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     T-260-94

ENTRE:          ADMINISTRATION DE PILOTAGE DES LAURENTIDES,

     Demanderesse

ET:              TECHNO-NAVIGATION LTÉE,
             -et-
             TECHNO-BARGES INC.,

     Défenderesses (in personam)

ET:              LES NAVIRES:
             M.T. "TECHNO-VENTURE"
             BARGE "JEAN-RAYMOND",

     Défendeurs (in rem)

     MOTIFS DE JUGEMENT

LE JUGE DENAULT:

     L'Administration de pilotage des Laurentides (l'APL) réclame des défendeurs des droits de pilotage qu'elle estime lui être dûs en raison des activités du remorqueur Techno-Venture et de la barge Jean-Raymond sur le fleuve St-Laurent.

     À l'origine, la demanderesse réclamait des défenderesses in personam et des défendeurs in rem la somme de 10,162.24 $ pour des services de pilotage rendus en vertu des pouvoirs qu'elle détient aux termes de la Loi sur le pilotage, L.R.C. (1985), ch. P-14 (la Loi) et le Règlement de l'Administration de pilotage des Laurentides, ch. 1268 (le Règlement). Les montants réclamés ont été imposés conformément aux règlements en vigueur1.

     Au cours de l'enquête, aux termes d'une entente intervenue entre les parties, la demanderesse s'est désistée de son action in rem contre le remorqueur Techno-Venture et la barge Jean-Raymond à défaut de l'avoir fait signifier, et des intérêts réclamés. La demanderesse a par ailleurs amendé sa Déclaration, avec le consentement de la partie défenderesse, pour la porter à 38,653.98 $, tenant compte de nouvelles factures pour des voyages faits depuis l'institution des procédures.

     La preuve a démontré que le Techno-Venture, propriété de Techno-Barges Inc., est un remorqueur de 138 pieds de long, de 30 pieds de large, et d'un tonnage de jauge nette de 469.65 tonneaux. Quant à la barge Jean-Raymond, une barge non propulsée, elle mesure 409 pieds de long, 57 pieds de large, et possède un tonnage de jauge nette de 3,724.510 tonneaux; elle appartient aussi à Techno-Barges Inc.

     Les services de pilotage réclamés par la demanderesse auraient été fournis, selon elle, à différentes dates sur le fleuve St-Laurent en des endroits situés dans les Circonscriptions No 1 et No 2 entre Les Escoumins et Portneuf2.

     Les fiches de pilotage et les factures correspondantes se regroupent en trois catégories. La première catégorie de factures couvre en fait deux voyages effectués par le Techno-Venture et la Jean-Raymond, l'un le 19 juin 1991 entre Les Escoumins et Québec, et l'autre le 22 juin 1991 entre Québec et Les Escoumins. À chaque reprise, les fiches de pilotage ont été signées par le capitaine et les pilotes, mais il appert des fiches de pilotage du 22 juin 1991 (APL 1(5) et APL 1(7)) que le propriétaire a protesté contre l'obligation de prendre un pilote à bord. Ces factures totalisent 3,195.34 $3. La deuxième catégorie de factures se rapporte à un voyage du 24 septembre 1991 où seul le pilote a signé la fiche de pilotage du remorqueur et de la barge (APL 1(9) et APL 1(11)). La fiche de pilotage de la barge Jean-Raymond indique que le capitaine aurait refusé la présence à bord des pilotes de la demanderesse. Ces factures totalisent 1,445.16 $4. Quant à la dernière catégorie - elle représente 34,013.48 $5 sur la réclamation totale de 38,653.98 $ - elle comprend des fiches de pilotage et des factures préparées par le service de comptabilité de la demanderesse en rapport avec des voyages qui auraient été effectués par le remorqueur et la barge de la défenderesse Techno-Barges Inc., sans qu'aucun service de pilotage n'ait été fourni; cette partie de la réclamation est fondée sur l'article 44 de la Loi.

     La demanderesse prétend avoir droit au paiement de ces factures en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés par la Loi sur le pilotage, le Règlement de l'Administration de pilotage des Laurentides, et les Tarifs fixés par les Règlements.

     Les défenderesses refusent de payer le montant réclamé parce qu'elles se disent exemptées, aux termes même du Règlement de l'Administration de pilotage des Laurentides de l'obligation de prendre à bord les pilotes de la demanderesse.

     La Loi sur le pilotage a constitué des Administrations de pilotage (art.3), dont la demanderesse, à qui elle a confié la mission de "mettre sur pied, faire fonctionner, d'entretenir et de gérer, pour la sécurité de la navigation, un service de pilotage efficace dans la région..." (art.18) afférente à chacune d'elles. À cette fin, la loi permet à chacune de ces Administrations de faire, avec l'approbation du Gouverneur en conseil, les règlements généraux nécessaires à l'exécution de sa mission (paragragraphe 20(1)) et, notamment: a) établir des zones de pilotage obligatoire; b) déterminer les navires ou catégories de navires assujettis au pilotage obligatoire; et c) établir les circonstances dans lesquelles il peut y avoir dispense du pilotage obligatoire. L'Administration de pilotage des Laurentides a ainsi adopté le Règlement 1268 dont l'article 4 se lit ainsi:

     4.      (1) Sous réserve du paragraphe (3), les navires ou catégories de navires
             a)      immatriculés au Canada
        
             (i)      qui naviguent dans la circonscription no 1 ou la circonscription no 1-1, de plus de 68,58 mètres (225 pieds) de longueur et de plus de 1,500 tonneaux de jauge nette au registre, ou
             (ii)      qui naviguent dans la circonscription no 2, de plus de 79,33 mètres (260 pieds) de longueur et de plus de 2,000 tonneaux de jauge nette au registre, et
             b)      non immatriculés au Canada, de plus de 30,48 mètres (100 pieds) de longueur
             sont assujettis au pilotage obligatoire.
         (2)      Les gabarres et barges immatriculées au Canada, armées de capitaines et d'officiers canadiens et qui transportent une cargaison d'un polluant au sens de l'article 727 de la Loi sur la marine marchande du Canada sont assujetties au pilotages obligatoire.
         (3)      Les navires ou catégories de navires ci-après immatriculés au Canada et armés de capitaines et d'officiers canadiens ne sont pas assujettis au pilotage obligatoire:
             a)      les navires du gouvernement du Canada non employés à des fins commerciales;
             b)      les traversiers affectés au transport payant de passagers entre plusieurs terminus selon un horaire établi;
             c)      les navires conçus pour la pêche et affectés à la pêche;
             d)      les remorqueurs, grues flottantes et dragues; et
             e)      les barges autopropulsées affectées régulièrement au commerce entre plusieurs terminus de la province de Québec situés dans la circonscription no 2 ou à l'est, sauf les barges visées par le paragraphe (2).
         (4)      Nonobstant le paragraphe (3), lorsque l'utilisation d'un navire visé par l'un des alinéas b) à e) dudit paragraphe risque, par suite de
             a)      l'état du navire,
             b)      circonstances exceptionnelles à bord du navire, ou
             c)      conditions atmosphériques, des marées, des courants ou des glaces
             de compromettre la sécurité de la navigation, ledit navire doit avoir à son bord un pilote breveté ou le titulaire d'un certificat de pilotage.

     Il ne fait pas de doute qu'aux termes de l'alinéa 4(3)d), le remorqueur Techno-Venture n'est pas assujetti au pilotage obligatoire sauf dans les cas prévus au paragraphe 4(4), lorsque l'utilisation du navire risque de compromettre la sécurité de la navigation. C'est l'APL qui en a décidé ainsi en adoptant son Règlement. Dans la mesure où la demanderesse n'a pas fait la preuve de l'existence de l'une des situations énoncées aux alinéas 4(4)a), b) ou c), le remorqueur de la demanderesse n'est pas assujetti au pilotage obligatoire et l'action de la demanderesse, à cet égard, est irrecevable.

     Mais qu'en est-il de la barge Jean-Raymond? Voyons d'abord ce que prévoit le Règlement de l'Administration de pilotage des Laurentides à propos des barges.

     Le Règlement ne traite que des barges qui sont affectées à des situations particulières: a) les barges immatriculées au Canada, armées de capitaines et d'officiers canadiens et qui transportent une cargaison d'un polluant sont assujettis au pilotage obligatoire en vertu du paragraphe 4(2); b) les barges autopropulsées, aussi immatriculées au Canada et armées de capitaines et d'officiers canadiens, en autant qu'elles sont affectées régulièrement au commerce entre plusieurs terminus dans la circonscription No 2 ou à l'est, ne sont pas assujetties au pilotage obligatoire en vertu de l'alinéa 4(3)e) sauf dans les situations prévues au paragraphe 4(4). La barge Jean-Raymond, nous le savons déjà, est non propulsée, elle n'est pas armée de capitaines ou d'officiers canadiens, et la preuve n'a pas démontré qu'elle transportait des cargaisons de polluants. Faut-il en déduire, comme le suggère le procureur des défenderesses, qu'à défaut, entre autres conditions, d'être armée d'un capitaine, une barge n'est pas assujettie au pilotage obligatoire? Non, si une barge ne rencontre pas les exigences du paragraphe 4(2), elle ne devient pas exclue pour autant du pilotage obligatoire; elle n'entre tout simplement pas dans le cadre du paragraphe 4(2).

     Faut-il par ailleurs en déduire, comme le suggère le procureur de la demanderesse, que dans la mesure où la barge entre dans la définition très large de "navire"6 elle est, de par sa longueur et sa jauge nette, assujettie au pilotage obligatoire (alinéa 4(1)a))? Je ne le crois pas davantage.

     En effet, la Loi sur le pilotage, on l'a vu plus haut, a confié à l'APL la mission de mettre sur pied et de gérer un service de pilotage pour assurer la sécurité de la navigation (article 18 de la Loi), et lui a donné, à cette fin, le pouvoir de déterminer les navires assujettis au pilotage obligatoire (alinéa 20(1)c) de la Loi). Une question cruciale se pose: comment une barge non propulsée, non armée d'un capitaine ou d'officiers canadiens et pas même munie d'équipements nécessaires à la navigation peut-elle être assujettie au pilotage obligatoire? Il y a, semble-t-il, impossibilité physique d'y loger un pilote. C'est dans ce sens que la Cour supérieure du Québec s'est prononcée dans L'Administration de pilotage des Laurentides c. Logistec Navigation Inc. et Techno-Maritime Limitée7, une affaire impliquant aussi une barge où il n'y avait aucune facilité à bord permettant à un pilote de naviguer, où il n'y avait ni gouvernail manoeuvrable, ni aucune force de propulsion, et où le remorqueur qui la tirait était aussi exempté sans restriction. La Cour a décidé que même si, strictement, la barge était classifiée comme un navire astreint au pilotage obligatoire, l'application du Règlement était impossible. Portée devant la Cour d'appel du Québec, cette affaire n'a pas eu le résultat souhaité par la demanderesse, la Cour ayant rejeté l'appel mais sans se prononcer sur le mérite de l'appel vu la disparition de l'objet du litige8.

     Je suis aussi d'avis que le Règlement, vague et imprécis, n'a pas pour effet d'assujettir au pilotage obligatoire les barges non propulsées, non armées de capitaines et d'officiers canadiens et ni même équipées pour recevoir un pilote à bord.

     À l'encontre de l'argument à l'effet que l'application du Règlement est impossible, le procureur de la demanderesse a invoqué les articles 43 et 44 de la Loi. Ils prévoient ceci:

     43. Lorsqu'un navire se trouvant dans une zone de pilotage obligatoire et ayant à son bord un pilote breveté guide un navire assujetti au pilotage obligatoire qui n'a pas à son bord un pilote breveté ou le titulaire d'un certificat de pilotage pendant toute période durant laquelle il est impossible, en raison des circonstances prévalant à ce moment, de monter à bord du navire guidé, celui-ci est responsable envers l'Administration des droits de pilotage comme si un pilote breveté avait été à son bord et l'avait piloté.
     44. Sauf si une Administration le dispense du pilotage obligatoire, le navire assujetti au pilotage obligatoire qui poursuit sa route dans une zone de pilotage obligatoire sans être sous la conduite d'un pilote breveté ou du titulaire d'un certificat de pilotage est responsable envers l'Administration dont relève cette zone des droits de pilotage comme si le navire avait été sous la conduite d'un pilote breveté.

     J'estime que ni l'un ni l'autre de ces articles ne couvre la situation qui prévaut en l'espèce. L'article 43 prévoit le cas où il est impossible à un pilote, en raison des circonstances prévalant à ce moment, de monter à bord du navire guidé. En l'espèce, la demanderesse n'a fait la preuve d'aucun cas particulier où une telle circonstance se serait produite. Quant à l'article 44, il ne s'applique qu'au navire assujetti au pilotage obligatoire qui poursuit sa route sans être sous la conduite d'un pilote. Dans la mesure où la barge n'était pas à même de recevoir un pilote, cet article ne peut recevoir d'application.

     Peut-on soutenir enfin, comme la méthode de facturation de la demanderesse le laisse entendre9, qu'un remorqueur et une barge deviennent tous deux assujettis au pilotage obligatoire du fait même qu'ils naviguent ensemble et que, bref, ils servent aux fins auxquelles chacun d'eux a été conçu, le premier pour touer ou remorquer, la seconde pour être touée ou remorquée?

     C'est un non-sens. D'abord le Règlement ne prévoit pas une telle situation. De plus, il serait illogique que le Règlement, après avoir exclu les remorqueurs de l'assujettissement au pilotage obligatoire, les soumette à celui-ci lorsqu'ils exercent leur fonction de remorquer ou de touer.

     L'action de la demanderesse ne peut être accueillie et doit être rejetée avec dépens.

OTTAWA, le 11 décembre 1`996

J.C.F.C.

__________________

1      Règlement de 1986 sur les tarifs de l'Administration de pilotage des Laurentides, DORS/86-1006, Règlement de 1991 sur les tarifs de l'Administration de pilotage des Laurentides, DORS/92-44 et Règlement de 1994 sur les tarifs de l'Administration de pilotage des Laurentides, DORS/94-588.

2      L'article 3 du Règlement de l'Administration de pilotage des Laurentides divise la zone de pilotage en circonscriptions qui sont décrites à l'Annexe II du Règlement.

3      Le montant des factures s'élève à 1,883.96$ pour le Techno-Venture et à 1,311.38$ pour la barge Jean-Raymond (Pièce APL 2, cas No 1)

4      La facture pour le Techno-Venture s'élève à 570.96$ et celle pour la barge Jean-Raymond à 874.20$ (Pièce APL 2, cas No 3).

5      Les parties ont convenu de ce montant. Voir "Convention entre les parties relativement à des désistements, admissions et amendements."

6      "Navire": Toute construction flottante conçue ou utilisée pour la navigation, qu'elle soit pourvue ou non d'un moyen propre de propulsion. Loi sur le pilotage , art.2.

7      Cour supérieure, district de Montréal, No 500-05-010137-808. Pièce APL-10.

8      Cour d'appel (Montréal) No 500-09-001086-800. Pièce APL-11.

9      Pour chaque voyage effectué par le remorqueur Techno-Venture et la barge Jean-Raymond, la demanderesse imposait des frais de pilotage à chacun d'eux et les facturait séparément.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N º DE LA COUR: T-260-94

INTITULÉ : Administration de Pilotage des Laurentides - c - Techno-Navigation Ltée, et Techno-Barges Inc. - et - Les Navires:

M.T. "Techno-Venture" Barge "Jean-Raymond"

LIEU DE L'AUDIENCE : Montréal (Québec) DATE DE L'AUDIENCE : 29 et 30 octobre 1996 MOTIFS DU JUGEMENT DU JUGE DENAULT EN DATE DU 11 DÉCEMBRE 1996

COMPARUTIONS

GUY P. MAJOR POUR LA DEMANDERESSE

RICHARD GAUDREAU POUR LES DÉFENDERESSES

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

GUY P. MAJOR POUR LA DEMANDERESSE MONTRÉAL (QUÉBEC)

LANGLOIS ROBERT GAUDREAU POUR LES DÉFENDERESSES QUÉBEC (QUÉBEC)

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