l'enlèvement de la chemise supérieure, la partie inférieure de l'agitateur continue d'osciller; les ailettes de la partie inférieure continuent de s'incliner en douceur sous la pression de la lessive. Toutefois, le milieu dynamique créé par la combinaison de la chemise supérieure et de la partie inférieure oscillante de l'agitateur dotée d'ailettes flexibles -- c'est-à-dire l'effet de cette combinaison -- ne serait pas le même. La preuve révèle que, en l'absence de la chemise supérieure, il n'y a aucun mouvement hélicoïdal à deux segments comme celui décrit dans la revendication 7. Les ailettes flexibles de la partie inférieure ont une fonction différente dans le processus de lavage, selon qu'il y a ou non une chemise supérieure. Lorsqu'elles sont jumelées à une chemise supérieure, les ailettes flexibles de la partie inférieure de l'agitateur ont pour nouvelle fonction d'atténuer un genre qualitativement différent d'entrelacement. Cette fonction des ailettes flexibles n'est ni présente ni nécessaire dans le cas de l'agitateur à simple effet.

     Lorsque la chemise supérieure est détachée, chacun des éléments restants de l'agitateur accomplit sa fonction individuelle. Cependant, l'adjonction de la chemise supérieure ou des ailettes flexibles à l'agitateur crée un nouveau résultat commun. Je suis convaincu que les éléments s'unissent en vue d'un résultat unitaire, de sorte que le critère afférent à la combinaison, énoncé par le juge Strayer dans Crila Plastics39, est respecté, ce qui favorise les demanderesses. Le progrès divulgué dans le brevet 734 n'est pas qu'une simple juxtaposition d'éléments déjà connus.

     Il incombe aux défenderesses d'établir l'absence d'esprit inventif. En ce qui concerne l'argument lié à la juxtaposition, les défenderesses n'ont pas présenté d'éléments de preuve qui réfutent l'existence de tout esprit inventif.

     Il convient maintenant d'aborder la question de l'évidence.

(ii) Évidence -- la preuve

     Il ressort du témoignage de M. Werner que les ailettes flexibles de la partie inférieure de l'agitateur correspondant au brevet 734 s'apparentent, sur le plan de la fabrication et de la conception, à celles utilisées par Maytag sur son agitateur à simple effet avant la date de l'invention visée par le brevet 734. La structure est essentiellement la même : il y a de gros renflements le long de l'arête des ailettes, un espace vide entre l'ailette et la jupe de la partie inférieure de l'agitateur et des nervures interstitielles.

     Selon l'avis d'expert fourni par M. Pielemeier, au moment où l'objet du brevet 734 a été inventé, nulle personne ordinaire versée dans l'art ne serait arrivée à créer un agitateur à double effet, encore moins à doter la partie inférieure d'un tel agitateur d'ailettes flexibles. M. Pielemeier a par ailleurs affirmé que, même si une personne ordinaire versée dans l'art avait pris connaissance des brevets 401 ou 803, ainsi que de tous les autres brevets mentionnés par M. Mellinger, elle ne serait pas arrivée à la solution qui consiste à munir l'agitateur à double effet d'ailettes flexibles. Les nombreuses et importantes mises en garde concernant l'utilisation d'ailettes flexibles auraient, dans les faits, découragé quiconque d'explorer cette avenue. Au nombre de ces mises en garde, mentionnons le risque d'endommagement et de bris des ailettes flexibles, ainsi que d'entrelacement des vêtements sous celles-ci.

     Les mises en garde rattachées à l'utilisation d'ailettes flexibles étaient bien connues des demanderesses. Dans les années soixante, les demanderesses avaient fabriqué un agitateur à simple effet muni d'ailettes flexibles qui a été rapidement popularisé sous le nom de " Golden Gobbler ". Il est devenu évident, à la suite de la mauvaise expérience vécue par les demanderesses en liaison avec le rendement du Golden Gobbler, que la conception des ailettes flexibles constituait la source du problème. Contrairement aux ailettes flexibles de l'agitateur Maytag, les ailettes flexibles du Golden Gobbler ne présentaient aucun renflement le long de leur arête et, de ce fait, avaient tendance à déchirer et à briser les vêtements. Autre différence par rapport à l'agitateur Maytag, l'agitateur Golden Gobbler n'était pas muni d'une jupe à sa partie inférieure, ce qui occasionnait souvent un entrelacement ou un blocage des vêtements sous l'agitateur.

     Le témoignage de M. Pielemeier concernant les mises en garde contre les ailettes flexibles diffère grandement de celui de M. Mellinger en contre-interrogatoire. J'arrive à la conclusion que le témoignage de M. Mellinger est éclairant et digne de foi. En contre-interrogatoire, l'avocat des demanderesses a tenté d'établir l'existence de graves problèmes liés aux ailettes flexibles, de façon qu'il soit raisonnable de conclure qu'il aurait été contre-intuitif de doter l'agitateur à double effet d'ailettes flexibles. M. Mellinger a répondu ce qui suit :

         [TRADUCTION] Comme l'attestent les résultats obtenus par Maytag et le fait que nous ayons décidé d'abandonner les ailettes rigides il y a trente ans, pour autant que je sache, aucun problème n'a jamais incité Maytag à regretter d'avoir porté son choix sur les ailettes flexibles. Au fil des ans, le dispositif s'est toujours révélé satisfaisant.

M. Mellinger a témoigné que le recours à un agitateur doté d'ailettes flexibles plutôt que rigides permettait d'accroître la lessive de 50 p. 10040. Il a toujours maintenu qu'aucun problème n'était associé aux ailettes flexibles dont était doté l'agitateur à simple effet de la laveuse Maytag, des millions d'exemplaires de celle-ci ayant été vendus avant l'invention de l'agitateur à double effet des demanderesses. En fait, Maytag fabrique toujours ce modèle. Le témoin a cependant reconnu que le déchargement du panier de l'agitateur pouvait être difficile lorsqu'une courroie se glisse sous les ailettes flexibles ou s'enroule autour de l'agitateur, bien que cela se produise très rarement.

     Je garde à l'esprit la mise en garde de la Cour d'appel fédérale relativement à l'examen du témoignage d'un expert au sujet de la question de l'évidence41.

     Le témoignage offert par M. Werner en contre-interrogatoire n'a pas été concluant quant à savoir si une personne versée dans l'art aurait pensé à utiliser des ailettes flexibles au lieu d'ailettes rigides. M. Werner ne pouvait se prononcer quant à savoir si, compte tenu de l'existence de l'agitateur Maytag doté d'ailettes flexibles au moment considéré, une personne versée dans l'art aurait pensé à doter l'agitateur à double effet de telles ailettes. Plus précisément, il a dit : [TRADUCTION] " ... il a pu ou non [traverser l'esprit d'une personne versée dans l'art de s'inspirer de l'agitateur Maytag doté d'ailettes flexibles]. Selon moi, si tel avait été le cas, l'idée aurait été abandonnée, mais tel n'a pas été nécessairement le cas ". Il faut cependant se rappeler que la Cour met en doute la crédibilité de M. Werner par rapport à celle des autres témoins.

     L'avocat des demanderesses insiste beaucoup sur le fait que le témoin des défenderesses, M. Mellinger, n'était pas au courant des problèmes d'" entrelacement dans tous les sens " associés au brevet 734, ni ne pouvait les définir. Cela s'explique par sa méconnaissance de l'agitation à double effet. Toutefois, je remarque que nulle part dans le brevet 734 il n'est précisément question d'entrelacement " dans tous les sens ". On parle plutôt d'entrelacement attribuable au mouvement unidirectionnel de la chemise supérieure par rapport à la partie inférieure de l'agitateur. Aussi, malgré la description par l'avocat de l'entrelacement dans tous les sens et la démonstration manuelle de ce que ce phénomène est censé être, cette notion m'échappe toujours. Je suis cependant disposé à accepter que l'entrelacement causé par le mécanisme d'agitation à double effet est qualitativement différent de celui associé à l'agitation à simple effet. Cet aspect est pertinent aux fins de l'analyse, dans la mesure où l'utilisation d'ailettes flexibles vise à atténuer le problème particulier d'entrelacement associé à l'agitation à double effet.

Les prétentions

     Les demanderesses soutiennent que l'idée de doter l'agitateur à double effet d'ailettes flexibles était totalement contre-intuitive et ne pouvait découler de ce que l'on savait des agitateurs à simple effet munis d'ailettes flexibles. Elles y voient en fait une marque d'esprit inventif, voire de génie. En conséquence, rien ne permettait alors de conclure que les ailettes flexibles pouvaient résoudre les problèmes uniques d'entrelacement associés aux ailettes rigides dont étaient munis les agitateurs à double effet.

     Les défenderesses font valoir que la question à trancher concernant ce brevet en est une de fait : le remplacement des ailettes rigides par des ailettes flexibles sur les agitateurs à double effet était-il évident? C'est-à-dire, était-il évident de doter l'agitateur à double effet d'ailettes flexibles une fois qu'avait germé l'idée d'un agitateur à double effet? Si la réponse à l'une ou l'autre de ces questions est affirmative, alors le brevet 734 n'est pas inventif et est donc invalide.

Analyse

     La date à laquelle il convient de trancher la question de l'évidence est celle de l'invention. À la date où celle-ci aurait vu le jour, aucun agitateur à double effet de quelque type que ce soit n'avait fait l'objet d'une divulgation. Il était alors généralement établi que les ailettes flexibles avaient été utilisées de façon assez fructueuse par Maytag en liaison avec son agitateur à simple effet, mais sans résultat valable par les demanderesses.

     La combinaison d'ailettes flexibles à une jupe inférieure pour résoudre les problèmes d'entrelacement propres à l'agitateur à double effet se distingue-t-elle suffisamment de l'utilisation d'ailettes flexibles avec une jupe inférieure pour résoudre le problème de l'enroulement ou du blocage des vêtements sous les ailettes de l'agitateur à simple effet pour être considérée " inventive "? Le problème est complexe. L'utilisation d'ailettes flexibles avec une jupe inférieure remédie à l'entrelacement dans le cas des deux types d'agitateurs. Toutefois, la preuve révèle que le problème propre à l'agitateur à double effet est différent et plus important que celui associé à l'agitateur à simple effet. L'utilisation d'ailettes flexibles offre, dans le cas de l'agitateur à double effet, l'intérêt supplémentaire d'une efficacité accrue du lavage dans le cas des grosses lessives. L'élimination des problèmes d'entrelacement et l'efficacité accrue sont deux caractéristiques hautement appréciées en ce qui concerne les laveuses automatiques.

     L'avocat des demanderesses a tenté d'établir l'existence d'un problème lié au risque de bris des ailettes flexibles, et ce, à l'appui de son argument fondé sur la contre-intuition. Or, il ressort du témoignage non contredit de M. Mellinger que l'agitateur à simple effet doté d'ailettes flexibles de Maytag, au cours des nombreuses années où il a été offert sur le marché, n'a jamais présenté un tel problème de bris. Malgré la longue liste de mises en garde contre les ailettes flexibles dans le cas de l'agitateur Golden Gobbler de GE, aucun élément de preuve n'établit que les agitateurs dotés d'ailettes flexibles offerts sur le marché par Maytag pendant de nombreuses années ont présenté de tels problèmes.

     Je dois reconnaître que, dans un premier temps, en raison du recours fructueux de Maytag aux ailettes flexibles, j'étais convaincu qu'il aurait été évident d'utiliser celles-ci de pair avec un agitateur à double effet. Or, cela supposait que les mécanismes d'agitation à simple effet et d'agitation à double effet appartenaient à la même catégorie de système de lavage. Il en découlait également que la Cour faisait fi du témoignage de M. Pielemeier dans sa totalité et se livrait à une analyse rétrospective. Vu l'ensemble de la preuve dont elle est saisie, la Cour n'est pas disposée à persister dans cette voie.

     Vu la conclusion selon laquelle le brevet 734 ne constitue pas une juxtaposition et représente la combinaison d'éléments connus afin de déboucher sur un résultat entièrement nouveau, je ne peux plus considérer que le témoignage de M. Mellinger est pertinent en ce qui a trait à l'utilisation d'ailettes flexibles de pair avec un agitateur à double effet. Il en est ainsi en raison de l'absence de familiarisation du témoin avec ce résultat entièrement nouveau et de l'importance de celui-ci. Bien que les théories et les avis de M. Mellinger soient intéressants et, parfois, très convaincants, il aurait été préférable d'entendre une personne familiarisée avec l'agitation à double effet.

     La démarche inventive qui consiste à ajouter des ailettes flexibles à l'agitateur à double effet n'est pas immédiatement venue à l'esprit de quiconque chez Whirlpool. Le fait qu'il ait fallu six mois pour mettre l'idée au point est l'indice d'une réflexion, d'une recherche ou d'une expérimentation sérieuse. Ce n'est pas une preuve d'évidence. Le critère qui consiste à déterminer si, compte tenu de ce que l'on savait alors au sujet de l'agitation à double effet et de l'état des connaissances en général, une personne versée dans l'art serait arrivée directement et sans difficulté à la solution préconisée dans le brevet 734, n'est tout simplement pas rempli sur la base de la preuve offerte par les défenderesses. J'estime que l'agitation à double effet et l'agitation à simple effet sont des mécanismes si différents l'un de l'autre qu'une personne versée dans l'art n'aurait pas aisément tenu pour interchangeables les éléments de l'un et de l'autre. Seule une analyse rétrospective m'amènerait à croire le contraire.

     Il appartient aux défenderesses de présenter des éléments de preuve qui tendent, selon la prépondérance des probabilités, à prouver l'évidence. Elles ne se sont pas acquittées de cette obligation. Je conclus donc que l'utilisation d'ailettes flexibles de pair avec l'agitateur à double effet n'était pas évidente.

(iii) Évidence et perfectionnements -- droit applicable

     L'article 32 de l'ancienne Loi sur les brevets porte sur les perfectionnements et les brevets de perfectionnement42. Il prévoit que quiconque est l'auteur d'un perfectionnement à une invention brevetée peut obtenir un brevet pour ce perfectionnement.

     Le perfectionnement d'une invention brevetée se distingue de l'invention originale et est, en lui-même, brevetable43. Pour être brevetable, le perfectionnement doit présenter le caractère de la nouveauté, de l'utilité et de l'invention44. La jurisprudence plus ancienne indique que le brevet de perfectionnement doit être interprété plus strictement et, par conséquent, être appliqué moins strictement que le brevet " pionnier " ou " de base "45, mais la tendance moderne semble s'écarter de cette distinction stricte, du moins en ce qui concerne l'application de la règle de la contrefaçon par équivalents mécaniques46.

Analyse

     Les défenderesses soutiennent que l'ajout d'ailettes flexibles ne constituait qu'un perfectionnement de l'agitateur à double effet. Cet argument exige que l'on considère les ailettes flexibles isolément des autres éléments du brevet et que l'on détermine si ce perfectionnement est évident.

     Toutefois, la thèse des défenderesses ne vaut que dans la mesure où il peut être montré que le brevet 734 est une sorte de juxtaposition. Or, j'ai déjà conclu que ce brevet n'est pas simplement la juxtaposition d'éléments déjà connus. Par conséquent, il est impossible d'isoler les ailettes flexibles du reste de l'invention sans se livrer à une sorte d'exercice artificiel. L'invention ne consiste pas uniquement à remplacer les ailettes rigides par des ailettes flexibles. Il n'est donc pas nécessaire de déterminer si cette substitution était évidente, car une telle analyse ferait totalement fi de l'objet de l'invention.

     Les défenderesses avancent que les revendications 1 à 11 sont invalides, parce qu'elles visent davantage que le simple perfectionnement des ailettes flexibles jumelées à un agitateur à double effet -- elles visent la structure en entier de la chose perfectionnée (c.-à-d. l'agitateur à double effet en entier). Puisque j'ai conclu que l'invention ne correspondait pas uniquement au perfectionnement des ailettes flexibles, mais plutôt à la totalité du nouvel agitateur à double effet doté d'ailettes flexibles, cet argument ne peut être retenu.

(iv) Antériorité -- droit applicable

     Je fais mienne la proposition du juge Rich de la Federal Court of Appeals des États-Unis selon laquelle [TRADUCTION] " l'énoncé d'un brevet voulant qu'une chose constitue une antériorité lie le demandeur et le breveté lorsqu'il s'agit de se prononcer sur l'antériorité et l'évidence "47.

     Or, la règle générale veut qu'une demande de brevet en coinstance ne puisse constituer une antériorité. Aux termes de l'article 10 de l'ancienne Loi sur les brevets, une demande de brevet ne pouvait être consultée par le public que si le brevet avait été accordé48. L'antériorité qui ne revêtait pas un caractère public à la date de l'invention ne peut être prise en considération aux fins de trancher la question de l'évidence49.

La preuve

     Le brevet 734 énumère à titre d'antériorités les mêmes inventions que celles qui figurent à ce titre dans les brevets 401 et 803. En outre, le brevet 734 énumère un certain nombre agitateurs différents dotés d'ailettes flexibles à la partie inférieure. Selon la description donnée, certains de ces agitateurs ont une jupe en leur partie inférieure. Le brevet Smith de Maytag visant un agitateur à simple effet doté d'ailettes flexibles figure au nombre des antériorités50. Le "brevet Cobb" portant sur un agitateur muni d'ailettes flexibles ainsi que d'une jupe afin de réduire l'entrelacement des pièces d'étoffe sur les ailettes de l'agitateur, figure également au nombre des antériorités51, tout comme le "brevet Bochan"52. De manière générale, les antériorités correspondent à des agitateurs qui ne transmettent que des mouvements oscillatoires et tentent d'assurer un bon brassage des vêtements dans la cuve en accroissant de la vigueur des agitateurs.

     À la quatrième page du brevet 734, à la rubrique faisant état des antériorités, figure une description du brevet 401. À la page suivante, on trouve également une description du brevet américain 3 987 652, qui, M. Werner l'a reconnu, renvoie à l'invention divulguée dans le brevet 803.

     Comme l'indiquent les documents eux-mêmes, le brevet 401 a été délivré le 2 janvier 1979, le brevet 803 le 6 mars 1979 et le brevet 734 le 17 février 1981. Les dates d'invention pour ces brevets remontent au moins au 12 juillet 1972 pour le brevet 401 et au moins au 22 mars 1973 pour le brevet 803.

     Selon tous les témoignages entendus, dont celui de M. Mellinger, vu les revendications du brevet 401, et comme celui-ci ne précise pas que les ailettes sont rigides ou flexibles, l'agitateur pouvait être doté d'ailettes rigides ou flexibles. Cependant, M. Mellinger admet également, en ce qui touche la divulgation, que les brevets 401 et 803 ne font mention que d'agitateurs munis d'ailettes rigides. Voici l'extrait pertinent de son témoignage :

         [TRADUCTION] ... sur la base de la divulgation, ils ne montraient que des ailettes rigides et ils ne faisaient mention que de telles ailettes. Ils ne décrivaient pas -- ils ne disaient pas qu'il ne pouvait s'agir d'ailettes flexibles, mais ils ne représentaient que des ailettes rigides. Et c'est tout ce qui était précisé, essentiellement -- ils ne parlaient alors que d'ailettes.         

     Pendant le contre-interrogatoire de M. Mellinger, il a été établi que la variante particulière du brevet 734 décrite par la pièce "P20" ne pouvait être réalisée en se conformant aux données structurelles des revendications des brevets 401 et 803. La raison en est que la variante du brevet 734 décrite à la pièce "P20" comporte des ailettes qui ne sont pas disposées sur le plan vertical. Elles son obliques. Les brevets 401 et 803 exigent que les ailettes soient disposées sur le plan vertical. Il existe une différence véritable entre le brevet 734 et les deux autres brevets.

     Il a été établi, pendant le contre-interrogatoire de M. Mellinger, que le texte du brevet 803 n'exige pas que la partie supérieure de l'agitateur soit dans le même axe que la partie inférieure oscillante. Il suffit qu'elle soit montée sur la partie inférieure, de sorte qu'une variante particulière du brevet 803 pourrait faire en sorte que la chemise supérieure soit en position oblique, comme le décrit la pièce "P20". Par contre, le brevet 734 exige que la partie supérieure de l'agitateur soit dans le même axe que sa partie inférieure. Il s'agit d'une deuxième différence véritable.

     Le témoignage de M. Werner a également révélé que le mouvement continu divulgué dans les revendications 6, 8 et 14 du brevet 734 n'est pas mentionné dans le brevet 401 ou 803. Il s'agit d'une troisième différence véritable.

     Selon M. Mellinger, les brevets 401 et 803 se distinguent du brevet 734 dans la mesure où ils ne prévoient pas la présence d'ailettes flexibles.

Les prétentions

     Comme le premier dévoilement public d'un agitateur à double effet a eu lieu environ un an avant la date de l'invention visée par le brevet 734, les demanderesses font valoir que les brevets 401 et 803 ne sont pas considérés comme des antériorités et ne pourront jamais l'être en droit canadien. Elles insistent sur le fait que les inventions d'agitateurs à double effet étaient confidentielles. Le critère applicable est donc de savoir s'il aurait été évident de mettre au point l'invention visée par le brevet 734, à partir de rien, sans avoir jamais vu un agitateur à double effet.

     L'avocat des demanderesses soutient que, aux fins de trancher la question de l'évidence, les connaissances particulières de M. Platt, qui n'avaient pas encore été divulguées et qui étaient tenues secrètes, ne peuvent être prises en considération. Les seules connaissances qui sont pertinentes sont celles de la personne versée dans l'art et celles auxquelles cette dernière avait accès au moment où l'invention visée par le brevet 734 a vu le jour.

     Les demanderesses font valoir que la mention des inventions correspondant aux brevets 401 et 803 à la rubrique du brevet 734 qui fait état des antériorités ne peut transformer ce qui ne constitue pas des antériorités (c.-à-d. les inventions visées par les brevets 401 et 803) en des antériorités susceptibles d'être invoquées. Elles ajoutent que ce qui peut être assimilé à une antériorité et qui peut être invoqué à l'encontre d'un brevet ou d'une demande de brevet au Canada est régi par la Loi sur les brevets et la jurisprudence y afférente.

     Les défenderesses rétorquent que même si l'agitateur à double effet n'était pas dans le domaine public lorsque l'agitateur visé par le brevet 734 a été dévoilé au public, l'agitateur muni d'ailettes flexibles était déjà très bien connu. Comme le brevet 734 avait seulement pour objet l'ajout d'ailettes flexibles à l'agitateur à double effet déjà existant, il portait sur quelque chose qui avait déjà été breveté. Elles soutiennent que c'est en fonction des brevets 401 et 803, énumérés à titre d'antériorités, que le perfectionnement du brevet 734 doit être considéré.

Analyse -- antériorités

     Si les brevets 401 et 803 ne sont pas des antériorités, alors le brevet 734 porte sur un progrès considérable non évident dans l'art en question, ce qui est brevetable. Les brevets 401 et 803 constituent-ils des antériorités par rapport au brevet 734 ? Tous les témoins reconnaissent que, abstraction faite des brevets 401 et 803, le brevet 734 est inventif et non évident.

     Je crois qu'il faut faire preuve de prudence dans l'application du critère proposé par les demanderesses quant à savoir s'il aurait été évident de mettre au point l'objet du brevet 734, à partir de rien, sans même avoir jamais vu un agitateur à double effet, car l'application inappropriée de ce critère peut avoir pour résultat de prolonger le monopole conféré par un brevet valide au-delà de ce que prévoit la loi.

     Même s'il existe un certain nombre de différences entre le brevet 734 et les deux autres brevets susmentionnés, je crois qu'il faut se demander s'il était envisagé ou non que l'agitateur décrit dans le brevet 401 ou 803 comporte des ailettes flexibles en sa partie inférieure oscillante. Les exigences de disposition des ailettes sur le plan vertical, d'alignement des parties supérieure et inférieure de l'agitateur dans le même axe et d'entraînement continu, bien qu'elles soient importantes pour l'invention, n'en constituent pas l'"essence". L'essence de l'invention est le système unique de lavage résultant du jumelage d'ailettes flexibles et de l'agitation à double effet. Si un agitateur à double effet doté d'ailettes flexibles ne peut être envisagé par les brevets 401 ou 803, alors, de l'avis même du témoin des défenderesses, les trois brevets sont distincts, et l'argument des défenderesses concernant l'exacte coïncidence tombe.

     À la partie A, je conclus que le brevet 803 n'englobe pas les ailettes flexibles. Voilà qui tranche la question. Toutefois, un autre élément important contribue au règlement du litige.

     L'article 10 de l'ancienne Loi sur les brevets prévoit que le contenu du brevet n'entre dans le domaine public qu'après la délivrance du brevet. Vu les dates de délivrance des trois brevets, les connaissances que renfermaient les brevets 401 et 803 étaient dans le domaine public depuis seulement deux ans lorsque le brevet 734 a été délivré. Or, ces connaissances n'étaient pas dans le domaine public lorsque l'invention visée par le brevet 734 a vu le jour, soit au moins le 5 juin 1974. La règle générale veut qu'une demande en coinstance ne puisse être invoquée à titre d'antériorité. Les demandes étaient en coinstance. Par conséquent, c'est la date de l'invention qui compte en matière d'antériorité. J'arrive donc à la conclusion que, malgré l'excellente plaidoirie de l'avocat des défenderesses, les brevets 401 et 803 ne constituent pas des antériorités.

     Même si les brevets 401 et 803 sont énumérés au nombre des antériorités dans le brevet 734, il ne s'agit pas véritablement d'antériorités, car ils faisaient l'objet de demandes en coinstance au moment de l'invention, et une demande en coinstance ne peut être invoquée à titre d'antériorité.

     Les défenderesses n'ont pas présenté quelque élément de preuve qui tende à prouver, selon la prépondérance des probabilités, que les brevets 401 et 803 peuvent être considérés comme des antériorités du brevet 734 au Canada.

(v) Double brevet

     En étroite liaison avec leur argument fondé sur l'absence d'esprit inventif, les défenderesses contestent par ailleurs la validité du brevet 734 en invoquant le double brevet. Or, comme j'ai conclu que le brevet 734 a pour objet une invention totalement différente de celles divulguées dans les brevets 401 et 803, il n'est pas nécessaire d'aborder le sujet. Toutefois, étant donné l'importance que l'avocat des défenderesses accorde à cet argument, je me pencherai, quoique dans le cadre d'une remarque incidente, sur certains des principaux aspects de la doctrine du double brevet.

Le droit applicable

     Il y a "double brevet" lorsqu'un brevet a déjà été accordé pour l'invention. Une telle situation ne saurait être admise parce qu'il en résulterait un prolongement du monopole accordé si un brevet était délivré pour un dispositif et que, subséquemment, un autre brevet était délivré relativement au même dispositif ou à un dispositif identique.

     Les défenderesses font valoir que le droit applicable en la matière a été énoncé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Farbwerke Hoechst53. Dans cet arrêt, le juge Judson conclut que le médicament dilué et le médicament non dilué pour lesquels les brevetés ont obtenu des brevets n'étaient que deux aspects d'une seule et même invention. Les défenderesses soutiennent que cet arrêt appuie la proposition selon laquelle, lorsqu'un brevet subséquent porte sur une invention identique à celle revendiquée dans un brevet antérieur, ou sur une invention évidente compte tenu de l'invention revendiquée dans le brevet antérieur, le deuxième brevet ne peut être délivré ou la demande n'est pas recevable, selon le cas. En effet, il ne peut y avoir de continuation d'un brevet relativement à une chose qui n'est pas inventive.

     L'avocat des demanderesses prétend que, selon l'arrêt Farbwerke Hoechst, un brevet ne peut être invalidé pour double brevet que si la revendication antérieure et la revendication subséquente sont identiques et coïncident exactement. Or, il ne s'agit ni de la situation factuelle ni du dispositif de l'arrêt Farbwerke Hoechst. Dans celui-ci, le premier brevet renfermait une revendication afférente à un médicament, tandis que le second avait pour objet le médicament jumelé à un vecteur. Les deux revendications ne coïncidaient pas exactement et étaient encore moins identiques. Dans l'arrêt Farbwerke Hoechst, le juge Judson analyse deux brevets divulguant des aspects différents d'une seule et même invention. Il en irait de même de deux brevets divulguant deux variantes d'une seule et même invention. L'avocat interprète le principe établi dans cet arrêt sans tenir compte de sa subtilité.

     Le principe de l'arrêt Farbwerke Hoechst est repris et quelque peu étayé dans le jugement Xerox du Canada Ltée c. IBM Canada Ltée (1977), 33 C.P.R. (2d) 254, aux pages 57 et 58 (version anglaise) (C.F. 1re inst.). Dans cette affaire, le juge Collier conclut que, pour qu'il y ait invalidation fondée sur la doctrine du double brevet, l'objet des deux brevets doit être identique. Il ajoute qu'une revendication subséquente ne peut être invalidée sur le fondement d'une revendication antérieure, à moins que les deux revendications ne coïncident exactement. Selon lui, il est nécessaire de mettre l'accent sur l'objet des brevets et de déterminer si les revendications du deuxième brevet se retrouvent précisément à l'intérieur des paramètres établis par les revendications du premier brevet. Le critère applicable ne consiste pas à déterminer si les revendications des deux brevets sont identiques, comme l'avocat des demanderesses le prétend, mais plutôt à examiner si l'objet des deux brevets est identique. La nuance est subtile.

     À l'appui de leur prétention selon laquelle la notion juridique de double brevet ne s'applique pas au Canada, les demanderesses invoquent la décision Lovell Manufacturing Co. c. Beatty Bros. Ltd. [" Lovell Manufacturing "], à la page 68. Cependant, il y a une grande différence entre cette affaire et la présente espèce. Dans cette autre affaire, les trois brevets en cause avaient été délivrés le même jour. En l'espèce, les brevets n'ont pas été délivrés le même jour. Dans Lovell Manufacturing , la principale raison qui justifie l'interdiction du double brevet, soit la prolongation artificielle du monopole conféré par le brevet, qui est débattue dans la présente espèce, n'est même pas abordée.

     J'estime que W.L. Hayhurst, dans un article intitulé " Industrial Property : Part I " (1983), 15 Revue de droit d'Ottawa 38, à la page 93 expose correctement le droit applicable en matière de double brevet au Canada :

             [TRADUCTION] Comme mentionné dans la plus récente étude, le juge Collier, dans deux décisions de la Cour fédérale, a statué que le brevet délivré subséquemment ne peut être invalidé pour double brevet (ou octroi antérieur de brevet) si ses revendications ne coïncident pas exactement avec celles du brevet délivré précédemment. Le juge Gibson a réitéré ce principe dans la décision Proctor & Gamble Co. c. Clagon Interamerican Co., mais quelques jours plus tard, l'une des affaires dans lesquelles le juge Collier avait statué, Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel Ltd., a fait l'objet d'un arrêt de la Cour suprême du Canada issu de l'application d'autres principes. À l'instar du juge Collier, la Cour suprême a conclu qu'il n'y avait pas double brevet dans cette affaire, mais elle ne fait aucune mention du critère de la " coïncidence exacte ". Elle renvoie plutôt à l'arrêt Commissaire des brevets v. Farbwerke Hoechst A.G. à titre d'" arrêt qui fait autorité en matière de double brevet ". [...] Il était évident que les revendications ne coïncidaient pas exactement les unes avec les autres, mais la demande relative au second brevet a été rejetée. Dans l'arrêt Consolboard, la Cour suprême, citant le jugement Hoechst, fait remarquer : " Le juge Judson a dit, au nom de la Cour, que le second procédé ne comportait pas de nouveauté ou d'ingéniosité et qu'en conséquence le second brevet n'était pas justifié " .             
             La question à trancher semble être de savoir si ce qui est revendiqué dans le second brevet aurait été non évident par rapport à ce qui était revendiqué dans le premier. Il s'agit d'un critère intéressant sur le plan théorique, mais qui n'est pas facile à appliquer.             

     [Non souligné dans l'original.]

Puisque la Cour suprême du Canada s'est prononcée sur la question du double brevet, il n'est pas nécessaire d'examiner le droit applicable en la matière au Royaume Uni ou aux États-Unis dans le cadre de la présente analyse.

Les prétentions

     Comme les brevets 401 et 803 ne font aucunement mention de la flexibilité ou de l'absence de flexibilité des ailettes de la partie inférieure de l'agitateur, les défenderesses font valoir que l'agitateur à double effet doté d'ailettes flexibles et l'agitateur à double effet doté d'ailettes rigides ne sont que deux aspects d'une seule et même invention. Le brevet 734 aurait pour effet de breveter ce qui avait auparavant été envisagé dans les brevets 401 et 803.

     Les demanderesses ont recours à une analogie fantaisiste pour illustrer la notion de double brevet et montrer qu'elle ne s'applique pas en l'espèce. Leur avocat fait valoir que s'il devait, par exemple, inventer un combustible, obtenir un brevet pour celui-ci, découvrir subséquemment que l'ajout de muffins au son rendait le combustible beaucoup plus performant, puis obtenir un brevet pour le combustible bonifié par l'ajout de muffins au son, le deuxième brevet serait valide vu l'absence de double brevet par rapport au premier brevet. Il en serait ainsi parce que le brevet délivré en premier lieu n'aurait jamais enseigné ou laissé entendre que les muffins au son pouvaient constituer un accélérateur de combustion.

Analyse

     Même si les analyses précédentes n'avaient pas été déterminantes en l'espèce et que, par conséquent, il aurait été nécessaire que je me penche sur la notion juridique de double brevet afin de trancher les questions en litige, je n'aurais quand même pas donné raison aux défenderesses, même si, généralement parlant, je suis en accord avec l'exposé qu'elles font du droit applicable. L'objet de chacun des trois brevets, et en particulier du brevet 734, est unique. Non seulement les revendications ne coïncident pas littéralement les unes avec les autres, mais il n'y a pas de coïncidence substantielle entre elles. Il n'y a donc pas de double brevet.

Points divers

     Un tribunal appelé à se prononcer sur le caractère évident d'une invention peut tenir compte de la popularité de celle-ci sur le marché54. Le succès commercial remporté par l'agitateur des demanderesses ne fait aucun doute, des millions de ventes ayant été réalisées au fil des ans. Depuis le lancement de son agitateur à double effet en 1995, la défenderesse General Electric en a vendu plus de 750 000 exemplaires.

     Or, rien n'établit que la popularité de l'agitateur à double effet des demanderesses ou des défenderesses est uniquement attribuable aux ailettes flexibles.

     Les demanderesses invoquent à l'appui de leur argument relatif à l'absence d'évidence l'article 33 de la Loi sur les brevets, L.C. 1993, ch. 15. Inutile de dire, et l'avocat des demanderesses l'admet volontiers, que cette disposition en vigueur depuis le 6 juin 1993 ne s'applique pas aux brevets en cause.

Conclusion -- validité

     Il ne ressort pas de la preuve des défenderesses, selon la prépondérance des probabilités, que l'invention divulguée dans le brevet 734 ne revêt aucun caractère nouveau ou inventif. Aucune preuve ne tend donc à réfuter la présomption de validité. Le brevet 734 est par conséquent valide.

4. Contrefaçon

     Les principes généraux dégagés aux fins de l'analyse du brevet 803 s'appliquant en l'espèce, il est inutile de les répéter, et que je passe directement à l'analyse du brevet 734.

     Il incombe aux demanderesses d'établir la contrefaçon selon la prépondérance des probabilités55.

     Les demanderesses font valoir que l'agitateur des défenderesses est presque une copie de l'agitateur de Whirpool et qu'il réunit chacun des éléments des revendications 1 à 14 du brevet 734.

     Les défenderesses reconnaissent que chacune des revendications 1 à 5, 7 et 9 à 13 décrit bien leur agitateur. Elles soutiennent que les revendications 6, 8 et 14, qui font mention du mouvement continu de la chemise supérieure, ne décrivent pas leur agitateur, le mouvement de la chemise supérieure de celui-ci étant intermittent.

     J'ai déjà conclu que l'agitateur des défenderesses est visé par les revendications 6, 8 et 14 du brevet 734, la chemise supérieure pouvant faire l'objet d'un mouvement de rotation unidirectionnel continu, tout en effectuant des arrêts intermittents.

     Il est bien établi en droit que la personne qui prend la substance d'une invention se rend coupable de contrefaçon et qu'il importe peu qu'elle omette une caractéristique qui n'est pas essentielle ou qu'elle lui substitue un équivalent56. L'agitateur des défenderesses correspond à la substance des revendications du brevet 734. Les défenderesses sont donc coupables de contrefaçon.

CONCLUSION

     Vu la présomption légale de validité, il est très difficile aux défenderesses de prouver l'invalidité d'un brevet. Tel est particulièrement le cas lorsque le brevet a été respecté pendant la plus grande partie de ses dix-sept années d'existence au Canada et pendant toute sa durée aux États-Unis. Toutefois, si les défenderesses offrent, à tout le moins, une certaine preuve d'invalidité, la présomption légale de validité disparaît.

     Les défenderesses ont-elles présenté quelque élément de preuve qui tende à réfuter la validité de l'un ou l'autre des brevets 734 ou 803, selon la prépondérance des probabilités? Selon moi, elles ne l'ont pas fait. Même si l'avis d'expert de M. Mellinger est assez convaincant, les défenderesses n'ont offert aucune preuve directe de l'utilisation d'ailettes flexibles de pair avec un agitateur à double effet vers la date de l'invention. Au contraire, M. Pielemeier, qui a participé à la mise au point des inventions divulguées dans les brevets, a témoigné, pour le compte des demanderesses, qu'il était alors hors de question d'envisager un agitateur à double effet doté d'ailettes flexibles.

     L'agitation à double effet était un concept tellement nouveau -- et toutes les parties conviennent qu'il s'agissait d'un progrès considérable par rapport à l'agitation à simple effet -- qu'elle doit être considérée dans une catégorie totalement différente de celle de l'agitation à simple effet. Essentiellement, la thèse des défenderesses suppose que l'agitation à double effet appartient à la même catégorie d'invention que l'agitation à simple effet, alors que, manifestement, ce n'est pas le cas.

     Les demanderesses n'avaient aucune expérience dans la fabrication d'agitateurs efficaces munis d'ailettes flexibles. Elles ne connaissaient pas la formule secrète de la résine utilisée par Maytag pour rendre les ailettes flexibles utilisables. L'agitation à double effet était considérée comme un concept entièrement distinct de l'agitation à simple effet. Les brevets 401 et 803 n'englobent donc pas l'utilisation d'ailettes flexibles.

     Les défenderesses ont respecté les brevets pendant leur période de validité aux États-Unis. Dès l'expiration des brevets, elles se sont engagées dans la fabrication d'un agitateur qui était presque une copie de celui des demanderesses. La Cour tire à cet égard une conclusion défavorable aux défenderesses. Ces dernières ont lancé leur agitateur au Canada avant même que le brevet 734 n'expire. Il semble qu'elles aient estimé que le jeu en valait la chandelle.

     M. Mellinger a reconnu n'avoir aucune expérience dans le domaine des agitateurs à double effet. L'expérience de M. Pielemeier, qui a participé à la conception du produit au moment de l'invention, est considérable. Quel avis d'expert la Cour doit-elle retenir quant à savoir ce que la personne versée dans l'art aurait pensé de l'idée de munir l'agitateur à double effet d'ailettes flexibles? Le témoignage de M. Pielemeier doit être privilégié, car ce dernier a les connaissances les plus susceptibles d'étayer un avis concernant l'agitation à double effet. L'avis de M. Mellinger est très intéressant, mais de toute évidence, il ne s'appuie sur aucune connaissance en matière d'agitation à double effet.

     Aucun témoin n'ayant été appelé à la barre pour le compte de GE ou de Camco pour défendre leur propre agitateur, la Cour tire une conclusion défavorable aux défenderesses. Bien que les explications et les démonstrations de l'avocat des défenderesses soient séduisantes quant à l'interprétation des brevets et à leur validité, elles ne sauraient tout simplement pas se substituer à une preuve directe de GE en ce sens.

     En somme, bien que j'aie des réserves concernant certaines des prétentions des demanderesses, les défenderesses ne se sont pas acquittées de leur obligation de réfuter la validité des brevets. En effet, elles ont omis de présenter quelque élément de preuve qui tende à réfuter la validité, selon la prépondérance des probabilités. La présomption légale prévaut donc. Le brevet 734 est valide, et les défenderesses l'ont contrefait.

     L'avocat des défenderesses a formulé des arguments juridiques intéressants et convaincants à l'appui de sa thèse. Cependant, en l'absence des éléments de preuve nécessaires pour les étayer, sa plaidoirie est vaine.

Le brevet 803

     J'ai conclu que le brevet 734 a offert au public un système de lavage entièrement nouveau grâce à la combinaison particulière d'un agitateur à double effet et d'ailettes flexibles. La présence de celles-ci a permis de résoudre d'importants problèmes d'entrelacement propres à l'agitation à double effet. Les ailettes flexibles ont en effet permis au système de fonctionner.

     Les demanderesses allèguent que l'agitateur des défenderesses, tel qu'illustré à la pièce no 6 des demanderesses, contrefait non seulement le brevet 734 (ce dont je conviens), mais aussi le brevet 803. Or, la pièce no 6 des demanderesses représente à un agitateur à double effet doté d'ailettes flexibles. Le brevet 803 n'englobe pas l'utilisation d'ailettes flexibles. S'il le faisait, il aurait pour objet un système de lavage trop semblable à celui divulgué dans le brevet 734. Les demanderesses ne peuvent prétendre que l'objet du brevet 734 est un dispositif nouveau en raison du trait de génie inventif que dénote le recours aux ailettes flexibles et, en même temps, soutenir à bon droit que l'utilisation d'ailettes flexibles de pair avec un agitateur à double effet est envisagée par le brevet 803. Les demanderesses doivent faire un choix.

     L'agitateur des défenderesses, tel qu'illustré à la pièce no 6 des demanderesses, n'est pas du ressort de la première revendication du brevet 803. Partant, il ne peut être visé par les revendications 2 ou 5, celles-ci dépendant de la première revendication. Par conséquent, les défenderesses n'ont pas contrefait le brevet 803.

Demande reconventionnelle des défenderesses

     Par voie de demande reconventionnelle, les défenderesses allèguent que les démarches des demanderesses concernant les droits conférés par leur brevet leur ont infligé un préjudice. Pendant l'interrogatoire préalable et jusqu'en janvier de cette année, elles ont indiqué qu'elles n'entendaient pas se désister de leur demande reconventionnelle. Ce n'est qu'en mars 1997, soit un mois avant l'instruction, que les demanderesses ont été informées du retrait de la demande reconventionnelle.

     Les demanderesses ont dû opposer une défense à la demande reconventionnelle, notamment au moyen de requêtes et d'interrogatoires préalables, pour n'apprendre qu'à la dernière minute, ou presque, qu'elles avaient fait tout cela pour rien. Les demanderesses demandent à la Cour de refuser le désistement des défenderesses à un stade aussi avancé. Vu les circonstances de l'espèce et le souhait exprimé en ce sens par les demanderesses, la demande reconventionnelle est rejetée avec dépens.

OTTAWA (ONTARIO)                      B. Cullen
                    
18 août 1997.                          Juge
Traduction certifiée conforme     
                                     Claire Vallée, LL.B.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

Avocats et procureurs inscrits au dossier

No DU GREFFE:              T-2028-95
INTITULÉ DE LA CAUSE:      WHIRLPOOL CORPORATION ET AL. c. CAMCO INC. ET AL.
LIEU DE L'AUDIENCE:      Toronto (Ontario)
DATES DE L'AUDIENCE:      14, 15, 16, 17, 22 et 23 avril 1997

MOTIFS DU JUGEMENT du juge Cullen en date du 18 août 1997.

ONT COMPARU :

    

Christopher J. Kvas

Peter R. Everitt              POUR LES DEMANDERESSES     

Ronald E. Dimock

Dino P. Clarizio              POUR LES DÉFENDERESSES

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Barrigar & Moss

Avocats

Toronto (Ontario)              POUR LES DEMANDERESSES

Dimock Stratton Clarizio

Avocats

Toronto (Ontario)              POUR LES DÉFENDERESSES

     T-2084-90

OTTAWA (ONTARIO), LE 29 AOÛT 1997.

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MACKAY

ENTRE :

     ISLAND COASTAL SERVICES LTD.,

     demanderesse,

     - et -

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     défenderesse.

     APRÈS avoir entendu l'avocat de la demanderesse, ainsi que M. Harry MacLauchlan, qui représente cette dernière et l'avocat de Sa Majesté la Reine, laquelle a succédé au "ministre du Revenu national", désigné initialement dans la déclaration de la demanderesse, aux conférences préparatoires tenues à Charlottetown (Î.-P.-É.) les 16 juin et 31 juillet 1997;

     COMME les parties ne semblent pas disposées, à ce stade, à circonscrire les questions en litige pour faciliter le règlement de l'affaire ou abréger l'instruction;

     VU les mesures proposées aux parties dans un aide-mémoire daté du 25 juin 1997 à l'issue de la première conférence et les directives DONNÉES de vive voix à la deuxième, la Cour confirme ces directives et les étaye en rendant l'ordonnance suivante :

     ORDONNANCE

     LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

     1.      La défenderesse communique la teneur du témoignage de toute personne qu'elle prévoit appeler à la barre en sus des témoins dont le témoignage attendu est résumé pour l'essentiel dans les documents intitulés [TRADUCTION] "Témoignage attendu du témoin de la Couronne" (une page) et "Témoignages" (quatre pages) fournis par son avocat le 31 juillet 1997.
     2.      Aucune des parties n'ayant produit et signifié l'affidavit exigé à la règle 448 des Règles de la Cour fédérale à l'égard des documents, la Cour ordonne aux deux parties de produire cet affidavit sans délai au plus tard le 30 septembre 1997.
     3.      La Cour ordonne en outre à la demanderesse d'examiner à nouveau les avis de la défenderesse demandant d'admettre des faits et des documents déposés précédemment, et de produire une nouvelle réponse au plus tard le 15 octobre 1997.
     4.      La demanderesse peut produire et signifier un avis demandant d'admettre des faits et des documents et si elle le fait au plus tard le 15 octobre 1997, la défenderesse est tenue d'y donner suite au plus tard le 31 octobre 1997.
     5.      Une fois qu'ils se sont conformés aux paragraphes 1 à 4 des présentes et qu'ils ont procédé aux interrogatoires préalables voulus, les avocats des parties présentent une demande commune pour la fixation des dates auxquelles le procès aura lieu. À défaut d'entente à ce chapitre, chacune des parties propose les dates qui lui conviennent. Dès lors, avant que la cause ne soit définitivement mise au rôle, le Juge en chef adjoint ou son représentant peut tenir une autre conférence préparatoire afin de circonscrire davantage les questions qui semblent encore en litige.
     6.      Si elle compte soulever des questions d'ordre constitutionnel pendant l'instruction de l'affaire, la demanderesse le fait en tenant compte de l'article 57 de la Loi sur la Cour fédérale et, au besoin, en s'y conformant.
     7.      L'intitulé de la cause en l'espèce désigne désormais Sa Majesté la Reine à titre de défenderesse, et non plus le ministre du Revenu national, comme initialement, et il correspond à celui qui figure au début de la présente ordonnance.
     8.      Les motifs de l'ordonnance, rendus de pair avec la présente ordonnance, sont communiqués aux avocats, mais sont versés au dossier de la Cour dans une enveloppe scellée sur laquelle apparaît la mention suivante : [TRADUCTION] "Document relatif aux conférences préparatoires, non destiné au juge du procès".
                             W. Andrew Mackay
                    
                                 JUGE
Traduction certifiée conforme     
                     Claire Vallée, LL.B.

     T-2084-90

ENTRE :

     ISLAND COASTAL SERVICES LTD.,

     demanderesse,

     - et -

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     défenderesse.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MACKAY

     Deux conférences préparatoires ont lieu à Charlottetown (Î.-P.-É.), les 16 juin et 31 juillet 1997. Les deux parties étaient représentées par avocat (le défendeur étant alors le ministre du Revenu national suivant la déclaration de la demanderesse). Le président d'Island Coastal Services, M. Harry MacLauchlan a également assisté aux deux conférences à titre de représentant de la société demanderesse.

     À l'issue de la première conférence préparatoire le 16 juin, il a semblé possible à tout le moins de délimiter les questions en litige qui opposaient les parties. La Cour a alors fait des recommandations précises afin d'atteindre cet objectif et, si celui-ci était atteint et que seulement quelques jours suffisaient pour instruire le procès relativement à certaines questions bien délimitées, afin d'abréger la procédure. Un aide-mémoire renfermant ces recommandations, en date du 25 juin 1997, a été remis aux parties et un exemplaire a été versé au dossier de la Cour.

     À la reprise du 31 juillet 1997, l'optimisme affiché à la conférence précédente ne semblait plus de mise. La Cour a été informée que l'avocat de la Couronne, qui n'était plus celui qui avait assisté aux conférences du 16 juin et du 31 juillet, refusait de communiquer la teneur du témoignage attendu au procès de la part des témoins de la Couronne ou de fournir une lettre indiquant que la seule intention de la Couronne était de percevoir des droits tenus pour exigibles en vertu de la Loi sur les douanes et non de jeter le discrédit sur M. MacLauchlan ou la société demanderesse. En outre, l'avocat a laissé savoir que la Couronne n'accepterait pas que le juge MacKay préside à l'instruction de l'affaire même si, ce faisant, un procès d'une durée inférieure aux sept jours initialement prévus par la Couronne pouvait être envisagé. L'avocat de la Couronne aurait à nouveau demandé à la demanderesse de répondre aux avis antérieurs l'invitant à admettre des faits et des documents. Selon l'avocat de la demanderesse, la position de la Couronne allait à l'encontre de toute démarche en vue de délimiter les questions en litige ou de régler l'affaire.

     Ainsi, entre les deux conférences préparatoires rien n'a été accompli par les avocats des parties, de sorte que les recommandations antérieures de la Cour ont été formulées en vain. À la deuxième conférence préparatoire, le jeune avocat qui représentait la Couronne, tout comme à la première, a mis à la disposition de la Cour et de l'avocat de la demanderesse un document d'une page intitulé [TRADUCTION] "Témoignage attendu du témoin de la Couronne", qui renvoyait brièvement aux témoignages attendus de témoins établis en Floride, ainsi qu'un document de quatre pages intitulé [TRADUCTION] "Témoignages", qui résume le témoignage éventuel d'agents du service des douanes du ministère du Revenu national. Ces documents renferment l'essentiel du témoignage attendu de la part des témoins de la Couronne.

     Les parties n'étant pas désireuses de délimiter les questions en litige ou d'arriver à un règlement, du moins à ce stade, il semble que nous soyons dans une impasse. Certaines déclarations contenues dans les documents de la Couronne remis à l'avocat de la demanderesse laissent entendre que M. MacLauchlan pouvait compter sur d'importants appuis dans le milieu politique, et ces déclarations, non fondées selon M. MacLauchlan, ont fâché celui-ci parce qu'elles semblent remettre en question son intégrité.

     Lors de discussions avec les avocats quant à la durée probable de l'instruction, l'avocat de la défenderesse a indiqué que, d'un point de vue réaliste, le procès aurait une durée inférieure aux sept jours initialement avancés pour le compte de la défenderesse. L'avocat de la demanderesse a opiné que le procès pourrait se dérouler pendant plus de dix jours, une période substantielle (une journée entière ou plus) étant prévue pour le contre-interrogatoire de l'enquêteur, en supposant que la Couronne l'appelle à la barre, et des questions d'ordre constitutionnel devant être examinées.

     La Cour estime qu'un procès portant sur le recouvrement de droits de douane s'élevant à quelque 8 700 $ et qui constitue un appel interjeté sur le fondement de l'article 135 de la Loi sur les douanes ne devrait habituellement durer qu'une journée ou tout au plus deux jours. La difficulté réside cependant dans le fait que les parties ne s'entendent pas sur la nature de l'affaire ni sur la teneur des témoignages susceptibles d'être entendus.

     -      la demanderesse soutient qu'elle a acheté des voiturettes en Floride à un prix donné, en sus des frais de transport, comme l'atteste la facture établie par le vendeur et présentée au service des douanes à Charlottetown;
     -      la défenderesse s'appuie essentiellement sur le témoignage du fournisseur du vendeur selon lequel la valeur des voiturettes était supérieure au prix indiqué sur la facture présentée par la demanderesse, de sorte que les droits de douane exigibles sont plus élevés que ne le prétend la demanderesse.

Le point tournant de l'affaire pourrait bien être le témoignage éventuel du vendeur. À la conférence préparatoire du mois de juin, l'avocat de la Couronne a indiqué que ce témoignage étayerait manifestement sa thèse. Or, depuis la conférence du 31 juillet, il semble y avoir une certaine incertitude à ce sujet et quant à savoir si le vendeur, qui réside en Floride, serait appelé à témoigner.

     À la fin de la seconde conférence préparatoire, j'ai donné certaines directives de vive voix que je confirme aujourd'hui au moyen d'une ordonnance. Ces directives sont étayées à trois égards. Premièrement, l'ordonnance prévoit que, conformément aux règles qui régissent la procédure de la Cour, chacune des parties dépose l'affidavit visé à la règle 448. Des documents ont été échangés, mais le dossier révèle qu'aucun affidavit s'y rapportant n'a été produit. Même si l'action a été intentée avant que l'actuelle règle 448 n'entre en vigueur, il semble opportun, vu le retard accusé à ce jour, que la procédure préalable au procès se conforme désormais aux règles applicables. Deuxièmement, l'ordonnance prévoit que, conformément à la règle 483, les parties présentent une demande commune pour la fixation des dates du procès une fois que toutes les étapes préalables à celui-ci, y compris les interrogatoires préalables, auront été franchies. Une fois cela accompli, il est probable que le bureau du juge en chef adjoint ordonne la tenue, par le soussigné ou un autre juge de la Cour, d'une nouvelle conférence préparatoire afin de tenter encore de délimiter les questions en litige qui opposent les parties. Troisièmement, j'ordonne que les présents motifs soient communiqués aux avocats, au juge en chef adjoint et à tout juge appelé à tenir une autre conférence préparatoire, mais qu'ils soient versés au dossier dans une enveloppe scellée portant la mention [TRADUCTION] "Document relatif aux conférences préparatoires, non destiné au juge du procès".

     L'ordonnance prévoit que l'intitulé de la cause est désormais celui qui figure au début de l'ordonnance et des présents motifs, Sa Majesté la Reine constituant la partie défenderesse, et non plus le ministre du Revenu national. Cette modification est apportée par la Cour sans que la Couronne ne s'y oppose et dans le délai imparti par les directives données de vive voix le 31 juillet. La modification est conforme à la Loi sur la Cour fédérale et à la pratique de la Cour.

     Une ordonnance est rendue ce jour même qui, une fois communiquée aux avocats, sera versée au dossier de la Cour.

                             W. Andrew Mackay
                    
                                 JUGE

OTTAWA (Ontario)

29 août 1997.

Traduction certifiée conforme     
                             Claire Vallée, LL.B.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE:                  T-2084-90
INTITULÉ DE LA CAUSE:          ISLAND COASTAL SERVICES LTD.
                     c.
                     SA MAJESTÉ LA REINE
LIEU DE L'AUDIENCE:          Charlottetown (Î.-P.-É.)
DATE DE L'AUDIENCE:          31 juillet 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE (rendus aux fins des conférences préparatoires, non destinés au juge du procès) du juge MacKay en date du 29 août 1997.

ONT COMPARU:

     Me John MacDougall              POUR LA DEMANDERESSE
     Me Spencer Campbell              POUR LA DÉFENDERESSE

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:

     MacLeod, MacDougall, Crane & Parkman      POUR LA DEMANDERESSE
     Charlottetown (Î.-P.-É.)
     Stewart, McKelvey, Stirling, Scales          POUR LA DÉFENDERESSE
     Charlottetown (Î.-P.-É.)

__________________

1      (1996), 64 C.P.R. (3d) 10 (C.F. 1re inst.)

2      Roger T. Hughes et al., Hughes and Woodley on Patents , éd. rév., Markham, Butterworths Canada Ltd., 1984.

3      L'agitateur à double effet est vendu séparément, comme un accessoire complet en soi, depuis 1976 ou 1977.

4      Précité, note 2.

5      Comme le dit le juge Tremblay-Lamer dans Hi-Qual , précité, le jugement de madame le juge Reed dans A.T. & T. Technologies Inc. c. Mitel Corp. (1989), 28 F.T.R. 241; 26 C.P.R (3d) 238, donne un aperçu des principes directeurs qui s"appliquent dans le contexte juridique actuel :... 1. Dans l"interprétation d"un brevet, il faut adopter une interprétation utilitaire et ne pas procéder à une analyse grammaticale trop poussée des expressions en cause; 2. Il faut toujours se poser la question de savoir si la "substance" ou l"essence de l"invention de la demanderesse a fait l"objet d"une appropriation; ...

6      Cochlear Corp., précité, note 1, à la p. 33.

7      Précité, note 1.

8      Tye-Sil Corp. Ltd. c. Diversified Products Corp. et al. (1991) 35 C.P.R. (3d) 350, aux pages 357 et 358 (version anglaise) (C.A.F.) [" Tye-Sil Corp. "].

9      Lubrizol Corp. c. Compagnie Pétrolière Impériale Ltée (1991), 33 C.P.R. (3d) 1 (C.F. 1re inst.)

10      Précité, note 1.

11      Se reporter plus particulièrement au témoignage dont les grandes lignes figurent aux pages 39 à 42 de la présente décision.

12      [TRADUCTION] " Un agitateur pour laveuse à linge constitué : d'un premier composant d'agitateur, d'un deuxième composant d'agitateur, d'un mécanisme d'entraînement qui transmet un mouvement oscillatoire à ce premier composant de l'agitateur et, simultanément, un mouvement de rotation unidirectionnel au deuxième composant de l'agitateur, les premier et deuxième composants de l'agitateur contribuant tous les deux au brassage du contenu de la laveuse selon un mouvement hélicoïdal; d'un dispositif associé à ce deuxième composant de l'agitateur qui, à leur approche, pousse les vêtements en direction de la course oscillatoire du premier composant de l'agitateur et du mouvement hélicoïdal entraînant la chute des vêtements d'un côté et de l'autre, ce premier composant de l'agitateur étant muni d'ailettes flexibles incurvées qui fléchissent sous l'effet du mouvement oscillatoire de ce composant, dirigeant ainsi en douceur les pièces d'étoffe vers le bas et diminuant toute charge trop importante exercée sur le premier composant de l'agitateur. "

13      [TRADUCTION] " Un agitateur tel que décrit dans la revendication 1, dont le premier composant est muni d'une jupe qui se prolonge au-dessous de chacune des ailettes flexibles et qui en est dissociée. "

14      [TRADUCTION] " Un agitateur tel que décrit dans la revendication 2, dont chacune des ailettes flexibles est dissociée de la jupe sur une grande partie de sa longueur, permettant ainsi la flexion de l'ailette flexible pendant le lavage. "

15      [TRADUCTION] " Un agitateur tel que défini à la revendication 3, dont les ailettes flexibles sont toutes munies de sections inférieure, supérieure et extérieure séparées ou articulées facilitant la libre flexion des ailettes flexibles pendant le lavage. "

16      [TRADUCTION] " Un agitateur tel que défini à la revendication 1, dont le mécanisme d'entraînement est construit et réglé de manière à commander le mouvement intermittent du deuxième composant de l'agitateur. "

17      [TRADUCTION] " Un agitateur tel que défini à la revendication 1, dont le mécanisme d'entraînement est construit et réglé de manière à commander le mouvement continu du deuxième composant de l'agitateur. " Bien que les défenderesses reconnaissent que les revendications 1 à 5 décrivent avec justesse l'agitateur qu'elles fabriquent, elles refusent d'admettre que ce soit également le cas de la revendication 6.

18      [TRADUCTION] " Une laveuse à axe vertical munie d'une cuve destinée à recevoir le liquide lessiviel et les pièces d'étoffe à laver, un mécanisme d'agitation mis en place dans la cuve pour laver les pièces d'étoffe et pour créer un mouvement de brassage des étoffes pendant leur lavage et un mécanisme d'entraînement destiné à commander le mécanisme d'agitation, celui-ci étant constitué : d'un composant inférieur de l'agitateur décrivant, sous l'effet du mécanisme d'entraînement, un mouvement oscillatoire par rapport à cet axe vertical; d'un composant supérieur de l'agitateur monté sur l'axe vertical, au-dessus du composant inférieur de l'agitateur, le composant supérieur de l'agitateur décrivant un mouvement de rotation contrôlé et unidirectionnel sous l'effet du mécanisme d'entraînement monté sur l'axe vertical; d'un mécanisme du composant supérieur de l'agitateur poussant les pièces d'étoffe vers le bas, en direction du composant inférieur de l'agitateur, au cours du premier segment du mouvement hélicoïdal entraînant la chute des vêtements d'un côté et de l'autre, sous l'action combinée des composants supérieur et inférieur. Le composant inférieur de l'agitateur présente, en saillie sur le plan radial, de nombreuses ailettes flexibles réparties à la circonférence de l'agitateur et munies d'extrémités relativement souples et orientées vers l'extérieur, et une jupe mise en place juste au-dessous des extrémités de manière que ces dernières puissent être infléchies par rapport à la jupe sous l'effet de l'oscillation de ce composant inférieur de l'agitateur et, ainsi, éloigner doucement les pièces d'étoffe de cet axe vertical, en direction du deuxième segment du mouvement hélicoïdal de manière que ces vêtements soient repris par le composant supérieur de l'agitateur, cette succession générant un mouvement hélicoïdal continu entraînant successivement la chute des vêtements d'un côté et de l'autre au cours du lavage. "

19      [TRADUCTION] " L'invention faisant l'objet de la revendication 7 porte sur un mécanisme d'entraînement d'une part constitué d'une pièce d'entraînement directement reliée au composant supérieur de l'agitateur et d'autre part construit et réglé de manière que le composant supérieur de l'agitateur tourne continuellement dans une direction donnée sur l'axe vertical pendant le lavage des pièces d'étoffe. " Les défenderesses reconnaissent que la revendication 7 décrit avec justesse l'agitateur qu'elles fabriquent, mais refusent d'admettre que ce soit également le cas de la revendication 8.

20      [TRADUCTION] " Agitateur et mécanisme d'entraînement d'une laveuse automatique munie d'une cuve destinée à recevoir le liquide lessiviel et les articles à laver, l'agitateur étant monté dans la cuve afin de transmettre un mouvement hélicoïdal aux articles à laver et le mécanisme d'entraînement servant à commander l'agitateur, lequel est constitué : d'un composant inférieur auquel le mécanisme d'entraînement transmet un mouvement oscillatoire; d'un composant supérieur monté au-dessus du composant inférieur et dans le même axe que celui-ci, le composant supérieur exécutant un mouvement de rotation contrôlé et unidirectionnel sous l'effet du mécanisme d'entraînement; d'un mécanisme associé au composant supérieur pour pousser les articles à laver vers le bas; d'ailettes flexibles montées sur le composant inférieur pour fléchir en douceur en présence de grosses lessives afin de réduire l'entrelacement des articles à laver sous l'effet du mouvement unidirectionnel du composant supérieur. "

21      [TRADUCTION] " Agitateur conçu pour une laveuse à axe vertical pouvant recevoir le liquide lessiviel et les pièces d'étoffe à laver dans ce liquide lessiviel, l'agitateur étant constitué : d'un premier composant doté d'un mécanisme permettant le montage d'une pièce d'entraînement transmettant un mouvement oscillatoire à ce premier composant; d'un deuxième composant muni d'éléments déflecteurs montés à proximité du premier composant et pouvant bouger par rapport à celui-ci pour déplacer les vêtements baignant dans le liquide lessiviel en direction de ce premier composant selon une trajectoire généralement hélicoïdale pour assurer le brassage de ces vêtements par le premier composant, ce deuxième composant étant muni d'un dispositif d'entraînement qui lui transmet un autre mouvement de rotation unidirectionnel par rapport au premier composant; d'ailettes flexibles montées sur le premier composant pour garantir un brassage uniforme des vêtements à laver combiné à une flexion en douceur dans le cas de grosses lessives et, ainsi, empêcher tout entrelacement excessif des pièces d'étoffe causé par le mouvement de rotation unidirectionnel du deuxième composant par rapport au premier composant. "

22      [TRADUCTION] " Agitateur d'une laveuse automatique équipée d'une cuve et mécanisme d'entraînement muni d'un arbre d'entraînement qui s'engrène avec l'agitateur, dont les perfectionnements consistent en un élément inférieur relié à l'arbre d'entraînement pour lui transmettre un mouvement d'oscillation, un élément supérieur installé au-dessus de l'élément inférieur, dans le même axe que ce dernier, un mécanisme reliant l'élément supérieur au mécanisme d'entraînement pour transmettre à l'élément supérieur un mouvement de rotation unidirectionnel et un dispositif de cet élément inférieur de l'agitateur assurant le brassage des vêtements et réduisant l'entrelacement de ces derniers sous l'effet du mouvement de rotation unidirectionnel de l'élément supérieur, le mécanisme du composant inférieur étant constitué de nombreuses ailettes flexibles construites et réglées pour s'incliner en douceur en présence de lessives relativement importantes. "

23      [TRADUCTION] " Agitateur pour laveuse, du type à deux composants exécutant respectivement des mouvements oscillatoire et rotatif unidirectionnel pour brasser le contenu de la laveuse selon un mouvement hélicoïdal, où le deuxième composant est muni de dispositifs dirigeant, à leur approche, les pièces d'étoffe vers la trajectoire oscillatoire du premier composant, puis vers le mouvement hélicoïdal, tandis que le perfectionnement de l'invention provient de ce que le premier composant est muni d'ailettes flexibles qui peuvent fléchir sous l'effet des oscillations du premier composant pour diriger doucement les vêtements vers le bas tout en réduisant la charge exercée par les grosses lessives sur le premier composant. "

24      [TRADUCTION] " Laveuse à axe vertical munie d'un agitateur composé d'une jupe, d'une section à ailettes pouvant osciller autour d'un axe, d'une série d'ailettes radiales réparties autour de cet axe, d'une chemise pouvant tourner dans une direction autour de cet axe et d'une ailette faisant saillie sur le plan radial pour former une hélice tournant autour de cet axe pour créer un mouvement hélicoïdal entraînant les vêtements dans la laveuse, le perfectionnement de l'invention consistant en un certain nombre d'ailettes réparties à la circonférence de l'agitateur, chacune de ces ailettes étant dotées d'extrémités mobiles supérieure, inférieure et extérieure distinctes facilitant la libre flexion des ailettes par rapport à la jupe, pendant le lavage, pour diriger en douceur les vêtements vers le bas et diminuer la charge exercée par les grosses lessives sur la jupe et les ailettes de ce composant de l'agitateur. "

25      [TRADUCTION] " Laveuse à axe vertical munie d'un agitateur composé d'une jupe, d'une section à ailettes pouvant osciller autour d'un axe, d'une série d'ailettes radiales réparties autour de cet axe, d'une chemise pouvant tourner dans une direction autour de cet axe et d'une ailette faisant saillie sur le plan radial pour former une hélice tournant autour de cet axe en vue de créer un mouvement hélicoïdal entraînant les vêtements dans la laveuse, le perfectionnement de l'invention consistant en un certain nombre d'ailettes montées sur cet agitateur, chacune de ces ailettes étant dotées d'extrémités mobiles supérieure, inférieure et extérieure distinctes facilitant la libre flexion des ailettes par rapport à la jupe, pendant le lavage, pour diriger en douceur les vêtements vers le bas et diminuer la charge exercée par les grosses lessives sur la jupe et les ailettes de ce composant de l'agitateur, et d'un mécanisme d'entraînement continu unidirectionnel pour assurer la rotation continue de la chemise pendant le lavage. " Les défenderesses reconnaissent que les revendications 9 à 13 décrivent avec justesse l'agitateur qu'elles fabriquent, mais refusent d'admettre qu'il en va de même de la revendication 14.

26      Précitée, note 1.

27      Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, art. 46.

28      M & I Door Systems Ltd. c. Indoco Industrial Door Co. Ltd. (1989), 25 C.P.R. (3d) 477 (C.F. 1re inst.), à la p. 484; Windsurfing Int"l Inc. c. Trilantic Corp. (1985), 8 C.P.R. (3d) 241 (C.A.F.).

29      Tye-Sil Corp. Ltd. c. Diversified Products Corp. (1991), 35 C.P.R. (3d) 350, à la p. 361 (version anglaise) (C.A.F.).

30      French "s Complex Ore Reduction Co. c. Electrolytic Zinc Process Co., [1930] R.C.S. 462, à la p. 466 (version anglaise).

31      Mahurkar c. Vas-Cath of Canada Ltd. (1988), 18 C.P.R. (3d) 417, aux p. 431 et 432 (version anglaise) (C.F. 1re inst.); conf. dans (1990), 32 C.P.R. (3d) 409 (C.A.F.).

32      Alinéas 27(1)a) et 61(1)a) de la Loi sur les brevets.

33      Farbwerke Hoechst A.G. c. Halocarbon (Ontario) Ltd. (1979), 104 D.L.R. (3d) 51, aux p. 62 et 63 (version anglaise); [1979] 2 R.C.S. 929, aux p. 945 et 946 (C.S.C.)

34      Beloit Canada Ltée c. Valmet Oy (1986), 8 C.P.R. (3d) 289, à la p. 194 (version anglaise) (C.A.F.).

35      Ibid., à la p. 294 (version anglaise).

36      Supra, note 29, à la p. 365.

37      (1987), 18 C.P.R. (3d) 1, à la p. 10 (version anglaise).

38      Conf. dans (1978), 41 C.P.R. (2d) 182 (C.A.F.).

39      Précité, note 37.

40      Il s'agit d'un accroissement du poids de la lessive, celui-ci passant de six à neuf livres.

41      Dans Beloit , précité, note 34, à la p. 295, la Cour d'appel fédérale fait la mise en garde suivante(à la p. 9 de la version française) :
     Lorsque cet expert a été engagé pour témoigner, l'infaillibilité de sa sagesse rétrospective est encore plus suspecte. Il est si facile de dire, une fois que la solution préconisée par le brevet est connue : " j'aurais pu faire cela "; avant d'accorder un poids quelconque à cette affirmation, il faut obtenir une réponse satisfaisante à la question : " Pourquoi ne l'avez-vous pas fait? "

42      Voici le libellé de l'article 32 :
         Quiconque est l'auteur d'un perfectionnement à une invention brevetée peut obtenir un brevet pour ce perfectionnement. Il n'obtient pas de ce fait le droit de fabriquer, de vendre ou d'exploiter l'objet de l'invention originale, et le brevet couvrant l'invention originale ne confère pas non plus le droit de fabriquer, de vendre ou d'exploiter l'objet du perfectionnement breveté.
Suivant l'article 2, " tout perfectionnement [d'un procédé, d'une machine, d'une fabrication ou d'une composition], présentant le caractère de la nouveauté et de l'utilité " constitue une " invention ".

43      Article 32; Wandscheer v. Sicard Ltd. , [1948] R.C.S. 1, à la page 27.

44      Kaufman v. Belding-Corticelli Ltd., [1940] R.C.S. 388, à la page 390.

45      Dominion Bedstead Co. v. Gertler, [1924] R.C.É. 158, aux pages 159 et 161.

46      Lovell Manufacturing Co. v. Beatty Bros. Ltd., (1962) 23 Fox Pat. C. 112, à la page 161 (C.É.).

47      Constant v. Advanced Micro-Devices, Inc. 848 F.2d 1560 (Fed. Cir. 1988), à la page 1570.

48      Voici le libellé de l'article 10 : À l'exception des mises en garde et des documents déposés dans le cas de demandes de brevets encore pendantes, ou qui ont été abandonnées, les mémoires descriptifs, dessins, modèles, renonciations, jugements, rapports et autres documents peuvent être consultés par le public au Bureau des brevets, sous réserve des règlements pris à cet égard.

49      Proctor & Gamble Co. c. Kimberly-Clark of Canada Ltd. (1991), 40 C.P.R. (3d) 1, aux pages 46 et 47 (version anglaise) (C.F. 1re inst.).

50      Brevet américain Smith no 3 381 504.

51      Brevet américain Cobb no 3 307 383.

52      Brevet américain Bochan no 3 285 040.

53      Farbwerke Hoechst, [1964] R.C.S. 49, à la p. 53.

54      Almecon Industries Ltd. c. Nutron Manufacturing Ltd., à la page 437 (C.F. 1re inst.); conf.dans Nutron Manufacturing Ltd. c. Almecon Industries (C.A.F.), no du greffe : A-232-96, 6 février 1997, à la page 7.

55      Lubrizol Corp. c. Compagnie Pétrolière Impériale Ltée, précitée, note 9, à la page 31 (version anglaise).

56      Mobil Oil Corp. c. Hercules Canada Inc. (1995), 63 C.P.R. (3d) 473, aux pages 488 et 489 (à la page 23 de la version française) (C.A.F.).

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