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IMM-408-96

 

 

Ottawa (Ontario), le vendredi 18 octobre 1996

 

Présent :         L’honorable juge Gibson

 

 

E N T R E :

 

 

 

              LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION,

 

                                                                    requérant,

 

                                      et

 

 

                                AMARJIT SINGH,

 

                                                                       intimé.

 

 

 

ORDONNANCE

 

 

 

            La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La Cour confirme la partie de la décision de la Section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié selon laquelle la décision de l’agent d’immigration dont elle était saisie est conforme à la loi. À tous les autres égards, la décision de la Section d’appel est annulée.

 

 

 

 

FREDERICK E. GIBSON

   ___________________

 

juge

 

 

Traduction certifiée conforme____________________

Bernard Olivier


IMM-408-96

 

E N T R E :

 

 

 

              LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION,

 

                                                                    requérant,

 

                                      et

 

 

                                AMARJIT SINGH,

 

                                                                       intimé.

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

LE JUGE GIBSON :

 

            Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel (ci-après le «Tribunal») de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié selon laquelle il existe des motifs d’ordre humanitaire justifiant l’octroi d’une mesure spéciale, bien que la décision de l’agent chargé de la demande selon laquelle celui-ci refuse d’accorder le droit d’établissement au Canada à la prétendue épouse de l’intimé à titre de personne appartenant à la catégorie de la famille soit « ... conforme à la loi». La décision du Tribunal, en date du 6 décembre 1995, se présente comme ayant été prise en vertu de l’article 77 de la Loi sur l’immigration.[1]


 

            Voici le libellé de l’essentiel des motifs du Tribunal en ce qui concerne cette décision :

 

    [TRADUCTION]Les faits en l’espèce sont les suivants. Amarjit Singh est né le 2 juillet 1954 à Bagawal Hoshiapur, en Inde. Il s’agit d’un village d’environ 60 maisons où son père était prêtre. M. Singh est aussi prêtre. À deux reprises, il a fait la demande d’un visa de visiteur pour se rendre au Canada en vue de s’adonner à sa vocation religieuse. À l’occasion de sa première demande, en date du 10 juillet 1984, il a signé un formulaire sur lequel il indiquait être marié à Surinder Kaur. Le 22 janvier 1986, il a signé un autre formulaire sur lequel il indiquait aussi que Surinder Kaur était son épouse. Il nie avoir déjà été marié à Surinder Kaur. Il prétend que, dans les deux cas, quelqu’un a rempli le formulaire pour lui. M. Singh est rentré en Inde pour une période d’environ six mois pour être avec sa femme, Ravinder Kaur. Quelques mois après qu’il ait obtenu sa citoyenneté canadienne, cette dernière donnait naissance à leur fille.

 

    M. Singh est venu au Canada afin de prêcher dans un Temple qui s’y trouve. À mon avis, cela rend son mensonge encore plus odieux. Le fait qu’il demande pardon tout en persistant à blâmer les personnes qui ont rempli les formulaires pour lui est agaçant. Par ailleurs, les raisons contradictoires qu’il a fournies pour avoir quitté la prêtrise constituent un autre aspect troublant de son cas. M. Singh veut me faire croire qu’il a quitté la prêtrise en guise de pénitence pour avoir menti et infligé les souffrances qui s’en sont ensuivis à lui-même et à sa famille. Du même souffle, il dit que la raison de son départ a trait à une discorde survenue parmi les membres du temple. Quel est le véritable motif de son départ? Je l’ignore. M. Singh est responsable de son mensonge et il ne peut feindre ignorer la raison pour laquelle il a menti. Il a maintenant une femme et un enfant en Inde.

 

    Je ne vois aucune raison de continuer à garder cette famille séparée malgré l’abus de confiance grave de M. Singh, grave d’autant plus qu’il est un homme religieux, un prédicateur. Toutefois, il s’est établi au Canada et rien ne montre qu’il n’est pas un citoyen respectueux de la loi.

 

    La lettre de refus est valable en droit. L’appel est accueilli conformément au paragraphe 77(3)b) de la Loi sur l’immigration.

 

 

Ainsi, bien qu’il ait maintenu la décision rejetant la demande parrainée du droit d’établissement de Ravinder Kaur en se fondant sur le fait que l’intimé ne pouvait pas marier cette dernière en raison d’un mariage précédent, et bien qu’il ait trouvé que les mensonges de l’intimé étaient «odieux» et constituaient un «abus de confiance grave», le Tribunal a néanmoins mentionné Ravinder Kaur comme s’il s’agissait de la «femme» de l’intimé et d’un membre de la famille de celui-ci et il a conclu que la réunification de la «famille» de l’intimé au Canada constituait un motif d’ordre humanitaire justifiant une décision favorable à l’intimé.

 

      Par ailleurs, les déclarations suivantes, que le président du Tribunal a faites à la fin de l’audition tenue quelque cinq mois avant que la décision écrite et les motifs ne soient rendus, ont rendu la situation encore plus confuse :

 

Malgré tout cela, je ne vois aucune raison de continuer à garder cette famille séparée malgré son abus de confiance grave. Je dis «grave» car il s’agit d’un homme religieux, d’un prédicateur. L’appel est -- la lettre de refus est valable. L’appel est accueilli conformément au paragraphe 77(3)b).

                             ....

 

...je désire retirer ma déclaration finale selon laquelle la lettre de refus est valable en droit et l’appel est accueilli conformément au paragraphe 77(3)a) (sic). Cela est erroné. Je déclare que la lettre de refus n’est pas valable en droit. L’appel est accueilli conformément au paragraphe 77(3)a)...

D’une part, la première déclaration du président du Tribunal est manifestement compatible avec la décision rendue et les motifs écrits. D’autre part, la deuxième déclaration dont l’objet, semble-t-il, consiste à rectifier la première, est bien sûr incompatible avec la décision rendue et les motifs écrits.

 

      Devant moi, l’avocat du requérant a prétendu que la décision rendue et les motifs écrits du Tribunal constituaient la «décision» de ce dernier, peu importe ce qu’a pu dire le président du Tribunal à la fin de l’audition. Le Tribunal, ayant conclu que le refus de l’agent d’immigration d’accepter le parrainage de Ravinder Kaur par l’intimé était conforme à la loi parce que ce dernier était déjà marié et n’était pas libre de marier Ravinder Kaur, a dû conclure, dans cette décision, que Ravinder Kaur n’était pas l’épouse de l’intimé et que, par conséquent, il ne s’agissait pas d’une personne appartenant à la catégorie de la famille, en ce qui concerne l’intimé. Vu les circonstances, le Tribunal n’avait pas la compétence de statuer sur cette question en vertu de l’article 77 de la Loi sur l’immigration et, par conséquent, il a erré en concluant qu’il existait des raisons d’ordre humanitaire justifiant une décision favorable à l’endroit de l’intimé. En outre, l’avocat a prétendu que le Tribunal a erré en concluant qu’il existait des motifs d’ordre humanitaire justifiant la réunification de la famille étant donné que, à la lumière de la même décision, il appert que l’agent d’immigration a conclu que Ravinder Kaur n’était pas l’épouse de l’intimé.

 

      L’avocat de l’intimé a prétendu que la décision telle que rendue par le Tribunal renfermait un [TRADUCTION] «manquement» ou une [TRADUCTION]  «erreur» qu’il importait de rectifier pour faire en sorte que la décision rendue soit conforme à la déclaration finale que le président du Tribunal a faite à la fin de l’audition. L’avocat a étayé son argument en citant un passage de l’arrêt Chandler c. Alberta Association of Architects[2], à la page 861 :

    En règle générale, lorsqu’un tel tribunal a statué définitivement sur une question dont il était saisi conformément à sa loi habilitante, il ne peut revenir sur sa décision simplement parce qu’il a changé d’avis, parce qu’il a commis une erreur dans le cadre de sa compétence, ou parce que les circonstances ont changé. Il ne peut le faire que si la loi le lui permet ou s’il y a eu un lapsus ou une erreur au sens des exceptions énoncées dans l’arrêt Paper Machinery Ltd. v. J.O. Ross Engineering Corp.[3]

 

      À la lumière des éléments de preuve qui m’ont été présentés et des observations de l’avocat de l’intimé, je conclus que le [TRADUCTION] «manquement» ou [TRADUCTION] l’«erreur» que présente cette affaire apparaît dans les déclarations que le président du Tribunal a faites à la fin de l’audition devant le Tribunal mais non dans la décision rendue, laquelle est étayée par les motifs écrits. Le fait que la décision rendue et les motifs écrits contredisent la position finale du président du Tribunal à la fin de l’audition est certes regrettable mais cela n’a aucune importance. Dans la décision rendue dans l’arrêt Shairp c. M.R.N.[4], le juge Marceau a mentionné ce qui suit :

.... tant que le jugement n’a pas été déposé, la déclaration d’un juge, même faite à l’audience publique et en présence du greffier, est simplement l’expression d’une opinion et une déclaration d’intention, qui n’ont en droit aucun effet décisif et restent par conséquent susceptibles d’être modifiées. On s’attendrait certainement à ce qu’un juge qui décide, à la fin d’une audience, de faire connaître publiquement son opinion motivée et de révéler la façon dont il entend statuer sur l’affaire dont il est saisi, ne rendra plus tard des motifs contraires et un jugement complètement différent que dans des circonstances extraordinaires. Mais sa compétence à agir de la sorte me semblerait entière s’il continuait d’être saisi de l’affaire, comme c’est évidemment le cas.

 

 

      Étant donné que le Tribunal a conclu que le refus de la demande du droit d’établissement de Surinder Kaur était valable en droit et que ce refus se fondait sur la conclusion selon laquelle Surinder Kaur n’était pas une personne appartenant à la catégorie de la famille, le Tribunal n’avait pas la compétence d’examiner l’appel de l’intimé en vertu de l’article 77 de la Loi sur l’immigration.[5]  Par conséquent, le Tribunal n’avait pas la compétence en vertu de l’article 77 de la Loi sur l’immigration d’accueillir l’appel de l’intimé en se fondant sur des motifs d’ordre humanitaire.

 

      Pour ces motifs, la Cour accueille l’appel et annule la décision du Tribunal. Ayant conclu que le Tribunal n’a pas commis une erreur en déterminant que la décision de l’agent d’immigration dont il était saisi était conforme à la loi et que, par conséquent, le Tribunal n’avait pas la compétence d’examiner cette question, j’estime qu’il ne servirait à rien de renvoyer l’affaire à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

 

      À la lumière de ce qui précède, je n’ai pas à me pencher sur la question de savoir si la conclusion du Tribunal qu’il existait des motifs d’ordre humanitaire justifiant une décision favorable à l’intimé était erronée, et je refuse de le faire.

 

      Comme l’indique la quatrième note en bas de page des présents motifs, la décision Shairp, dont je me suis inspiré, n’a pas été citée devant moi. Ainsi, lorsque j’ai demandé aux avocats si la décision que je rendais dans cette affaire soulevait une question grave de portée générale méritant d’être certifiée en vertu du paragraphe 83(1) de la Loi sur l’immigration, l’avocat de l’intimé a demandé à examiner la décision Shairp et toute jurisprudence s’y rapportant et à soumettre des observations écrites. J’ai acquiescé à cette demande. De son côté, l’avocat du requérant a indiqué que cette affaire ne soulevait pas de question méritant d’être certifiée et qu’il ne soumettrait pas d’observations écrites. L’avocat de l’intimé a respecté le délai convenu et il a demandé à la Cour de certifier les questions suivantes :

1.À quel moment un jugement est-il final? Dans le cas où la Section d’appel de l’immigration a rendu une décision verbalement, la Commission a-t-elle la compétence de modifier considérablement la décision rendue, comme le propose la Cour d’appel fédérale dans la décision Shairp c. M.R.N. , ou la Commission n’a-t-elle pas la compétence de procéder de la sorte, comme l’a déterminé la Cour d’appel fédérale dans la décision Canada (M.E.I.) c. Restrepo[6]?

 

2.Dans le cas où la Commission a la compétence de modifier considérablement la décision rendue verbalement, peut-elle le faire uniquement dans des circonstances exceptionnelles?

Après un examen de la décision Restrepo que l’avocat m’a soumise, j’ai conclu que celle-ci ne s’appliquait pas aux faits en l’espèce. Dans cette affaire, il appert des motifs du juge Pratte que la Commission d’appel de l’immigration a rendu une décision le 7 avril 1987 qui semble avoir été écrite et consignée. La partie déboutée a demandé l’autorisation d’en appeler de la décision. Avant d’accorder cette autorisation, la Commission d’appel de l’immigration a donné des motifs écrits et son greffier a signé une décision «modifiée» différant considérablement de la décision originale, en réponse à une demande de la partie déboutée. Le juge Pratte a écrit ce qui suit :

Le 1er septembre 1987, en effet, la Commission était dessaisie de cette affaire qu’elle avait déjà jugée le 7 avril en rendant une décision qu’elle n’avait plus le pouvoir de modifier. Il en aurait été autrement, bien sûr, si la décision du 1er septembre avait seulement voulu corriger une erreur matérielle dans la décision du 7 avril. Mais tel n’est pas le cas. La seconde décision est substantiellement différente de la première et l’on ne trouve rien dans les motifs de la Commission qui permette de dire que l’erreur que l’on voulait corriger n’était qu’une erreur matérielle.

      Je ne trouve aucune incompatibilité entre la décision rendue dans l’affaire Shairp et celle rendue dans Restrepo. Dans l’arrêt Shairp, le juge Marceau a conclu, à partir des faits en l’espèce, qu’un prononcé de la Cour ne constituait qu’une simple expression d’opinion si le jugement n’avait pas encore été déposé et que la Cour continuait d’être saisie de l’affaire. À la lumière des faits, je conclus que c’est le cas en l’espèce, contrairement à l’affaire Restrepo.

 

      Je conviens que les faits dans l’affaire Shairp diffèrent quelque peu des faits en l’espèce et que la [TRADUCTION] «volte-face» du Tribunal apporte une modification considérable à l’expression d’opinion émise lors du prononcé ce qui, du point de vue de l’intimé, a «amélioré» cette expression d’opinion. Je conclus que la distinction des faits ne porte pas atteinte au principe que le juge Marceau a énoncé dans l’affaire  Shairp et que le droit est bien fixé sur cette question.

 

      Par conséquent, la Cour ne certifie aucune question.

 

 

Frederick E. Gibson

___________________

                                              juge

 

                                               

 

 

Toronto (Ontario)

le 18 octobre 1996

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme ____________________

Bernard Olivier


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

 

AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

 

 

NO DU GREFFE :IMM-408-96

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :MCI c. AMARJIT SINGH

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :le 8 octobre 1996

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE DE L’HONORABLE JUGE GIBSON

 

 

EN DATE DU :18 octobre 1996

 

 

 

ONT COMPARU :

 

 

 

M. Mendel M. GreenPOUR LE REQUÉRANT

 

 

M. Robin SharmaPOUR L’INTIMÉ

 

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Green & SpiegelPOUR LE REQUÉRANT

Toronto (Ontario)

 

 

M. George ThomsonPOUR L’INTIMÉ

Sous-procureur général du Canada



[1]L.R.C. 1985, c.I-2

[2][1989] 2 R.C.S. 848

[3][1934] S.C.R. 186

[4][1989] 1 C.F. 562 (C.A.F.) (non citée en l’espèce).

[5]Voir Sheriff c. Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration, dossier de la Cour A-152-93, le 2 novembre 1995 (décision non publiée) (C.A.F.)

[6](1989), 8 Imm.L.R. (2d) 161 (F.C.A.)

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