Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

                                                                                                               Date : 19990412

                                                                                                           Dossier : T-719-98

Entre :

                                     MICHAEL NATHAN SHOULDERS,

                                                                                                                     demandeur,

                                                                 - et -

                              LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

                                                                                                                       défendeur.

                                         MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE SHARLOW

[1]         Le demandeur réclame le contrôle judiciaire d'une décision prise en 1996 en vue de modifier les conditions de surveillance applicables à sa libération conditionnelle. La demande a été déposée le 15 avril 1998 aux termes d'une ordonnance lui accordant une prorogation de délai. L'audience était fixée au 13 avril 1999.

[2]         La présente demande de contrôle judiciaire a été présentée dans le but d'alléger les conditions rigoureuses qui lui ont été imposées en 1996 dans la décision contestée. Avant que cette décision soit prise, le demandeur était autorisé à communiquer avec son agent de liberté conditionnelle une fois par année par écrit. La décision de 1996 l'obligeait à se présenter une fois par mois en personne jusqu'à ce que son cas ait été examiné et ensuite au moins une fois tous les trois mois. Au moment où la demande a été déposée, le demandeur avait été amené à croire que les conditions de sa libération conditionnelle expireraient à l'été de 1999. À la mi-octobre 1998, on l'a informé que ces conditions avaient pris fin le 9 octobre 1998, de sorte qu'à cette date il n'était plus un libéré conditionnel et donc plus soumis à une surveillance.

[3]         Le 6 avril 1999, le défendeur a présenté une requête pour faire rejeter la demande en alléguant son caractère théorique. Cette requête a été entendue le 13 avril 1999 au début de l'audition de la demande. J'ai réservé ma décision sur la requête et j'ai entendu les arguments concernant la demande elle-même, réservant également ma décision à ce sujet jusqu'à ce que j'aie pris ma décision sur la requête.

[4]         La réparation recherchée en l'espèce est une ordonnance annulant la décision de 1996, ce qui rétablirait les conditions de communication annuelle qui étaient en vigueur avant cette décision. Si la demande était accueillie, il en résulterait une ordonnance sans aucun effet pratique, du moins dans le contexte de la demande initialement présentée, puisque depuis le 9 octobre 1998 le demandeur n'est plus tenu de se présenter aux autorités.

[5]         L'arrêt de principe sur la question du caractère théorique est l'arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342. Selon cette décision, il est nécessaire d'examiner, tout d'abord, si l'instance est théorique et ensuite, si tel est le cas, d'examiner si une décision doit être prise malgré le caractère théorique.

[6]         Une instance devient théorique quand les circonstances ont tellement changé qu'il n'existe plus entre les parties de litige actuel qui puisse être réglé par une décision. À mon avis, c'est exactement le cas en l'espèce. Je conclus que cette demande est théorique[1].

[7]         La question qui se pose ensuite est de savoir si je dois exercer mon pouvoir discrétionnaire de me prononcer sur la demande malgré son caractère théorique. J'ai décidé de ne pas le faire. Pour parvenir à cette conclusion, j'ai été guidé par le raisonnement énoncé dans l'arrêt Borowski concernant le pouvoir discrétionnaire des tribunaux.

[8]         La capacité des tribunaux de trancher des litiges, qui a sa source dans le système contradictoire, est l'un des facteurs à considérer. Ce système se fonde sur la présomption que seules les parties ayant un intérêt dans l'issue du litige pourront en débattre complètement tous les aspects. À partir de cette prémisse, il est approprié de se demander s'il subsiste des conséquences accessoires à la solution du litige qui fournissent le contexte contradictoire nécessaire.

[9]         Le demandeur prétend qu'il devrait encore avoir la possibilité de demander une déclaration attestant que la décision était illégale, étant donné qu'il a l'intention d'intenter une action en dommages-intérêts. Aucune action de ce genre n'avait encore été introduite à la date de l'audience, mais on a laissé entendre pendant les plaidoiries que ce fait était dû uniquement au manque d'argent du demandeur, et qu'il est peu probable que le demandeur réussisse à trouver un avocat pour le représenter dans une action en dommages-intérêts en l'absence d'une décision favorable dans la présente demande.

[10]       Comme je ne dispose pas d'éléments de preuve pour décrire quelle serait la réclamation du demandeur, je dois supposer qu'il s'agira d'une réclamation en dommages-intérêts résultant de l'exercice illégal d'un pouvoir prévu par la loi. Pour donner une quelconque importance à ce facteur, je dois également supposer que, si je devais conclure que la décision contestée de 1996 était illégale, l'un des éléments de la réclamation du demandeur serait établi. Si je pouvais faire ces hypothèses, celles-ci favoriseraient l'audition de la demande malgré son caractère théorique.

[11]       La preuve dont je suis saisie soulève une question de fait quant à savoir si la décision qui a eu des conséquences défavorables sur le demandeur a été prise par la Commission nationale des libérations conditionnelles ou par un agent de libération conditionnelle. Donc, si je devais entendre la demande, je devrais choisir entre deux théories contradictoires quant au pouvoir légal sur lequel le décideur prétend s'être appuyé. Je suis en mesure de parvenir à une conclusion d'après la preuve produite dans la présente demande, mais une preuve différente pourrait fort bien mener à une conclusion différente. Par conséquent, je ne peux conclure qu'une décision favorable dans la présente demande permettrait d'établir les conséquences accessoires que le demandeur recherche.

[12]       La possibilité de solutions contradictoires est également un élément pertinent à examiner au regard de l'économie des ressources judiciaires, et cet élément ne favorise pas l'audition de la demande. Il y a d'autres questions dont il faut tenir compte à cet égard. Je ne sais pas si une décision en faveur du demandeur en l'espèce permettra d'épargner beaucoup de temps dans le futur procès portant sur la réclamation en dommages-intérêts. Le juge qui entendra cette réclamation devra quand même examiner tous les autres éléments de la réclamation de même que toutes les défenses produites. Cela pourrait éventuellement inclure des questions de fait difficiles à trancher, abstraction faite de celles qui se rapportent uniquement à la décision contestée. En outre, toute décision que je prendrai dans la présente demande pourrait être portée en appel, comme pourrait l'être toute réclamation en dommages-intérêts, ce qui signifie qu'il pourrait y avoir deux procédures d'appel portant sur la même question.

[13]       Tout bien considéré, je pense que l'examen des conséquences accessoires et l'économie des ressources judiciaires ne favorisent pas l'audition de la présente demande.

[14]       D'après mon interprétation de l'arrêt Borowski, je pense que je pourrais également entendre la présente demande si je croyais qu'elle soulève une question d'importance publique, dont le règlement est dans l'intérêt du public. Un affidavit déposé par le défendeur prétend qu'il n'y a pas de litige en instance, à l'exception de la présente demande, concernant la question juridique qui est soulevée en l'espèce. Le demandeur a prétendu que plusieurs personnes pouvaient avoir un intérêt dans l'issue de la présente demande, mais il n'a produit à l'appui de cet argument aucun élément de preuve qui me permette d'évaluer l'étendue de cet intérêt. Je ne suis pas persuadée que le public a un intérêt suffisant dans la présente demande pour justifier qu'elle soit entendue malgré son caractère théorique.

[15]       La demande est rejetée. Les parties assumeront leurs propres frais.

                                                                                                « Karen Sharlow »

                                                                                  

                                                                                                            JUGE

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                           T-719-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                    Michael Nathan Shoulders c.

                                                                                   Procureur général du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :                             Edmonton (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :                            le 12 avril 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               le juge Sharlow

DATE :                                                                       le 12 avril 1999

ONT COMPARU :

Ronald G. Hopp                                                           pour le demandeur

Randolph R. Benson

Ministère de la Justice                                       pour le défendeur

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Ronald G. Hopp

Edmonton (Alberta)                                                      pour le demandeur

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                               pour le défendeur



                [1] Cette conclusion est compatible avec les décisions Wise c. Canada, T­­-3202-91, 24 avril 1992 ; Hunt c. Canada, T-2139-92, 11 juin 1993 ; Armes c. Canada, T-1644-97, 7 mai 1998.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.