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Date : 20011003

Dossier : T-1170-00

                                                                                                        Référence neutre : 2001 CFPI 1083

ENTRE :

                                                               THOMAS C. CAHILL

                                                                                                                                                      demandeur

                                                                                   et

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                                   défenderesse

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE ARONOVITCH

Aperçu

[1]                 M. Cahill, qui est un fonctionnaire fédéral, a engagé une action en responsabilité civile délictuelle contre son employeur, représenté par Sa Majesté La Reine du chef du Canada.


[2]                 Sa Majesté a répondu au moyen de la présente requête visant à faire radier la déclaration du demandeur en raison de l'absence de compétence de la Cour et de l'absence de cause d'action. Essentiellement, Sa Majesté fait valoir que la Cour n'a pas compétence pour statuer sur la réclamation du demandeur, parce que celui-ci est partie à une convention collective qui prévoit une procédure d'arbitrage et de règlement des griefs, laquelle procédure constitue, dans les circonstances, le seul recours dont il dispose à l'encontre de son employeur et l'empêche d'engager une action devant la Cour fédérale.

[3]                 Le sort de ce genre d'affaire repose strictement sur les faits. À cet égard et aux fins de la demande de radiation fondée sur l'absence de cause d'action valable, je dois tenir pour avérées les affirmations du demandeur. J'ai résumé ci-dessous les principaux faits que le demandeur allègue dans sa déclaration.

Les faits

[4]                 Le demandeur a commencé à travailler pour le Service correctionnel du Canada (SCC) en décembre 1983 et a obtenu le statut d'employé nommé pour une période indéterminée en janvier 1993 à titre d'agent de libération conditionnelle du pénitencier de Kingston. En novembre 1996, le demandeur travaillait pour le SCC à l'établissement de Bath, situé à Bath (Ontario), à titre de chef du développement social.


[5]                 Le 13 décembre 1997, le demandeur a invoqué la partie II du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2 (Santé et sécurité au travail) en raison de l'existence de ce qu'il considérait comme un milieu de travail dangereux. Il soutient que, par suite de cet événement, le directeur Stevenson, qui était le directeur de l'établissement de Bath, lui a dit qu'il mènerait une enquête au sujet des mesures que le demandeur a prises lorsqu'il a invoqué les dispositions du Code canadien du travail concernant la santé et la sécurité au travail. Bien que l'enquête ait été ordonnée, elle n'a jamais eu lieu.

[6]                 Au début de mai 1998, le demandeur a été avisé qu'il faisait l'objet d'une enquête en raison du comportement violent qu'il a affiché à l'endroit des détenus et du personnel par suite d'un incident survenu en avril de cette même année. Par suite de l'enquête, le demandeur s'est vu infliger une sanction correspondant à la perte de cinq jours de salaire. Le demandeur a déposé un grief à l'encontre de cette sanction. Le grief a été porté devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP), qui a conclu que M. Cahill devrait obtenir le remboursement de la sanction pécuniaire qui lui a été infligée et qu'il devrait plutôt être réprimandé par écrit. Le demandeur soutient que, même si elle lui a infligé une sanction disciplinaire, la CRTFP a mis en doute la façon dont la direction avait traité le différend.

[7]                 Après s'être vu infliger la sanction initiale, le demandeur a déposé une plainte comportant six accusations de harcèlement à l'encontre du directeur Stevenson. Par suite d'une enquête indépendante, deux accusations de harcèlement ont été jugées bien fondées et une a été tenue en suspens jusqu'à la décision de la CRTFP au sujet du grief susmentionné. Le demandeur a reçu une lettre d'excuses de M. Ross Toller, sous-commissaire adjoint du SCC pour la région de l'Ontario.


[8]                 Vers le 7 juillet 1998, le demandeur a pris connaissance de remarques injustifiées et humiliantes qui ont été formulées à son sujet dans un document d'intérêt professionnel. Le demandeur a déposé un grief formel et une enquête a été ouverte. Même si l'enquête n'a pas permis d'identifier de façon concluante l'auteur des commentaires en question, le directeur Stevenson a écrit une lettre d'excuses adressée au demandeur au nom de l'établissement de Bath. Au cours de cette période, le demandeur soutient avoir demandé de l'aide et des conseils de la direction au sujet des interactions qu'il avait avec ses subalternes. Il allègue qu'aucune aide de cette nature ne lui a été offerte et qu'il a été laissé à lui-même dans le milieu de travail empoisonné qui, selon lui, a été créé par la défenderesse.

[9]                 En février 1999, le demandeur a appris que le directeur Stevenson retournerait à l'établissement de Bath à compter du 1er avril suivant. Le demandeur affirme que c'est en raison du retour imminent du directeur Stevenson qu'il a présenté une demande de réinstallation. Il a ajouté à cet égard que son épouse s'était trouvé un emploi à Ottawa. M. Cahill allègue qu'après l'approbation de sa demande de réinstallation, des représentants du SCC lui ont promis qu'il aurait de l'aide pour obtenir un poste à l'administration centrale du SCC à Ottawa. À la date du dépôt de son action, il n'avait reçu aucune aide en ce sens.


[10]            Un autre incident est survenu pendant que M. Cahill travaillait à l'établissement de Bath. Le 18 mai 1999, trois membres de la haute direction de cet établissement ont déposé trois plaintes de harcèlement contre le demandeur, parce que celui-ci les aurait menacés. Le 7 juin 1999, le demandeur a été suspendu avec traitement pendant la durée de l'enquête concernant la plainte de harcèlement.

[11]            Le 30 juillet 1999, un enquêteur indépendant a conclu que le demandeur était coupable de harcèlement relativement à l'incident reproché. Une suspension de trois jours sans traitement a été infligée au demandeur, qui a déposé un grief à l'égard de cette sanction. Selon M. Cahill, le SCC a admis le bien-fondé du grief à l'audition de l'affaire devant la CRTFP. La sanction pécuniaire a donc été annulée et aucune mention de cet incident ne figure dans le dossier du demandeur.

[12]            Si j'ai bien compris la déclaration, M. Cahill soutient qu'il n'a d'autre choix que de demander une réaffectation à l'extérieur de l'établissement de Bath et que ce fait ainsi que sa « suspension » pendant l'enquête ont mis en péril sa carrière, ont nui à sa santé et à sa réputation et lui ont fait perdre des revenus et des avantages.

[13]            S'il est incapable de retourner au SCC, le demandeur subira selon lui une perte de prestations de retraite qui pourrait dépasser une somme de 250 000 $, compte tenu du régime de retraite applicable aux employés du SCC seulement. M. Cahill évalue à un montant d'environ 30 000 $ la perte de gains et d'avantages qu'il a subie au cours de son congé sans solde à Ottawa (événement dont les faits importants ne sont pas allégués dans la déclaration). De plus, il évalue à un montant de 5 000 $ la rémunération des heures supplémentaires qu'il a perdue pendant qu'il était en congé sans solde.


[14]            En conséquence, le demandeur cherche essentiellement à obtenir les réparations suivantes :

[traduction] - une déclaration portant qu'il a perdu son poste de chef du développement social à l'établissement de Bath par suite d'un congédiement déguisé;

- une ordonnance enjoignant au Service correctionnel du Canada de le nommer immédiatement à un poste à l'administration centrale, à Ottawa...;

- une conclusion portant que le Service correctionnel du Canada a toléré la conduite négligente et malveillante de ses mandataires à l'endroit du demandeur et y a acquiescé en raison de son inaction;

- une conclusion portant que le Service correctionnel du Canada et ses mandataires ont infligé intentionnellement un choc nerveux au demandeur;

- une conclusion portant que le Service correctionnel du Canada et ses mandataires ont exercé leurs pouvoirs et utilisé les procédures de façon injustifiée et malveillante afin de harceler le demandeur;

- une conclusion portant que le Service correctionnel du Canada et ses mandataires se sont comportés d'une façon extrême et malveillante à l'endroit du demandeur au cours d'une période de deux ans et que cette conduite a rendu le demandeur malade.

Le demandeur cherche également à obtenir des dommages-intérêts selon les montants susmentionnés ainsi qu'une somme de 10 000 $ au titre des souffrances et douleurs et une somme de 100 000 $ au titre des dommages-intérêts exemplaires.

Les motifs de la requête et le critère applicable


[15]            La défenderesse cherche à faire radier la déclaration du demandeur conformément aux alinéas a), c) et f) de la règle 221 des Règles de la Cour fédérale (1998) (les règles) au motif qu'elle ne fait état d'aucune cause d'action valable et que l'action est frivole et vexatoire et constitue autrement un abus de procédure. Dans sa requête, la défenderesse soutient principalement que la Cour fédérale n'a pas compétence pour statuer sur l'objet de la réclamation. Elle ajoute que l'allégation de congédiement déguisé de M. Cahill n'ouvre pas droit à un recours sous forme d'action civile et que les allégations d'infliction négligente de choc nerveux et de perte de réputation dont le demandeur aurait été victime ne peuvent être retenues sur la foi des faits invoqués. De plus, Sa Majesté souligne que M. Cahill a déjà déposé un grief à l'égard de certains aspects de la réclamation et tente de remettre en litige des questions qui ont déjà été tranchées ailleurs, ce qui donne lieu à une multiplicité d'instances, et, de ce fait, à un emploi abusif des procédures.

[16]            Le critère applicable à une requête en radiation fondée sur l'absence de cause d'action valable est désormais bien reconnu en droit : il doit être clair et évident que la réclamation est dénuée de cause d'action valable. Pour radier la déclaration, la Cour doit être convaincue que l'action ne peut être accueillie. Pour les raisons indiquées ci-après, j'estime que tel est le cas et je ferai droit à la requête de Sa Majesté.

Analyse


[17]            L'argument de Sa Majesté au sujet de la compétence peut être résumé comme suit : la Cour ne peut statuer sur l'action du demandeur, qui relève exclusivement de la procédure d'arbitrage et de règlement des griefs énoncée dans une convention collective applicable et régie par les dispositions de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (LRTFP). (Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929 (Weber); St. Anne Nackawic Pulp & Paper Co. c. SCTP, [1986] 1 R.C.S. 704 (St. Anne Nackawic)). Dans ces deux derniers jugements, la Cour suprême du Canada prône l'application d'un critère fondé sur la « compétence exclusive » qui est décrit comme suit à la page 959 de l'arrêt Weber, précité :

Ce modèle ne ferme pas la porte à toutes les actions en justice mettant en cause l'employeur et l'employé. Seuls les litiges qui résultent expressément ou implicitement de la convention collective échappent aux tribunaux.

Plus précisément, Sa Majesté invoque une jurisprudence abondante dans laquelle le critère a été appliqué aux fonctionnaires fédéraux syndiqués dans le contexte de la LRTFP (Johnson-Paquette c. Canada (1998), 159 F.T.R. 42 (Johnson-Paquette), décision confirmée dans [2000] A.C.F. 441 (C.A.), et Jadwani c. Attorney General of Canada et al (2000), 47 O.R. (3d) 276 (J.C.S.) (Jadwani), décision confirmée dans (2001), 520 R. (3d) 660 (C.A.)).

[18]            À titre de question préliminaire, le demandeur s'oppose au dépôt de l'affidavit de M. Louis Germain au nom de Sa Majesté, au motif que cet affidavit renvoie à des renseignements tirés du dossier d'emploi de M. Cahill, y compris des renseignements que l'employeur s'était apparemment engagé à supprimer de ce dossier.


[19]            Bien que le demandeur n'invoque pas cette règle au soutien de son objection, le paragraphe 221(2) des règles interdit effectivement la présentation d'éléments de preuve dans une requête en radiation fondée sur l'absence de cause d'action. Aucune interdiction n'existe dans le cas des requêtes fondées sur les autres motifs énumérés au paragraphe 221(1) des règles. L'interdiction ne s'applique pas non plus lorsque l'auteur de la requête, comme c'est le cas en l'espèce, conteste la compétence de la Cour. (Mil Davie Inc. c. Société d'exploitation et de développement Hibernia Ltée (1998), 226 N.R. 369 (C.A.))

[20]            Même si la jurisprudence relative à l'application du critère de la compétence exclusive porte sur la compétence dont la Cour est investie pour instruire des actions civiles distinctes, ce n'est pas la compétence de la Cour au sens strict qui est contestée le plus souvent; la réalité, c'est qu'une cour de justice refusera de statuer sur des questions qui constituent essentiellement des conflits de travail et dont le règlement a déjà été prévu dans le régime de négociation collective auquel les parties sont liées de part et d'autre.

[21]            Cela étant dit, dans l'arrêt Johnson-Paquette, précité, Madame le juge Tremblay-Lamer a appliqué l'arrêt Weber, susmentionné, afin d'interdire l'instruction d'une action civile qu'une fonctionnaire fédérale avait engagée contre son employeur et a conclu que, dans les circonstances, le paragraphe 17(1) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, s'appliquait de façon à interdire l'action. La Cour d'appel fédérale a affirmé la conclusion comme suit à la page 4 de son jugement :

En vertu du paragraphe 17(1) de la Loi sur la Cour fédérale, la Section de première instance de la Cour a compétence dans les cas de demande de réparation contre la Couronne « [s]auf disposition contraire de la présente loi ou de toute autre loi » . À mon avis, le juge des requêtes a à bon droit conclu dans la présente affaire que la LRTFP prévoit le contraire.


[22]            Je suis donc convaincue que l'affidavit de la défenderesse, qui concerne des faits relatifs à la compétence, est admissible dans les circonstances. M. Cahill a sans doute eu la possibilité de procéder à un contre-interrogatoire au sujet de l'affidavit et de demander la radiation des parties de celui-ci qui, selon lui, sont inappropriées. D'après ce que j'ai pu comprendre, il ne l'a pas fait. Effectivement, j'ai lu l'affidavit, notamment les parties qui concernent les dispositions de la convention collective applicables et les différents griefs que le demandeur a déposés.

[23]            Selon les faits mis en preuve à cet égard, M. Cahill était assujetti, tout au long de l'emploi qu'il a exercé au SCC, à une convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et l'Alliance de la fonction publique Canada.

[24]            La convention collective renvoie à la procédure d'arbitrage et de règlement des griefs en application de la LRTFP et est mise en oeuvre au moyen de cette procédure. L'article 18 de la convention collective du demandeur ainsi que le paragraphe 91(1) de la LRTFP prévoient une procédure de règlement des griefs. L'article 92 de la LRTFP prévoit l'arbitrage d'une grande catégorie de griefs que l'employé a portés jusqu'au dernier palier de la procédure applicable « sans avoir obtenu satisfaction » . À moins que le grief ne puisse être renvoyé à l'arbitrage, la LRTFP prévoit que la décision prise au dernier palier de la procédure est finale, sous réserve du droit du demandeur de demander le contrôle judiciaire de la décision en vertu de la Loi sur la Cour fédérale. De la même façon, la décision de l'arbitre peut faire l'objet d'un contrôle judiciaire par la Cour.


[25]            L'article 18 de la convention collective que j'ai mentionné plus haut est rédigé de façon très large et permet à un salarié qui estime avoir été traité de façon injuste ou avoir été lésé par [traduction] « une action ou inaction de l'employeur » de déposer un grief qui sera examiné conformément à la convention collective et aux dispositions susmentionnées de la LRTFP.

[26]            Dans le passé, la Cour fédérale a statué que la LRTFP est un code complet régissant les relations de travail entre Sa Majesté et ses employés, sous réserve du contrôle judiciaire. (Johnson-Paquette c. Canada, précité; Townsend c. Canada (1994), 74 F.T.R. 21; Panagopoulos c. Canada, [1990] A.C.F. no 234 (C.F. 1re inst.).

[27]            La décision plus récente du juge Tremblay-Lamer est directement applicable dans les circonstances de la présente affaire. Dans l'arrêt Johnson-Paquette, le juge Tremblay-Lamer a radié la déclaration dans laquelle une fonctionnaire fédérale avait reproché à son employeur d'avoir fait montre de négligence en raison de l'omission des gestionnaires supérieurs de celui-ci d'examiner en bonne et due forme les plaintes d'agression sexuelle qu'elle avait déposées. La demanderesse, qui était assujettie à une convention collective, avait déposé un grief au sujet de la conduite de l'employeur et l'avait porté jusqu'au dernier palier de la procédure, où il a été rejeté. Par la suite, elle a engagé une action en responsabilité civile délictuelle contre Sa Majesté.


[28]            Examinant la nature essentielle de la réclamation, le juge Tremblay-Lamer a conclu que la négligence reprochée à l'employeur pouvait faire l'objet d'un grief. La Cour en est arrivée à cette conclusion en raison des dispositions de la convention collective qui permettaient à un employé lésé de contester « les actions ou l'inaction » de l'employeur selon des termes identiques à ceux qui figurent dans la convention collective de M. Cahill.

[29]            Le juge Tremblay-Lamer a appliqué l'arrêt Weber, précité, pour radier l'action de la demanderesse et a formulé les remarques suivantes aux pages 16 et 17 de ses motifs :

Dans le cas où la convention collective investit l'arbitre de la compétence exclusive pour résoudre les différends et où la loi ne prévoit expressément aucune autre juridiction, la Cour suprême pose, par l'arrêt Weber c. Ontario Hydro, que l'arbitre a compétence à l'exclusion des tribunaux judiciaires, sous réserve seulement de contrôle judiciaire.

. . .

En l'espèce, la demanderesse n'a pas épuisé la procédure de grief prévue par la Loi ni le recours en contrôle judiciaire subséquent. Ce qu'elle essaie de faire, c'est d'attaquer en contrôle judiciaire la décision de l'agent des griefs par voie d'action en dommages-intérêts pour délit civil, ce qu'elle ne peut pas faire.

[30]            Nous avons examiné quelques-unes des dispositions de la convention collective qui s'appliquent à la présente affaire. Rappelons quelques-unes des mesures que M. Cahill a déjà prises dans le contexte des différends qui l'ont opposé à son employeur.


[31]            Dans la présente instance, M. Cahill réclame des dommages-intérêts en raison du harcèlement et de l'intimidation qu'il a subis ainsi que de la création d'un milieu de travail empoisonné. Comme Sa Majesté le souligne à juste titre, M. Cahill a déjà déposé un grief concernant une bonne partie des aspects de la conduite de l'employeur à cet égard. Effectivement, après que la suspension de cinq jours lui a été infligée à l'égard des accusations de harcèlement formulées contre lui, M. Cahill a déposé une plainte de harcèlement contre le directeur Stevenson conformément à une directive du SCC ainsi qu'à la « Politique sur le harcèlement en milieu de travail » du Conseil du Trésor. Bon nombre des accusations portées contre le directeur Stevenson sont soulevées subséquemment dans la présente action. Selon certaines des allégations, l'employeur, représenté par le directeur Stevenson, a adopté une conduite violente, a omis d'aider le demandeur à composer avec le milieu de travail empoisonné que l'employeur aurait créé, a sapé l'autorité de M. Cahill et l'a calomnié à tort dans le cadre de l'exercice de ses fonctions. Ces accusations ont fait l'objet d'une enquête et ont été tranchées. D'après les renseignements dont je dispose, les conclusions et décisions n'ont pas été portées en appel.

[32]            M. Cahill a également déposé un grief afin de demander une enquête au sujet des commentaires écrits injustifiés qui étaient apparemment humiliants à son endroit. La conclusion tirée après l'enquête n'était pas décisive. Il ne semble pas que M. Cahill ait interjeté appel de cette décision ou qu'il ait poursuivi l'affaire plus loin.

[33]            Dans le contexte de la présente action, M. Cahill réclame des dommages-intérêts, notamment au titre de la rémunération du temps supplémentaire, parce qu'il a perdu la possibilité d'accumuler des heures supplémentaires au cours du congé rémunéré de quatre mois qu'il a été forcé de prendre pendant que sa conduite faisait l'objet d'une enquête. Cette sanction pécuniaire ou suspension présumée pouvait faire l'objet d'un grief et d'une procédure d'arbitrage en vertu de la convention collective à laquelle M. Cahill était partie. Effectivement, M. Cahill a déposé un grief au sujet de la question des heures supplémentaires, mais il l'a fait en dehors des délais. Rien n'indique qu'il a poursuivi l'affaire plus loin.


[34]            Surtout, M. Cahill n'a déposé aucun grief à l'égard du congédiement déguisé dont il aurait été victime et qui constitue le fondement de la majeure partie des indemnités réclamées en l'espèce.

[35]            M. Cahill invoque l'arrêt Wells c. Terre-Neuve, [1999] 177 D.L.R. 4th 73, [1999] 3 R.C.S. 199, jugement de la Cour suprême du Canada, pour soutenir que les fonctionnaires civils peuvent poursuivre Sa Majesté en cas de congédiement injuste. Cet arrêt n'a aucune utilité pour M. Cahill et ne s'applique pas en l'espèce, puisqu'il concerne exclusivement le congédiement d'un fonctionnaire haut placé, dont l'emploi n'était pas régi par une convention collective ou par la LRTFP.

[36]            Le demandeur invoque également les arrêts Pleau c. Canada (Attorney General), [1999] N.S.J. No. 448 (C.A.) (Pleau) [autorisation d'interjeter appel devant la Cour suprême du Canada refusée (2000), 262 N.R. 399], et Danilov c. Atomic Energy Control Board, [1999] O.J. No. 3735 (C.A.) (Danilov) [autorisation d'interjeter appel devant la Cour suprême du Canada refusée (2000), 262 N.R. 399]. Bien que ces jugements ne lient pas la Cour, je les mentionne tous deux en précisant qu'à mon avis, il est possible de faire une distinction entre ces arrêts et la présente affaire en raison de leurs faits.


[37]            L'arrêt Danilov porte lui aussi sur le congédiement d'un fonctionnaire fédéral non syndiqué. La Cour d'appel de l'Ontario a conclu dans cette affaire que la procédure de règlement des griefs de la LRTFP qui, dans le cas de M. Danilov, n'aurait pas entraîné l'arbitrage obligatoire, ne pouvait empêcher celui-ci d'engager une action à l'égard du congédiement.

[38]            Dans l'arrêt Pleau, la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse a conservé sa compétence pour statuer sur une action en responsabilité délictuelle qu'avait intentée un fonctionnaire civil assujetti à une convention collective semblable à celle qui s'applique en l'espèce. Dans cette affaire, l'employeur était accusé, notamment, de complot visant à causer un préjudice, de conduite intentionnelle et malveillante, de diffamation, de manquement à son devoir fiduciaire et de négligence dans l'exercice de ses pouvoirs. La Cour a conclu que, même si le différend découlait des relations de travail, il n'était pas visé par la convention collective, puisque celle-ci ne couvrait pas la conduite reprochée et [traduction] « que le conflit débordait indubitablement la procédure de règlement des griefs » . Dans la présente affaire, les faits sont tels qu'aucun de ces arrêts ne peut être utile pour le demandeur.

[39]            En ce qui a trait aux éléments de la réclamation et aux réparations que le demandeur cherche à obtenir, j'aimerais d'abord souligner que la « malveillance » n'est pas un délit en soi et n'ouvre pas droit à une action. De plus, je ne crois pas que la Cour fédérale ait le pouvoir d'enjoindre à un ministère gouvernemental de nommer une personne à un poste à titre de réparation dans une action. Enfin, M. Cahill demande des dommages-intérêts à l'égard d'une période de congé rémunéré sans alléguer aucun des faits nécessaires au soutien de la réclamation.


[40]            Même si le demandeur en l'espèce fonde son action sur la diffamation et sur l'infliction d'un choc nerveux par négligence, les faits invoqués au soutien de ces allégations ne sont pas suffisamment importants. Surtout, il appert clairement de l'arrêt Weber, précité, que c'est la nature du différend qui est essentielle et non les termes dans lesquels l'action est définie. La Cour formule les remarques suivantes à ce sujet à la page 953 du jugement :

Dans St. Anne Nackawic, la Cour d'appel et la Cour suprême du Canada ont toutes deux insisté pour que l'analyse de la question de savoir si une affaire relève de la clause d'arbitrage exclusif s'effectue non pas sur le fondement des questions juridiques qui peuvent être soulevées, mais sur le fondement des faits entourant le litige qui oppose les parties. Il ne s'agit pas de savoir si l'action, définie en termes juridiques, est « indépendante de la convention collective, mais plutôt si le litige résulte [de la] convention collective » . Si, peu importe ce dont il peut être qualifié sur le plan juridique, le litige résulte de la convention collective, seul le tribunal du travail peut l'entendre, à l'exclusion des cours de justice.

[41]            Après avoir examiné chaque élément de la réclamation, j'estime que la conduite que le demandeur reproche à l'employeur en l'espèce est visée dans l'ensemble, que ce soit directement ou indirectement, par la convention collective, par la politique sur le harcèlement et par les recours dont le demandeur dispose en vertu de celles-ci ainsi qu'en vertu de la procédure de règlement des griefs énoncée à la LRTFP. M. Cahill a engagé la procédure de règlement des griefs à plusieurs occasions, notamment à l'égard d'une bonne partie des allégations de sa déclaration, sans avoir épuisé ses recours en vertu de cette procédure.

[42]            Par ailleurs, il n'a pas exercé et encore moins épuisé le recours dont il dispose à l'égard du congédiement déguisé dont il soutient avoir été victime ainsi qu'à l'égard de la perte de salaire et de prestations de retraite qui en découleraient. Cette question porte sur les conditions essentielles de son emploi et tout grief sur ce point serait indéniablement assujetti à l'arbitrage par une tierce partie.


[43]            M. Cahill soutient avec vigueur qu'il est privé d'un recours significatif, étant donné que ses griefs ne seraient pas tous assujettis à l'arbitrage par une tierce partie. La Cour d'appel fédérale a rejeté cet argument lorsqu'elle a confirmé la décision du juge Tremblay-Lamer dans l'affaire Johnson-Paquette, précitée. Elle a en effet statué que la LRTFP est un code complet régissant les relations de travail et la fonction publique fédérale, même si elle ne prévoit pas l'arbitrage de tous les griefs par une tierce partie. Dans l'arrêt Johnson-Paquette, les griefs de la demanderesse n'étaient pas tous assujettis à l'arbitrage. Le juge Noël, qui a rédigé le jugement unanime de la Cour, a conclu comme suit au sujet de cet argument à la page 2 du jugement :

L'appelante a essayé d'établir une distinction d'avec l'arrêt Weber pour le motif qu'en l'espèce, la procédure de règlement des griefs ne lui permettait pas de renvoyer l'affaire à l'arbitrage alors que cela lui était permis aux termes de la convention en cause dans l'arrêt Weber. Cela, dit-elle, est une différence importante qui permet à la Cour de ne pas tenir compte de la règle établie dans l'arrêt Weber.

Je note dans un premier temps qu'il est inexact de dire que l'appelante ne pouvait avoir recours à l'arbitrage par un tiers en l'espèce. Elle avait accès à l'arbitrage conformément à la procédure de règlement des griefs applicable, à condition de remplir les conditions prescrites au paragraphe 92(1) de la Loi et de convaincre son syndicat que l'affaire devrait être renvoyée à l'arbitrage conformément au paragraphe 92(2).

Chose plus importante toutefois, cette procédure de règlement des griefs est la procédure de règlement des différends qu'ont adoptée les parties à la convention collective pour régler les conflits de travail de la nature de celui qu'a soulevé l'appelante dans son grief. L'appelante s'est conformée à la convention collective et s'est prévalue de cette procédure. ...

[44]            Plus loin, à la page 4, le juge Noël a confirmé l'opinion dominante qui ressort des décisions de la Cour, selon laquelle la LRTFP se voulait un code complet applicable à la résolution des litiges en matière de relations de travail qui opposent Sa Majesté et les fonctionnaires fédéraux, interdisant par le fait même le recours aux tribunaux ordinaires dans le cas des questions visées par une convention collective et par la procédure de règlement des griefs énoncée dans cette Loi :

Lorsque, comme c'est le cas pour la LRTFP, le législateur a, au moyen d'une loi, adopté ce qui se veut manifestement un code complet applicable à la résolution des litiges en matière de relations de travail dans un secteur donné d'activité et a rendu l'issue des recours prévus dans la loi finale et obligatoire pour les personnes concernées, le fait de permettre le recours aux tribunaux ordinaires auxquels ces tâches n'ont pas été attribuées porterait atteinte au régime législatif. Pour donner effet à ces régimes, il faut considérer que le législateur a exclu le recours aux tribunaux ordinaires.

Conclusion

[45]            Je suis liée par la décision que la Cour d'appel fédérale a rendue dans l'arrêt Johnson-Paquette, précité, étant donné que je ne vois aucune raison d'établir une distinction entre la situation examinée dans cet arrêt et les faits mis en preuve en l'espèce. En conséquence, j'accueille la requête de Sa Majesté et je refuse d'exercer mon pouvoir discrétionnaire de façon à permettre l'instruction de l'action du demandeur devant la Cour.

[46]            Si les parties ne peuvent s'entendre au sujet des dépens de la requête, elles pourront présenter des observations supplémentaires au sujet de cette question.

OTTAWA (Ontario)

le 3 octobre 2001

        « R. Aronovitch »        

Protonotaire

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


Date : 20011003

Dossier : T-1170-00

OTTAWA (Ontario), le 3 octobre 2001

EN PRÉSENCE DE MADAME LE PROTONOTAIRE ARONOVITCH

ENTRE :

                                     THOMAS C. CAHILL

                                                                                                  demandeur

                                                         et

                                  SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                               défenderesse

                                           ORDONNANCE

VU la requête de la défenderesse en vue d'obtenir :

i)                      une ordonnance rejetant l'action conformément aux alinéas 221a) et f) des Règles de la Cour fédérale (1998) (les règles) au motif que la Cour n'a pas compétence à l'égard de l'objet de la réclamation du demandeur;


ii)                     subsidiairement, une ordonnance radiant la déclaration conformément à l'alinéa 221a) des règles au motif qu'elle ne révèle aucune cause d'action valable;

iii)                   subsidiairement, une ordonnance rejetant l'action conformément à l'alinéa 221c) des règles au motif que celle-ci est frivole ou vexatoire ou qu'elle constitue autrement un abus de procédure.

ET VU mes motifs d'ordonnance déposés aujourd'hui,

LA COUR ORDONNE :

1)                    La requête est accueillie, la Cour n'ayant pas compétence pour statuer sur l'action déposée en l'espèce. La déclaration est radiée sans autorisation de la modifier et l'action est rejetée.

2)                    Si les parties ne peuvent s'entendre au sujet des dépens de la requête, elles pourront présenter des observations supplémentaires à ce sujet en les faisant signifier et déposer comme suit : dans le cas de la défenderesse, au plus tard quinze (15) jours suivant la date de la présente ordonnance et dans le cas du demandeur, dans les vingt (20) jours qui suivent.

         « R. Aronovitch »             .

Protonotaire

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                       T-1170-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                    Thomas C. Cahill c. Sa Majesté La Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                         Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                       le 5 octobre 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :         Madame Roza Aronovitch, protonotaire

DATE DES MOTIFS :                               le 3 octobre 2001

COMPARUTIONS :

Thomas Cahill                                                        POUR LUI-MÊME

Lynne Soublière                                                           POUR LA DÉFENDERESSE

R. Jeff Anderson

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ministère de la Justice                                           POUR LA DÉFENDERESSE

2Ottawa (Ontario)

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