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                                                                                                                                 Date : 20040531

                                                                                                                             Dossier : T-150-01

                                                                                                                  Référence : 2004 CF 791

Ottawa (Ontario), le 31 mai 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

                            WARREN WESSEL et WESTMEN OILFIELD RENTALS

                                                               (ALBERTA) LTD.

                                                                                                                                  demanderesses

                                                                      (défenderesses dans la demande reconventionnelle)

                                                                             et

                                                        ENERGY RENTALS INC.

                                                                                                                                      défenderesse

                                                                      (demanderesse dans la demande reconventionnelle)

                                                        MOTIFS DE JUGEMENT

LA JUGE SNIDER

(a)         L'industrie pétrolière a besoin d'une myriade de services spéciaux afin d'assurer la production efficace continue de pétrole et de gaz provenant de puits au Canada. La chose a entraîné la création d'une industrie secondaire qui se spécialise dans la prestation de ces services. Westmen Oilfield Rentals (Alberta) Ltd., (Westmen) et Energy Rentals Inc. (Energy Rentals) sont deux sociétés qui offrent de tels services.


(b)         Ces entreprises sont en concurrence lorsqu'il s'agit de fournir aux sociétés pétrolières des têtes d'injection motorisées ainsi que des masses-tiges aux fins de la remise en état ou de l'entretien de leurs puits de pétrole et de gaz. Le transport de ce matériel lourd et encombrant d'un chantier de forage à l'autre a nécessité l'utilisation de remorques qui peuvent transporter une charge lourde. Deux remorques ont souvent été utilisées - l'une pour la tête d'injection motorisée et l'autre pour transporter les masses-tiges. À d'autres moments, une semi-remorque à plateau qui devait être tirée par un tracteur à plateau était nécessaire. Monsieur Warren Wessel, président de Westmen, croyait qu'il y avait une meilleure façon de procéder.

(c)         Monsieur Wessel est l'inventeur et le titulaire du brevet canadien 2 206 675 (le brevet 675) délivré le 21 mars 2000 pour une tête d'injection motorisée montée sur une remorque. Grâce à un contrat de licence en date du 29 juin 1997, Westmen possède le droit exclusif de fabriquer et d'utiliser l'invention appelée [traduction] « remorque Westmen » . La plate-forme de chargement de la remorque Westmen est divisée sur le sens de la longueur des sections. La tête d'injection motorisée, le moteur hydraulique et le matériel connexe (les tuyaux hydrauliques et ainsi de suite) sont fixés à une section et les masses-tiges, qui servent à équilibrer le dispositif, sont placées dans l'autre section. Par suite de cet arrangement, la remorque Westmen peut transporter tout le matériel d'entretien nécessaire sur une remorque qui peut être tirée par une camionnette. Westmen possède 12 remorques Westmen.


(d)         Environ deux ans après que l'on eut commencé à exploiter la remorque Westmen, Energy Rentals a commencé à utiliser des remorques qui ressemblent à celles de M. Wessel. Energy Rentals possède 13 appareils de ce genre.

(e)         Monsieur Wessel et Westmen ont intenté la présente action, dans laquelle il est allégué qu'Energy Rentals contrefait le brevet en exploitant ses remorques. Energy Rentals nie l'allégation en affirmant que le brevet 675 est invalide et que, de toute façon, la conception de ses remorques ne constitue pas une contrefaçon.

Points litigieux

(f)          Les questions à trancher sont ci-après énoncées :

1.          Le brevet 675 est-il invalide en raison :

a)          de son évidence, compte tenu du manque d'inventivité de la remorque Westmen; ou

b)          de l'antériorité, étant donné la conception et l'usage publics antérieurs des remorques avant la date de l'invention?


2.          Si le brevet 675 est valide, les remorques d'Energy Rentals constituent-elles une contrefaçon du brevet?

Historique

[1]         Pour bien comprendre le contexte de cette action, il est utile de décrire brièvement l'appareil qui fait l'objet du présent litige et son rôle dans l'industrie pétrolière.

[2]         L'équipement de surface ou l'équipement de fond des puits de pétrole et de gaz ont souvent besoin d'entretien. Les travaux exécutés sur un puits existant visant à rétablir ou à augmenter la production de pétrole et de gaz ont une grande importance dans cette industrie. C'est à cet égard que la tête d'injection motorisée est particulièrement utile.


[3]         Lors du dépôt conjoint des pièces aux fins de l'instruction et afin de m'aider à comprendre la nature de la tête d'injection motorisée habituelle, les parties ont inclus un exemplaire du manuel d'instruction pour le modèle Bowen S-2.5. Les modèles Bowen, qui sont, selon moi, représentatifs des appareils qui sont placés sur les remorques Westmen et sur les remorques d'Energy Rentals sont décrits comme des [traduction] « machines tournantes entraînées par un moteur hydraulique » . La tête d'injection est un outil rotatif qui est suspendu au-dessus de la tête de puits et qui permet à la maîtresse-tige de tourner librement. Tous les groupes moteurs de Bowen, en plus de la tête d'injection, sont composés d'un moteur avec une pompe hydraulique à débit variable à commande directe, de tuyaux hydrauliques, d'un réservoir à fluide hydraulique, d'une remorque ou de patins, et d'un tambour d'enroulement avec les tuyaux nécessaires pour alimenter en fluide hydraulique le moteur de la tête d'injection. Tous ces éléments sont montés sur des patins ou sur une remorque pour former un appareil portable qui peut être déplacé d'un chantier de forage à l'autre et être utilisé depuis la remorque au besoin.

[4]         Les masses-tiges sont des tubes lourds à parois épaisses - habituellement en acier - utilisées entre une tige de forage et le trépan du train de tige pour renforcer l'ensemble de forage et mettre du poids sur le trépan. Cela permet au trépan de forer d'une façon plus efficace. Même si cela n'est pas toujours nécessaire, les masses-tiges sont fort souvent utilisées avec une tête d'injection motorisée. Au besoin, ces pièces sont fournies avec la tête d'injection motorisée et transportées au chantier de forage en même temps.

Analyse

[5]         Il a été convenu que le brevet est réputé valide et que la partie qui conteste la validité d'un brevet a la charge de convaincre la Cour que le brevet en question est, selon la prépondérance des probabilités, invalide. Dans ce cas-ci, Energy Rentals soutient que le brevet concernant la remorque Westmen est invalide pour cause d'évidence ou d'antériorité. Les demanderesses soutiennent que l'invention de M. Wessel est valide - qu'Energy Rentals ne s'est pas acquittée de l'obligation qui lui incombait de démontrer que le brevet est invalide.


Quelle est l'interprétation qu'il convient de donner au brevet?

[6]         Avant de passer aux questions d'invalidité et de contrefaçon, je dois identifier les éléments essentiels de l'invention revendiquée dans le brevet 675 (Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, paragraphe 43). La revendication 1 (l'unique revendication) du brevet 675 dit que les réalisations de l'invention sont :

Une tête d'injection motorisée montée sur une remorque, comprenant en combinaison :

1.          Une remorque allongée ayant des roues qui entrent en contact avec le sol et une plate-forme de chargement divisée sur le sens de la longueur en une première section et en une deuxième section; et

2.          Une tête d'injection motorisée fixée uniquement à la première section, ce qui a pour effet de causer un déséquilibre de la charge et de rendre la remorque instable pour la circulation sur les voies publiques tant que la deuxième section de la plate-forme n'est pas chargée, cette deuxième section étant adaptée pour transporter un nombre suffisant de masses-tiges pour contrebalancer suffisamment le poids de la tête d'injection motorisée de manière à rétablir la stabilité de la remorque.


[7]         En interprétant ce brevet, je me guide sur les décisions récemment rendues par la Cour suprême du Canada (Whirlpool, précité; Free World Trust c. Électro Santé Inc. [2000] 2 R.C.S. 1024). Ces arrêts enseignent que les revendications d'un brevet doivent être interprétées de façon éclairée et en fonction de l'objet et qu'il faut éviter une interprétation trop textuelle. Comme le juge Binnie l'a expliqué dans l'arrêt Whirlpool, précité, au paragraphe 45, « [l]'interprétation téléologique repose donc sur l'identification par la cour, avec l'aide du lecteur versé dans l'art, des mots ou expressions particuliers qui sont utilisés dans les revendications pour décrire ce qui, selon l'inventeur, constituait les éléments 'essentiels' de son invention » .

[8]         Aucun expert n'a été présenté pour aider à la tâche d'interprétation. Je donne donc à cette partie de mon analyse le sens ordinaire clair des mots employés, quoique dans le contexte spécialisé de l'industrie pétrolière.

[9]         J'ai tenu compte du libellé de la revendication, des principes d'interprétation applicables aux revendications et de la preuve soumise au sujet de l'invention et je conclus que les éléments essentiels de la revendication sont les éléments suivants :

1.          La revendication dans son ensemble se rapporte à une remorque adaptée pour transporter tous les éléments d'une tête d'injection motorisée, selon la description donnée ci-dessus au paragraphe 9.


2.          La remorque est divisée sur le sens de la longueur en deux sections, les éléments de la tête d'injection motorisée étant fixés à une section.

3.          Si aucun poids n'est ajouté à la deuxième section, la remorque est suffisamment déséquilibrée pour être instable lorsqu'elle circule sur les voies publiques.

[10]       Les parties ont convenu que l'expression « voie publique » doit être interprétée selon le sens qui lui est donné à l'alinéa 1g) de la Highway Traffic Act de l'Alberta, R.S.A. 2000, ch. H-8 :

[traduction] g) « voie publique » Voie, rue, route, sentier, avenue, allée, boulevard, viaduc, ruelle, place, pont, levée ou pont sur chevalets ou autre endroit, de propriété publique ou privée, que le public est habituellement autorisé à utiliser pour le passage ou le stationnement de véhicules [...]

Étant donné que les remorques doivent être utilisées dans l'industrie pétrolière, l'expression « voie publique » , selon une interprétation téléologique du brevet, comprendrait tout type de chaussée sur laquelle circulerait l'appareil. Les caractéristiques inhérentes à la circulation sur de telles chaussées seront examinées ci-dessous dans ces motifs, à partir du paragraphe 50.


[1]         Pendant toute la durée de l'instance, on a accordé énormément d'attention aux notions de stabilité et de manque de stabilité. Je suis convaincue que l'expression [traduction] « instable aux fins de la circulation sur les voies publiques » , telle qu'elle est employée dans le brevet, ne veut pas dire que la remorque fait nécessairement des tonneaux. Cette expression veut plutôt dire qu'il existe une possibilité raisonnable qu'en l'absence d'une charge rétablissant l'équilibre, la remorque capote ou verse dans certaines conditions de conduite ou que le conducteur du véhicule de remorquage perde la maîtrise du véhicule. La question de la stabilité est examinée d'une façon plus approfondie à partir du paragraphe 31.

[2]         Enfin, en ce qui concerne la nature de ce brevet, je remarque que la revendication est loin de se rapporter simplement à « un aménagement, un plan, un dessin » comme c'était le cas dans la Demande no -995 relative à la conception architecturale d'une maison de ville (1979), 53 C.P.R. (2d) 211, dont la Commission d'appel des brevets et le commissaire aux brevets avaient été saisis. En refusant d'accorder un brevet pour une conception architecturale concernant l'aménagement d'une maison de ville, la Commission a dit que la demande concernait « un aménagement, un plan, un dessin qui n'apporte aucun élément mécanisme ou architectural nouveau et ne comporte aucun progrès technique » . Par contre, l'invention qui nous occupe est beaucoup plus qu'un simple dessin. Il s'agit d'une invention mécanique ou structurale, par sa nature même. Il reste à déterminer si l'invention est nouvelle ou inventive.

Question 1a) : Le brevet 675 est-il invalide en raison de son évidence, compte tenu du manque d'inventivité de la remorque Westmen?


[3]         Comme le juge Binnie, au nom de la Cour suprême du Canada, l'a dit dans l'arrêt Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd. (2002), 21 C.P.R. (4th) 499, au paragraphe 37, « [l]e monopole conféré par un brevet ne devrait s'acquérir qu'au prix de divulgations nouvelles, ingénieuses, utiles et non évidentes » . Par conséquent, une invention ne devrait pas être brevetable si son objet est évident. Le critère de l'évidence d'une invention utilise la notion du technicien versé dans l'art.

[4]         Une description utile du technicien versé dans l'art que la Cour et les experts qui ont témoigné dans la présente instance doivent envisager, lorsqu'ils examinent une allégation d'évidence, a été faite par le juge Hugessen, au nom de la Cour d'appel fédérale, dans l'arrêt Beloit Canada Ltd. c. Valmet Oy (1986), 8 C.P.R. (3d) 289, à la page 294 (C.A.F.) :

Pour établir si une invention est évidente, il ne s'agit pas de se demander ce que des inventeurs compétents ont ou auraient fait pour solutionner le problème. Un inventeur est par définition inventif. La pierre de touche classique de l'évidence de l'invention est le technicien versé dans son art mais qui ne possède aucune étincelle d'esprit inventif ou d'imagination; un parangon de déduction et de dextérité complètement dépourvu d'intuition; un triomphe de l'hémisphère gauche sur le droit. Il s'agit de se demander si, compte tenu de l'état de la technique et des connaissances générales courantes qui existaient au moment où l'invention aurait été faite, cette créature mythique (monsieur tout-le-monde du domaine des brevets) serait directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet. C'est un critère auquel il est très difficile de satisfaire.

La présente cour a souvent mentionné et appliqué ce critère.


[5]         Dans l'affaire dont je suis ici saisie, je dois déterminer si le technicien mythique versé dans l'art qui assure les services d'entretien dans les champs pétrolifères serait amené, compte tenu de l'état de la technique, à l'invention revendiquée sans procéder à des expériences additionnelles, sans y réfléchir sérieusement ou sans se livrer à des recherches (Farbwerke Hoechst Aktiengesellschaft c. Halocarbon (Ontario) Ltd. (1979), 42 C.P.R. (2d) 145, à la page 155 (C.S.C.); Diversified Products Corp. c. Tye-Sil Corp. (1991), 35 C.P.R. (3d) 350, aux pages 365 et 366 (C.A.F.); SmithKline Beecham Pharma Inc. c. Apotex Inc. (2001), 14 C.P.R. (4th) 76, aux pages 99 à 101 (C.F. 1re inst.), confirmé par (2002), 291 N.R. 168 (C.A.F.)). En outre, « [i]l est bien établi qu'une simple "parcelle d'invention" est suffisante pour appuyer la validité d'un brevet » (Diversified Products, précité). Par conséquent, la simplicité d'une invention n'empêche pas un brevet d'être valide.

[6]         L'invention qui m'a été soumise est incontestablement simple. Toutefois, sa simplicité apparente ne permet pas pour autant de conclure d'une façon inéluctable que la remorque Westmen est évidente et qu'elle ne mérite pas d'être protégée par un brevet. À mon avis, un certain nombre de facteurs permettent de conclure à l'inventivité, malgré la simplicité de l'appareil.


1.          Absence d'appareils antérieurs similaires : Avant la remorque Westmen, aucune remorque fabriquée selon la conception ici en cause n'était utilisée dans l'industrie. Comme l'ont déclaré un certain nombre de témoins, avant que l'invention soit réalisée, les têtes d'injection motorisées étaient placées en équilibre sur la remorque aux fins du transport, de sorte qu'il n'y avait pas de place pour les masses-tiges. Il fallait donc utiliser une deuxième remorque ou un appareil monté sur des patins beaucoup plus gros, ce qui occasionnait des frais de transport additionnels élevés. Grâce au lancement de la remorque, Westmen a pu offrir un meilleur prix contractuel global pour l'utilisation de la tête d'injection motorisée. Monsieur Scott Biluk et M. Dale Rangen, l'un travaillant actuellement pour Energy Rentals et l'autre étant un ancien employé de cette entreprise, ont tous deux reconnu que la remorque Westmen était le premier appareil de ce genre qu'ils avaient vu. Monsieur Biluk est allé jusqu'à convenir qu'il avait eu l'idée, pour la remorque d'Energy Rentals, après avoir vu la remorque Westmen pendant qu'on l'utilisait.

2.          Le succès commercial : Le succès commercial de l'invention est un facteur qui peut indiquer l'inventivité. (Diversified Products, précité). Or, l'invention de M. Wessel a immédiatement connu un succès commercial. En fort peu de temps, M. Wessel s'est mis à utiliser 12 remorques Westmen sur les routes un peu partout en Alberta et en Saskatchewan. Ainsi, dans un cas, tous les producteurs, à Brooks, qui avaient eu recours aux services de son entreprise ont commencé à utiliser les remorques Westmen.


3.          La solution n'est pas [traduction] « aussi claire que le jour » : Pour être évidente, une invention doit être [traduction] « claire comme le jour » ou « claire comme de l'eau » (Bayer Aktiengesellschaft c. Apotex Inc. (1995), 60 C.P.R. (3d) 58, aux pages 80 et 81 (Div. gén. Ont.), confirmé par (1998), 82 C.P.R. (3d) 526 (C.A.Ont.); autorisation de pourvoi refusée, [1998] A.C.S. no 563). Cette description ne s'applique pas à la remorque Westmen. Monsieur Wessel n'est pas facilement arrivé à l'invention; il lui a fallu un certain temps pour concevoir et fabriquer la remorque; il se cachait dans son atelier pour empêcher les curieux de voir à quel point en était l'invention. Monsieur Neil McKay a comparu à titre d'expert. Son expertise n'a pas été remise en question; elle comprend une vaste expérience dans le domaine du fonctionnement des véhicules à moteur et de l'évaluation de l'état des véhicules routiers. Monsieur McKay a passé plus de 30 ans à travailler dans ses domaines d'expertise en Alberta. Il a témoigné qu'il serait [traduction] « fort inhabituel » de fixer en permanence du matériel d'un côté d'une remorque par opposition aux deux côtés. Il convenait que la plupart du temps, la personne qui conçoit une remorque [traduction] « la conçoit avec du matériel fixé en permanence en équilibre sans charge additionnelle » .


4.          « L'imitation est la flatterie la plus sincère » : Monsieur Wessel s'est querellé, en 1998, avec l'un de ses clients qui utilisait la remorque Westmen. Ce client, comme l'a expliqué M. Biluk, a communiqué avec Energy Rentals et a déclaré qu'il conclurait un contrat avec l'entreprise en vue d'utiliser un tel appareil si elle en avait un. À la suite de cette demande, Energy Rentals a formé une équipe chargée de mettre au point un appareil similaire. Pendant le contre-interrogatoire, M. Rangen a reconnu que l'équipe devait chercher à [traduction] « contourner » le brevet de M. Wessel. Après maints efforts, le premier appareil d'Energy Rentals a pris la route. L'entreprise a construit trois autres appareils de ce genre et en a acquis neuf autres dans le cadre de l'acquisition d'une autre entreprise. Comme les remorques Westmen, ces appareils ont un grand succès commercial. La question de savoir si la remorque d'Energy Rentals constitue une contrefaçon sera examinée ci-dessous dans ces motifs, mais le simple fait que le concurrent a pris des mesures pour reproduire l'appareil montre que la remorque Westmen manifeste de l'inventivité.

[7]         En résumé, la remorque Westmen était une invention qui n'était pas intuitive, dont la mise au point a exigé beaucoup de temps et d'efforts, qui a connu un succès commercial immédiat et qui a été reproduite par un concurrent. L'effet cumulatif de ces facteurs est « simplement irrésistible » (Beloit, précité, à la page 296); le brevet faisait preuve d'inventivité et n'était pas évident. Pour employer des termes semblables à ceux que le juge Hugessen a utilisés dans l'arrêt Beloit, précité, compte tenu de l'état de la technique et des connaissances générales courantes qui existaient au moment où l'invention aurait été faite, cette créature mythique (monsieur tout-le-monde du domaine des brevets) ne serait pas directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet. L'allégation relative à l'évidence est rejetée, le brevet 675 n'étant pas invalide en raison de son évidence.


Question 1b) : Le brevet 675 est-il invalide pour cause d'antériorité, étant donné que les remorques exploitées avant la date de l'invention étaient fondées sur une conception et un usage publics antérieurs?

[8]         Energy Rentals affirme que la remorque Westmen ne satisfait pas à la définition de l' « invention » figurant dans la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4, art. 1, en ce sens qu'elle était « connue ou utilisée » par une autre personne avant la date de l'invention, conformément aux exigences de l'alinéa 27(1)a) de la Loi sur les brevets. En d'autres termes, Energy Rentals se fonde sur le plaidoyer de l' « antériorité » . En invoquant cet argument, Energy Rentals mentionne uniquement l'usage antérieur de deux remorques mises au point dans les années 1980, lesquelles pouvaient transporter une tête d'injection et des masses-tiges sur un seul appareil. Aux dires d'Energy Rentals, cela démontre que la remorque Westmen satisfait au critère de l'antériorité en ce sens que l'invention a été portée à la connaissance du public avant la date pertinente, soit la date à laquelle le brevet a été demandé, le 29 mai 1997.

[9]         Pour être retenu, le plaidoyer fondé sur l'antériorité doit reposer sur un usage antérieur précis. Il faut être capable d'examiner l'usage antérieur et d'y trouver tous les renseignements qui, à toute fins utiles, sont nécessaires pour produire l'invention revendiquée sans faire preuve d'inventivité et sans avoir la possibilité de commettre une erreur (Beloit, précité, à la page 297). Un usage antérieur qui ne comporte pas toute la combinaison des éléments essentiels ne constitue pas une anticipation.


[10]       Energy Rentals a cité M. Terry Gunderman, qui a témoigné au sujet des remorques antérieures. De 1986 à 1997, M. Gunderman était propriétaire de Red Hawk Well Servicing, une société de services de forage qui s'occupe de l'entretien au fond du trou dans les puits existants de pétrole et de gaz. Avant d'acquérir Red Hawk au début des années 1980, M. Gunderman était copropriétaire d'une autre société s'occupant de l'entretien de puits. Il a décrit deux remorques qui étaient censément utilisées pour transporter à la fois une tête d'injection motorisée et des masses-tiges, comme le faisait la remorque Westmen. La première a été fabriquée vers 1982 ou 1983 et la deuxième faisait partie du matériel d'une autre société de services que M. Gunderman avait acquise en 1986. Ces remorques ont été utilisées dans le sud-est de la Saskatchewan et dans le sud-ouest du Manitoba jusqu'en l'an 2000. Ni l'une ni l'autre n'est exploitée à l'heure actuelle. Toutefois, pour les besoins de la présente instruction, les remorques étaient situées dans un parc de matériel excédentaire, près de Red Deer (Alberta), où elles ont été photographiées; M. Gunderman les a identifiées comme étant les siennes. La tête d'injection motorisée et les masses-tiges n'étaient plus là, mais il est possible de discerner l'agencement des deux remorques à l'aide des photographies présentées à M. Gunderman et du témoignage suivant que celui-ci a présenté :


1.          La première remorque a été conçue et fabriquée par l'entreprise de M. Gunderman en 1982 ou en 1983. La tête d'injection était montée sur les essieux, vers l'arrière et légèrement d'un côté. La remorque était conçue comme [traduction] « équipement de forage d'assistance » , en ce sens que la remorque n'avait pas de moteur diesel ou de système hydraulique. Ce matériel était plutôt actionné à l'aide d'un système hydraulique distinct qui était déjà en place sur le chantier de forage. Jusqu'à quatre masses-tiges pouvaient être transportées sur la remorque dans un plateau de métal ondulé situé à la gauche de la tête d'injection motorisée. Monsieur Gunderman a reconnu qu'une grosse boîte à outils rouge placée au centre de la remorque avait été ajoutée pour assurer l'équilibre et pour plus de commodité.

2.          La deuxième remorque était également conçue pour transporter de l'équipement de forage d'assistance jusqu'au gisement. La tête d'injection motorisée était placée en plein milieu de la remorque, vers l'extrémité arrière. Deux masses-tiges pouvaient être transportées de chaque côté.

[11]       La deuxième remorque peut être immédiatement éliminée de l'analyse de l'antériorité étant donné que, selon la preuve, les masses-tiges étaient placées de chaque côté de la tête d'injection plutôt que d'un seul côté. Le placement des masses-tiges dans la seconde section de la remorque Westmen constitue un élément essentiel de l'invention.

[12]       Quant à la première remorque, la grosse boîte à outils rouge est un élément ajouté qui n'est pas incorporé dans la remorque Westmen.


[13]       Il importe au plus haut point de noter que les remorques Gunderman étaient conçues pour transporter uniquement des têtes d'injection auxiliaires. Cela s'écarte énormément de l'invention. En l'absence du poids supplémentaire du moteur et du matériel connexe, la charge transportée par ces remorques serait réduite de beaucoup. Par conséquent, si la tête d'injection était placée d'un côté de la remorque pour le transport, la remorque ne serait pas nécessairement instable.

[14]       Les différences entre les remorques Gunderman sont importantes. Compte tenu de ces différences, je ne suis pas en mesure de conclure qu'une personne qui examinerait l'une ou l'autre de ces remorques pourrait y trouver tous les renseignements qui, à toutes fins utiles, sont nécessaires pour produire l'invention revendiquée sans faire preuve d'inventivité et sans possibilité d'erreur. Je conclus donc que ni l'une ni l'autre des remorques Gunderman n'est suffisante pour permettre à Energy Rentals d'avoir gain de cause en ce qui concerne son plaidoyer d'antériorité. Ces deux remorques ne prouvent pas que l'invention était connue à la date pertinente, soit le 29 mai 1997. Le plaidoyer d'antériorité est rejeté et le brevet 675 n'est pas invalide en raison de l'antériorité.

Deuxième question : Les remorques d'Energy Rentals constituent-elles une contrefaçon du brevet 675?


[15]       Les remorques d'Energy Rentals ressemblent énormément aux remorques Westmen. Les deux sortes de remorques transportent la tête d'injection motorisée d'un côté, mais dans des positions légèrement différentes. Les deux remorques ont été adaptées pour transporter des masses-tiges de l'autre côté, mais les remorques d'Energy Rentals transportent fréquemment du matériel sans les masses-tiges. À mon avis, la position légèrement différente du matériel et l'utilisation des remorques d'Energy Rentals sans les masses-tiges ne sont pas suffisantes pour qu'il soit possible de conclure que le brevet 675 n'est pas contrefait. Ni l'une ni l'autre de ces différences n'est essentielle à la réalisation de l'invention.

[16]       D'autre part, il y a un élément essentiel de l'invention qu'il faut examiner. Le brevet 675 prévoit qu'en l'absence des masses-tiges, la remorque Westmen est suffisamment mal équilibrée pour être instable aux fins de la circulation sur les voies publiques. Je dois donc déterminer si la remorque d'Energy Rentals est mal équilibrée et si ce déséquilibre est suffisant pour rendre la remorque peu sûre lorsqu'elle circule sur les voies publiques. S'il est répondu à ces questions par l'affirmative, il sera conclu que le brevet 675 est contrefait.

Les remorques d'Energy Rentals sont-elles équilibrées de chaque côté?


[17]       Pendant la période pertinente, M. Dale Rangen, un témoin d'Energy Rentals, travaillait comme compagnon mécanicien de machinerie lourde au sein du service de têtes d'injection motorisées de l'entreprise. Avec un certain nombre d'autres employés, M. Rangen faisait partie de l'équipe qui a conçu la première remorque d'Energy Rentals. Cette équipe a entrepris de concevoir une remorque qui était équilibrée lorsqu'elle transportait la tête d'injection motorisée sans les masses-tiges. Lors des séances de brainstorming auxquelles participait l'équipe à l'époque de la conception, M. Rangen avait vu la remorque Westmen; en effet, les dépôts des deux concurrents ne sont qu'à un pâté de maisons l'un de l'autre. Pendant le contre-interrogatoire, M. Rangen a reconnu qu'il voulait construire une remorque équilibrée parce qu'il avait [traduction] « lu le brevet » et qu'il cherchait une façon de contourner le brevet.

[18]       À l'étape de la fabrication et avant que les travaux de soudage finals soient exécutés sur le prototype, la remorque a été pesée et l'on a réglé la position du matériel en vue d'arriver à une charge statique appropriée pour le dispositif d'attelage et à un équilibre latéral. Toutefois, il importe de noter que M. Rangen a convenu qu'on avait initialement pesé la remorque sans que le système hydraulique, le câblage et les tuyaux d'alimentation en carburant s'y trouvent. Tout ce matériel aurait par la suite été placé du même côté que la tête d'injection et le moteur, ce qui aurait ajouté une charge énorme d'un côté de la remorque. Même si l'on cherchait à créer une remorque équilibrée et malgré les ajustements effectués lors du pesage, M. Rangen a convenu, pendant le contre-interrogatoire, que la remorque qui a finalement été fabriquée n'était pas équilibrée latéralement.


[19]       À partir de ce témoignage, je conclus que les remorques d'Energy Rentals ne sont pas équilibrées d'un côté à l'autre. Toutefois, cela ne veut pas nécessairement dire que le brevet 675 est contrefait : l'élément essentiel de l'invention est que la remorque, en l'absence de la charge additionnelle de masses-tiges, est suffisamment mal équilibrée pour être instable lorsqu'elle circule sur les voies publiques.

Les remorques d'Energy Rentals sont-elles suffisamment mal équilibrées pour être instables lorsqu'elles circulent sur les voies publiques?

[20]       Trois experts ont comparu dans la présente instance pour m'aider à répondre à la question de la stabilité. Energy Rentals a produit deux experts :

·            M. Frank Yuzyk, ingénieur, a préparé et signé un rapport (le rapport Yuzyk) pour le compte d'Allan R. Nelson Engineering (1997) Inc., à qui Energy Rentals avait demandé de déterminer si ses remorques sur lesquelles étaient montées les têtes d'injection motorisées étaient stables sans qu'il soit nécessaire d'y ajouter un chargement de masses-tiges. Les titres de compétence du témoin n'ont pas été remis en question.


·            M. Gerald Lorimer, ingénieur, a préparé et signé un rapport (le rapport Lorimer) pour le compte d'Allan R. Nelson Engineering (1997) Inc., à qui l'on avait demandé d'examiner le rapport Yuzyk et le rapport préparé par M. Neil McKay (le rapport McKay), ci-dessous décrit, et de faire des commentaires à leur sujet. J'ai reconnu M. Lorimer à titre d'expert, mais j'ai alors fait remarquer que ses titres de compétence, pour ce qui est de l'évaluation de l'état des véhicules routiers en particulier, n'étaient pas aussi directement liés au sujet que ceux des autres témoins.

[21]       Le troisième expert était M. Neil McKay, ingénieur. Monsieur McKay a produit son rapport pour le compte d'A.D. Williams Engineering Inc., à qui Westmen avait demandé de comparer la remorque brevetée Westmen et la remorque d'Energy Rentals. Monsieur McKay a également examiné le rapport Yuzyk. Ses titres de compétence n'ont pas été remis en question. De fait, M. McKay est le témoin dont l'expérience est la plus étroitement liée aux questions dont je suis ici saisie.

[22]       À mon avis, l'analyse nécessaire commence par l'examen de la question de la stabilité de la remorque Westmen. Les résultats de cette analyse serviront de point de repère aux fins de la comparaison avec la remorque d'Energy Rentals.

a)          Stabilité de la remorque Westmen

[23]       Monsieur McKay a minutieusement examiné la question de la stabilité des deux remorques. Il a décrit comme suit la situation à laquelle faisait face chaque véhicule :


[traduction] Lorsqu'un véhicule effectue un virage, le contact entre la surface de la route et les pneus offre de la résistance au dérapage, ce qui fait accélérer la remorque vers l'intérieur. Le moment du capotage résulte de l'accélération vers l'intérieur de la masse de la remorque passant le centre de gravité multiplié par le bras de levier, ou la distance entre le centre de gravité et le dessus de la route. L'avant extérieur du pneu de la remorque du côté extérieur est considéré comme étant le point de pivotement pour le capotage [...].

Le moment redresseur est le produit de l'accélération attribuable à la gravité agissant sur la masse de la remorque en passant par le centre de gravité jusqu'à l'extérieur du pneu de la remorque.

[...] lorsque le moment du capotage (le MC) est supérieur au moment redresseur (le MR), la remorque se renverse. [Non souligné dans l'original.]

[24]       Le facteur crucial, dans l'analyse, devient le coefficient de frottement (valeur f) établi entre la surface de la route et les pneus de la remorque. On calcule la valeur zf > y en divisant la distance entre le centre de gravité et le bord de la roue (y) par la hauteur, au-dessus du sol, du centre de gravité (z). Dans le cas où zf > y, le MC est supérieur au MR et la remorque se renverse.

[25]       Sur les surfaces habituelles de routes, les valeurs f sont généralement de l'ordre de 0,75 g. Des valeurs plus élevées sont possibles lorsque la surface de la route est bonne.


[26]       En ce qui concerne la remorque Westmen, M. McKay a conclu que, si la tête d'injection est uniquement installée du côté droit, la remorque deviendrait instable lorsque le coefficient de frottement (valeur f) de 0,80 g serait atteint, c'est-à-dire que lorsqu'une valeur f égale ou supérieure à 0,80 g est obtenue, le moment de capotage est supérieur au moment redresseur et la remorque deviendra instable dans les tournants. Monsieur McKay conclut que la remorque Westmen (et la remorque d'Energy Rentals) risquerait surtout de se renverser par suite de dépassements latéraux rapides ou de manoeuvres d'évitement. Il a témoigné que le déséquilibre d'une remorque la rend instable, ce qui accroît le risque de capotage ou de perte de maîtrise lorsque des manoeuvres d'évitement sont effectuées et peut-être même lorsque d'autres manoeuvres moins cruciales sont effectuées.

[27]       Des deux experts, seul M. Lorimer a fait des commentaires au sujet de la stabilité de la remorque Westmen. Pendant son témoignage, il a déclaré que la remorque Westmen se situe dans la limite supérieure de stabilité pour les poids lourds commerciaux. À mon avis, dire que la remorque Westmen non chargée est stable lorsqu'elle est utilisée dans les types de situations auxquelles ferait face un véhicule dans l'industrie pétrolière, ce n'est pas exprimer une opinion d'expert. Je préfère le travail analytique minutieux de M. McKay.

[28]       Compte tenu de la preuve, je conclus que la remorque Westmen, lorsque les masses-tiges n'y sont pas installées, est suffisamment mal équilibrée pour être instable lorsque certaines manoeuvres d'évitement sont effectuées sur certains types de voies publiques.

[29]       Étant donné qu'en l'absence des masses-tiges, la remorque Westmen est instable, une remorque comportant les mêmes caractéristiques que cette remorque serait également instable. Il s'agit donc de savoir s'il y a entre les deux remorques des différences qui permettraient de conclure que la remorque d'Energy Rentals, lorsqu'elle n'est pas chargée, est stable.


b)          Stabilité de la remorque d'Energy Rentals

[30]       Les principaux éléments des arguments et de la preuve d'Energy Rentals sont ci-après énoncés :

1.          Un essai sur le terrain de la remorque d'Energy Rentals montre qu'elle est stable lorsqu'elle circule sur les voies publiques; et

2.          Une analyse théorique de la remorque d'Energy Rentals démontre qu'elle comporte des caractéristiques différentes, pour ce qui est de sa stabilité.


[31]       Energy Rentals a demandé à Allan R. Nelson Engineering (1997) Inc. de déterminer si les remorques équipées d'une tête d'injection motorisée sont stables sans qu'il soit nécessaire d'y ajouter un chargement de masses-tiges. Monsieur Yuzyk, ingénieur, a préparé et signé le rapport. Dans le cadre de son enquête, il a procédé à un essai sur le terrain où il a observé le véhicule lorsqu'il est utilisé sans qu'une charge de masses-tiges soit ajoutée; il a en outre procédé à une analyse du véhicule pour ce qui est du capotage. L'essai sur le terrain a été effectué le 7 janvier 2000 à Red Deer (Alberta); M. Yuzyk a alors observé la remorque d'Energy Rentals qui était tirée par un nouveau camion diesel. Monsieur Yuzyk a choisi un parcours qui, à son avis, lui permettrait d'examiner comment la remorque effectuerait un virage à diverses vitesses dans des directions particulièrement susceptibles de causer le capotage. La remorque ne s'est pas renversée. Voici les observations que M. Yuzyk a faites :

·            lorsqu'elle est immobile, la remorque ne penchait pas d'une façon évidente du côté où était installé le matériel avant l'essai;

·            pendant tout le temps où elle a été tirée, la remorque n'a pas penché ou n'a pas oscillé d'une façon sensible;

·            la remorque effectuait les virages normaux en ville à des vitesses allant de 20 à 30 kilomètres heure sans pencher d'une façon sensible;

·            la remorque ne penchait pas d'une façon sensible lorsqu'elle abordait un virage sur la grand-route, à des vitesses allant de 80 à 105 kilomètres heure;

·            il était facile de maîtriser la remorque en freinant;

·            à deux reprises au cours de l'essai, le conducteur s'est vu obligé de freiner rapidement et la remorque a gardé sa trajectoire.


[32]       Compte tenu de l'essai qu'il avait effectué sur le terrain et de son analyse théorique (sur laquelle nous reviendrons ci-dessous), M. Yuzyk était dans l'ensemble d'avis que [traduction] « la remorque est un véhicule sûr et stable dans des conditions d'utilisation et à des vitesses normales, compte tenu du tracé et de l'état de la route, lorsqu'il n'y a pas de masses-tiges sur la plate-forme de chargement de la remorque » . L'expertise de M. Yuzyk n'a pas été remise en question.

[33]       Energy Rentals déclare que je devrais retenir cette opinion exprimée par un expert reconnu dans le domaine comme preuve montrant que les remorques d'Energy Rentals sont suffisamment équilibrées pour être stables lorsqu'elles circulent sur les voies publiques et qu'il n'y a donc pas contrefaçon. Pour un certain nombre de raisons, je ne puis conclure, en me fondant sur cette opinion, qu'en l'absence des masses-tiges, les remorques d'Energy Rentals sont suffisamment équilibrées pour être stables lorsqu'elles circulent sur les voies publiques.


[34]       Je ne remets pas en question ce que M. Yuzyk a observé lors de l'essai. Toutefois, la portée restreinte de l'essai sur le terrain me préoccupe. L'essai a été effectué par un conducteur ayant énormément d'expérience, presque exclusivement sur des routes principales et à un moment où la chaussée, qui était revêtue, était sèche et par temps clair. Monsieur Yuzyk a reconnu que le conducteur n'avait jamais excédé la vitesse limite permise. En outre, le conducteur a effectué des arrêts brusques, mais en ligne droite. Les seuls virages qui ont été effectués l'ont été à faible vitesse et à une vitesse stable. L'essai ne comprenait aucune manoeuvre d'évitement ou d'urgence.

[35]       Comme il en a ci-dessus été fait mention, la définition de « voie publique » est large. Une « voie publique » comprend divers genres de routes - depuis de grosses autoroutes à multiples voies jusqu'à de mauvaises routes non revêtues qui permettent d'accéder aux installations de production des champs de pétrole. Comme M. Rangen l'a dit, certaines « voies publiques » utilisées par les remorques seraient des routes qui sont visées par une interdiction à 75 p. 100 pendant une partie de l'année, ce qui indiquerait une route qui risque d'être mauvaise et présenterait normalement des défis sur le plan de la conduite. En outre, il est évident que les remorques seraient utilisées dans des conditions fort diverses, notamment lorsqu'il pleut, par grand vent, lorsqu'il y a de la neige, de la glace et du brouillard. Il serait de fait étrange que ces véhicules soient utilisés uniquement sur des routes revêtues unies par temps clair et ensoleillé. Pourtant, il s'agit exactement des conditions dans lesquelles M. Frank Yuzyk a effectué son « essai sur le terrain » de la remorque d'Energy Rentals.


[36]       À mon avis, pour être valides, les observations sur le terrain auraient dû être faites dans une gamme beaucoup plus vaste de conditions d'utilisation ressemblant davantage aux conditions normales auxquelles font souvent face les conducteurs sur le terrain - par exemple, à des vitesses au moins égales aux vitesses permises et par mauvais temps - et incorporer un plus grand nombre de manoeuvres extrêmes. Il n'est pas réaliste de procéder à un essai sur le terrain, lorsqu'un véhicule est utilisé aux fins de l'exploitation de gisements de pétrole, à un moment où les conditions, pour ce qui est de la route et du temps, sont aussi idéales. En résumé, l'essai était fort restreint et ne constituait pas un essai sur le terrain adéquat de la stabilité du véhicule. Je conclus donc que les résultats de l'essai sur le terrain ne permettent pas de conclure que la remorque d'Energy Rentals est suffisamment équilibrée pour être stable lorsqu'elle circule sur les voies publiques.

[37]       Monsieur Yuzyk a également procédé à une analyse théorique du potentiel de capotage de la remorque d'Energy Rentals. Un résumé de l'analyse y afférente figure dans son rapport :

[traduction]

On a procédé à l'analyse du potentiel de capotage en utilisant des poids déterminés pour la remorque et le gros matériel tels qu'ils ont été fournis par Energy Rentals, et vérifiés au besoin. L'analyse part de l'hypothèse que le plan de capotage va depuis le centre de la cinquième roue jusqu'au centre extérieur de l'essieu avant [...] Le centre de gravité (le CG) des principales pièces d'équipement a été déterminé et, à l'aide de ce renseignement, le CG de la remorque dans son ensemble a été calculé. À l'aide du CG, il a été possible de déterminer le moment de capotage de la remorque, soit le point où il n'y aura plus de poids sur les pneus d'un côté de la remorque. Il a alors été possible d'établir un lien entre la vitesse de la remorque et le rayon de braquage sur lequel la remorque se déplace.

L'analyse a été effectuée en supposant que le réservoir diesel est vide et que le véhicule ne transporte aucune masse-tige. L'analyse devrait se faire dans les conditions les plus défavorables possibles pour causer un capotage [...] L'analyse indique que la remorque est portée sur tous les pneus à une vitesse de virage normale de 25 kilomètres heure si le rayon de braquage est de 7,6 mètres. Sur la grand-route, à une vitesse de 100 kilomètres heure, le rayon de braquage minimum pour que le poids soit supporté sur tous les pneus est de 121,5 mètres. Ces valeurs indiquent que, dans des conditions d'utilisation normales et à des vitesses normales, le véhicule ne versera pas. [Non souligné dans l'original.]

[38]       Cette analyse suscite certaines préoccupations.


1.          L'analyse théorique était également fondée sur des conditions d'utilisation idéales en ce sens que M. Yuzyk a supposé une vitesse maximale de 100 kilomètres heure sur la grand-route et de 25 kilomètres heure dans les tournants. Or, la vitesse limite sur de nombreuses grosses routes à quatre voies de l'Alberta est de 110 kilomètres heure. En outre, il n'est peut-être pas réaliste de se fonder sur une vitesse aussi faible dans les tournants en ce qui concerne de nombreux conducteurs travaillant dans l'industrie pétrolière. Ce facteur à lui seul soulève des doutes sérieux dans mon esprit au sujet de l'utilité de l'analyse.

2.          Je retiens le témoignage de M. McKay selon lequel l'instabilité augmente le risque de capotage ainsi que le risque de perte de maîtrise. Monsieur Yuzyk ne traite pas de cet aspect de la stabilité dans son rapport lorsqu'il parle de l'analyse relative au capotage.

[39]       J'accorde donc peu de poids au rapport Yuzyk. Dans l'ensemble, il n'étaye pas la thèse voulant que la remorque d'Energy Rentals soit stable lorsqu'elle ne transporte aucun matériel.

[40]       Le dernier expert, M. Lorimer, a fait des commentaires au sujet du rapport Yuzyk et du rapport McKay. Il a conclu que la remorque d'Energy Rentals est considérée comme plus stable que la remorque Westmen lorsqu'elle n'est pas chargée, et ce, pour les raisons ci-après énoncées :


1.          Le seuil de capotage calculé pour la remorque d'Energy Rentals est d'environ 15 p. 100 plus élevé que pour la remorque Westmen;

2.          La suspension à huit roues de la remorque d'Energy Rentals peut être plus dure que celle de la remorque Westmen à six roues; et

3.          Le ratio essieu-poids pour la remorque d'Energy Rentals est inférieur, dans une proportion de 25 p. 100, à celui de la remorque Westmen.


[41]       La première de ces raisons était fondée sur sa détermination des seuils de capotage pour chacune des remorques, calculés selon une méthode employée par le Transportation Research Institute de l'université du Michigan (le TRI). Le TRI a publié un certain nombre d'articles portant sur le capotage des camions. La méthode employée par le TRI est différente de celle qui est utilisée par M. McKay en ce sens que des mesures y et z différentes sont employées. Monsieur McKay a mesuré la distance y depuis le bord extérieur des roues de la remorque à la surface de la route jusqu'au centre de la masse, alors que selon l'approche préconisée par le TRI, il faut mesurer la distance depuis le centre des roues, à la surface de la route, jusqu'au centre de la masse de la remorque. La méthode prônée par le TRI donne un seuil de capotage moins élevé. Néanmoins, les valeurs relatives sont utiles lorsqu'il s'agit de comparer la stabilité des deux remorques. En utilisant l'approche préconisée par le TRI, M. Lorimer a calculé que le seuil de capotage pour la remorque d'Energy Rentals était de 0,60 g. Monsieur Lorimer a effectué un calcul similaire pour la remorque Westmen en réduisant simplement la mesure y de 12 pouces pour tenir compte de la distance entre le bord de la remorque et le centre de la bande de roulement sur l'essieu simple de la remorque Westmen. Il a conclu que le seuil de capotage pour la remorque Westmen était de 0,52 g. C'était le fondement de la conclusion de M. Lorimer, selon laquelle le seuil de capotage pour la remorque d'Energy Rentals est d'environ 15 p. 100 plus élevé qu'il ne l'est pour la remorque Westmen.

[42]       Malheureusement, les calculs initiaux de M. Lorimer étaient erronés. Lorsqu'il a été contre-interrogé, M. Lorimer a convenu que la mesure comparable pour la remorque Westmen aurait en fait été de 7,5 à 8 pouces. Le nouveau calcul en résultant, en utilisant 8 pouces au lieu de 12 pouces, change le calcul du seuil de capotage de la remorque Westmen de 0,61 g. Par conséquent, la différence entre les deux remorques pour ce qui est du seuil de capotage est négligeable.

[43]       La deuxième raison invoquée par M. Lorimer - que la suspension à huit roues de la remorque d'Energy Rentals peut être plus dure que la suspension à six roues de la remorque Westmen - était conjecturale. On a donné peu d'explications au sujet de la raison pour laquelle la stabilité de la remorque ne serait pas la même, même si l'énoncé est exact.


[44]       Enfin, M. Lorimer donne comme raison à l'appui de sa conclusion relative à la stabilité, que le ratio essieu-poids de la remorque d'Energy Rentals est inférieur, dans une proportion de 25 p. 100, à celui de la remorque Westmen. Le ratio essieu-poids pour la remorque Westmen non chargée est de 2:1 et pour la remorque d'Energy Rentals, il est de 1,5:1. Monsieur Lorimer explique que cette différence de 25 p. 100 donne à entendre que la remorque d'Energy Rentals sera plus stable que la remorque Westmen lorsqu'elle n'est pas chargée. Encore une fois, ces énoncés ne sont accompagnés d'aucune analyse ou explication.

[45]       Des trois raisons énoncées à l'appui de la conclusion de M. Lorimer, le calcul du seuil de capotage est la raison la plus pertinente. Or, une fois ce calcul corrigé, la différence est négligeable en ce qui concerne la stabilité des deux remorques. Par conséquent, en toute logique, si la remorque Westmen est instable, il en va de même pour la remorque d'Energy Rentals.

[46]       J'ai tenu compte de la preuve dans son ensemble et je suis convaincue que la remorque d'Energy Rentals contrefait le brevet 675. Plus précisément, si une comparaison est faite avec les éléments essentiels de l'invention :

1.          La remorque d'Energy Rentals a été conçue pour transporter tous les éléments d'une tête d'injection motorisée;

2.          La remorque d'Energy Rentals est divisée en deux sections dans le sens de la longueur, les éléments de la tête d'injection motorisée étant fixés à une section;


3.          Si aucune charge n'est ajoutée à la seconde section, la remorque d'Energy Rentals est suffisamment mal équilibrée pour être instable lorsqu'elle circule sur les voies publiques.

Conclusion et directives

[47]       En conclusion, et pour les motifs qui sont ci-dessus énoncés, la demande des demanderesses sera accueillie et celle de la défenderesse sera rejetée.

[48]       Il s'ensuit qu'à cette étape de la présente instance, les demanderesses auront droit aux réparations ci-après énoncées :

1.         un jugement en leur faveur;

2.         un jugement déclaratoire portant :

a)         que le brevet 675 est valide; et

b)         que la défenderesse contrefait le brevet 675;

3.         une ordonnance :

a)         rejetant la demande reconventionnelle de la défenderesse;

b)         interdisant à la défenderesse de contrefaire le brevet 675;


4.         les dépens.

[49]       L'avocat des demanderesses préparera pour approbation un projet de jugement donnant effet à ces conclusions, comme le prévoit l'article 394 des Règles de la Cour fédérale (1998). Ce projet de jugement ou la requête visant l'obtention d'un jugement seront déposés devant la Cour au plus tard le 15 juin 2004. Avec le projet de jugement ou la requête, les demanderesses déposeront un projet d'échéancier aux fins de l'évaluation des dommages-intérêts. De plus, les demanderesses auront droit à une ordonnance immédiate interdisant à la défenderesse de démonter ou d'enlever le matériel de la remorque contrefaite tant que la Cour n'aura pas rendu une autre ordonnance. Les parties devront présenter des observations écrites sur la question de la remise des remorques contrefaites selon l'échéancier suivant :

1.         les observations des demanderesses seront signifiées et déposées au plus tard le 8 juin 2004;

2.         les observations de la défenderesse seront signifiées et déposées au plus tard le 15 juin 2004; et

3.         les observations des demanderesses en réponse seront signifiées au plus tard le 18 juin 2004.

                                                                                                                              « Judith A. Snider »             


                                                                                                                                                     Juge                      

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                    T-150-01

INTITULÉ :                                                   WARREN WESSEL et WESTMEN OILFIELD

RENTALS (ALBERTA) LTD.

c.

ENERGY RENTALS INC.

LIEU DE L'AUDIENCE :                             EDMONTON (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :                           DU 5 AU 7 AVRIL 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                                  LE 31 MAI 2004

COMPARUTIONS :

J. Cameron Prowse                                                                   POUR LES DEMANDERESSES

G. Bruce Comba                                                                       POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Prowse Chowne LLP                                                                POUR LES DEMANDERESSES

Edmonton (Alberta)

Morris Rosenberg                                                                      POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

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