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Date : 19991006


Dossier : T-1825-98


OTTAWA (Ontario), le 6 octobre 1999

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE MacKAY


ENTRE :

     DEORAJ TEELUCK

     demandeur


     et


     SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

     représentée par le CONSEIL DU TRÉSOR

     (Solliciteur général - Service correctionnel du Canada)

     défendeur



     VU la demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 20 août 1998 par un arbitre agissant en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-35, au sujet du grief du demandeur, et vu la demande d'une ordonnance annulant ladite décision;


     VU l'audition de cette affaire à Fredericton (Nouveau-Brunswick) le 16 juin 1997 et les présentations des avocats des parties, la décision étant alors différée, et après examen des arguments présentés;


     ORDONNANCE


     LA COUR ORDONNE QUE la demande de contrôle judiciaire soit rejetée, avec dépens au défendeur sur la base de dépens entre parties. À défaut d'entente, les dépens seront taxés.





                                     W. Andrew MacKay

     JUGE






Traduction certifiée conforme


Laurier Parenteau, B.A., LL.L.





Date : 19991006


Dossier : T-1825-98


ENTRE

     DEORAJ TEELUCK

     demandeur


     et


     SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

     représentée par le CONSEIL DU TRÉSOR

     (Solliciteur général - Service correctionnel du Canada)

     défendeur



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE



LE JUGE MacKAY

[1]      Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision d'un arbitre agissant au nom de la Commission des relations de travail dans la fonction publique, datée du 20 août 1998, ainsi qu'une ordonnance l'annulant. Dans cette décision, l'arbitre a jugé que le licenciement du demandeur par le Service correctionnel du Canada (SCC) était fondé sur un motif valable, et son grief renvoyé à l'arbitrage a été rejeté.

[2]      Les questions soulevées dans cette demande de contrôle judiciaire portent essentiellement sur l'application de la norme de contrôle appropriée à la décision de l'arbitre, qui a confirmé la décision de l'employeur de licencier M. Teeluck au motif de harcèlement sexuel à l'endroit d'une collègue.

Les faits

[3]      Le demandeur était en poste à l'établissement de l'Atlantique, mieux connu sous le nom de Renous, un établissement à sécurité maximale situé à Renous au Nouveau-Brunswick. Il y travaillait depuis son ouverture en 1986. Le 17 novembre 1996, M. Teeluck était l'agent responsable de l'unité 4 (l'unité d'isolement). Il n'était pas censé travailler à ce poste, mais avait fait un échange avec un collègue au début du quart. Mme Karen Matthews (la plaignante) avait aussi fait un échange avec un collègue et accepté de travailler à l'unité 4 ce jour-là. D'habitude, le demandeur et la plaignante ne travaillaient pas ensemble. Leurs rapports étaient tendus et ils évitaient généralement de travailler ensemble. M. Jean LeBlanc, employé du SCC, était aussi en service au bureau de l'unité 4, qui ne mesure que 8 pi sur 10 pi.

[4]      À l'arrivée de Mme Matthews au bureau de l'unité 4 le 17 novembre 1996, le demandeur a remarqué qu'elle n'était pas en tenue réglementaire. Elle ne portait pas de cravate, et les deux premiers boutons de sa blouse étaient défaits sous son blouson. Le demandeur en ayant fait la remarque, la plaignante lui a expliqué que la blouse lui irritait le cou. Après un court échange portant sur les allergies et les irritations cutanées, la plaignante est sortie sur le palier à l'extérieur du bureau.

[5]      Elle a par la suite déclaré qu'alors qu'elle s'apprêtait à enlever son blouson après être entrée dans le bureau, le demandeur a déplacé son fauteuil à roulettes de façon à se trouver juste en face d'elle. La décision de l'arbitre (page 5) décrit l'incident de harcèlement tel que raconté par la plaignante :

         [TRADUCTION]
Mme Matthews a déclaré que M. Teeluck " comme il l'a lui-même reconnu " a passé la remarque : " Quoi, tu as des livres dans les poches? " Elle a répondu : " Qu'est-ce que tu veux dire? " Elle a cessé d'enlever son blouson. Au même moment, M. Teeluck a levé les deux mains, a pris son sein gauche dans sa main droite et a entrepris de lui pincer le mamelon avec le pouce et l'index droits. L'incident n'a duré qu'une ou deux secondes.
Mme Matthews a protesté avec indignation : " Ne me touche pas les seins! Laisse mes seins tranquilles! Jean (M. LeBlanc) as-tu vu cela? Il m'a touché le sein! " Elle a prétendu que M. Teeluck est retourné avec le fauteuil à sa place et qu'il a dit en faisant allusion à ses mamelons en érection (visibles à travers la blouse) : " Je pensais que tu avais aimé ça parce qu'ils n'étaient pas visibles avant. "

[6]      M. Teeluck a témoigné qu'il a effectivement demandé à la plaignante si elle avait des livres dans sa poche, déclarant qu'il voulait attirer son attention sur sa poitrine en l'amenant à pencher la tête pour se rendre compte qu'on voyait son soutien-gorge. Il déclare avoir voulu lui indiquer de façon discrète qu'elle devait fermer sa blouse. Il a maintenu durant toutes les procédures que l'incident, tel que l'a décrit Mme Matthews, ne s'est jamais produit et qu'il ne l'a jamais touchée.

[7]      Peu de temps après l'incident allégué, le défendeur a quitté le bureau et la plaignante a demandé à M. LeBlanc si elle avait l'air d'avoir des livres dans la poche et s'il avait vu M. Teeluck lui toucher le sein. M. LeBlanc a dit n'avoir rien vu. Il a témoigné en ce sens devant l'arbitre, disant aussi qu'il n'avait pas vu M. Teeluck déplacer sa chaise et que, bien qu'il ait constaté qu'ils s'étaient parlés, il n'avait pas entendu leurs propos.

[8]      Le lendemain, la plaignante a rapporté l'incident à sa surveillante, qui a organisé une rencontre entre elle et le sous-directeur de l'établissement. Mme Matthews lui a raconté ce qui lui était arrivé. Elle a ensuite rencontré M. Deschênes, le psychologue de l'établissement. Ce dernier a témoigné par la suite qu'elle était alors en état de détresse. Le jour suivant, soit le 20 novembre 1996, elle a mis ses allégations par écrit et a déposé une plainte écrite.

[9]      Six jours après l'incident, le défendeur a déposé une plainte de harcèlement sexuel contre Mme Matthews visant le même incident. Il prétendait qu'elle l'avait délibérément humilié et intimidé par son comportement déplacé et offensant, en ajustant sa blouse de manière suggestive pour l'humilier et se moquer de son embarras.

[10]      Le directeur de l'établissement a ordonné la tenue d'une enquête au sujet des allégations de la plaignante et du demandeur. Au cours de l'enquête, une autre employé de l'établissement, Mme McMullin, a demandé à témoigner au sujet d'un incident similaire mettant en cause le demandeur. Elle a témoigné devant l'arbitre, en octobre 1996, que le demandeur lui avait bloqué le passage dans un corridor en lui disant : [TRADUCTION] " Tu as un livre dans la poche? Tes tétons ont l'air pas mal plats. " Elle avait un petit carnet dans la poche de sa blouse et le demandeur l'aurait poussé du doigt en le pressant contre son sein. Elle a témoigné n'avoir pas rapporté l'incident ni dit quoi que ce soit à ses collègues. Ce n'est qu'après avoir entendu des rumeurs au sujet de l'incident impliquant Mme Matthews qu'elle a mentionné sa rencontre avec M. Teeluck à son surveillant.

[11]      Les enquêteurs ont remis leur rapport à la mi-février 1997. Le 3 mars suivant, le directeur de l'établissement de l'Atlantique a licencié le demandeur en lui envoyant la lettre suivante :

         [TRADUCTION]

         J'ai examiné attentivement le rapport de l'enquête effectuée à la suite de la plainte de harcèlement déposée par Mme Karen Matthews, et le rapport d'enquête disciplinaire établi par le chef d'unité, M. John Harris, et la conseillère principale du personnel, Mme Charlene Sullivan. Vous avez en main des copies de ces deux rapports. Aujourd'hui, nous avons tenu une audience disciplinaire en présence de votre représentant. J'ai répondu à vos questions durant l'audience. J'ai tenu compte de tous les renseignements ci-dessus pour en arriver à ma décision.
         Au cours de l'enquête et durant l'audience disciplinaire, vous avez continué de nier avoir harcelé sexuellement Mme Matthews. Vous n'avez pas fait valoir de circonstances atténuantes.
         Je vous déclare coupable de harcèlement sexuel commis à l'endroit de Mme Matthews le 17 novembre 1996 à l'intérieur du pénitencier. Cette mauvaise conduite grave constitue une violation importante du Code de discipline du SCC.
         Le Service correctionnel du Canada a convenu d'une " Politique de tolérance zéro en matière de harcèlement " avec le Syndicat des employés du Solliciteur général. Vous connaissez ou auriez dû connaître cette politique.
         J'ai examiné attentivement cet acte de mauvaise conduite ainsi que votre dossier. Du fait de votre comportement, j'ai perdu toute ma confiance en votre capacité d'entretenir des rapports professionnels avec vos collègues. Vous êtes un agent de la paix et vous avez juré d'appliquer les lois. Pour les motifs indiqués ci-dessus, je me vois dans l'obligation de vous licencier.
         Par conséquent, en vertu des pouvoirs qui me sont délégués aux termes du paragraphe 11(2) de la Loi sur la gestion des finances publiques, je dois vous informer, par les présentes, que votre cessation d'emploi au Service correctionnel du Canada entre en vigueur à 15 h le 3 mars 1997.
         En vertu de votre convention collective, vous avez le droit de présenter un grief à ce sujet directement au dernier palier de la procédure1.

[12]      Le même jour, le demandeur a déposé le grief qui a été soumis à l'arbitre et qui a eu comme conséquence la présente demande de contrôle judiciaire.

L'audition par l'arbitre

[13]      L'audition du grief du demandeur devant l'arbitre de la Commission des relations de travail dans la fonction publique a eu lieu en avril 1998. L'arbitre a entendu plusieurs témoins, y compris le demandeur, la plaignante, M. LeBlanc et le directeur de l'établissement. L'arbitre a aussi entendu le témoignage de Mme McMullin au sujet de ses allégations quant à un incident similaire mettant en cause le demandeur. M. Deschênes a aussi témoigné quant à son avis, nonobstant le fait qu'il n'avait pas le statut de témoin-expert.

[14]      Le demandeur soutient qu'une partie des témoignages et de la preuve devant l'arbitre n'est pas admissible en justice et que l'arbitre n'aurait pas dû l'examiner. Par exemple, l'arbitre a été informé du fait que le demandeur et M. LeBlanc ont refusé de se soumettre à un test de " polygraphe " alors que la plaignante avait accepté de s'y soumettre. L'arbitre a aussi pris connaissance du rapport rédigé par les enquêteurs du Service correctionnel sans interroger lui-même toutes les personnes dont on cite le témoignage, nonobstant le fait qu'elles n'ont pas déposé sous serment.

[15]      Suite à l'audition, l'arbitre a rendu sa décision le 20 août 1998. Il a conclu que le licenciement du demandeur était fondé et, par conséquent, il a rejeté son grief.

Les questions en litige

[16]      Le demandeur soulève un certain nombre de questions, que je traiterai tout à tour : la norme de contrôle appropriée, l'application de cette norme à la preuve examinée par l'arbitre, la norme applicable à la preuve sur laquelle l'arbitre a fondé sa décision, et son évaluation de l'aspect approprié de la pénalité imposée par l'employeur, savoir le licenciement.

La norme de contrôle

[17]      Dans une demande de contrôle judiciaire d'une décision d'un tribunal administratif, il faut d'abord poser la question préliminaire suivante : quelle est la norme de contrôle appropriée? Plusieurs tribunaux administratifs, notamment la Commission des relations de travail dans la fonction publique, font généralement l'objet d'une grande retenue judiciaire quant aux questions qui sont clairement de leur compétence. Dans Canada (Procureur général) c. Cleary2, M. le juge Rothstein (alors en première instance) déclare que :

Les parties conviennent avec moi que la norme de contrôle de la décision d'un arbitre en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique est le caractère manifestement déraisonnable. Autrement dit, l'erreur doit être manifeste. Voir l'arrêt Barry c. Canada (Conseil du Trésor) (1997), 221 N.R. 237 aux pages 239 et 240 (C.A.F.).

[18]      Ceci reflète la norme de contrôle des décisions de la Commission énoncée par la Cour suprême du Canada, alors que sa loi constitutive contenait une clause privative, dans Canada (Procureur général) c. AFPC3. Dans cet arrêt, le juge Cory déclare notamment ceci au nom de la majorité :

... Le critère du caractère manifestement déraisonnable représente, de toute évidence, une norme de contrôle sévère. Dans le Grand Larousse de la langue française, l'adjectif manifeste est ainsi défini : " Se dit d'une chose que l'on ne peut contester, qui est tout à fait évidente ". On y trouve pour le terme déraisonnable la définition suivante : " Qui n'est pas conforme à la raison; qui est contraire au bon sens ". Eu égard donc à ces définitions des mots " manifeste " et " déraisonnable ", il appert que si la décision qu'a rendue la Commission, agissant dans le cadre de sa compétence, n'est pas clairement irrationnelle, c'est-à-dire, de toute évidence non conforme à la raison, on ne saurait prétendre qu'il y a eu perte de compétence. Visiblement, il s'agit là d'un critère très strict.
...
Il ne suffit pas que la décision de la Commission soit erronée aux yeux de la cour de justice; pour qu'elle soit manifestement déraisonnable, cette cour doit la juger clairement irrationnelle4.

[19]      L'abrogation de la clause privative qu'on trouvait anciennement dans sa loi constitutive ne veut pas dire que les décisions de la Commission des relations de travail dans la fonction publique peuvent maintenant être écartées plus facilement. Comme le déclare M. le juge Bastarache au nom de la Cour suprême dans Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)5,

l'absence de clause privative n'implique pas une norme élevée de contrôle, si d'autres facteurs commandent une norme peu exigeante.

Comme l'indique la décision du juge Rothstein, qui renvoie à la Cour d'appel, cette Cour a clairement reconnu la grande retenue judiciaire s'appliquant aux décisions de la Commission qui sont clairement de sa compétence, comme celles prise par l'arbitre en l'instance. La Cour n'interviendra donc pas à moins qu'elle juge que la décision avait un caractère manifestement déraisonnable.

Les questions relatives à la preuve

[20]      Le demandeur soutient que l'arbitre a commis une erreur en l'instance, en examinant diverses preuves qui ne sont pas admissibles dans une affaire aussi grave.

[21]      Le sous-alinéa 92(1)b)(ii) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique6 donne aux employés sanctionnés le droit de renvoyer un grief à l'arbitrage. L'arbitre nommé en vertu de l'article 93 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique a tous les pouvoirs, droits et privilèges de la Commission des relations de travail dans la fonction publique, y compris celui prévu à l'alinéa 25c), qui est rédigé comme suit :

25. The Board has, in relation to the hearing or determination of any proceeding before it, power

     ...

     (c) to receive and accept such evidence and information on oath, affidavit or otherwise as in its discretion it sees fit, whether admissible in a court of law or not and, without limiting the generality of the foregoing, to refuse to accept any evidence that is not presented in the form and within the time prescribed;

25. En ce qui concerne l'audition ou le règlement de toute affaire dont elle est saisie, la Commission peut_:

     ...
     c) recevoir et accepter, sous serment, par affidavit ou sous toute autre forme, les éléments de preuve et les renseignements qu'elle juge appropriés, qu'ils soient admissibles ou non en justice, et notamment refuser tout élément de preuve qui n'est pas présenté dans la forme et au moment prévus par règlement;

[22]      Le Parlement a jugé bon de donner aux tribunaux administratifs, comme l'arbitre ou la Commission en l'instance, une très grande latitude dès lors qu'il s'agit d'entendre et d'accepter des éléments de preuve, pour éviter qu'ils soient paralysés par des objections et des manoeuvres de procédure. Ceci permet de tenir une audition moins formelle, où tous les éléments pertinents peuvent être présentés au tribunal pour un examen expéditif.

[23]      Cette disposition particulière de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique traitant des éléments de preuve n'est pas unique. En fait, toutes les provinces ont adopté des dispositions similaires pour que les arbitres du travail aient une grande latitude dans leur examen des litiges.

[24]      Dans l'arrêt Fraternité unie des charpentiers et menuisiers d'Amérique, section locale 579 c. Bradco Construction Ltd.7, la Cour suprême du Canada a examiné une disposition de la Labour Relations Act, 19778 de Terre-Neuve analogue au paragraphe 25c) de la Loi en cause ici. Au nom de la Cour, le juge Sopinka a déclaré ceci :

Le paragraphe 84(1) de The Labour Relations Act, 1977 prévoit que l'arbitre peut recevoir et accepter les éléments de preuve qu'il juge souhaitables, qu'ils soient admissibles ou non devant une cour de justice. ... Bien que ce genre de dispositions n'excluent pas complètement le contrôle judiciaire, elles permettent à l'arbitre d'assouplir les règles de preuve. Cela reflète le fait que, souvent, les arbitres ne possèdent aucune formation juridique et qu'il leur est permis d'appliquer les règles comme le ferait toute personne raisonnable dans la gestion de ses affaires. Le paragraphe 84(1) exprime l'intention du législateur de laisser à l'arbitre le soin de trancher ces questions. En conséquence, la décision de l'arbitre à cet égard ne peut faire l'objet d'un examen que s'il est démontré qu'elle est manifestement déraisonnable. ...9

Ce commentaire s'applique également à l'alinéa 25c) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Les décisions des arbitres quant aux éléments de preuve ne peuvent généralement faire l'objet d'un contrôle que s'il est démontré qu'elles sont manifestement déraisonnables ou irrationnelles.

[25]      Appliquant cette norme de contrôle aux prétentions du demandeur portant que l'arbitre a commis une erreur en tenant compte de certains éléments de preuve, je ne suis pas convaincu que sa décision ait été manifestement déraisonnable pour aucun d'entre eux.

[26]      Par conséquent, la mention par l'arbitre du fait qu'au cours de l'enquête menée par l'employeur au sujet de l'incident en cause Mme Matthews était disposée à se soumettre à un test de polygraphe, alors que MM. Teeluck et LeBlanc avaient refusé, n'est pas manifestement déraisonnable. On trouve cette mention dans le résumé que l'arbitre fait de l'argumentation de l'employeur dans le corps de sa décision. Ce n'est pas un facteur sur lequel il s'appuie dans la rédaction de sa " conclusion et motifs de décision ".

[27]      L'arbitre n'a pas non plus agi de façon manifestement déraisonnable en tenant compte du témoignage de Mme McMullin, qu'il a conclu avoir une " similitude frappante " avec celui de Mme Matthews. Il a appliqué le même critère qu'une cour en évaluant une preuve de faits similaires, et sa conclusion quant à son admissibilité et à son poids n'est pas manifestement déraisonnable.

[28]      De plus, l'arbitre n'a pas agi de façon manifestement déraisonnable en examinant et commentant le " code d'honneur ", un code de conduite qu'on dit exister dans l'établissement et qui interdit de dénoncer un collègue. Les commentaires de l'arbitre visaient à expliquer pourquoi M. LeBlanc n'avait pas noté l'incident ou fait de commentaire à son sujet, ainsi qu'à faire état dans sa décision des problèmes auxquels Mmes Matthews et McMullin ont dû faire face suite à leurs allégations. Bien que ces deux facteurs n'aient pas été directement liés aux questions à trancher par l'arbitre, il était saisi de l'existence du code et de ses répercussions possibles; il n'était donc pas déraisonnable qu'il fasse état de sa réaction. En fait, c'est le défaut d'en faire état qui aurait pu être déraisonnable en l'instance.

[29]      L'approche adoptée par l'arbitre en traitant des éléments de preuve est contestée sur deux autres points. Premièrement, il a accepté le témoignage de M. Deschênes quant à son avis, nonobstant le fait que celui-ci n'avait pas le statut de témoin-expert. Son témoignage portant sur le comportement de Mme Matthews quand elle lui a raconté l'incident a influencé la conclusion de l'arbitre quant à la crédibilité de la plaignante. Deuxièmement, l'arbitre avait au dossier des rapports d'enquête qui contenaient les témoignages de certaines personnes qui n'avaient pas déposé sous serment. Certains de ces témoignages appuyaient la version de M. Teeluck. Peu de ces témoins ont été appelés à déposer devant l'arbitre. À mon avis, ceci ne veut pas dire que leurs " témoignages ", qui étaient du ouï-dire devant l'arbitre, a été pris en compte dans la décision, non plus qu'il n'y avait pas de preuve directe devant l'arbitre, comme c'était le cas dans Bond c. New Brunswick (Board of Management)10, où une décision a été infirmée parce que fondée uniquement sur le ouï-dire. À mon avis, au vu du pouvoir discrétionnaire de recevoir et d'accepter la preuve conféré à l'arbitre par l'alinéa 25c) de la Loi, je ne peux conclure qu'il a agi de façon déraisonnable en traitant l'une ou l'autre de ces questions, soit le témoignage du psychologue et l'évaluation et examen des rapports d'enquête interne.

[30]      Finalement, l'arbitre n'a pas agi de façon manifestement déraisonnable en évaluant les rapports d'enquête interne du SCC. Ces rapports faisaient partie du dossier qui lui était soumis. Son commentaire en conclusion sur le fait que les enquêteurs ont conclu que l'incident allégué par Mme Matthews s'était probablement produit et que c'était " suffisamment convaincant dans les circonstances ", porte sur le mandat qu'ils avaient reçu. À mon avis, ceci n'indique pas que l'arbitre aurait limité sa compétence comme le prétend le demandeur. Prise comme un tout, sa conclusion est fondée sur son évaluation de la crédibilité des parties et des autres témoins, ainsi que des éléments de preuve qui lui étaient soumis. Au vu de la preuve, on ne peut dire que sa conclusion était manifestement déraisonnable.

[31]      On soutient aussi que l'arbitre a commis une erreur en ne tenant pas compte de certains éléments de preuve dits pertinents. Ainsi, il n'a pas pesé la preuve portant sur les gestes accomplis par Mme Matthews immédiatement après l'incident allégué en évaluant la crédibilité de sa version des faits. L'arbitre n'a pas non plus mentionné que le demandeur a été acquitté relativement à une accusation d'agression sexuelle liée à l'incident. À mon avis, ces aspects et d'autres qui n'ont pas été pris en compte ne confèrent pas un caractère manifestement déraisonnable à la décision. Aucun de ces aspects ne porte directement sur la question devant l'arbitre, savoir si la mesure disciplinaire prise par l'employeur en licenciant M. Teeluck était justifiée. L'arbitre n'a pas agi de façon manifestement déraisonnable en ne s'appuyant pas sur ces aspects de la preuve qui lui était soumise.

Le fardeau de la preuve

[32]      Le demandeur soutient que l'arbitre a inversé le fardeau de la preuve en l'instance, en déclarant dans sa conclusion que l'allégation de M. Teeluck que Mme Matthews l'a " piégé " n'était appuyée sur aucun élément de preuve produit par lui, mis à part le fait qu'elle n'aimait pas travailler avec lui et qu'il ne voulait pas travailler avec elle non plus. À mon avis, ceci n'indique pas que le demandeur avait le fardeau de prouver qu'il était innocent du harcèlement dont l'accusait la plaignante. Au contraire, l'arbitre a correctement situé le fardeau de la preuve en disant11 :

             [TRADUCTION] La norme de preuve en l'espèce est celle de la prépondérance des probabilités. Comme il s'agit d'allégations de harcèlement sexuel, les deux parties ont convenu que la preuve doit démontrer de façon claire, concise, solide et convaincante que les actes reprochés ont bel et bien été commis. En effet, si les allégations sont prouvées, la mesure disciplinaire habituellement imposée est le licenciement. En présence d'allégations aussi graves pouvant avoir des conséquences néfastes pour l'employé en cause, la jurisprudence énonce une norme claire.

[33]      Il a ensuite fait un survol de la preuve, notamment les aspects qu'il a jugés lui permettre d'évaluer la crédibilité de la plaignante et du demandeur. Ses motifs justifient la conclusion fondée sur la preuve, soit que le demandeur a effectivement harcelé sexuellement sa collègue et que l'employeur avait un motif valable de le sanctionner.

[34]      La norme de preuve, le fardeau qui incombe à l'employeur et la conclusion de l'arbitre ne peuvent être jugés manifestement déraisonnable au vu de la preuve qui lui était soumise.

La nature appropriée de la sanction

[35]      On a soutenu que l'arbitre a commis une erreur en n'évaluant pas si la mesure disciplinaire de l'employeur, soit le licenciement du demandeur, était appropriée. Pourtant, l'arbitre n'a pas négligé d'aborder cet aspect. Dans sa conclusion, il déclare que [TRADUCTION] " la peine correspond à l'infraction. M. Teeluck n'a fourni aucun facteur atténuant à l'employeur ou à l'audience. Il est l'artisan de son malheur. " Je ne suis pas convaincu que l'arbitre n'a pas évalué si la mesure disciplinaire était appropriée.

Conclusion

[36]      À mon avis, on ne peut conclure que la décision de l'arbitre était manifestement déraisonnable au vu de la preuve qui lui était présentée et qu'il commente, et ce dans aucun des aspects que soulève le demandeur pour obtenir le contrôle judiciaire. Je ne suis pas convaincu qu'il y a un quelconque fondement justifiant l'intervention de la Cour.

[37]      La demande est donc rejetée dans une ordonnance distincte. Les dépens sont accordés au défendeur, à sa demande, sur la base de dépens entre parties. À défaut d'entente, les dépens seront taxés en conformité du tarif de la Cour (colonne 3).



W. Andrew MacKay

    

                                         JUGE

OTTAWA (Ontario)

Le 6 octobre 1999



Traduction certifiée conforme


Laurier Parenteau, B.A., LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE:              T-1825-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Deoraj Teeluck c. Conseil du Trésor et autres

LIEU DE L'AUDIENCE:          Fredericton

DATE DE L'AUDIENCE :          Le 16 juin 1999

MOTIFS DE JUGEMENT DE M. le juge MacKay

EN DATE DU :              6 octobre 1999


ONT COMPARU

G. Robert Basque

Forbes Roth Basque                          POUR LE DEMANDEUR

Jock Climie

Conseil du Trésor du Canada                  POUR LE DÉFENDEUR


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

G. Robert Basque                          POUR LE DEMANDEUR

Forbes Roth Basque

Morris Rosenberg                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

__________________

1      Lettre de Dale Cross, directeur de l'établissement de l'Atlantique, à Deoraj Teeluck, en date du 3 mars 1997. Onglet 4 du Dossier complémentaire du défendeur.

2      [1998] A.C.F. no 1920 (QL), dossier T-1533-96, au par. 2.

3      [1993] 1 R.C.S. 941.

4      [1993] 1 R.C.S. 941, aux pp. 963 et 964.

5      [1998] 1 R.C.S. 982, au par. 30.

6      L.R.C. (1985), ch. P-35.

7      [1993] 2 R.C.S. 316.

8      S.N. 1977, ch. 64, par. 84(1).

9      [1993] 2 R.C.S. 316, aux pp. 343 et 344.

10      (1992), 8 Admin. L.R. (2d) 100 (C.A.N.-B.).

11      Décision de l"arbitre datée du 20 août 1998, à la p. 19.

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