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Date : 20001117

Dossier : T-294-00

Vancouver (Colombie-Britannique), le 17 novembre 2000.

EN PRÉSENCE DE MADAME LA PROTONOTAIRE ARONOVITCH

ENTRE :

PETER DUPLESSIS

demandeur

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

[1]      Le sergent Peter Duplessis souffre du syndrome de stress post-traumatique. Il a intenté la présente action parce qu'il prétend avoir été traité sans égard et arbitrairement par les Forces canadiennes à son retour de différentes affectations de maintien de la paix, dont une affectation récente en Bosnie. Il est revenu au Canada, malade et traumatisé, pour y être accueilli avec indifférence, voire hostilité, plutôt que pour y recevoir l'aide et l'appui dont il avait besoin et que, selon ses prétentions, les Forces étaient tenues de lui fournir.


[2]      La Couronne, représentée par le ministère de la Défense nationale et les Forces, a présenté une requête en vue de faire radier la demande en entier. Elle invoque divers moyens, mais son principal argument porte que la demande de M. Duplessis a pour objet de lui faire obtenir une indemnisation pour les blessures découlant de son syndrome de stress post-traumatique et de son aggravation, blessures pour lesquelles il reçoit déjà une pension, ce qui rend irrecevable toute autre demande de sa part contre la Couronne.

Les faits

[3]      Voici un résumé des faits pertinents tirés de la déclaration du sergent Duplessis. Aux fins de la requête, les faits doivent être tenus pour avérés.

[4]      Le sergent Duplessis a servi dans l'armée canadienne du 27 octobre 1977 au 27 octobre 1997, date à laquelle il a été libéré. Avant sa libération, il a servi dans des missions de maintien de la paix en Croatie et en Bosnie, en 1992, au cours desquelles il a été exposé à des situations traumatisantes dans l'exercice de ses fonctions.


[5]      À son retour de ces missions, le sergent Duplessis a souffert de différents symptômes reliés au stress, notamment d'un sentiment d'isolement, d'anxiété, d'un manque de concentration, d'agressivité, de cauchemars, d'insomnie et de symptômes physiques, dont une perte d'appétit. Certains de ces symptômes ont été notés en partie dans ses rapports d'évaluation pour 1993-1994. Il a demandé de l'aide à plusieurs reprises à ses supérieurs et au personnel médical, mais n'a pas reçu de services de soutien aux victimes de stress, de thérapie, de traitement ni aucune autre forme d'aide.

[6]      De 1995 à 1996, la santé du sergent Duplessis a continué à péricliter et il a persisté à demander une thérapie et un appui médical. Plutôt que de lui permettre d'obtenir de l'aide, ses demandes ont apparemment amené ses supérieurs à adopter une attitude inhospitalière envers lui parce qu'ils le considéraient comme un fauteur de troubles. Le sergent Duplessis affirme que la réaction de ses supérieurs constituait de la discrimination fondée sur son ascendance afro-canadienne et sur la nature psychologique de ses blessures. Le sergent Duplessis a finalement réussi, par ses propres efforts, à se faire traiter par l'intermédiaire d'un travailleur social civil embauché par les Forces. Il a alors été confié aux soins d'un psychiatre militaire. Son traitement s'est toutefois révélé inefficace et ses supérieurs l'ont incité à mettre fin à ses visites à Toronto.

[7]      Le sergent Duplessis a alors décidé de passer outre ses supérieurs immédiats, rompant ainsi la chaîne de commandement. Il a demandé de l'aide directement au commandant de la base, qui l'a dirigé vers un psychologue civil en juillet 1997, puis vers un médecin civil, en septembre 1997 -- quelque cinq ans après la fin de ses missions en Croatie et en Bosnie.


[8]      Le sergent Duplessis soutient qu'en février 1997, ses fonctions et responsabilités ont été modifiées unilatéralement. Il a été rétrogradé et toutes ses fonctions antérieures de supervision lui ont été retirées. Cette décision s'appuyait sur la conclusion qu'il était invalide et inapte à exercer ses fonctions. Le sergent Duplessis fait valoir que cette décision a été prise de mauvaise foi et affirme que les motifs fournis pour sa libération ne constituaient que des prétextes pour se débarrasser de lui. Les Forces l'ont mal évalué et ont décidé irrégulièrement de le libérer des Forces.

[9]      Il a débuté, en août 1997, un congé de maladie qui s'est poursuivi jusqu'à sa libération, en octobre 1997. Pendant son congé de maladie, le sergent Duplessis n'a reçu aucune aide financière, thérapeutique ou médicale de ses officiers supérieurs ni du personnel médical des Forces. Un diagnostic de syndrome de stress post-traumatique a finalement été établi à son égard et on lui a reconnu un droit à pension en vertu de la Loi sur les pensions. Son droit à pension a évalué comme correspondant à une incapacité de 20 p. 100 le 15 octobre 1998, puis rehaussé à 45 p. 100 le 6 décembre 1999, par une décision du Tribunal des anciens combattants (révision et appel).

[10]    Un rapport provisoire préparé par la défenderesse établissait que le traitement offert à ceux qui avaient servi en Croatie entre 1993 et 1995 était [Traduction] « au mieux arbitraire » , « inadéquat » et « honteux » .


[11]    Le sergent Duplessis a présenté une demande contre la Couronne le 17 février 2000. Il a déposé une déclaration modifiée le 11 avril 2000. Le sergent Duplessis réclame des dommages-intérêts de 500 000 $ à la défenderesse en invoquant les moyens suivants :

[Traduction]

(a) négligence pour ne pas s'être acquittée de ses obligations avec compétence;

(b) négligence pour ne pas d'être acquittée de toutes ses obligations légales;

(c) manquement à ses obligations légales;

(d) manquement à son obligation de fiduciaire;

(e) manquement à l'article 7 de la Charte;

(f) manquement à l'article 15 de la Charte.

[12]    Les demandes et certaines allégations spécifiques du sergent Duplessis sont reproduites ci-dessous, telles qu'énoncées aux paragraphes 33 à 37 de la déclaration modifiée du demandeur :

[Traduction]

33.       La défenderesse a manqué à ses obligations de fiduciaire, notamment pour les raisons suivantes :

a)         aucun service de thérapie ni d'aide n'a été mis en place pour aider les soldats comme le sergent Duplessis à s'adapter à leur retour de mission de maintien de la paix en Croatie et en Bosnie et à faire face aux expériences traumatisantes qu'ils ont vécues, alors qu'elle savait ou aurait dû savoir qu'ils avaient besoin de cette aide;

b)         depuis 1993, malgré des demandes répétées, la défenderesse a omis ou refusé de fournir un appui, une thérapie, des services et une aide convenables au sergent Duplessis;

c)         la défenderesse a omis de mettre en oeuvre une politique ou un programme d'aide au sergent Duplessis;

d)         la défenderesse a failli à ses obligations de loyauté et de bonne foi envers le sergent Duplessis et n'a pas empêché qu'il subisse de la discrimination fondée sur la race;

e)         la défenderesse a laissé ses propres intérêts entrer en conflit avec son obligation de fiduciaire envers le sergent Duplessis et l'emporter sur celle-ci.

34.       La défenderesse, par l'entremise des ses employés, préposés ou mandataires, dont le major Wayville, le capitaine Vermeech, l'adjudant Butler, l'adjudant Morgan, l'adjudant Behrsin, le capitaine Roy et le major Goddam, a fait preuve de négligence, manqué à ses obligations légales, manqué à ses obligations de fiduciaire et manqué à ses obligations prévues par la Charte envers le sergent Duplessis, notamment pour les raisons suivantes :

(a)        elle ne s'est pas acquittée de ses obligations de veiller à ce qu'il ne soit pas porté atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne du sergent Duplessis garanti par l'article 7 de la Charte des droits et libertés;

(b)       elle ne s'est pas acquitté de ses obligations de veiller à ce qu'il ne soit pas porté atteinte au droit à la même protection et au même bénéfice de la loi dusergent Duplessis, indépendamment de toute discrimination fondée sur la race ou sur une déficience mentale, garanti par le paragraphe 15(1) de la Charte;

(c)        elle n'a pas guidé convenablement l'état-major militaire responsable envers le sergent Duplessis;

(d)       elle a mal évalué les problèmes de comportement du sergent Duplessis et ne lui a pas offert de services d'appui et de thérapie en temps opportun malgré les demandes répétées de sa part décrites plus haut;

(e)        elle n'a pas réagi convenablement et sans tarder aux préoccupations du sergent Duplessis concernant ses droits et obligations;

(f)        elle n'a pas veillé à ce que les ORR et les OAFC applicables soient mis en oeuvre pour la libération du sergent Duplessis.

35.       La défenderesse, par son inaction, continue de manquer à toutes ses obligations envers le sergent Duplessis.

Les dommages et pertes subis par le demandeur

36.       En raison de la négligence et des manquements aux obligations légales, de fiduciaire et prévues par la Charte envers le sergent Duplessis de la part de la défenderesse et de ses employés, préposés et mandataires ou à la suite de certains ou de la totalité de ces manquements de la part de la défenderesse, de ses employés, préposés et mandataires, le sergent Duplessis n'a pas reçu de thérapie, de services de soutien aux victimes de stress ni d'aide psychologique, il a subi de la discrimination raciale et il a perdu à tort son statut d'employé et son rang au sein des Forces canadiennes. Il a subi et continue de subir des pertes et des dommages en conséquences, dont toutes les caractéristiques ne sont pas encore connues avec certitude.

37.       Le sergent Duplessis a droit à des dommages-intérêts punitifs, majorés et exemplaires en raison de la conduite intentionnelle, fautive et tyrannique de la défenderesse.


La requête en radiation fondée sur la règle 221

[13]    La Couronne a présenté une requête en radiation fondée sur les alinéas a), b), c) et f) du paragraphe 221(1) des Règles de la Cour fédérale (1998), que voici :

221. (1) On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it            

  

(a) discloses no reasonable cause of action or defence, as the case may be,

(b) is immaterial or redundant,

221. (1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d'un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas :

a) qu'il ne révèle aucune cause d'action ou de défense valable;

b) qu'il n'est pas pertinent ou qu'il est redondant;

(c) is scandalous, frivolous or vexatious,

[...]

(f) is otherwise an abuse of the process of the Court,

and may order the action be dismissed or judgment entered accordingly.

(2) No evidence shall be heard on a motion for an order under paragraph (1)(a).

c) qu'il est scandaleux, frivole ou vexatoire;

[...]

f) qu'il constitue autrement un abus de procédure.

Elle peut aussi ordonner que l'action soit rejetée ou qu'un jugement soit enregistré en conséquence.

(2) Aucune preuve n'est admissible dans le cadre d'une requête invoquant le motif visé à l'alinéa (1)a).


[14]    Le critère et les principes applicables à la radiation d'un acte de procédure en vertu de l'alinéa 221(1)a) sont bien établis et les parties s'entendent sur ce point. Le critère auquel il faut satisfaire est exigeant. Pour avoir gain de cause, la Couronne doit démontrer que la demande dont elle souhaite la radiation n'a aucune chance d'être accueillie. Une demande ne peut être radiée en vertu de l'alinéa 221(1)a) que dans les cas où il est évident et manifeste, au-delà de tout doute, qu'elle est vouée à l'échec : Hunt c. Carey Can. Inc., [1990] 2 R.C.S. 959; Operation Dismantle Inc. c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441.

[15]    Dans le contexte d'une requête en radiation, il faut interpréter la déclaration généreusement et l'expression « cause d'action valable » de façon que le simple « germe » ou la simple « trace » d'une cause d'action suffise pour permettre à la demande de suivre son cours: Perera c. Canada, [1997] A.C.F. no 199 (1re inst.); Operation Dismantle Inc. c. La Reine, [1983] 1 C.F. 745 (C.A.).

[16]    La partie à une action ne doit pas être privée de l'occasion de faire valoir sa demande simplement parce que celle-ci est inédite, les questions en litige complexes ou les arguments très longs et moins susceptibles d'être retenus que ceux de la partie opposée. En effet, le demandeur attire mon attention sur le fait que la Cour a rejeté une requête en radiation en présence d'une question de droit sérieuse ou de questions mixtes de fait et de droit défendables qu'il vaut mieux faire trancher par le juge qui préside l'instruction : Vulcan Equipment Co. Ltd. c. The Coats Co., Inc., [1982] 2 C.F. 77; VISX Inc. c. Nidek Co., (1998) 82 C.P.R. (3d) 289.


[17]    Quant aux autres moyens invoqués par la Couronne, la norme applicable ne diffère pas de celle appliquée pour radier un acte de procédure qui ne révèle aucune cause d'action. Pour avoir gain de cause, la partie qui demande la radiation doit démontrer que l'acte de procédure est non pertinent, frivole ou constitue un abus de procédure au point d'être manifestement futile et de n'avoir aucune chance d'être accueilli : Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., (1999) 172 F.T.R. 81.

La règle 221 : la présentation d'une preuve

[18]    La défenderesse souhaite présenter, dans le cadre de la présente requête, une preuve par affidavit consistant en deux décisions concernant la pension du sergent Duplessis : la décision du ministère des Anciens combattants rendue le 15 octobre 1998, ainsi que la décision du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) rendue le 6 décembre 1999. Le demandeur s'y oppose en affirmant que le paragraphe 221(2) interdit la présentation de cette preuve. Comme je l'ai déjà mentionné, pour trancher une requête en vertu de l'alinéa 221(1)a), il faut tenir pour acquis que les faits invoqués dans la déclaration sont établis et le paragraphe 221(2) interdit expressément la présentation d'une preuve par affidavit dans le cadre d'une requête en radiation fondée sur l'absence de cause d'action.

[19]    Bien que cette règle ait été interprétée et appliquée strictement, elle a été modifiée dans une certaine mesure dans le cas d'une requête en radiation fondée sur l'absence prétendue de compétence, la Cour devant alors disposer des « faits attributifs de compétence » sur lesquels fonder sa décision : MIL Davie Inc. c. Hibernia Management and Development Co. (1998) 226 N.R. 369 (C.A.F. no 614).


[20]    La défenderesse soutient notamment que la Cour n'a pas compétence pour entendre la demande du sergent Duplessis parce que l'action est irrecevable par application de l'article 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C-50 et de l'article 111 de la Loi sur les pensions, L.R.C. (1985), ch. P-6. Dans les circonstances, la défenderesse peut déposer une preuve touchant cette question et j'ai donc tenu compte de ces deux décisions concernant la pension dans le contexte de mes remarques sur l'application des causes légales d'irrecevabilité invoquées par la Couronne.

Les questions en litige

[21]    Voici, reproduits intégralement, les moyens invoqués par la Couronne à l'appui de sa requête en radiation :

[Traduction]

           Le sergent Duplessis reçoit une pension relativement à son syndrome de stress post-traumatique; par conséquent, l'action est irrecevable par application de l'article 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif et de l'article 111 de la Loi sur les pensions.

        Les faits allégués ne peuvent étayer la demande du sergent Duplessis fondée sur un manquement à l'article 7 de la Charte des droits et libertés (la Charte) ou sur un manquement à des obligations de fiduciaire.

        L'action a été intentée après l'expiration du délai de prescription de six mois fixé par le paragraphe 269(1) de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. (1985), ch. N-5, art. 269.


[22]    Dans ses remarques introductives et aux fins de la requête, la Couronne a laissé tomber son argument fondé sur la prescription. Il faut aussi noter que, dans le cadre de la présente requête, la défenderesse ne conteste pas la prétention du demandeur fondée sur l'article 15 de la Charte, sauf pour affirmer que la demande du sergent Duplessis est irrecevable parce qu'il reçoit une pension.

[23]    J'examinerai les moyens de radiation invoqués par la Couronne dans l'ordre inverse, en commençant par le manquement à une obligation de fiduciaire.

La demande fondée sur une obligation de fiduciaire de la Couronne

[24]    Le droit en matière d'obligations de fiduciaire n'est pas établi de façon définitive et de nouveaux rapports de fiduciaire continuent d'émerger. L'arrêt Guerin c. Canada [1984] 2 R.C.S. 335 fait partie des décisions clefs en matière d'obligations de fiduciaire.

On dit parfois que la nature des rapports fiduciaires est établie et définie complètement pas les catégories habituelles de mandataire, de fiduciaire, d'associé, d'administrateur, etc. Je ne partage pas cet avis. L'obligation de fiduciaire découle de la nature du rapport et non pas de la catégorie spécifique dont relève l'acteur. Comme en matière de négligence, il faut se garder de conclure que les catégories de fiduciaires sont exhaustives. Voir, par exemple, les arrêts Laskin v. Bache & Co. Inc. (1971), 23 D.L.R. (3d) 385 (C.A. Ont.), à la p. 392: Goldex Mines Ltd. v. Revill (1974), 7 O.R. 216 (C.A. Ont.), à la p. 224 [non souligné dans l'original]

[25]    Dans Guerin, la Cour suprême a souligné que les obligations de fiduciaire prennent habituellement naissance dans le contexte du droit privé, mais elle a conclu qu'il existait, dans cette affaire, un rapport sui generis en raison duquel la Couronne avait des obligations de fiduciaire.                                                                 


Il nous faut remarquer que, de façon générale, il n'existe d'obligations de fiduciaire que dans le cas d'obligations prenant naissance dans un contexte de droit privé. Les obligations de droit public dont l'acquittement nécessite l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire ne créent normalement aucun rapport fiduciaire. Comme il se dégage d'ailleurs des décisions portant sur les « fiducies politiques » , on ne prête pas généralement à Sa Majesté la qualité de fiduciaire lorsque celle-ci exerce ses fonctions législatives ou administratives. Cependant, ce n'est pas parce que c'est à Sa Majesté qu'incombe l'obligation d'agir pour le compte des Indiens que cette obligation échappe à la portée du principe fiduciaire. Comme nous l'avons souligné plus haut, le droit des Indiens sur leurs terres a une existence juridique indépendante. Il ne doit son existence ni au pouvoir législatif ni au pouvoir exécutif. L'obligation de Sa Majesté envers les Indiens en ce qui concerne ce droit n'est donc pas une obligation de droit public. Bien qu'il ne s'agisse pas non plus d'une obligation de droit privé au sens strict, elle tient néanmoins de la nature d'une obligation de droit privé. En conséquence, on peut à bon droit, dans le contexte de ce rapport sui generis, considérer Sa Majesté comme un fiduciaire. [à la p. 385]

[26]    La Cour suprême a ensuite tracé des balises générales pour déterminer si une obligation de fiduciaire pouvait être décelée dans un nouveau domaine. Dans l'arrêt Lac Minerals Ltd. c. Int. Corona Resources Ltd. [1989] 2 R.C.S. 574, à la page 645, la Cour a suivi la décision rendue par le juge Wilson dans l'affaire Frame c. Smith [1987] 2 R.C.S. 99 (suivie également dans British Columbia Native Women's Society c. Canada, [2000] 1 C.F. 304 (1re inst.)) :

Le juge Wilson a eu l'occasion d'étudier l'extension de l'obligation fiduciaire à de nouvelles catégories de rapports dans l'arrêt Frame c. Smith, précité. Elle a conclu, à la p. 136 que:

.. . . des caractéristiques communes ressortent des contextes dans lesquels on a établi l'existence de devoirs fiduciaires et celles-ci constituent un guide sommaire et existant pour déterminer si l'imposition d'une obligation fiduciaire à l'égard d'un nouveau rapport est approprié et compatible avec ce qui existe. Les rapports dans lesquels une obligation fiduciaire a été imposée semblent posséder trois caractéristiques générales:

(1) le fiduciaire peut exercer un certain pouvoir discrétionnaire.

(2) le fiduciaire peut unilatéralement exercer ce pouvoir discrétionnaire de manière à avoir un effet sur les intérêts juridiques ou pratiques du bénéficiaire.

(3) le bénéficiaire est particulièrement vulnérable ou à la merci du fiduciaire qui détient le pouvoir discrétionnaire. [non souligné dans l'original]

[27]    En l'espèce, le demandeur affirme que la défenderesse, par l'entremise de ses mandataires et employés, a une obligation de fiduciaire envers le demandeur et qu'elle a manqué à cette obligation tant par ses actes que par ses omissions, en ne lui fournissant pas des services de thérapie et un soutien adéquats et en permettant qu'il soit victime de discrimination raciale et traité de façon tyrannique par ses supérieurs.


[28]    La défenderesse soutient qu'aucun rapport de « force et de dépendance » , constaté dans les affaires en matière d'emploi, n'existait entre le demandeur et la Couronne. L'armée s'est dotée d'une procédure complète pour l'examen des griefs qui permet à chacun de ses membres de faire trancher des questions, notamment s'il « s'estime lésé d'une manière ou d'une autre » : Loi sur la défense nationale, art. 29. La Couronne fait valoir que le demandeur ne peut donc s'appuyer sur aucun des trois éléments du critère établi dans Frame c. Smith. La vie militaire est régie strictement par des procédures administratives. Les ordres et décisions ne sont pas laissés à la fantaisie des officiers et il existe une procédure d'examen des griefs établie qui permet de résoudre le différend.

[29]    Le demandeur répond que l'armée a une marge de manoeuvre unique pour exercer son pouvoir compte tenu de l'obligation d'obéissance qu'ont les soldats. Elle a le pouvoir d'accorder ou de ne pas accorder d'aide. C'est dans le contexte du traitement qu'il qualifie d'arbitraire que les officiers supérieurs du sergent Duplessis auraient pris des décision concernant différentes questions qui ont nettement touché ses intérêts. Quant à la vulnérabilité particulière du soldat, le demandeur plaide qu'elle ressort manifestement des faits mêmes de la cause du sergent Duplessis.


[30]    La jurisprudence établit nettement que les catégories donnant naissance à une obligation de fiduciaire demeurent ouvertes. Des termes tels « pouvoir » et « particulièrement vulnérable » donnent matière à interprétation et n'ont pas été examinés par la jurisprudence dans le contexte du rapport entre le soldat et le ministère de la Défense nationale. Aucune jurisprudence n'a été invoquée dans laquelle un tribunal aurait examiné ces termes dans le contexte du service dans l'armée ou qui empêcherait la Cour de conclure que le rapport entre le soldat et la Couronne peut constituer un rapport unique au sens de l'arrêt Guerin. La défenderesse pourrait faire valoir un argument plus solide sur ce point, mais cet élément n'est pas concluant.

[31]    Compte tenu des faits allégués et de la possibilité que de nouveaux rapports de fiduciaire émergent, je ne puis conclure qu'il est clair et évident que la demande du sergent Duplessis est vouée à l'échec. L'affaire soulève une question de droit sérieuse et il vaut mieux laisser le juge qui présidera l'instruction se prononcer sur le fond de cette question.

[32]    Cela dit, il reste une question relative à la demande qui devra être tranchée plus tard, soit celle de savoir si le demandeur a déjà été indemnisé pour le préjudice subi en raison du présumé manquement à une obligation de fiduciaire.

La demande fondée sur l'article 7 de la Charte


[33]    L'argument de la Couronne comporte deux volets, qui se chevauchent dans une certaine mesure. Le premier porte que le demandeur n'a pas invoqué de fait suffisants pour étayer une demande fondée sur l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte). Le deuxième porte que l'article 7 reçoit une interprétation stricte selon laquelle il s'applique uniquement dans les situations où l'atteinte portée aux droits du demandeur se produit dans le contexte de l'administration de la justice. Comme la demande du sergent Duplessis ne se situe pas dans le contexte de l'administration de la justice, elle doit échouer.

[34]    Avant de traiter des arguments de la défenderesse, j'examinerai brièvement l'article 7 de la Charte et l'interprétation que lui ont donnée les tribunaux.

[35]    L'article 7 de la Charte dispose :

Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

[36]    La Cour suprême du Canada a adopté un processus en deux étapes pour l'application de cette disposition. Dans l'arrêt R. c. Beare [1988] 2 R.C.S. 387, le juge La Forest a affirmé ce qui suit, au nom de la Cour à l'unanimité, à la page 401 :

L'article 7 de la Charte

L'analyse de l'art. 7 de la Charte se fait en deux temps. Pour que l'article puisse entrer en jeu, il faut constater d'abord qu'il a été porté atteinte au droit « à la vie, à la liberté et à la sécurité [d'une] personne et, en second lieu, que cette atteinte est contraire aux principes de justice fondamentale. Comme d'autres dispositions de la Charte, l'art. 7 doit être interprété en fonction des intérêts qu'il est censé protéger. Il doit recevoir une interprétation généreuse, mais il est important de ne pas outrepasser le but réel du droit en question; voir R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, à la p. 344.

Cette approche a été suivie dans Pearlman c. Comité judiciaire de la Société du Barreau du Manitoba, [1991] 2 R.C.S. 869 et, plus récemment, dans Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] A.C.S. 44.


[37]    En ce qui a trait à la portée du droit à la « sécurité de la personne » , la jurisprudence établit que l'article 7 englobe tant l'intégrité physique que l'intégrité mentale : Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 519, à la page 588.

... Il n'y a donc aucun doute que la notion de sécurité de la personne comprend l'autonomie personnelle, du moins en ce qui concerne le droit de faire des choix concernant sa propre personne, le contrôle sur sa propre intégrité physique et mentale, et la dignité humaine fondamentale, tout au moins l'absence de prohibitions pénales qui y fassent obstacle.

[38]    Dans l'arrêt Nouveau-Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. G. (J.), [1999] 3 R.C.S. 46, le juge en chef Lamer a étoffé, au nom de la Cour, la notion de l'intégrité psychologique de la personne. Voici ce qu'il a dit :

Tracer les limites de la protection de l'intégrité psychologique de l'individu contre l'ingérence de l'État n'est pas une science exacte. Le juge en chef Dickson dans l'arrêt Morgentaler, précité, à la p. 56, explique que la sécurité de la personne serait restreinte par une « tension psychologique grave causée par l'État » (je souligne). Le juge en chef Dickson tentait d'exprimer en termes qualitatifs le type d'ingérence de l'État susceptible de constituer une atteinte à ce droit.

Pour qu'une restriction de la sécurité de la personne soit établie, il faut donc que l'acte de l'État faisant l'objet de la contestation ait des répercussions graves et profondes sur l'intégrité psychologique d'une personne. On doit procéder à l'évaluation objective des répercussions de l'ingérence de l'État, en particulier de son incidence sur l'intégrité psychologique d'une personne ayant une sensibilité raisonnable. Il n'est pas nécessaire que l'ingérence de l'État ait entraîné un choc nerveux ou un trouble psychiatrique, mais ses répercussions doivent être plus importantes qu'une tension ou une angoisse ordinaires. [non souligné dans l'original]

Je ne doute aucunement que le retrait de la garde par l'État conformément à la compétence parens patriae de celui-ci ne porte gravement atteinte à l'intégrité psychologique du parent. Nouveau-Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. G. (J.).


[39]    Les tribunaux canadiens ont effectivement tendance à restreindre l'applicabilité de l'article 7 de la Charte aux situations dans lesquelles la « vie, la liberté et la sécurité de la personne » d'un individu sont atteintes par un contact direct avec la justice et son administration. Dans l'affaire Rodriguez, précitée, le juge Sopinka a précisé, au nom de la majorité, l'interaction avec le système de justice qui peut suffire pour faire entrer en jeu la protection prévue par l'article 7 de la Charte. Voici ce qu'il a dit, à la page 584 :

... Je ne peux non plus accepter l'argument selon lequel l'appelante ne peut se prévaloir de l'art. 7 parce qu'elle n'est pas aux prises avec le système de justice criminelle, et qu'elle ne le sera vraisemblablement jamais.On a soutenu que les commentaires apportés dans l'arrêt R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30, et le Renvoi relatif à l'art. 193 et à l'al. 195.1(1)c) du Code criminel (Man.), [1990] 1 R.C.S. 1123, sur la notion de sécurité de la personne ne s'appliquent pas en l'espèce et que l'appelante ne peut en aucune façon demander la protection de l'art. 7 puisque cet article vise plutôt les rapports entre l'individu et le système judiciaire. À mon avis, le fait que ce soit l'interdiction prévue à l'al. 241b) qui prive l'appelante de la capacité de mettre fin à sa vie au moment où elle ne sera plus en mesure de le faire sans assistance crée un rapport suffisant avec le système de justice pour faire jouer les dispositions de l'art. 7, à supposer qu'un droit à la sécurité soit par ailleurs en cause. [non souligné dans l'original]

[40]    L'avocat du demandeur reconnaît, aux fins de la requête, que l'atteinte portée aux droits du demandeur garantis par l'article 7 n'est pas reliée à son interaction avec le système de justice ou son administration. Le demandeur soutient cependant que cet élément n'est pas fatal, car la jurisprudence évolue, et il invoque les arrêts Rodriguez et Kipling sur ce point.

[41]    Devant la Cour martiale permanente de l'ex-sergent Kipling, dont le manquement au commandement a donné lieu à de sévères mesures disciplinaires, le juge militaire en chef a conclu que le programme de vaccination obligatoire contrevenait à l'article 7 de la Charte, car il portait atteinte au droit de l'accusé à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne. À la page 2 du procès-verbal des séances de la Cour martiale permanente :

[Traduction] La vaccination non consensuelle sous la menace de mesures disciplinaires constitue une atteinte à l'intégrité physique et à l'autonomie personnelle d'une personne. [non souligné dans l'original]

[42]    Le demandeur souligne que la question dont la Cour était saisie dans l'affaire Kipling était l'application de l'article 7 relativement à une loi positive qui imposait la vaccination obligatoire et ne touchait pas l'interaction de l'accusé avec le système de justice.

[43]    Sur ce point, le demandeur invoque aussi la décision Jane Doe v. Board of Commissioners of Police for the Municipality of Metropolitan Toronto, 74 O.R. (2d) 225 (C. div.). Dans cette affaire, la demanderesse avait été victime d'un viol par le « violeur des balcons » qui avait violé d'autres victimes dans le même secteur. Le demanderesse a poursuivi la police de la communauté urbaine de Toronto pour obtenir des dommages-intérêts parce que les policiers avaient omis d'aviser les femmes du risque qu'elles couraient d'être attaquées et avaient porté atteinte aux droits que lui garantissaient les articles 7 et 15 de la Charte. La Cour a rendu un jugement favorable à la demanderesse et lui a accordé des dommages-intérêts pour l'atteinte portée à ses droits protégés par la Charte. Le juge Moldaver a statué, à la page 234 de la décision :

[Traduction] La demanderesse soutient avoir été privée de son droit à la sécurité de sa personne. Les défendeurs ont choisi, ou du moins adopté une politique qui donnait préséance à la capture du criminel plutôt qu'à la protection de la demanderesse en sa qualité de membre du groupe cible du violeur. En utilisant Mme Doe comme « appât » , à son insu et sans son consentement, les policiers lui ont sciemment fait courir un risque pour la sécurité de sa personne. Cette attitude découlait de la même croyance fondée sur un stéréotype et, partant, discriminatoire, déjà mentionnée.


Selon la demanderesse, celle-ci aurait été privée de son droit à la sécurité de sa personne autrement qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale. Même si ces principes doivent recevoir une interprétation large et généreuse, plus particulièrement dans le domaine de l'application de la loi, on ne peut affirmer qu'ils englobent un pouvoir discrétionnaire exercé de façon arbitraire ou pour des motifs illégitimes. Voir R. c. Beare; R. c. Higgins, [1988] 2 R.C.S. 387, 36 C.R.R. 90, 45 C.C.C. (3d) 57, 66 C.R. (3d) 97, 55 D.L.R. (4th) 481, 88 N.R. 205, 71 Sask. R. 1, [1989] 1 W.W.R. 97. [non souligné dans l'original]

En conséquence, la demanderesse affirme qu'il a été porté atteinte à ses droits garantis par l'article 7 de la Charte. Selon moi, je le répète, les actes de procédure étayent une telle atteinte.

[44]    L'avocat du sergent Duplessis souligne que, dans l'affaire Jane Doe, il n'existait aucune interaction, directe ou non, entre la demanderesse et le système de justice ou son administration, car aucune instance civile ou criminelle n'était en cours. L'action ou l'omission reprochée découlait plutôt de l'application d'une politique par les policiers. L'avocat du sergent Duplessis met l'accent sur le fait que le tribunal, dans l'affaire Jane Doe, a conclu que la demanderesse avait été privée de son droit à la sécurité de sa personne au mépris des principes de justice fondamentale, les policiers ayant exercé leur pouvoir discrétionnaire de façon arbitraire ou pour des motifs illégitimes.

[45]    Je suis d'accord avec la défenderesse pour dire que la jurisprudence exige que les prétendues limites aux droits à la liberté et à la sécurité de la personne résultent des actes de l'État ou de l'interaction entre la personne et le système de justice. La Cour suprême l'a confirmé dans l'arrêt Nouveau-Brunswick, prononcé après la décision Jane Doe. Elle l'a confirmé à nouveau récemment dans l'affaire Blencoe. Le juge Bastarache, s'exprimant au nom de tous les membres de la Cour, a dit, à la page 33 du jugement :

Dans l'affaire Rodriguez, notre Cour n'a sûrement pas éliminé la nécessité d'établir l'existence d'un lien entre le préjudice reproché et l'acte de l'État.


[46]    Cela dit, il ne fait aucun doute que la jurisprudence sur l'article 7 de la Charte évolue. Je suis d'accord avec le demandeur pour dire que les droits protégés par l'article 7 connaissent une expansion croissante. Ainsi, les tribunaux n'exigent plus une interaction directe avec le système de justice criminelle, mais incluent désormais les instances civiles et, récemment, dans l'affaire Blencoe, la Cour suprême a jugé que la commission des droits de la personne de la Colombie-Britannique, qui tient son pouvoir du gouvernement, administre un programme gouvernemental qui doit être conforme à la Charte. La Cour suprême a aussi élargi graduellement la portée de la notion de « sécurité de la personne » et continue de la définir (voir, par exemple, les propos concernant la protection de la « dignité » dans l'arrêt Blencoe).

[47]    Autre élément important, les droits protégés par l'article 7 sont liés au contexte et une demande ne doit pas être rejetée à moins qu'elle se situe clairement et sans conteste au-delà des contextes qui pourraient être reconnus. Le juge L'Heureux-Dubé souligne l'importance du contexte à la page 322 de l'arrêt R. c. Généreux, [1992] 1 R.C.S. 259.

... Le contexte a été particulièrement utile pour déterminer la portée des « principes de justice fondamentale » aux fins de l'art. 7. (Outre les motifs du juge Cory dans l'affaire Wholesale Travel, voir également Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2 R.C.S. 486, à la p. 513 (le juge Lamer), Kindler c. Canada (Ministre de la Justice), [1991] 2 R.C.S. 779, aux pp. 848 à 850 (le juge McLachlin), et mes motifs de dissidence dans l'arrêt R. c. Seaboyer, [1991] 2 R.C.S. 577, à la p. 647.) Comme le juge Wilson l'a souligné, un droit ou une liberté peuvent avoir une signification différente dans des circonstances différentes. Ignorer ces circonstances au niveau du droit substantif ou de la liberté reviendrait à se priver d'une mine de renseignements à une étape critique de l'analyse.


[48]    Le sergent Duplessis a notamment allégué que le refus de lui fournir de l'aide pour le traumatisme qu'il avait subi comme membre des forces de maintien de la paix a eu des répercussions graves et profondes sur son intégrité psychologique. La défenderesse, qui avait l'obligation positive de l'aider, a manqué à son obligation et a de ce fait agi pour des motifs illégitimes. Il a été reconnu qu'il avait été traité de façon honteuse, attentatoire, selon le sergent Duplessis, à ses droits et aux principes de justice naturelle. Les actes ou surtout les omissions des Forces, dans ce contexte et dans la situation alléguée, peuvent-ils lui être reprochés pour avoir porté atteinte au droit du demandeur à la liberté et à la sécurité de sa personne? Compte tenu l'état de la jurisprudence, cette thèse est défendable et le résultat de l'affaire n'est pas évident et hors de tout doute, contrairement aux prétentions de la défenderesse.

[49]    Compte tenu des allégations du demandeur et bien que certains éléments du critère applicable n'aient pas été établis clairement ou de façon traditionnelle, je ne puis conclure que la demande échouera inexorablement. De plus, il vaut mieux que la question de la portée et de l'application de l'article 7 de la Charte dans ces circonstances soit tranchée par la Cour sur le fond, en tenant compte de l'ensemble du contexte factuel.

L'irrecevabilité fondée sur la pension

[50]    La défenderesse fait valoir que, par application de l'article 111 de la Loi sur les pensions, aucune demande ne peut être présentée contre la Couronne dans les cas où le demandeur a obtenu une pension relativement à la même blessure ou à son aggravation.                                                                                           


111. No action or other proceeding lies against Her Majesty or against any officer, servant or agent of Her Majesty in respect of any injury or disease or aggravation thereof resulting in disability or death in any case where a pension is or may be awarded under this Act or any other Act in respect of the disability or death.

[non souligné dans l'original]

111. Nulle action ou autre procédure n'est recevable contre Sa Majesté ni contre un fonctionnaire, préposé ou mandataire de Sa Majesté relativement à une blessure ou une maladie ou à son aggravation ayant entraîné une invalidité ou le décès dans tous cas où une pension est ou peut être accordée en vertu de la présente loi ou de toute autre loi, relativement à cette invalidité ou à ce décès.

[non souligné dans l'original]

[51]    De plus, la défenderesse soutient que l'article 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif rend aussi la présente action irrecevable.

9. No proceedings lie against the Crown or a servant of the Crown in respect of a claim if a pension or compensation has been paid or is payable out of the Consolidated Revenue Fund or out of any funds administered by an agency of the Crown in respect of the death, injury, damage or loss in respect of which the claim is made.

9. Ni l'État ni ses préposés ne sont susceptibles de poursuites pour toute perte -- notamment décès, blessures ou dommages -- ouvrant droit au paiement d'une pension ou indemnité sur le Trésor ou sur des fonds gérés par un organisme mandataire de l'État.

[52]    La Couronne fait valoir que, compte tenu de ces dispositions législatives, la demande du demandeur est redondante, ne révèle aucune cause d'action valable et échappe à la compétence de la Cour.


[53]    La défenderesse explique que l'objet des articles 111 de la Loi sur les pensions et 9 de la Loi sur la responsabilité civile de la Couronne et le contentieux administratif consiste à empêcher que la Couronne paie deux fois pour la même blessure. La Couronne s'appuie sur plusieurs causes dans lesquelles il a été statué que les articles 111 et 9 empêchaient le personnel militaire d'intenter des actions en dommages-intérêts pour des blessures et leur aggravation relativement auxquelles ils reçoivent ou ont le droit de recevoir une pension : Arsenault c. Canada (1995), 104 F.T.R. 28; O'Connor c. Canada (1995), 94 F.T.R. 93; Dufour v. Textron Inc. [1993] O.J. no 1738.

[54]    Selon les prétentions de la défenderesse, les mots « pour » et « relativement à » figurant dans les articles 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif et 111 de la Loi sur les pensions doivent recevoir l'interprétation la plus large possible : Langille c. Canada (C.A.F.), [1992] 2 C.F. 208; R. c. Nowegijick, [1983] 1 R.C.S. 29. Selon une interprétation large, ces termes signifient notamment « ayant un lien avec » , de sorte que toutes les demandes du demandeur découlant de son trouble et de son aggravation sont entièrement exclues.

[55]    La Couronne soutient que la déclaration ne fait que répéter les arguments et blessures visées et compensées par la pension d'invalidité du demandeur. À cet égard, la défenderesse s'appuie sur les deux décisions concernant la pension qui traitent des symptômes précis du syndrome de stress post-traumatique visé par la demande d'indemnisation énoncée dans la demande, dont les symptômes suivants :

[Traduction]

1)         dépression;

2)         problèmes de concentration, de mémoire et d'aptitude à prendre des décisions;

3)         incapacité fonctionnelle dans sa vie professionnelle, dans sa vie familiale et dans ses relations inter personnelles;

4)         comportement dysfonctionnel et incapacité d'accomplir ses tâches habituelles;

5)         pensées suicidaires et meurtrières;

6)         dysphorie, sentiment excessif de culpabilité, idées suicidaires, insomnie, perte d'intérêt et rendement médiocre au travail, retard psychomoteur, anxiété psychologique, perte d'appétit, hypochondrie, détresse, pessimisme, désespoir et indécision.


[56]    Le rapport psychiatrique présenté par le Homewood Health Center au Tribunal des anciens combattants fait état de certaines des expériences vécues par le demandeur après son retour de Croatie, à la page 3 de la décision de 1999 :

[Traduction] Au moment où mon patient externe a été évalué et s'est présenté à plusieurs rendez-vous, il était clair que le sergent Duplessis était assez dysfonctionnel et incapable d'accomplir ses tâches habituelles au sein des Forces. Il semble qu'il ait alors été identifié comme un fardeau pour l'administration et son contrat n'a pas été renouvelé. Il semble malheureux que les Forces canadiennes aient décidé de se départir des servicesprécieux d'un soldat ayant presque vingt ans d'expérience.

... un homme ayant subi un traumatisme important qui a reçu un traitement de différentes sources qui l'ont aidé de leur mieux compte tenu de l'état de M. Duplessis. Toutefois, en raison du caractère unique du déploiement militaire et des expériences de service dans les forces, M. Duplessis a continué à se battre avec un déploiement important et grave - réaction psychologique connexe.

[57]    Le demandeur soutient que les articles 111 de la Loi sur les pensions et 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif ne rendent pas irrecevable l'action du demandeur car ses demandes ne sont pas reliées à son trouble, mais plutôt aux pertes qu'il a subies en raison de l'atteinte aux droits que lui garantit la Charte, et notamment à la perte de son emploi et de sa carrière et au défaut des Forces de lui fournir un appui, des soins et un traitement.


[58]    J'examinerai trois questions soulevées par les dispositions législatives susmentionnées et les arguments des parties. Premièrement, ces causes légales d'irrecevabilité peuvent-elles être interprétées comme une limite aux droits garantis par la Charte? Deuxièmement, le champ d'application de ces causes légales d'irrecevabilité en ce qui concerne d'autres demandes. Troisièmement, la blessure alléguée dans la présente action est-elle une blessure pour laquelle le demandeur a obtenu une pension?

i) L'interaction entre la Charte et les causes légales d'irrecevabilité des actions

[59]    La première question oblige la Cour à se demander si la prétention du demandeur fondée sur la Charte est irrecevable par application des dispositions législatives susmentionnées, qui restreignent à première vue les causes d'action possibles contre la Couronne.

[60]    Dans l'affaire Prete v. Canada,110 D.L.R. (4th) 94 (C.A. Ont.), la Cour devait trancher une demande fondée notamment sur la Charte dans une situation où la demande semblait prescrite par application de la Loi sur les instances introduites contre la Couronne, L.R.O. 1990, ch.P.27., qui fixait un délai de prescription de 6 mois pour poursuivre la Couronne du provinciale. La Cour s'est appuyée sur l'arrêt Nelles c. Ontario (1989), 60 D.L.R. (4th) 609 (C.S.C.), de la Cour suprême du Canada pour conclure qu'une loi provinciale ne pouvait avoir pour effet de faire échec à un droit constitutionnel consacré par la Charte.

[Traduction] Les motifs du juge Lamer, à eux seuls, sont très convaincants pour ce qui est d'établir qu'un texte législatif ne peut faire obstacle à un droit constitutionnel. L'alinéa 32(1)b) de la Charte prévoit que la Charte s'applique à la législature et au gouvernement de chaque province. La disposition de la Charte qui permet d'obtenir réparation serait neutralisée si le gouvernement provincial, qui est l'une des autorités mêmes que la Charte a pour objet de contrôler, pouvait se déclarer à l'abri de son application.


Par conséquent, le par. 5(6) de la Loi sur les instances introduites contre la Couronne doit être interprété comme limité aux causes d'action permises contre la Couronne en vertu du par. 5(1) de cette Loi et ne peut porter atteinte à une réparation prévue par le par. 24(1) de la Charte. [à la page 100].

[61]    Toutefois, dans l'arrêt Budge v. Calgary (City) [1991] A.J. no 72, 77 D.L.R. (4th) 361 (C.A. Alb.), la cour d'appel de l'Alberta a nuancé cette opinion. Dans l'affaire Budge, la loi intitulée Workers' Compensation Act prévoyait un régime d'indemnisation légal qui remplaçait la responsabilité en common law et restreignait ainsi l'accès aux tribunaux. Après avoir été indemnisé dans une certaine mesure en vertu de la loi relativement à une blessure, le demandeur a voulu poursuivre la ville de Calgary en dommages-intérêts relativement à la même blessure, en soutenant que la clause limitative édictée dans la Workers' Compensation Act contrevenait à la Charte. La Cour d'appel a conclu que la Charte ne protégeait pas les droits économiques et l'accès aux tribunaux dans le but de faire valoir ces droits économiques. Par conséquent, la Workers' Compensation Act ne contrevenait pas à la Charte. Parallèlement, la Cour d'appel a conclu en affirmant, à la page 10 :

[Traduction] L'énoncé qui précède doit être interprété en fonction du contexte. Il concerne une loi qui a remplacé la responsabilité en common law par un régime spécial d'indemnisation qui s'apparente à l'assurance. Il n'exclut donc pas tout recours. Il ne pardonne pas ni ne légalise la conduite délictuelle, encore moins la conduite délibérée. Dans une affaire différente comportant des faits différents à l'extérieur de ce contexte, des considérations différentes relatives à la Charte pourraient s'appliquer. Je ne suis toutefois pas tenu de me demander s'il en est ainsi en l'espèce. Quoi qu'il en soit, aucun argument n'a été invoqué selon lequel le droit de la responsabilité délictuelle en général est protégé par l'art. 7 de la Charte. [non souligné dans l'original]


[62]    Il est utile d'établir une distinction entre les attaques fondées sur la Charte dans les arrêts Budge et Prete. Dans l'affaire Prete, le demandeur sollicitait des dommages-intérêts en vertu de l'art. 24 à la suite d'une prétendue poursuite abusive qui avait porté atteinte aux droits que lui garantissait la Charte. La demande elle-même était fondée sur une contravention à la Charte et sur la loi limitative destinée à faire échec au recours. Cependant, dans l'affaire Budge, le demandeur soutenait que c'était le fait qu'il avait perdu l'accès au tribunal pour faire valoir sa demande qui portait atteinte aux droits que lui garantissait la Charte. En l'espèce, la prétention du demandeur qu'il a été porté atteinte à ses droits garantis par la Charte s'appuie sur la conduite de ses supérieurs. Il ne fonde pas sa demande simplement sur un aspect inconstitutionnel de la Loi sur les pensions ou de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif. La demande du sergent Duplessis s'apparente donc davantage à l'affaire Prete qu'à l'affaire Budge.

[63]    Par ailleurs, l'arrêt Budge dit clairement que les régimes d'indemnisation, comme celui qui s'adresse aux accidentés du travail, ne font pas obstacle à tout recours. L'enclenchement de l'irrecevabilité d'origine législative dépend des faits de l'espèce et de la nature de la demande fondée sur la Charte, de sorte que le demandeur peut plaider, dans la présente instance, l'inviolabilité des demandes particulières fondées sur la Charte qu'il entend faire valoir. Il n'est donc pas évident et manifeste que les causes légales d'irrecevabilité invoquées par la Couronne restreindront nécessairement l'accès du sergent Duplessis à une réparation pour les atteintes alléguées aux droits que la Charte lui garantit.

ii) L'interprétation des articles 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif et 111 de la Loi sur les pensions


[64]    La deuxième question commande une certaine analyse de l'approche qu'il convient d'adopter pour appliquer les articles 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif et 111 de la Loi sur les pensions.

[65]    L'article 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif a été examiné dans la décision Aussant c. Canada [2000] A.C.F. no 600 (1re inst.). Dans cette décision, le juge Dawson, s'appuyant sur le raisonnement du juge Lutfy (tel était alors son titre) dans la décision McLean c. Canada, (1999) 164 F.T.R. 208 (1re inst.), a statué que l'article 9 pouvait raisonnablement être interprété comme limité aux actions fondées sur la responsabilité délictuelle, par opposition aux autres actions, et notamment aux actions fondées sur la responsabilité contractuelle. Pour cette raison, il ne convient sûrement pas de radier la demande du demandeur en entier par application de l'article 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif.

[66]    Quant à l'article 111 de la Loi sur les pensions, la défenderesse prétend que cette disposition n'est pas limitée comme l'article 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif et peut être invoqué pour exclure les autres causes d'action telles que le manquement à une obligation légale et le manquement à une obligation de fiduciaire.


[67]    La question préliminaire qui doit être tranchée consiste à déterminer si la demande du demandeur concerne la blessure pour laquelle une pension lui a été ou peut lui être accordée en vertu de la Loi sur les pensions.

[68]    Le demandeur ne prétend pas être devenu invalide en raison de la conduite de la défenderesse. Le Sergent Duplessis soutient avoir subi des pertes qui dépassent l'indemnisation qu'il reçoit sous forme de pension. Il a été humilié, victime de discrimination, isolé, étiqueté comme un fauteur de trouble, poussé à rompre la chaîne de commandement et libéré irrégulièrement. Les manquements commis par la Couronne du fait qu'elle n'a pas fourni l'appui nécessaire au sergent Duplessis ont, selon lui, eu des conséquences distinctes de son trouble, c'est-à-dire qu'ils lui ont causé les conséquences suivantes : isolement ou stigmatisation, souffrances morales, humiliation et perte de sa dignité.

[69]    À titre préliminaire, la Couronne ne prétend pas que le sergent Duplessis a subi une blessure séparée ni une série de blessures relativement auxquelles une indemnisation lui est payable au sens de l'article 111 de la Loi sur les pensions, ce qui exclurait toute autre demande de dommages-intérêts. L'argument de la Couronne, tel que je le comprends, porte que les blessures, que le demandeur impute à la façon dont il a été traité à tort, sont reliées à l'aggravation de son syndrome ou que leurs symptômes en sont indiscernables.


[70]    Bien que les blessures du demandeur soient semblable quant à leur nature psychologique et affective, il allègue qu'elles sont distinctes, qu'elles n'ont aucun lien avec son trouble et qu'elles découlent uniquement de la conduite de ses supérieurs. Dans les circonstances, il ne convient pas d'évaluer dans le cadre de la présente requête le caractère distinct, le cas échéant, des blessures que le sergent Duplessis dit attribuables à la façon dont il a été traité. Quant à l'attribution d'une pension que la défenderesse invoque, elle n'est ni complète ni concluante sur ce point. Je refuse donc de réunir les demandes du sergent Duplessis comme constituant simplement l'aggravation de son syndrome de stress post-traumatique.

[71]       En l'absence de preuve plus claire que le droit à pension devait viser et vise effectivement les blessures qui fondent la présente demande, et que ces blessures sont en fait reliées à l'aggravation de son syndrome ou en sont indiscernables, je ne peux conclure qu'il est évident et manifeste que le demandeur s'est déjà vu attribuer une pension relativement aux blessures invoquées. Cette conclusion s'applique également à l'article 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, sur laquelle la Couronne se fonde pour dire que le recours en responsabilité délictuelle exercé par le sergent Duplessis est irrecevable.


[72]       J'ajouterais qu'une preuve plus complète de la nature et de l'étendue des blessures invoquées ou de leur rapport avec le trouble du demandeur ne peut pas être produite et ne doit pas être appréciée dans le cadre d'une requête en radiation. Cette question exige à tout le moins des plaidoiries écrites et des enquêtes préalables complètes. Je partage l'opinion de la défenderesse que le sergent Duplessis invoque des blessures qu'il aurait subies et qui peuvent être présumées, mais qui n'ont pas été plaidées explicitement dans la déclaration. Dans la mesure où la Couronne estime que les faits plaidés sont insuffisants relativement aux blessures pour lui permettre de plaider en réponse, la défenderesse peut d'abord demander des précisions.

[73]       Pour les motifs qui précèdent, je rejetterai la requête de la défenderesse dans une ordonnance distincte qui sera prononcée aujourd'hui.


Les dépens

[74]       Le demandeur demande les dépens sur la base avocat-client, payables immédiatement. Selon moi, rien ne justifie que les dépens soient ainsi adjugés dans les circonstances.

      « Roza Aronovitch »

Protonotaire

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

          AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            T-294-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :             Peter Duplessis c. Sa Majesté la Reine

                                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                 le 29 juin 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LA PROTONOTAIRE ROZA ARONOVITCH

EN DATE DU :                                     17 novembre 2000

ONT COMPARU :

Me B.A. McIsaac, c.r. et Me K. Klein                 POUR LE DEMANDEUR

Me Catherine Moore et Me M. Roach    POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McCarthy Tétrault

Ottawa (Ontario)                        POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg

Ottawa (Ontario)                        POUR LA DÉFENDERESSE

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