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     Date: 20000225

     Dossier: IMM-1264-99


Entre :

     RONY DANILO FIGUEROA

     MARITZA JUDITH MORALES de FIGUEROA

     HEIDY FIGUEROA-MORALES

     ELSA MARITZA FIGUEROA-MORALES

     Demandeurs

     - et -


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION

     Défendeur



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE PINARD :

[1]      La demande de contrôle judiciaire vise une décision rendue le 24 février 1999 par M. Gilles Deslauriers, agent d'immigration, Citoyenneté et Immigration Canada, refusant d'accorder le droit d'établissement aux demandeurs parce qu'une des personnes incluses dans la demande est une personne décrite à l'alinéa 19(1)j) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi).

[2]      Les demandeurs, citoyens du Guatemala, sont Rony Danilo Figueroa (ci-après le demandeur), son épouse Maritza Judith Morales de Figueroa et leurs deux filles Heidy et Elsa Maritza Figueroa-Morales (ci-après les demanderesses).

[3]      Les demandeurs sont arrivés au Canada le 30 septembre 1989. Ils y ont revendiqué le statut de réfugié et une décision a été rendue le 2 avril 1992. Le demandeur s'est vu refuser sa demande, la CISR considérant qu'il était exclu pour avoir commis un crime contre l'humanité. La CISR a aussi refusé la revendication des demanderesses.

[4]      Cette décision a été cassée par cette Cour le 18 octobre 1993. Conformément à ce jugement , la cause a été entendue de nouveau le 19 novembre 1996. Dans sa décision, dont les motifs sont datés du 12 mars 1997, la CISR a reconnu les demanderesses comme réfugiées au sens de la Convention, mais le demandeur a encore une fois été exclu. Aucune demande de contrôle judiciaire n'a été faite devant cette Cour à l'encontre de cette deuxième décision.

[5]      Vers mai 1997, l'épouse demanderesse a déposé une demande de résidence permanente pour elle-même, le demandeur et leurs deux filles. Selon l'affidavit du demandeur, sa famille s'est présentée le 5 février 1998 pour une entrevue avec un agent d'immigration au CIC dans le cadre du traitement de cette demande. Le demandeur prétend que l'agent a dit que si son épouse ne retirait pas son nom de sa demande, toute la famille serait refusée et déportée au Guatemala. L'épouse demanderesse a alors signé le document qui retirait le nom du demandeur de la demande.

[6]      Le 25 mai 1998, l'épouse demanderesse a demandé au défendeur d'annuler ce retrait et a aussi demandé que la question de l'admissibilité du demandeur soit référée devant un arbitre pour enquête. Le 5 juin 1998, François Laberge, agent d'expertise au CIC, a informé son procureur que l'annulation avait été acceptée, mais que le délégué du sous-ministre n'avait pas considéré justifié de faire tenir une enquête.

[7]      L'agent d'immigration a finalement informé l'épouse demanderesse que sa demande de résidence permanente au Canada comme réfugiée au sens de la Convention était refusée, tel qu'il appert du troisième paragraphe de sa lettre datée du 24 février 1999 :

         Après une étude exhaustive de tous les éléments de votre dossier, nous en sommes venus à la conclusion qu'il serait contraire à l'article 46.04(3) de la Loi sur l'immigration de vous accorder le droit d'établissement car nous avons des motifs raisonnables de croire qu'une des personnes maintenant incluses dans votre demande (soit votre époux mentionné au paragraphe précédent) est une personne décrite à l'alinéa 19(1)(j) de la Loi. Cette décision s'applique également à votre époux ainsi qu'à vos deux filles: . . .


[8]      Les demandeurs soumettent en premier lieu que l'agent d'immigration a erré en les déclarant inadmissibles sans qu'un arbitre ait statué que le demandeur est visé à l'alinéa 19(1)j) de la Loi. Plus spécifiquement, les demandeurs invoquent l'arrêt Gwala c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (21 mai 1999), A-375-98, où la Cour d'appel fédérale a confirmé que les agents d'immigration supérieurs ne sont pas implicitement investis du pouvoir de se prononcer sur des questions de droit.

[9]      Il importe ici de reproduire les dispositions législatives pertinentes suivantes :

19. (1) No person shall be granted admission who is a member of any of the following classes:

     [. . .]
     (j) persons who there are reasonable grounds to believe have committed an act or ommission outside Canada that constituted a war crime or a crime against humanity within the meaning of subsection 7(3.76) of the Criminal Code and that, if it had been committed in Canada, would have constituted an offence against the laws of Canada in force at the time of the act or omission;

46.04 (3) Notwithstanding any other provision of this Act, but subject to subsections (3.1) and (8), an immigration officer to whom an application is made under subsection (1) shall grant landing to the applicant, and to any dependant for whom landing is sought if the immigration officer is satisfied that neither the applicant nor any of those dependants is a person described in paragraph 19(1)(c.1), (c.2), (d), (e), (f), (g), (j), (k) or (l) or a person who has been convicted of an offence under any Act of Parliament for which a term of imprisonment of

     (a) more than six months has been imposed; or
     (b) five years or more may be imposed.

19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible :

     [. . .]
     j) celles dont on peut penser, pour des motifs raisonnables, qu'elles ont commis, à l'étranger, un fait constituant un crime de guerre ou un crime contre l'humanité au sens du paragraphe 7(3.76) du Code criminel et qui aurait constitué, au Canada, une infraction au droit canadien en son état à l'époque de la perpétration;



46.04 (3) Malgré les autres dispositions de la présente loi mais sous réserve des paragraphes (3.1) et (8), l'agent d'immigration accorde le droit d'établissement à l'intéressé et aux personnes à sa charge visées par la demande, s'il est convaincu qu'aucun d'entre eux n'est visé à l'un des alinéas 19(1)c.1), c.2), d), e), f), g), j), k) ou l) ou n'a été déclaré coupable d'une infraction prévue par une loi fédérale :

     a) soit pour laquelle une peine d'emprisonnement de plus de six mois a été infligée;
     b) soit passible d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à cinq ans.

[10]      Je ne crois pas que l'arrêt Gwala, supra, où le paragraphe 45(1) de la Loi était en cause, puisse ici venir au secours des demandeurs. En effet, les termes du paragraphe 46.04(3) de la Loi sont clairs et confèrent expressément à l'agent d'immigration le pouvoir d'accorder le droit d'établissement à l'intéressé et aux personnes à sa charge visées par la demande, s'il est convaincu qu'aucun d'entre eux n'est visé, notamment, à l'alinéa 19(1)j) de la Loi. Ici, la décision en cause fait uniquement référence à la demande de résidence permanente faite par l'épouse demanderesse et ne constitue en rien une mesure de renvoi. Le pouvoir décisionnel accordé à un agent d'immigration sous le paragraphe 46.04(3) de la Loi n'est pas implicite, mais au contraire exprès et clairement défini par la disposition qui, par ailleurs, n'exprime en rien la volonté du Parlement d'impliquer en outre un arbitre. Dans l'arrêt Kaisersingh et al. c. Canada (M.C.I.), [1995] 2 C.F. 20, aux pages 32 à 34, ma collègue le juge Reed va aussi dans le même sens :

             L'avocat des requérants soutient qu'il n'appartenait pas à l'agent d'immigration de déterminer si les requérants étaient visés par l'alinéa 19(1)b), et que seul un arbitre peut prendre cette décision. Il invoque à l'appui de son argument l'alinéa 19(1)b) et les paragraphes 20(1), 23(3), (4), (7), 29(1), 32(1) et (3) de la Loi.
             [. . .]
             L'avocat de l'intimé a, à mon avis, facilement réfuté cette prétention. Les dispositions qu'invoque l'avocat des requérants portent toutes sur le processus de renvoi d'une personne du Canada. Elles ne portent pas sur la procédure de prise de décision relative à la demande de statut de résident permanent. L'avocat de l'intimé signale que, pour qu'ils soient renvoyés du Canada, les requérants devront faire l'objet d'une enquête, à l'étape de laquelle l'arbitre devra convenir que les requérants n'ont pas le droit de demeurer au Canada. Cela ne signifie toutefois pas que l'agent d'immigration n'avait pas la compétence pour rendre la décision qu'elle a rendue le 28 juin 1993. Cette décision a été rendue dans le contexte de l'examen et de la détermination de la demande d'admission des requérants. J'accepte cet argument.


[11]      Comme autre argument, les demandeurs soutiennent que l'agent d'immigration a erré en traitant comme équivalant les alinéas 1F(a) de la Convention des Nations unies relative au statut des réfugiés (la Convention) et 19(1)j) de la Loi.

[12]      À cet égard, l'alinéa 19(1)j) de la Loi m'apparaît prévoir un test à deux volets : une personne appartient à une catégorie non admissible si on peut penser pour des motifs raisonnables que ses agissements constituent un crime contre l'humanité au sens du paragraphe 7(3.76) du Code criminel et s'ils constitueraient une infraction au Canada. Le paragraphe 7(3.76) intègre par référence dans la loi canadienne le droit international coutumier et conventionnel. À l'égard de la norme exigée par l'alinéa 19(1)j), l'arrêt de la Cour d'appel fédérale dans Ramirez c. Canada (M.E.I.), [1992] 2 C.F. 306, nous enseigne ce qui suit, sous la plume du juge MacGuigan, à la page 312 :

             Il ne me semble pas y avoir de différences importantes entre les mots "raisons sérieuses de penser" et "dont on peut penser, pour des motifs raisonnables" et, du reste, je ne crois pas qu'il faille établir un parallèle exact entre les deux expressions. J'estime toutefois qu'elles exigent toutes deux une norme moindre que la prépondérance de preuve. Les mots "raisons sérieuses de penser" sont ceux qu'emploie la Convention; leur sens est évident. Cependant, on voit, lorsqu'on les compare avec l'alinéa 19(1)j ), que le Parlement était prêt à envisager, pour ce type de cas, une norme moins exigeante que la norme civile habituelle. Cette comparaison nous amène en outre à penser qu'il serait extrêmement embarrassant d'exiger d'un côté une norme civile ordinaire et de l'autre, pour ce qui constitue essentiellement la même chose, une norme inférieure.


[13]      Dans cette même affaire, le juge MacGuigan, à la page 320, émet aussi le commentaire suivant en regard de l'application de la Convention :

             À mon avis, il n'est pas souhaitable, dans l'établissement d'un principe général, de dépasser le critère de la participation personnelle et consciente aux actes de persécution. Le reste devrait être tranché en fonction des faits particuliers de l'affaire.


[14]      Ceci est d'ailleurs confirmé dans un autre arrêt de la Cour d'appel fédérale traitant de la Convention, Moreno c. Canada (M.E.I.) (1993), 21 Imm.L.R. (2d) 221, où le juge Robertson constate, aux pages 239 et 240 :

             It is well settled that mere membership in an organization involved in international offences is not sufficient basis on which to invoke the exclusion clause; see Ramirez, at p. 317, and Laipenieks v. Immigration & Naturalization Service, 750 F.2d 1427 (9th Cir. 1985), at p. 1431. An exception to this general rule arises where the organization is one whose very existence is premised on achieving political or social ends by any means deemed necessary. Membership in a secret police force may be deemed sufficient grounds for invoking the exclusion clause; see Naredo v. Canada (Minister of Employment & Immigration) (1990), 11 Imm.L.R. (2d) 92 (Fed. T.D.), but see Ramirez at pp. 318 et seq. Membership in a military organization involved in armed conflict with guerilla forces comes within the ambit of the general rule and not the exception.


Il continue aux pages 241 et 242 :

             Applying the above reasoning, we must determine whether the appellant's conduct satisfied the criterion of "personal and knowing participation in persecutorial acts." Equally important, however, is the fact that complicity rests on the existence of a shared common purpose as between "principal" and "accomplice". . . .


[15]      Je pense que conclure à l'exclusion d'un réfugié de la protection de la Convention en vertu de l'alinéa 1F(a) démontre que le premier volet du test prévu à l'alinéa 19(1)j) de la Loi a été rempli.

[16]      Dans ses motifs datés du 2 avril 1992, la Section du statut a basé sa conclusion que le demandeur était sujet à la clause d'exclusion 1F(a) sur plusieurs considérations. Elle mentionne que le demandeur a admis avoir assisté à la torture d'une personne au moins à trois reprises à Le Petan, où il a travaillé pour la Section d'intelligence de l'armée en 1985, et qu'il a admis aussi avoir été témoin de torture de gens arrêtés dans le Département d'investigations techniques. Pour sa part, la deuxième formation de la Section du statut a décidé :

             In respect of the exclusion of the principal claimant, this panel has come to the same conclusion as the previous panel, Doray and Brown in its summary of facts and decision of April 2nd, 1992 (annexed), except that the principal claimant's wife and children are not excluded with the principal claimant. Therefore, this panel includes all that has been previously written on this matter in that aforementioned decision, except the last paragraph of page 6 and the first paragraph of page 7.


[17]      Tel qu'indiqué plus haut, aucune demande n'a été faite devant cette Cour à l'encontre de cette deuxième décision.

[18]      En ce qui concerne le deuxième volet du test prévu dans l'alinéa 19(1)j), il me semble que les actes de torture commis par le demandeur auraient constitué, au Canada, une infraction au droit canadien tel qu'il était à l'époque de la perpétration. Le Code criminel en vigueur au Canada pendant l'année 1985 était le chapitre C-34 des Statuts révisés de 1970. À mon avis, la conclusion sur les faits des deux formations de la Section du statut à l'effet que le demandeur avait assisté à la torture d'une personne au moins à trois reprises, est un motif raisonnable permettant de conclure qu'il a commis un ou plusieurs des crimes suivants : agression (article 244), agression menant à l'infliction de lésions corporelles (article 245.1(1)(b)) ou agression menant à des voies de fait graves (245.2).

[19]      En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[20]      La seule question qui mérite d'être certifiée, compte tenu des principes énoncés dans l'arrêt Liyanagamage c. M.C.I., 176 N.R. 4, à la page 5, se dégage de celles proposées par les parties et est la suivante :

             En vertu du pouvoir décisionnel qui lui est accordé à l'alinéa 46.04(3) de la Loi sur l'immigration, un agent d'immigration peut-il, sans l'intervention d'un arbitre, refuser d'accorder le droit d'établissement, à l'intéressé et aux personnes à sa charge visées par la demande, au motif qu'il n'est pas convaincu qu'aucun d'entre eux n'est visé à l'alinéa 19(1)j) de la même loi?



                            

                                     JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 25 février 2000

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