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Date : 20000229


T-1905-96

OTTAWA (ONTARIO), LE 29 FÉVRIER 2000

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE DAWSON

E n t r e :

     MALCOM BARON

     demandeur

     et

     SA MAJESTÉ LA REINE

     défenderesse


     ORDONNANCE


     La requête en jugement sommaire tendant à faire rejeter l'action du demandeur est accueillie en partie. Tous les moyens invoqués par le demandeur sont rejetés, à l'exception de ceux qu'il tire de l'article 9 et du paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés.

     L'adjudication des dépens est réservée au juge qui tranchera l'affaire au fond.

                                 « Eleanor Dawson »
                                         Juge

Traduction certifiée conforme


Martine Brunet, LL. L.


     Date : 20000229

     T-1905-96


E n t r e :

     MALCOM BARON

     demandeur


     et


     SA MAJESTÉ LA REINE

     défenderesse


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE DAWSON


[1]      La Cour est saisie d'une requête en jugement sommaire présentée par la défenderesse en vue d'obtenir le rejet de l'action du demandeur au motif qu'elle est prescrite par application du paragraphe 269(1) de la Loi sur la défense nationale.

[2]      À l'appui de sa requête, la défenderesse invoque les aveux contenus dans les actes de procédure. Pour s'opposer à la requête, le demandeur a tenté de se fonder sur l'affidavit souscrit par M. Blair Crew, un étudiant stagiaire travaillant pour le cabinet des avocats qui occupent pour le demandeur. Par suite de ce qu'on m'a affirmé être une inadvertance, cet affidavit n'a pas été déposé dans les délais que le protonotaire Aronovitch avait prescrits dans son ordonnance. Lors de la présentation de la requête, la défenderesse n'a pas soutenu que la réception de l'affidavit causerait un préjudice sérieux ou des délais excessifs. J'ai donc autorisé le dépôt tardif de l'affidavit.

Les faits

[3]      À l'époque en cause, le demandeur faisait partie des Forces armées canadiennes. Il est acquis aux débats qu'au cours de la période comprise entre le 25 mai 1995 et le 28 novembre 1995, à la suite de plusieurs plaintes portées par l'épouse du demandeur, notamment devant la police militaire, le demandeur a été arrêté à six reprises par la police militaire et a été accusé de diverses infractions criminelles. Par suite de ces arrestations, le demandeur a été incarcéré au total pendant une dizaine de jours. Toutes les accusations criminelles avaient été jugées en date du 28 novembre 1995. Le demandeur a reconnu sa culpabilité à une accusation de possession d'une arme prohibée et les autres accusations ont été retirées.

[4]      Le 21 août 1996, le demandeur a introduit une action dans laquelle il accusait la défenderesse de négligence, d'arrestation et de détention illégales et d'entrave intentionnelle à des relations économiques. Le demandeur invoquait également l'article 9 et le paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte). Plus tard, le demandeur a déposé une déclaration modifiée dans laquelle il se désistait notamment du moyen tiré de l'entrave intentionnelle à des relations économiques.

Question en litige et prétentions et moyens des parties

[5]      La question soulevée dans la présente requête est celle de savoir si l'action que le demandeur a introduite le 21 août 1996 est prescrite en vertu du paragraphe 269(1) de la Loi sur la défense nationale (la Loi), qui dispose :

269. (1) No action, prosecution or other proceeding lies against any person for an act done in pursuance or execution or intended execution of this Act or any regulations or military or departmental duty or authority, or in respect of any alleged neglect or default in the execution of this Act, regulations or any such duty or authority, unless it is commenced within six months after the act, neglect or default complained of or, in the case of continuance of injury or damage, within six months after the ceasing thereof.

269. (1) Les actions pour un acte accompli en exécution -- ou en vue de l'application -- de la présente loi, de ses règlements, ou de toute fonction ou autorité militaire ou ministérielle, ou pour une prétendue négligence ou faute à cet égard, se prescrivent par six mois à compter de l'acte, la négligence ou la faute en question ou, dans le cas d'un préjudice ou dommage, par six mois à compter de sa cessation.

(i) Thèse de la défenderesse

[6]      À l'appui de sa requête en jugement sommaire, la défenderesse affirme que l'action du demandeur se rapporte entièrement aux arrestations et aux détentions survenues avant le 28 novembre 1995. Elle se fonde sur la façon dont le demandeur a formulé sa demande aux paragraphes 4 et 20 de la déclaration modifiée, dont voici le texte :

         [TRADUCTION]
         4.      Le demandeur fonde sa demande sur la négligence et sur son arrestation et sa détention illégales. Le demandeur invoque par ailleurs l'article 9 et le paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte).

     . . . . . . . . .

         20.      Le demandeur fonde sa demande sur la négligence et sur son arrestation et sa détention illégales et sur la violation des droits que lui garantit l'article 9 de la Charte, et allègue plus particulièrement ce qui suit :
             a)      la police militaire a omis ou a délibérément choisi de ne pas tenir compte des fausses plaintes et des rétractations antérieures de la conjointe du demandeur ;
             b)      la police militaire a omis ou délibérément choisi de ne pas donner suite aux antécédents de fausses plaintes et de rétractations de la conjointe du demandeur ;
             c)      à titre subsidiaire, connaissant les fausses plaintes et les rétractations faites par la conjointe du demandeur, la police militaire n'a pas mis fin à l'arrestation et à la détention du demandeur ;
             d)      la police militaire n'a pas tenu compte ou, à titre subsidiaire, a tenu irrégulièrement compte du manque de crédibilité total de la conjointe du demandeur ;
             e)      la police n'avait aucun motif raisonnable et probable d'arrêter le demandeur ;
             f)      la police militaire n'était pas justifiée de détenir le demandeur, qui a, par conséquent,été détenu arbitrairement.

[7]      La défenderesse reconnaît que les paragraphes subséquents de la déclaration modifiée, et plus particulièrement les paragraphes 29 et 30, renvoient à des demandes d'indemnisation qui se rapportent à des événements survenus après le 28 novembre 1995, mais fait remarquer que le demandeur n'a pas entamé d'action contractuelle ou en responsabilité civile délictuelle distincte relativement à ce préjudice et que les actes que le demandeur lui reproche découlent essentiellement tous des prétendues arrestations illégales qui sont toutes antérieures au 28 novembre 1995.

[8]      La défenderesse soutient qu'il ne s'agit pas d'un cas donnant ouverture à l'application de la règle du moment où le préjudice aurait pu être découvert car, au vu de l'ensemble de la preuve soumise à la Cour, il ne s'agit pas d'une affaire dans laquelle des faits pertinents ont été découverts par la suite. La défenderesse affirme également qu'il ne s'agit pas non plus d'un cas d'un préjudice ou d'un dommage qui se poursuit au sens du paragraphe 269(1) de la Loi.

[9]      Finalement, dans la mesure où le demandeur affirme qu'une action fondée sur la violation d'un droit garanti par la Charte ne peut se prescrire par application du paragraphe 269(1) de la Loi, la défenderesse invoque le jugement rendu par notre Cour dans l'affaire St-Onge c. Canada, [1999] A.C.F. No. 1842, qui, selon ce qu'affirme la défenderesse, est un précédent qui appuie la proposition que les moyens que le demandeur tire de la Charte devraient être assujettis aux délais de prescription que la Cour juge applicables à l'action en responsabilité civile délictuelle.

(ii) Thèse du demandeur

[10]      Le demandeur affirme qu'il a introduit son action avant l'expiration du délai de prescription applicable. Il se fonde sur les faits et les éléments allégués aux paragraphes 23, 24 et 25 de la déclaration modifiée, dont voici le texte :

         [TRADUCTION]
         23.      En raison des actions ou des omissions des représentants de la défenderesse, le demandeur a été suspendu sans solde de son emploi pendant environ quatre mois. Lors de sa réintégration, on lui a payé la rémunération accumulée.
         24.      Malgré le fait que toutes les questions soumises aux juridictions criminelles étaient réglées au 28 novembre 1995, le demandeur a été informé en décembre 1995 qu'on recommandait qu'il soit libéré des Forces canadiennes pour les motifs suivants :
             a)      il avait eu une conduite qui ne convient pas de la part d'un officier des Forces armées canadiennes ;
             b)      il constituait un fardeau administratif pour son unité.
         25.      Voici les motifs que les Forces armées canadiennes ont invoqués pour justifier cette recommandation :
             a)      en raison de ses nombreuses arrestations par la police militaire et de ses nombreuses incarcérations, le rendement au travail du demandeur s'était détérioré au point d'être jugé insatisfaisant ;
             b)      le demandeur avait fait preuve d'un manque de jugement en refusant à sa conjointe (la plaignante dans le cas des accusations au criminel) l'argent dont elle avait besoin pour subvenir à ses besoins essentiels et en enfreignant à plusieurs reprises les conditions imposées par le tribunal à sa libération ;
             c)      le demandeur était coupable, tant en société que dans l'exercice de ses fonctions, d'une conduite insatisfaisante qui ternissait l'image des Forces canadiennes ;
             d)      le demandeur était coupable de comportements qui créaient un fardeau administratif excessif en raison des problèmes disciplinaires.


[11]      Le demandeur déclare qu'en réponse à sa suspension et à la recommandation de libération dont il a fait l'objet, il a soumis, le 4 janvier 1996, un document intitulé [TRADUCTION] « redressement de grief » , le 26 janvier 1996 une [TRADUCTION] « demande de procès devant une cour martiale » et, le 5 mars 1996, un autre document intitulé [TRADUCTION] « demande de redressement de grief » . Il a reçu des réponses à ces documents le 5 février 1996, le 8 février 1996 et le 15 mars 1996.

[12]      En réponse à la requête en jugement sommaire, le demandeur soutient que la suspension et la recommandation de libération sont liées aux faits originaux que constituent son arrestation et sa détention, mais qu'elles constituent des actes illicites distincts donnant ouverture à une action en justice. Le demandeur soutient qu'en fait, les autorités militaires n'étaient pas disposées à [TRADUCTION] « baisser les bras » et qu'elles ont continué à agir de manière illicite à son égard. Le demandeur ajoute que ce n'est que le 15 mars 1996 qu'il a appris qu'il n'allait pas être libéré des Forces armées canadiennes ainsi qu'il avait été recommandé. Il affirme par conséquent, pour reprendre le libellé du paragraphe 269(1) de la Loi , que jusqu'à cette date, « la négligence ou la faute en question » se sont poursuivis et qu'il a introduit son action dans les six mois de cette date.

[13]      Le demandeur affirme, en tout état de cause, que la question de savoir si l'action a ou non été introduite avant l'expiration du délai de prescription est une question de fond qui ne devrait pas être tranchée dans le cadre de la présente requête en jugement.

[14]      Finalement, le demandeur soutient que l'action dans laquelle un demandeur affirme qu'un de ses droits garantis par la Charte a été violé ne peut être prescrite en vertu du paragraphe 269(1) de la Loi.

Analyse

(i) L'action a-t-elle été introduite avant l'expiration du délai de prescription ?

[15]      En ce qui concerne la présente requête, les avocats conviennent que le principe général posé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Central Trust Company c. Rafuse, [1986] 2 R.C.S. 147, à la page 224, est celui qui s'applique :

         [...] une cause d'action prend naissance, aux fins de la prescription, lorsque les faits importants sur lesquels repose cette cause d'action ont été découverts par le demandeur ou auraient dû l'être s'il avait fait preuve de diligence raisonnable.

[16]      Ainsi qu'il ressort des aveux contenus dans les actes de procédure, il est acquis aux débats qu'au 28 novembre 1995, les présumées arrestations et détentions illégales étaient toutes chose du passé. À défaut d'autres faits qui seraient survenus par la suite avant l'expiration du délai de prescription de six mois prévu au paragraphe 269(1) de la Loi et qui se rapporteraient aux actes reprochés qui sont à l'origine de l'action, il est évident que celle-ci n'a pas été introduite dans le délai imparti par la Loi.

[17]      L'avocat du demandeur soutient toutefois énergiquement que, comme le demandeur n'a reçu une réponse définitive à sa demande de redressement de grief que le 15 mars 1996, les actes de la défenderesse qui ont donné naissance à son droit d'action se sont poursuivis jusqu'au moins au 15 mars 1996, ainsi que les dommages subis par le demandeur.

[18]      Cet argument comporte à mon humble avis plusieurs difficultés.

[19]      Tout d'abord, je ne puis accepter que les actes qu'a commis la défenderesse en suspendant sans solde le demandeur ou en recommandant qu'il soit libéré des Forces armées canadiennes aient quelque chose à voir avec le droit d'action invoqué par le demandeur. Le demandeur précise en effet dans les termes les plus nets, au paragraphe 20 de sa déclaration modifiée, que ce droit d'action se rapporte uniquement aux gestes commis par la police militaire, et non à ceux qu'auraient commis d'autres officiers qui ont joué un rôle en ce qui concerne la décision de suspendre le demandeur ou de recommander sa libération.

[20]      En second lieu, il est acquis aux débats que le demandeur a été mis au courant de la suspension sans solde et de la recommandation de libération au plus tard le 4 novembre 1995. Dans la mesure où la connaissance de ces deux faits qui découleraient de l'arrestation et de la détention du demandeur est importante, le demandeur était au courant de ces faits plus de six mois avant l'introduction de son action.

[21]      Les seuls événements mis en preuve devant la Cour qui se rapportent à la suspension et à la recommandation de libération et qui sont survenus dans les six mois de l'introduction de l'action sont la présentation, par le demandeur, de sa demande de redressement de grief le 5 mars 1996 (annexe C de l'affidavit de Blair Crew) et la réception de la réponse de la défenderesse à sa « demande de redressement du grief » (annexe F de l'affidavit de Blair Crew). Dans ce document daté du 15 mars 1996, la défenderesse informait le demandeur que, le 7 mars 1996, il avait été décidé d'annuler la suspension sans solde dont il faisait l'objet.

[22]      Ni la présentation de la demande de redressement de grief, ni la réponse à cette demande que la défenderesse a fait parvenir au demandeur ne constituent, à mon avis, un fait important sur lequel reposerait l'action du demandeur. En conséquence, on ne saurait prétendre que le demandeur n'a acquis son droit d'action que lors de la survenance de l'un ou l'autre de ces événements.

[23]      Finalement, il convient de rappeler que l'article 215 des Règles de la Cour fédérale (1998) exigent ce qui suit :

215. A response to a motion for summary judgment shall not rest merely on allegations or denials of the pleadings of the moving party, but must set out specific facts showing that there is a genuine issue for trial.

215. La réponse à une requête en jugement sommaire ne peut être fondée uniquement sur les allégations ou les dénégations contenues dans les actes de procédure déposés par le requérant. Elle doit plutôt énoncer les faits précis démontrant l'existence d'une véritable question litigieuse.



[24]      Il est de jurisprudence constante que la partie qui répond à une requête en jugement sommaire doit « faire de son mieux » lors de l'audition de la requête en déposant un affidavit ou d'autres éléments de preuve démontrant qu'il existe une véritable question litigieuse (Wall c. Brunell, (1997), 75 C.P.R. (3d) 429 (C.F. 1re inst.).

[25]      Bien que le demandeur allègue aux paragraphes 23, 24 et 25 de sa déclaration modifiée que la suspension et la recommandation de libération découlaient des actions ou des omissions de la police militaire ou s'y rapportaient, la preuve est loin de démontrer que les faits qui ont conduit à la suspension et à la recommandation de libération se rapportaient à la présumée arrestation et à la présumée détention ou qu'ils en découlaient. La défenderesse affirme au paragraphe 4 de sa défense modifiée que la suspension se rapportait à des agissements qui n'avaient rien à voir avec les allégations qui ont conduit à l'arrestation et à la détention du demandeur.

[26]      Confronté à cette question, le demandeur n'a pas soumis à la Cour ses propres éléments de preuve en souscrivant un affidavit pour répondre à la requête en jugement sommaire de la défenderesse. Il a plutôt soumis l'affidavit souscrit par un stagiaire en droit qui se contente d'énumérer certains documents que le demandeur et la défenderesse se sont échangés. L'annexe A de cet affidavit, qui correspond à la demande de redressement de grief du demandeur, va tout à fait dans le sens du point de vue qu'a adopté la défenderesse au paragraphe 4 de sa défense modifiée en soutenant que la suspension sans solde faisait suite à une enquête qui n'avait rien à voir avec les faits à l'origine de l'arrestation et de la détention du demandeur.

[27]      Il est vrai que l'annexe D de l'affidavit souscrit par Blair Crew, en l'occurrence la lettre en date du 5 février 1996 adressée au demandeur par le commandant de l'unité de soutien des Forces canadiennes à Ottawa en réponse à la demande présentée par le demandeur en vue d'obtenir un procès devant une cour martiale, semble effectivement se rapporter à l'arrestation et à la détention du demandeur, étant donné qu'on y fait allusion à des questions qui [TRADUCTION] « ont été examinées par la juridiction civile dans le ressort de laquelle les faits sont survenus » . Il n'y a cependant rien dans la lettre de mars invoquée par le demandeur qui ait manifestement trait à son arrestation et à sa détention de manière à être susceptible, à mon sens, de constituer des faits pertinents se rapportant au droit d'action du demandeur.

[28]      En conséquence, je ne suis pas convaincue que le demandeur a, en ce qui concerne la requête en jugement sommaire, respecté l'obligation qui lui était faite d'énoncer des faits précis démontrant l'existence d'une véritable question litigieuse quant à la question de savoir s'il avait introduit son action avant l'expiration du délai de prescription applicable.

[29]      Malgré le vibrant plaidoyer que l'avocat du demandeur a formulé dans le sens contraire, je suis convaincue, vu l'ensemble de la preuve soumise à la Cour, qu'il n'y a pas de véritable question litigieuse au sujet du moment où le droit d'action est né, et je suis convaincue que l'action n'a pas été introduite dans les délais prescrits par le paragraphe 269(1) de la Loi. Il nous reste à examiner l'argument du demandeur suivant lequel ce paragraphe n'a pas pour effet de rendre irrecevable la partie de son action dans laquelle « le demandeur invoque l'article 9 et le paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés. »

(ii) Le paragraphe 269(1) de la Loi sur la défense nationale a-t-il pour effet de rendre irrecevable une action fondée sur la violation d'un droit garanti par la Charte ?


[30]      Dans l'arrêt K.M. c. H.M., [1992] 3 R.C.S. 6, aux pages 59 et 60, le juge La Forest a, au nom des juges majoritaires de la Cour, expressément envisagé la possibilité que des actes puissent donner naissance à deux droits d'action distincts (dans cette affaire, une action en responsabilité civile délictuelle et une action fondée sur un manquement à une obligation fiduciaire) dans des circonstances dans lesquelles une action pourrait être prescrite par une loi sur la prescription alors que l'autre ne le serait pas.

[31]      Il est donc nécessaire de se demander si les moyens que le demandeur tire de la Charte demeurent valables dans l'hypothèse où les dispositions de la Loi relatives à la prescription rendent irrecevable l'action en responsabilité délictuelle.

[32]      Le demandeur demande à la Cour de conclure, eu égard aux circonstances de l'espèce, que le paragraphe 269(1) de la Loi est inopérant ou sans effet. À l'appui du moyen de fond qu'il invoque, le demandeur se fonde sur l'arrêt Prete v. Ontario (Attorney General), (1993), 86 C.C.C. (3d) 442, de la Cour d'appel de l'Ontario, alors que, pour justifier la procédure suggérée pour conclure que le paragraphe 269(1) est inopérant, il invoque l'arrêt Kaur c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, (1989), 64 D.L.R. (4th) 317, de la Cour d'appel fédérale.

[33]      La difficulté que pose cette prétention est que l'arrêt Kaur a été rendu avant l'adoption de l'article 57 de la Loi sur la Cour fédérale, dont le paragraphe (1) dispose :

57. (1) Where the constitutional validity, applicability or operability of an Act of Parliament or of the legislature of any province, or of regulations thereunder, is in question before the Court or a federal board, commission or other tribunal, other than a service tribunal within the meaning of the National Defence Act, the Act or regulation shall not be adjudged to be invalid, inapplicable or inoperable unless notice has been served on the Attorney General of Canada and the attorney general of each province in accordance with subsection (2).

57. (1) Les lois fédérales ou provinciales ou leurs textes d'application, dont la validité, l'applicabilité ou l'effet, sur le plan constitutionnel, est en cause devant la Cour ou un office fédéral, sauf s'il s'agit d'un tribunal militaire au sens de la Loi sur la défense nationale, ne peuvent être déclarés invalides, inapplicables ou sans effet, à moins que le procureur général du Canada et ceux des provinces n'aient été avisés conformément au paragraphe (2).

Or, l'avis prévu à l'article 57 de la Loi sur la Cour fédérale n'a pas été donné.


[34]      La prétention du demandeur soulève carrément la question de l'applicabilité du paragraphe 269(1) de la Loi lorsque l'action sous-jacente repose sur la présumée violation d'un droit garanti par la Charte. Je ne puis me prononcer sur cette question lorsque l'avis prévu à l'article 57 de la Loi sur la Cour fédérale n'a pas été donné.

[35]      Quant à la façon dont la question de l'applicabilité du paragraphe 269(1) devrait être tranchée, eu égard aux circonstances de l'espèce, des doutes subsistent. Je ne suis pas d'accord pour dire que le jugement rendu par notre Cour dans l'affaire St-Onge, précité, appuie la thèse de la défenderesse. La Cour y déclare plutôt ce qui suit :

         [. . .] Puisque l'action du demandeur n'a été intentée qu'en mai 1990, soit plus de six ans après le refus du CEC de continuer à fournir des services au demandeur, il n'est pas nécessaire d'étudier la question, controversée dans la jurisprudence, à savoir si une courte prescription provinciale est efficace à l'encontre d'une réclamation basée sur la prétendue violation d'un droit garanti par la Charte.

La décision de la Cour reposait sur le fait qu'il n'était pas nécessaire d'examiner l'effet d'une courte prescription de six mois, puisque l'action avait été introduite après l'expiration du délai général de prescription de six ans qui s'applique à toutes les actions en responsabilité civile délictuelle.

[36]      Vu les doutes qui subsistent au sujet de la question de fond, je ne suis pas convaincue que la Cour dispose de suffisamment d'éléments de preuve pour pouvoir trancher la question comme il se doit. D'autres éléments de preuve devront être présentés.

[37]      En conséquence, la défenderesse a droit à un jugement rejetant tous les moyens invoqués par le demandeur, sauf ceux qu'il tire de l'article 9 et du paragraphe 24(1) de la Charte.


[38]      Eu égard aux circonstances de l'espèce, j'estime à propos de réserver l'adjudication des dépens au juge qui tranchera l'affaire au fond.

                                 « Eleanor Dawson »
                                         Juge

Ottawa (Ontario)

Le 29 février 2000






Traduction certifiée conforme


Martine Brunet, LL. L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :              T-1905-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :      MALCOM BARON
                     c.
                     SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :          Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :          Le 14 février 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge Dawson le 29 février 2000


ONT COMPARU :

Me Lawrence Greenspon          pour le demandeur
Me Linda Wall              pour la défenderesse

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Karam, Greenspon              pour le demandeur

Ottawa (Ontario)

Me Morris Rosenberg              pour la défenderesse

Sous-procureur général

du Canada

Ottawa (Ontario)

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