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                                           Date : 19990707

                                     Dossier : IMM-3732-98

Ottawa (Ontario), le 7 juillet 1999.

EN PRÉSENCE DE : MADAME LE JUGE SHARLOW

E N T R E :

                SATHIYASEELAN NAGULARAJAH,

                                                demandeur,

                            et

    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                                                défendeur.

O R D O N N A N C E

La demande est rejetée. La question suivante est certifiée :

La section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a-t-elle outrepassé sa compétence en tenant compte de la sécurité publique dans l'appel d'une mesure d'expulsion interjeté aux termes de l'alinéa 70(3)b) de la Loi sur l'immigration?

                                      « Karen R. Sharlow »

                                                      Juge      

Traduction certifiée conforme

Martine Brunet, LL.B.


                                           Date : 19990707

                                     Dossier : IMM-3732-98

E N T R E :

                SATHIYASEELAN NAGULARAJAH,

                                                demandeur,

                            et

    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                                                défendeur.

                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE SHARLOW :


[1] Le demandeur, M. Sathiyaseelan Nagularajah, conteste la décision de la section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du refus de surseoir à l'exécution d'une mesure d'expulsion.

[2] M. Nagularajah est un citoyen du Sri Lanka, né en 1974. Il est arrivé au Canada en 1993 et en 1994 s'est vu octroyé le statut de réfugié. Il a abandonné l'école en 1995, mais il n'a pas pu trouver d'emploi. Il a reçu des prestations d'aide sociale, mais pendant très peu de temps.

[3] Le 25 mars 1996, M. Nagularajah s'est rendu au bureau d'aide sociale avec une hache et a demandé à voir un agent chargé du traitement des cas. L'agent ne s'étant pas présenté, M. Nagularajah a fracassé une cloison vitrée avec la hache et a brandi la hache en direction d'un agent de sécurité. Personne n'a été blessé. M. Nagularajah a été arrêté et libéré deux jours plus tard sur la foi de son propre engagement.

[4] Le 17 mai 1996, M. Nagularajah a été impliqué dans une dispute dans une station-service au sujet de raclettes pour laver les vitres. M. Nagularajah s'est enfui et a été arrêté plus tard le même jour dans une beignerie, brandissant une machette et défiant les passants de se battre avec lui.

[5] Ces événements ont donné lieu le 20 septembre 1996 à la condamnation de M. Nagularajah pour trois infractions criminelles, dont la plus grave était celle d'agression armée. Il a été condamné au temps déjà purgé, six mois, plus 211 jours. Il a également été mis en probation pour deux ans. La condamnation au criminel a donné lieu à une enquête aux termes de l'article 27 de la Loi sur l'immigration le 20 février 1997. L'arbitre a ordonné une mesure d'expulsion.

[6] Le ministre n'a pas émis d'avis que M. Nagularajah constitue un danger pour le public au Canada. Le demandeur avait le droit d'interjeter appel de la mesure d'expulsion devant la section d'appel et c'est ce qu'il a fait. Étant donné que le demandeur est un réfugié au sens de la Convention, l'appel a été interjeté aux termes de l'alinéa 70(2)a) de la Loi sur l'immigration.

[7] La validité de la mesure d'expulsion n'a pas été contestée. Le fondement de l'appel était l'alinéa 70(3)b), « le fait que, pour des raisons d'ordre humanitaire, [les appelants] ne devraient pas être renvoyés du Canada » .

[8] Le dossier contient le rapport d'un psychiatre en date du 28 juin 1996 préparé pour l'instance criminelle, et un autre rapport du même psychiatre en date du 9 janvier 1998 préparé pour l'audition devant la section d'appel. Ces rapports indiquent que M. Nagularajah souffre de dépression psychotique avec un diagnostic différentielle de schizophrénie paranoïde. Le psychiatre estime que le comportement criminel de M. Nagularajah était attribuable à sa maladie mentale.

[9] Le dossier indique que depuis sa mise en liberté, M. Nagularajah habite avec sa famille et reçoit des soins psychiatriques. Sa famille supervise ses activités très étroitement. Il prend régulièrement les médicaments qui lui ont été prescrits. Il occupe un emploi. Il a respecté toutes les conditions de sa probation, y compris l'exigence de se présenter régulièrement devant un agent de probation. Rien au dossier n'indique qu'il a eu un comportement dangereux depuis qu'il est sous médication.

[10]Le deuxième rapport du psychiatre dit :

[TRADUCTION] Selon mon avis professionnel, Sathiyaseelan est un citoyen très gentil et respectueux des lois dont les comportements inappropriés au bureau d'aide sociale le 25 mars 1996 et à la station-service le 17 mai 1996 étaient dus au trouble psychiatrique qu'il éprouvait à cette époque.

Comme je l'ai dit précédemment, il a fait beaucoup de progrès avec le traitement et les risques de récidive sont inexistants s'il continue à suivre notre traitement. Sathiyaseelan s'est entièrement conformé à notre programme de traitement et je suis convaincu que ses parents et lui veilleront à ce que cela continue.

De nouveau, selon mon avis professionnel, Sathiyaseelan ne présente pas de risque de violence pour le public, sa maladie est entièrement contrôlée par le traitement et, en conséquence, le pronostic est très bon.

[11]La section d'appel a rejeté l'appel et a refusé de surseoir à l'exécution de la mesure d'expulsion. Il est utile de citer la partie des motifs de la décision qui énonce ses conclusions :

[TRADUCTION] La nature des infractions de l'appelant est grave, répétée et violente. L'appelant n'en a aucun souvenir. Il n'a aucune idée réelle de ce qu'il a fait. Il est conscient que c'était à cause de sa maladie qu'il a agi de façon aussi violente à plus d'une reprise. Toutefois, il ne paraît pas avoir fait de liens entre sa maladie et le besoin de la gérer à l'avenir afin de faire face à la possibilité très réelle que sa maladie pourrait donner lieu à d'autres accès de violence. Il ne paraît pas se rendre compte des conséquences de la manière dont il s'est comporté aux occasions précédentes quand il a été violent.

Il accepte de continuer à prendre ses médicaments, mais il est également prouvé que son psychiatre a l'intention de cesser de le voir dans les prochains mois. L'appelant souffre de schizophrénie paranoïde grave avec des périodes de psychose violente. Le tribunal n'est pas convaincu par la preuve présentée, médicale et non médicale, qu'un sursis devrait être accordé à l'appelant. Le tribunal doit tenir compte du risque que représente l'appelant pour la sécurité et le bien-être du public.

L'appelant est très isolé. Il bénéficie du soutien de sa famille, mais il n'a ni ami ni autres soutiens. Il a dit qu'il souhaitait devenir éventuellement indépendant de sa famille. En ce moment, sa famille ne constitue que le tampon entre l'appelant et les autres avec lesquels l'appelant paraît avoir de grandes difficultés à entretenir des rapports.

Le tribunal ignore comme ces facteurs évolueront. Malgré certains éléments de preuve dont dispose le tribunal selon lesquels le risque que l'appelant récidive est réduit, il s'agit d'une prédiction fondée sur de nombreux facteurs qui auraient besoin d'évoluer de façon favorable pour l'appelant afin de contrebalancer le risque pour le public d'accorder un sursis à l'appelant. Ces facteurs comportent notamment le fait de continuer à suivre un traitement et de mieux comprendre sa maladie et les effets qu'elle aura sur le reste de sa vie, ainsi que de développer des soutiens et des ressources autres que ceux offerts par sa famille. Le tribunal n'est pas convaincu que l'appelant ou sa famille en sont conscients.

En outre, la famille n'a pas démontré par le passé qu'elle était très sensible à l'humeur ou à la santé de l'appelant. Ils ne sont jamais rendus compte de la gravité de sa maladie avant ses violents emportements publics. Le tribunal n'est pas certain que la famille de l'appelant peut veiller sur lui indéfiniment. Les risques dans ce scénario sont beaucoup trop nombreux pour qu'un sursis à l'exécution de la mesure d'expulsion soit accordé à l'appelant.

[12]L'avocat de M. Nagularajah soulève quatre arguments. Je les aborderai tour à tour.

Les conclusions de fait

L'avocat de M. Nagularajah soutient que les motifs de la décision de la section d'appel témoignent du fait que celle-ci n'a pas tenu compte de la preuve ou l'a interprétée de façon erronée. Je ne suis pas d'accord. La section d'appel a soigneusement et amplement évalué la nature et la cause du comportement criminel de M. Nagularajah, la façon dont son comportement a été contrôlé après sa mise en liberté, et les différents facteurs qui sont pertinents relativement à l'éventualité du contrôle de son comportement à l'avenir. Toutes les conclusions de fait de la section d'appel sont corroborées par la preuve. L'importance à accorder aux éléments de preuve est une question qui relève de la compétence exclusive de la section d'appel.

La signification des « raisons d'ordre humanitaire »

[13]L'avocat de M. Nagularajah soutient que si l'appel avait été interjeté aux termes de l'alinéa 70(1)b), la section d'appel devrait tenir compte des « circonstances particulières de l'espèce » , qui comprendraient la question de la sécurité publique : Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 1 C.F. 605 (C.A.), Canepa c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 3 C.F. 270 (C.A.). Toutefois, l'appel d'un réfugié au sens de la Convention interjeté aux termes de l'alinéa 70(3)b) est régi par un langage plus restreint ( « raisons d'ordre humanitaire » ), qu'il faut interpréter comme visant seulement les caractéristiques personnels de M. Nagularajah. Cela devrait exclure toute prise en considération de la sécurité publique.

[14]L'avocat du ministre soutient que la phrase « raisons d'ordre humanitaire » est suffisamment large pour viser la sécurité publique. Il se fonde sur l'arrêt Barrera c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] 2 C.F. 3 (C.A.).

[15]Il existe très peu de jurisprudence sur la portée de l'alinéa 70(3)b), et il n'en existe pas en ce qui concerne la différence entre l'alinéa 70(1)b) ( « circonstances particulières de l'espèce » ) et 70(3)b) ( « raisons d'ordre humanitaire » ).

[16]Dans l'arrêt Barrera, la Cour d'appel fédérale a dit que dans un appel interjeté aux termes de l'alinéa 70(3)b) fondé sur des raisons d'ordre humanitaire, la section d'appel peut tenir compte de la gravité des infractions criminelles passées. En fait, on a conclu que la section d'appel avait commis une erreur en ne tenant pas compte d'une telle preuve : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Mansoobi), [1997] A.C.F. no 353 (1re inst.) (Q.L.).

[17]Une preuve d'antécédents criminels serait inutile dans un appel interjeté aux termes de l'alinéa 70(3)b) dans lequel ne serait pas présentée une preuve servant à évaluer la réadaptation et le risque de comportement criminel futur. Par conséquent, une preuve de réadaptation et de perspectives futures doit être pertinente dans un tel appel. Or, il est dénué de sens d'évaluer une telle preuve sans prendre en considération la gravité et l'effet potentiels d'un comportement criminel futur. Pour ce, il faut nécessairement évaluer le risque pour le public. Autrement dit, toute évaluation réaliste des antécédents criminels d'une personne doit tenir compte de la question de savoir comment le risque d'activité criminelle future pourrait avoir des répercussions sur le public. Dans ce sens, l'avocat de M. Nagularajah pose un faux dilemme quand il soutient que les facteurs à prendre en considération dans un appel interjeté aux termes de l'alinéa 70(3)b) doivent se limiter aux caractéristiques personnelles de M. Nagularajah.

[18]Je conclus que quelle que soit la différence entre la phrase « circonstances particulières de l'espèce » et la phrase « raisons d'ordre humanitaire » , elles sont toutes deux suffisamment larges pour inclure la preuve d'antécédents criminels, la réadaptation et les perspectives futures, y compris le risque de danger éventuel pour le public.

[19]Les affaires Barrera et Mansoobi peuvent se distinguer de l'affaire de M. Nagularajah parce que le comportement criminel de ce dernier a été causé par une maladie mentale. Bien que cette distinction puisse rendre M. Nagularajah plus digne de sympathie, elle n'empêche pas de conclure que la section d'appel a le droit de tenir compte de la question de la sécurité publique dans un appel interjeté aux termes de l'alinéa 70(3)b).

Le paragraphe 70(5)

[20]L'avocat de M. Nagularajah soutient que s'il existe une préoccupation relativement à la sécurité publique, la procédure appropriée est que le ministre invoque le paragraphe 70(5), qui prévoit qu'un avis de danger émis par le ministre interdit tout appel devant la section d'appel. Il dit que l'existence de cette procédure étaye l'argument que la section d'appel a outrepassé sa compétence en tenant compte de la question de la sécurité publique.

[21]L'avocat du ministre allègue que le paragraphe 70(5) ne donne aucune indication sur la portée de l'alinéa 70(3)b). Je suis d'accord avec lui.

[22]Le paragraphe 70(5) donne au ministre un outil pour faciliter le renvoi du Canada de personnes considérées dangereuses pour le public. Toutefois, l'existence du paragraphe 70(5) ne signifie pas que la question de la sécurité publique ne peut pas être prise en considération en vertu d'autres dispositions de la Loi sur l'immigration. Après tout, le paragraphe 70(5) a été adopté en 1995, alors que l'alinéa 70(3)b) existait déjà. Il est impossible de penser qu'avant 1995, personne n'avait le droit de prendre en considération la sécurité publique.

La possibilité de présenter une preuve relativement au risque pour le public

[23]Enfin, l'avocat de M. Nagularajah soutient qu'il est injuste que la section d'appel tienne compte de la question de la sécurité publique parce que M. Nagularajah n'a pas eu la possibilité de répondre expressément à une allégation de cette nature, comme il en aurait la possibilité si le ministre avait proposé d'envisager un avis de danger en vertu du paragraphe 70(5).

[24]Cet argument n'est pas fondé. À l'audition devant la section d'appel, M. Nagularajah a eu amplement l'occasion de présenter une preuve relativement à la question du risque pour le public et il en a profité. La transcription de l'audition devant la section d'appel indique que dans l'interrogatoire principal de M. Nagularajah, son propre avocat lui a posé des questions qui avaient pour but de traiter d'événements futurs, y compris de la probabilité qu'il poursuive son traitement médical de façon à réduire le risque de comportement criminel. Des commentaires dans le rapport du psychiatre et une lettre de l'agent de probation M. Nagularajah sont également destinés à traiter de cette question.

Conclusion

[25]Pour ces motifs, je conclus que la section d'appel a le droit de tenir compte de la question de la sécurité publique dans un appel interjeté aux termes de l'alinéa 70(3)b). La demande est rejetée.

Question certifiée

[26]Compte tenu de l'absence de jurisprudence portant sur l'interprétation de l'alinéa 70(3)b), les avocats des deux parties ont convenu que la présente affaire se prête bien à la certification d'une question. Ils ont tous les deux présenté un modèle de question. Je conviens qu'une question devrait être certifiée. La question est la suivante :

La section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a-t-elle outrepassé sa compétence en tenant compte de la sécurité publique dans l'appel d'une mesure d'expulsion interjeté aux termes de l'alinéa 70(3)b) de la Loi sur l'immigration?

                                      « Karen R. Sharlow »     

                                                      Juge         

  

Ottawa (Ontario)

Le 7 juillet 1999.

Traduction certifiée conforme

Martine Brunet, LL.B.


                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

               AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE : IMM-3732-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :SATHIYASEELAN NAGULARAJAH c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :TORONTO

DATE DE L'AUDIENCE :LE 17 JUIN 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MADAME LE JUGE SHARLOW

EN DATE DU : 7 JUILLET 1999

ONT COMPARU:

MICHAEL BATTISTA    POUR LE DEMANDEUR

KEVEN LUNNEY POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

WISEMAN ET ASSOCIÉS     POUR LE DEMANDEUR

Avocats

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR


Sous-procureur général du Canada

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