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Date : 20000811

Dossier : T-1297-00

ENTRE :

              TELUS INTEGRATED COMMUNICATIONS,

                                                                                   demanderesse,

                                                  - et -

                LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

                                                                                          défendeur,

                                                  - et -

                                     BCE NEXXIA INC.,

                                                                                     défenderesse.

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

INTRODUCTION

[1] Dans la présente demande introduite par le Procureur général du Canada, avec l'appui de BCE Nexxia Inc., pour obtenir la radiation de la demande de contrôle judiciaire présentée par Telus Integrated Comunication (Telus), il faut avant tout déterminer si la procédure de révision des marchés publics prévue à la Loi sur le Tribunal


canadien du commerce extérieur (la Loi) constitue un autre recours approprié qui empêche Telus d'aller de l'avant avec sa demande de contrôle judiciaire et son recours provisoire en injonction. Subsidiairement, les défendeurs demandent un sursis du contrôle judiciaire jusqu'à la conclusion de l'enquête menée par le Tribunal canadien du commerce extérieur (TCCE) relative à la plainte de Telus portant sur un marché public.

HISTORIQUE

a)         De l'invitation à soumissionner à l'adjudication du contrat

[2] Au début de 2000, Telus et trois autres sociétés de télécommunications ont déposé des soumissions en réponse à une demande de propositions (la DDP) portant la date du 20 octobre 1999 (numéro d'invitation W-8484-7-AB09/C) publiée par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux du Canada (Travaux publics), à la demande du ministère de la Défense nationale pour le projet de renouvellement des services de télécommunications (le projet).

[3] Le marché public portait sur la fourniture de services de télécommunications pour divers emplacements du ministère de la Défense nationale à travers le Canada pour une période de cinq ans, avec une option permettant de prolonger les services pour deux années additionnelles.


[4]         Le 17 avril 2000, Telus a reçu une demande de clarification de la personne en charge du marché public à Travaux publics. Telus y a répondu le lendemain.

[5]         Travaux publics a jugé que BCE Nexxia Inc. était le soumissionnaire choisi et, le 16 juin 2000, a signé un contrat avec cette société pour la fourniture des services de télécommunications spécifiés dans la DDP.

[6]         Le 19 juin 2000, Travaux publics a informé Telus qu'un contrat pour le projet avait été signé avec BCE Nexxia pour le montant de 87 740 021,40 $. Selon l'affidavit de Daniel Williams, directeur, Comptes clients stratégiques chez Telus, versé au dossier de la présente instance, le montant de la soumission de Telus était de beaucoup inférieur à 87 740 021,40 $.

[7]         Dans son affidavit, M. Williams dit que le 19 juin 2000, Telus a été également informée, pour la première fois, que l'on avait jugé que sa soumission n'était pas conforme parce que, selon l'allégation, elle ne satisfaisait pas à une exigence impérative de la DDP.

b)         La plainte devant le TCCE


[8]         Le 28 juin 2000, en vertu de l'article 30.11 de la Loi, Telus a déposé une plainte devant le TCCE alléguant que Travaux publics a fait défaut d'appliquer les procédures d'évaluation des soumissions prévues à la DDP et a fait défaut d'évaluer la soumission de Telus en fonction des critères d'examen prévus à la DDP. Telus a dit que Travaux publics avait violé l'article 506(6) de l'Accord sur le commerce intérieur (ACI).

[9]         Plus particulièrement, Telus dit dans sa plainte que la procédure d'examen des soumissions prévue à la DDP est une procédure par étapes en vertu de laquelle l'équipe d'examen de Travaux publics ne peut pas passer à l'étape suivante du processus avant que l'étape en cours ne soit complétée. Selon Telus, la deuxième étape du processus est l'étape à laquelle il est déterminé si une soumission satisfait à toutes les exigences, c'est-à-dire si le soumissionnaire est conforme.

[10]       Dans sa plainte devant le TCCE, Telus soutient que la nature des précisions demandées en avril 2000 par Travaux publics concerne l'information fournie dans les aspects financiers de la soumission ce qui signifie que l'équipe d'évaluation de Travaux publics en était à la quatrième étape du processus lorsque [TRADUCTION] « les dispositions financières des seules soumissions conformes seront évaluées » .


[11]       Telus se plaint du fait que si Travaux publics a cru que Telus avait fait des erreurs de calcul dans sa proposition, il aurait dû en informer Telus à la deuxième étape du processus. Plutôt que de suivre la procédure applicable, Telus dit que Travaux publics a dissimulé le fait que sa demande de précisions d'avril avait pour objet de déterminer si elle était non conforme.

[12]       Dans sa plainte du 28 juin 2000, Telus a demandé au TCCE de procéder à un examen de sa plainte suivant la procédure expéditive. Telus a demandé au TCCE qu'il ordonne, en application de la Loi, le report de l'adjudication du contrat et qu'il ordonne l'arrêt, conformément à l'ACI, des travaux à venir en vertu du contrat. Telus demande comme mesure de redressement finale que le TCCE recommande que le contrat que Travaux publics a signé avec BCE Nexxia soit annulé ou qu'il y soit mis fin.

[13]       Le dossier comprend une lettre du secrétaire du TCCE à l'avocat de Telus en date du 19 juillet 2000 indiquant qu'il ne rendrait pas d'ordonnance de report de l'adjudication parce que le contrat pour le projet avait été adjugé à BCE Nexxia Inc. le 16 juin 2000. Le secrétaire du TCCE a avisé Telus que les pouvoirs que lui confère le paragraphe 30.13(3) de la Loi lui permettent seulement d'accorder le report du contrat qui pourrait être adjugé et ne lui permettent pas de reporter l'exécution d'un contrat déjà adjugé.


c)         La demande de contrôle judiciaire

[14]       Le 18 juillet 2000, Telus a déposé devant la présente Cour une demande de contrôle judiciaire. Le demande concerne la décision du ministre des Travaux publics [TRADUCTION] « prise en mai 2000 d'adjuger un contrat à la défenderesse, BCE Nexxia, avant d'aviser la demanderesse [Telus] que sa soumission à l'égard de ... l'invitation ... avait été jugée non conforme à une exigence impérative de l'invitation et, par conséquent, exclue et, de ce fait, la demanderesse a été privée de la possibilité d'obtenir une mesure de redressement du ... TCCE en application de l'ACI » .

[15]       Par sa demande, Telus veut obtenir une déclaration portant que le ministre (a) a outrepassé sa compétence ou a agi sans compétence; (b) n'a pas observé un principe d'équité procédurale; (c) a erré en droit et (d) a agi de façon contraire à la loi lorsqu'il a pris la décision d'adjuger le contrat à BCE Nexxia avant d'aviser Telus qu'à l'égard de la DDP, sa soumission avait été jugée non conforme à une exigence impérative de l'invitation et, par conséquent, exclue et, de ce fait, la demanderesse a été privée de la possibilité d'obtenir une mesure de redressement du TCCE en application de l'ACI.


[16]       Dans sa demande de contrôle judiciaire, Telus demande également une ordonnance [TRADUCTION] « déclarant que ladite décision du ministre ... est nulle et de nul effet et la suspendant jusqu'à ce que le TCCE ait complété l'examen de la plainte déposée par la demanderesse et prononcé sa décision et sa recommandation au ministre ... » . De plus, Telus demande une injonction interlocutoire [TRADUCTION] « interdisant au ministre de donner suite au contrat signé avec la défenderesse BCE Nexxia, ou tout autre entrepreneur, pendant l'instance en contrôle judiciaire, ou jusqu'à ce que le TCCE ait complété son examen de la plainte de Telus ... et prononcé sa décision et sa recommandation au ministre ... » .

[17]       Dans sa demande de contrôle judiciaire, Telus soutient que le ministre a adopté une politique délibérée selon laquelle il n'avise qu'après l'adjudication d'un contrat, un soumissionnaire dont la soumission est rejetée des résultats de l'évaluation. Telus soutient que cette politique a été adoptée pour éviter qu'un soumissionnaire dont la soumission a été rejetée ne puisse contester l'adjudication projetée. Telus ajoute que le TCCE ne semble pas avoir compétence pour ordonner au gouvernement d'arrêter des travaux liés à un contrat qui a déjà été accordé à un autre soumissionnaire et signale qu'en vertu du paragraphe 30.13(3) de la Loi, le TCCE ne peut qu'ordonner à l'institution fédérale de différer l'adjudication d'un contrat spécifique en cause jusqu'à ce qu'il se soit prononcé sur la validité de la plainte lorsque le contrat n'est pas encore accordé.


[18]       Telus dit qu'en bout de ligne le TCCE a la compétence pour recommander, s'il juge la plainte bien fondée, que l'on mette fin à un contrat et qu'un nouveau contrat soit adjugé à un plaignant mais déclare que le TCCE doit tenir compte de toutes les circonstances pertinentes à sa recommandation incluant tout préjudice à d'autres parties.

[19]       Telus conclut que le comportement du ministre, qui a adjugé le contrat à BCE Nexxia avant d'aviser la demanderesse que sa soumission avait été jugée non conforme avait pour but de porter atteinte au droit de la demanderesse protégé par l'ACI et la Loi de chercher à obtenir le report de l'adjudication. Telus ajoute que le comportement du ministre dans les circonstances était contraire à l'obligation du gouvernement en vertu de l'ACI de promouvoir des procédures de marchés publics équitables, ouvertes et impartiales.

LA LÉGISLATION

a)         La Loi

[20]       L'article 30.1 et les articles 30.11 à 30.19 de la Loi régissent l'examen par le TCCE des plaintes de fournisseurs potentiels de biens et services relativement auxquels un ministère ou un département d'État fédéral, ou tout autre organisme désigné, a adjugé ou se propos d'adjuger un contrat.


[21]       Le paragraphe 30.11(1) de la Loi définit la portée d'une plainte qui peut être déposée auprès du TCCE par un fournisseur potentiel. Un fournisseur potentiel peut déposer une plainte « concernant la procédure des marchés publics suivie relativement à un contrat spécifique et lui demander d'enquêter sur cette plainte » .

[22]       Lorsque le Tribunal a décidé d'enquêter sur une plainte concernant un contrat spécifique qui pourrait être adjugé par une institution fédérale, le paragraphe 30.13(3) de la Loi permet au Tribunal d'ordonner à l'institution fédérale de différer l'adjudication du contrat jusqu'à ce qu'il se soit prononcé sur la validité de la plainte.

[23]       Le pouvoir du TCCE de différer l'adjudication est limité par le droit de veto du gouvernement prévu au paragraphe 30.13(4) de la Loi. En vertu de cette disposition, le TCCE doit annuler l'ordonnance si, avant l'expiration du délai prescrit, l'institution fédérale certifie par écrit que l'acquisition de fournitures ou services qui fait l'objet du contrat spécifique est urgente ou qu'un retard pourrait être contraire à l'intérêt public

.

[24]       À la fin de son enquête, le TCCE doit se prononcer sur la validité de la plainte portant sur le contrat spécifique en fonction des critères et procédures établis par règlement (paragraphe 30.14(2)).

[25]       En vertu du paragraphe 30.15(2), le TCCE doit, dans le délai réglementaire suivant le dépôt de la plainte, juger de la plainte et lorsqu'il donne gain de cause au plaignant, « peut recommander que soient prises des mesures correctives, notamment les suivantes :


a)         un nouvel appel d'offre;

b)         la réévaluation des soumissions présentées;

c)         la résiliation du contrat spécifique;

d)         l'attribution d'un contrat spécifique au plaignant;

e)         le versement d'une indemnité, dont il précise le montant, au plaignant » .

[26]       Le paragraphe 30.15(3) prévoit que, dans sa décision, le TCCE doit « tenir compte de tous les facteurs qui interviennent dans le marché de fournitures ou services visé par le contrat spécifique, notamment des suivants :

a)         la gravité des irrégularités qu'il a constatées dans la procédure des marchés publics;

b)         l'ampleur du préjudice causé au plaignant ou à tout autre intéressé;

c)         l'ampleur du préjudice causé à l'intégrité ou à l'efficacité du mécanisme d'adjudication;

d)         la bonne foi des parties;

e)         le degré d'exécution du contrat » .

[27]       En application du paragraphe 30.18(1), lorsque le TCCE fait des recommandations en vertu de l'article 30.15, l'institution fédérale doit, sous réserve du règlement, les mettre en oeuvre « dans toute la mesure du possible » .


b)         Le Règlement

[28]       Le Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics régit les procédures du TCCE dans ce domaine. L'article 12 prescrit le délai à l'intérieur duquel le TCCE communique ses conclusions et ses recommandations. Normalement, le TCCE doit rendre sa décision dans les 90 jours suivant le dépôt de la plainte. Ce délai peut être réduit par le TCCE à 45 jours s'il agrée une demande de procédure expéditive. De plus, le délai peut être prolongé par le TCCE jusqu'à 135 jours après le dépôt de la plainte, sans dépasser ce délai.

ANALYSE

[29]       Le procureur général du Canada, avec l'appui de BCE Nexxia, fonde sa demande pour rejet de la demande de contrôle judiciaire présentée par Telus sur la doctrine de l'autre recours approrié en se fondant principalement sur deux décisions de la Cour suprême du Canada (C.P. Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3 et Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561) et une décision de la Cour d'appel fédérale (Anderson c. Canada, [1997] 1 C.F. 273).


[30]       Dans l'arrêt Harelkin, précité, à la page 587, le juge Beetz s'est penché sur la question de savoir si le droit d'appel de l'appelant au comité du sénat concernant son expulsion à titre d'étudiant de l'université était un autre recours approprié aux ordonnances qu'il cherchait à obtenir dans sa demande de contrôle judiciaire pour l'émission d'un bref de certiorari pour faire annuler la décision portant sur son expulsion. Au nom de la majorité, le juge Beetz a conclu que le droit d'appel de l'appelant lui assurait un recours approprié et a ajouté que ce recours convenait davantage à l'appelant et à l'université, eu égard au coût et à la célérité (à la page 592).

[31]       À la page 588 de l'arrêt, le juge Beetz a énuméré quelques-uns des facteurs dont il fallait tenir compte pour déterminer si le droit de l'appelant d'en appeler au comité du sénat constituait un autre recours approprié et « même un meilleur recours que de s'adresser aux cours par voie de brefs de prérogative » . Il a dit ceci :

... [I]l aurait fallu tenir compte de plusieurs facteurs dont la procédure d'appel, la composition du comité du sénat, ses pouvoirs et la façon dont ils seraient probablement exercés par un organisme qui ne constitue pas une véritable cour d'appel et qui n'est pas tenu d'agir comme si elle en était une, ni n'est susceptible de le faire. D'autres facteurs comprennent le fardeau d'une conclusion antérieure, la célérité et les frais.

[32]       Pour en arriver à sa conclusion, le juge Beetz a indiqué :


a)         Le comité du sénat avait les pouvoirs habituels d'une instance d'appel, y compris le pouvoir d'infirmer la décision du comité du conseil et de rendre, sur le fond même, la décision que le comité du conseil aurait dû rendre, ou de retourner le dossier au comité du conseil pour qu'il tienne une audience conforme. Il a écrit que « [l]e comité du sénat avait donc toute la compétence nécessaire pour donner justice à l'appelant sans réserve » (à la page 590);

b)         Face à la loi, un appel au comité du sénat constituait un procès de novo plutôt qu'un appel « pur et simple » et l'appelant n'aurait pas été confronté à la décision défavorable du comité du conseil (à la page 591);

c)         Toute lacune dans les renseignements techniques au niveau du comité du sénat pourrait être compensée en faisant témoigner des experts (à la page 592).

[33]       Dans l'arrêt C.P. Limitée, précité, la Cour suprême du Canada s'est penchée sur la question de savoir si la procédure de contestation établie par la Bande de Matsqui pour l'examen de l'évaluation foncière de la Bande était un autre recours approprié par rapport au contrôle judiciaire demandé par C.P. Limitée. La Cour suprême du Canada a jugé que tel était le cas.

[34]       À la page 31, le juge en chef Lamer, se fondant sur l'arrêt Harelkin, précité, a dit ceci au sujet des facteurs dont il fallait tenir compte en décidant de la question :

Me fondant sur ce qui précède, je conclus que les cours de justice doivent considérer divers facteurs pour déterminer si elles doivent entreprendre le contrôle judiciaire ou si elles devraient plutôt exiger que le requérant se prévale d'une procédure d'appel prescrite par la loi. Parmi ces facteurs figurent: la commodité de l'autre recours, la nature de l'erreur et la nature de la juridiction d'appel (c.-à-d. sa capacité de mener une enquête, de rendre une décision et d'offrir un redressement). Je ne crois pas qu'il faille limiter la liste des facteurs à prendre en considération, car il appartient aux cours de justice, dans des circonstances particulières, de cerner et de soupeser les facteurs pertinents..


[35]       Le juge en chef Lamer a ajouté qu'en appliquant le principe de l'autre recours approprié, les tribunaux doivent examiner le caractère approprié des procédures de contestation établies et non pas simplement le caractère approprié des tribunaux d'appel en question lorsque certains facteurs pourraient être pertinents, tels que l'expertise des membres, les allégations de partialité ou l'appel à la Section de première instance de la Cour fédérale. Il a dit qu'il faut prendre en considération tous ces facteurs afin d'apprécier globalement le régime législatif en question.

[36]       Le juge en chef a également étudié la question de savoir s'il était déraisonnable pour le juge du procès de conclure que les tribunaux d'appel constitués en vertu de la loi étaient une juridiction plus indiquée pour examiner la question de compétence soulevée par C.P. Limitée. Il a conclu que le juge du procès et la Cour d'appel fédérale s'étaient tous deux posés la mauvaise question. Le bonne question était de savoir si le tribunal d'appel établi en vertu du paragraphe 83(3) de la Loi sur les Indiens constitue une juridiction appropriée pour le règlement, en première instance, de la question de compétence soulevée par la défenderesse. Il a dit que cela ne commande pas nécessairement la conclusion que les tribunaux d'appel représentent une juridiction plus indiquée que les cours de justice (à la page 38).

[37]       Il a conclu en disant à la page 38 :


... une audience devant le tribunal d'appel fournit l'occasion d'une enquête de large portée sur la totalité de la preuve. En outre, pour complexes que puissent être les questions en litige, prétendre ... que les tribunaux d'appel ne sont guère en mesure d'aborder ces questions va à l'encontre de l'intention du législateur, manifestée au par. 83(3) de la Loi. En effet, en exigeant des bandes qu'elles établissent des procédures de contestation tant pour l'aspect classification que pour l'aspect estimation du processus d'évaluation, le législateur a dû juger les tribunaux d'appel aptes à résoudre les questions sur lesquelles ils étaient habilités à statuer. S'il en était autrement, l'obligation de mettre en place des procédures de contestation n'aurait aucun sens.

[38]       Dans l'arrêt Anderson, précité, la question que la Cour d'appel fédérale devait trancher était de savoir si le juge du procès avait raison de refuser de rejeter une demande de contrôle judiciaire au motif qu'il existait un autre recours approprié que M. Anderson avait choisi de ne pas épuiser. La Cour d'appel fédérale a fait droit à l'appel. Le juge Stone a confirmé à nouveau les critères de l'arrêt Harelkin pour décider s'il existe un autre recours approprié et a ajouté qu'afin d'évaluer la pertinence de l'autre recours dans les circonstances, il faut prendre en compte le contexte juridique de l'affaire. Il a alors cité l'article 29 de la Loi sur la défense nationale qui prévoit qu'un officier peut, de droit, demander réparation auprès des autorités compétentes désignées par règlement du gouverneur en conseil.

(2)        Les critères pour rejeter une demande de contrôle judiciaire


[39]       Selon moi, pour radier une demande de contrôle judiciaire, il faut suivre les critères établis par le Cour d'appel fédérale dans l'arrêt David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc. et al., [1995] 1 C.F. 588, une affaire dans laquelle la demanderesse voulait faire radier l'avis de requête introductive d'instance en prohibition. La Cour d'appel fédérale a rejeté l'appel de la décision de la Section de première instance refusant de radier l'avis de requête introductive d'instance.

[40]       Le juge Strayer a dit à la page 600 que la Cour a compétence « pour rejeter sommairement un avis de requête qui est manifestement irrégulier au point de n'avoir aucune chance d'être accueilli » . Il a ajouté que « [c]es cas doivent demeurer très exceptionnels et ne peuvent inclure des situations comme celle dont nous sommes saisis, où la seule question en litige porte simplement sur la pertinence des allégations de l'avis de requête » .

[41]       En ce qui concerne la présente requête en radiation, la question est de savoir si la doctrine de l'autre recours approprié s'applique manifestement au point que la demande de contrôle judiciaire de Telus n'a aucune chance d'être accueillie.

CONCLUSION

(1)        La requête en radiation

[42]       Je ne suis pas convaincu que l'application de la doctrine de l'autre recours approprié est si évidente en l'instance que la demande de contrôle judiciaire de Telus ne sera pas accueillie.


[43]       Je reconnais la pertinence des arguments soumis par le procureur général du Canada ainsi que de ceux soumis par BCE Nexxia : (1) le mandat que le Parlement a donné au TCCE en ce qui concerne la mise en oeuvre des obligations de l'ACI, à titre d'arbitre désigné chargé d'examiner les plaintes concernant les marchés publics des institutions fédérales; (2) les larges pouvoirs du TCCE à l'égard de tous les aspects du processus de marchés publics; (3) l'expertise du TCCE; (4) le délai serré pour rendre une décision; (5) le pouvoir du TCCE de recommander qu'il soit mis fin à un contrat; (6) l'obligation faite à une institution fédérale de mettre en oeuvre les recommandations « dans toute la mesure du possible » , une disposition qui a fait dire à la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Procureur général du Canada c. Syntrom Systems Inc., [1999] 2 C.F. 514, à la page 522, qu'elle vise à faire en sorte que le non-respect des recommandations du TCCE soit embarrassant et peu fréquent.

[44]       Si la demande de contrôle judiciaire de Telus n'était qu'une procédure parallèle à sa plainte devant le TCCE à l'égard de la même décision soulevant des questions de fait qui se recoupent de façon importante, je serais porté à faire droit à la requête en radiation du procureur général. Toutefois, l'avocat de Telus m'a convaincu qu'il est possible de penser qu'il ne s'agit pas de la bonne façon de présenter la demande de contrôle judiciaire de Telus.


[45]       Les faits à l'appui du recours présenté par Telus dans sa demande de contrôle judiciaire ne sont pas orientés sur le bien-fondé de la décision de Travaux publics portant que Telus n'a pas présenté une soumission conforme. Telus reconnaît que cette question est de la compétence du TCCE et qu'il s'agit d'une des raisons pour lesquelles il a déposé une plainte auprès du TCCE.

[46]       Les faits soulevés par la procédure de contrôle judiciaire portent principalement sur le comportement du ministre et la politique que l'on prétendait applicable au moment de la conclusion du contrat avant que l'on informe Telus qu'elle n'était pas conforme, ce qui a eu pour effet de la disqualifier et ainsi porter atteinte à son droit de demander le report de l'adjudication du contrat.


[47]       À mon avis, on peut raisonnablement prétendre que le recours demandé par Telus, au moyen de sa demande de contrôle judiciaire, est de la replacer dans la même situation où elle aurait été n'eût été les actes censément illégaux du ministre fondés sur sa politique, à savoir la possibilité de demander le report de l'adjudication du contrat, un pouvoir que le TCCE prétend ne pas avoir si le contrat a déjà été adjugé. C'est l'objet de la demande d'injonction provisoire et du recours en suspension présentés dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire et c'est la raison pour laquelle ces recours sont intégrés ou joints à ceux du TCCE, c'est-à-dire jusqu'à ce que le TCCE ait complété son enquête et prononcé sa décision. Le TCCE ne peut rien faire de plus en vertu du paragraphe 30.13(1) de la Loi.

(2)        Le sursis

[48]       Dans l'affaire NFC Canada Ltd. c. Canada (Procureur général), [1999] F.C.J. n ° 454, le juge Lutfy faisait face à une situation où une demande de contrôle judiciaire avait été déposée devant la Cour d'appel fédérale à l'encontre d'une décision du TCCE de ne pas mener une enquête relative à une plainte concernant un marché public et une instance de contrôle judiciaire avait été engagée devant la Section de première instance soulevant que Travaux publics avait décidé que la soumission du plaignant n'avait pas satisfait aux exigences financières et ne pouvait par conséquent être reçue.

[49]       Le juge Lutfy a ordonné le sursis du contrôle judiciaire devant la Section de première instance jusqu'à ce que la Cour d'appel fédérale se prononce sur la question qui lui était soumise parce qu'il existait d'importants chevauchements entre les questions de fait, il aurait pu y avoir double emploi de la preuve et possibilité de décisions contradictoires.


[50]       La situation à laquelle faisait face le juge Lutfy était différente de la situation actuellement devant moi. Je n'ai pas à me prononcer sur une situation où le TCCE a rendu une décision et où une procédure de contrôle judiciaire est présentée devant la Cour d'appel fédérale comme l'exige le paragraphe 28(1) de la Loi sur la Cour fédérale. Je fais face à une situation où le TCCE fait présentement enquête sur la plainte et qu'il m'est demandé d'ordonner le sursis de la demande de contrôle judiciaire de Telus jusqu'à ce que le TCCE ait terminé son enquête.

[51]       Prononcer une ordonnance de sursis dans ces circonstances rendrait inopérante et dénuée de sens la demande de contrôle judiciaire de Telus, laquelle, pour les motifs exprimés précédemment, je ne suis pas disposé à radier à ce stade-ci.


DISPOSITIF

[52]       Pour ces motifs, la demande de radiation de la demande de contrôle judiciaire de Telus, ou encore de sursis jusqu'à ce que le TCCE ait conclu son enquête, est rejetée avec dépens fixés à 2 5000 $ payables dès maintenant par le procureur général du Canada.

                                                                                 François Lemieux     

                                                                                                                                                     

                                                                                                J U G E             

OTTAWA (ONTARIO)

11 AOÛT 2000

Traduction certifiée conforme

Daniel Dupras, LL.B.


Date : 20000811

Dossier : T-1297-00

OTTAWA (ONTARIO), LE VENDREDI 11 AOÛT 2000

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

ENTRE :

              TELUS INTEGRATED COMMUNICATIONS,

                                                                                   demanderesse,

                                                  - et -

                LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

                                                                                          défendeur,

                                                  - et -

                                     BCE NEXXIA INC.,

                                                                                     défenderesse.

                                        ORDONNANCE

Pour les motifs exposés, la demande de radiation de la demande de contrôle judiciaire de Telus, ou encore de sursis jusqu'à ce que le TCCE ait conclu son enquête, est rejetée avec dépens fixés à 2 5000 $ payables dès maintenant par le procureur général du Canada.

                                                                                 François Lemieux      

                                                                                                                                                      

                                                                                                J U G E          

Traduction certifiée conforme

Daniel Dupras, LL.B.    


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        T-1297-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :            Telus Integrated Communications c. Le procureur général du Canada et BCE Nexxia Inc.

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE : 8 août 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Le juge Lemieux

EN DATE DU :                                  11 août 2000

ONT COMPARU :

Barbara McIsaac                                   POUR LA DEMANDERESSE

Michel Lapierre

Michael Roach                          POUR LE DÉFENDEUR, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Ronald Lunau

Mary Rose Ebos                                   POUR LA DÉFENDERESSE, BCE NEXXIA INC.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McCarthy Tétrault

Ottawa (Ontario)                                   POUR LA DEMANDERESSE

Morris Rosemberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                                   POUR LE DÉFENDEUR, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Gowling Lafleur Henderson LLP

Ottawa (Ontario)                                   POUR LA DÉFENDERESSE BCE NEXXIA INC.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        T-1297-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :            Telus Integrated Communications c. Le procureur général du Canada et BCE Nexxia Inc.

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE : 8 août 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Le juge Lemieux

EN DATE DU :                                  11 août 2000

ONT COMPARU :

Barbara McIsaac                                   POUR LA DEMANDERESSE

Michel Lapierre

Michael Roach                          POUR LE DÉFENDEUR, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Ronald Lunau

Mary Rose Ebos                                   POUR LA DÉFENDERESSE, BCE NEXXIA INC.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McCarthy Tétrault

Ottawa (Ontario)                                   POUR LA DEMANDERESSE

Morris Rosemberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                                   POUR LE DÉFENDEUR, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Gowling Lafleur Henderson LLP

Ottawa (Ontario)                                   POUR LA DÉFENDERESSE BCE NEXXIA INC.


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