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     T-541-97

     DANS L'AFFAIRE d'une demande de renvoi adressée à la Cour fédérale en vertu de l'article 18.3 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, à propos de trois questions de droit qui se présentent au Commissaire aux langues officielles dans le cadre de son enquête sur 63 plaintes déposées par divers plaignants depuis le 1er janvier 1996 en vertu de l'article 58 de la Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985), ch. 31, (4ème supp.), concernant les transporteurs régionaux d'Air Canada.         

     DEMANDE DE RENVOI DU COMMISSAIRE AUX

     LANGUES OFFICIELLES

     (article 18.3 de la Loi sur la Cour fédérale et

     règle 1501 des Règles de la Cour fédérale)

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TREMBLAY-LAMER

     Il s'agit d'une requête présentée par Air Canada, Air Nova, Air Ontario, Air Alliance, Air BC Limited et NTW Airways Limited ("les requérantes") pour l'obtention d'une ordonnance de la Cour rejetant la demande de renvoi déposée par le Commissaire aux langues officielles du Canada ainsi que la demande de directives déposée le même jour.

LES FAITS

     Le Commissaire aux langues officielles du Canada a reçu plusieurs plaintes depuis 1988 concernant les obligations linguistiques des transporteurs régionaux d'Air Canada. Il déposait un rapport final quant à ces plaintes le 10 octobre 1996. Étant donné une controverse qui existait quant à l'applicabilité de la Loi sur les langues officielles1 (la "L.L.O.") aux transporteurs régionaux affiliés à Air Canada, le Commissaire concluait que l'effet de ses recommandations devait être temporairement suspendu jusqu'à ce que la Cour fédérale se prononce quant à controverse dans le cadre d'une éventuelle demande de renvoi.

     Le 21 novembre 1996, compte tenu du délai de déchéance prévu par la L.L.O. pour l'institution d'un tel recours " 60 jours à compter de la date du dépôt du rapport ", le Commissaire, avec le consentement de l'une des plaignantes, intenta contre Air Canada un recours en vertu de la Partie X de la Loi sur les langues officielles reprochant à Air Canada de ne pas avoir respecté son obligation de veiller à ce qu'un tiers agissant pour son compte, en l'occurrence Air Ontario, respecte les obligations linguistiques énoncées à la partie IV de la L.L.O. dans la prestation des services et les communications avec le public.

     Depuis le 1er janvier 1996 et jusqu'au 19 mars 1997, le Commissaire reçut 63 nouvelles plaintes concernant les obligations linguistiques des transporteurs régionaux d'Air Canada. Onze d'entre elles furent déposées après la date à laquelle le Commissaire intenta le recours en vertu de la Partie X de la L.L.O. Dans son rapport daté du 19 mars 1997, le Commissaire ne se prononce pas quant au bien-fondé des 63 plaintes.

     Il note qu'il ne pourra pas valablement faire de recommandations à l'égard des obligations linguistiques prévues à la L.L.O. tant et aussi longtemps qu'Air Canada continuera à nier l'assujettissement de ses transporteurs régionaux. Il conclut en conséquence à la nécessité de formuler une demande de renvoi auprès de la Cour fédérale du Canada, division de première instance, et ce, en vertu du paragraphe 18.3(1) de la Loi sur la Cour fédérale2 ce qu'il fit le 26 mars 1997. Le Commissaire demande à cette Cour de se prononcer quant aux questions suivantes :

     1)      Les filiales ou "transporteurs régionaux d'Air Canada", contrôlés à cent pour cent par la Société Air Canada (une société assujettie à la Loi sur les langues officielles en vertu de l'article 10 de la Loi sur la participation publique au capital d'Air Canada), sont-ils assujettis aux dispositions prévues à la Loi sur les langues officielles, et notamment à sa partie IV prévoyant les services au public, en vertu de l'article 3 de cette Loi?         
     2)      Subsidiairement et si la réponse à la première question est négative, les filiales à cent pour cent de la Société Air Canada ou "transporteurs régionaux d'Air Canada" constituent-ils des "tiers agissant pour le compte d'Air Canada" au sens de l'article 25 de la L.L.O. ?         
     3)      Si la réponse à la deuxième question est positive, la Société Air Canada doit-elle veiller, conformément à l'article 25 de la L.L.O., à ce que ses transporteurs régionaux respectent les obligations prévues à la Partie IV de cette Loi concernant les services au public au même titre qu'elle et, si tel est le cas, quels moyens doit-elle prendre pour ce faire?         

     Le Commissaire déposa le même jour une requête pour l'obtention d'une ordonnance de cette Cour émettant des directives quant à, inter alia, la composition du dossier sur lequel le renvoi allait être jugé, la possibilité pour les parties intéressées de présenter de la preuve au moyen d'affidavits et, de façon plus générale, le déroulement de l'instance.

     Le 2 juin 1997, les requérantes déposaient une requête pour rejet sommaire de la demande de renvoi et de directives au motif que la première ne satisfait pas aux critères énoncés pour la première fois par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Re: Public Service Staff Relations Board3 et réaffirmés par le juge Pratte, rédigeant pour la Cour, dans l'affaire In Re: Immigration Act4.

ANALYSE                                              Depuis l'arrêt David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc. (C.A.)5, il est clairement établi qu'un avis de requête introductive d'instance ne peut être rejeté sommairement que s'il est manifestement irrégulier et donc uniquement dans des cas très exceptionnels. La Cour d'appel fédérale, sous la plume du juge Strayer, précise que "le moyen direct et approprié par lequel la partie intimée devrait contester un avis de requête introductive d'instance qu'elle estime sans fondement consiste à comparaître et à faire valoir ses prétentions à l'audition de la requête même"6.

     Les requérantes s'appuient sur la décision rendue par la Cour d'appel dans l'affaire Re Rosen7 quant au pouvoir de la Division de première instance de rejeter sommairement une demande de renvoi. Cependant, il y était question dans cet arrêt, non pas d'une demande de renvoi fondée sur l'article 18.3 Loi sur la Cour fédérale mais plutôt d'une demande de renvoi formulée en vertu du paragraphe 28(4). À cet égard, les requérantes omettent de préciser que la Loi sur la Cour fédérale, en son article 52, confère à la Cour d'appel le pouvoir de mettre fin à toute procédure jugée abusive ou manifestement mal fondée. S'il est acquis que la Division de première instance, en vertu de la Règle 419 des Règles de la Cour fédérale8, possède un tel pouvoir à l'égard des recours qui tiennent de la nature d'une action, il en va différemment à l'égard des recours institués au moyen d'une requête introductive d'instance. C'est là ce qu'a décidé la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc. (C.A.)9, lequel, faut-il le préciser, fut décidé bien après l'arrêt Re Rosen10.

     Contrairement aux prétentions du procureur des requérantes, la procédure de renvoi prévue à l'article 18.3 ne fait pas à mon avis exception à la règle énoncée dans l'arrêt David Bull Laboratories (Canada) Inc.11 puisqu'elle tient davantage de la nature d'un recours institué au moyen d'une requête introductive d'instance que d'une action. Un autre facteur qui milite en faveur de l'application du principe établi par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt David Bull Laboratories (Canada) Inc.12 est le fait qu'une demande de renvoi fondée sur l'article 18.3 doit, suivant l'article 18.4 de la Loi sur la Cour fédérale, être jugée sommairement. Enfin, dans le cadre d'un tel renvoi, la preuve se fait au moyen d'affidavits et un juge seul décide du mérite de la demande.

     En conséquence, je suis d'avis qu'il ne serait pas approprié de rejeter sommairement la demande de renvoi du Commissaire à ce stade-ci, sauf s'il s'agit en l'espèce d'un cas exceptionnel où il est manifeste que la procédure attaquée est mal fondée.

     Au moment de déterminer si tel est le cas en l'espèce, il m'apparaît opportun de m'arrêter premièrement aux critères qu'avait développés la Cour d'appel fédérale à l'égard des demandes de renvoi fondées sur le paragraphe 28(4) de la Loi sur la Cour fédérale, lequel a depuis été abrogé. Ces critères sont résumés de la façon suivante dans l'affaire In Re: Immigration Act13:

     La jurisprudence de la cour établit clairement qu'une question de droit, de juridiction ou de procédure ne peut faire l'objet d'un renvoi en vertu du paragraphe 28(4) de la Loi sur la Cour fédérale à moins que les conditions suivantes ne soient remplies:         
         1.      la question doit en être une dont la solution peut mettre fin au litige dont le tribunal est saisi;                 
         2.      la question doit s'être soulevée au cours de l'instance devant le tribunal qui effectue le renvoi;                 
         3.      la question doit résulter de faits qui ont été prouvés ou admis devant le tribunal; et                 
         4.      la question doit être renvoyée à la cour par une ordonnance du tribunal qui, en plus de formuler la question, doit relater les constatations de faits qui y ont donné naissance.                 

     À mon avis, ces critères doivent s'interpréter avec prudence et à la lumière des modifications législatives. Alors que l'ancien paragraphe 28(4) de la Loi sur la Cour fédérale n'avait d'application qu'à l'égard des organismes ou tribunaux exerçant des pouvoirs de nature quasi-judiciaire, le nouvel article 18.3 s'applique au contraire à toute entité répondant à la définition d'"office fédéral". Cette dernière expression est définie de façon très large à l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale . Ainsi, une demande de renvoi fondée sur l'article 18.3 peut validement être déposée par un organisme qui exerce de pouvoirs administratifs. Il faut, il me semble, tenir compte de cette réalité nouvelle. En effet, il est bien établi en droit administratif canadien que les organismes qui exercent des pouvoirs administratifs n'ont pas à offrir des garanties procédurales aussi étendues que ceux qui exercent des pouvoirs de nature judiciaire ou quasi-judiciaire. De même, la nature des éléments de preuve requis pourra aussi différer compte tenu des pouvoirs de l'organisme en jeu.

     Ainsi, les critères de l'arrêt In Re: Immigration Act14 serviront plutôt de guide et devront être assouplis pour s'adapter au contexte de l'article 18.3.

     La réponse aux questions que soulève la demande de renvoi déposée par le Commissaire permettra-t-elle de solutionner le litige? Dans l'affaire Martin Service Station Ltd. c. M.R.N.15, la Cour décida, dans le cadre d'une demande de renvoi fondée sur le paragraphe 28(4), que la question de droit à être tranchée doit, d'une part, ne pas être théorique et, d'autre part, que l'une des réponses possibles à la question puisse permettre de disposer du litige. Or, dans la présente affaire, il est évident qu'au minimum une réponse négative permettrait de disposer du litige puisque si cette Cour concluait que la L.L.O. ne peut recevoir application, le Commissaire n'ayant pas juridiction, n'aurait d'autre choix que de fermer les 63 dossiers en cause.

     Quant au second critère, il ne fait aucun doute qu'il a été satisfait puisque personne ne peut prétendre que la question n'a pas été soulevée devant le Commissaire.

     Je passe maintenant au troisième critère. Étant donné l'état embryonnaire du dossier, je ne peux affirmer que l'ensemble des faits pertinents aux 63 plaintes ont été prouvés ou admis devant lui. Néanmoins, tenant compte du type d'organisme concerné, je suis d'avis que les faits dont cette Cour bénéficie à ce jour, lesquels sont énoncés dans le rapport du 19 mars 1997 déposé avec la demande de renvoi, sont suffisants pour empêcher le rejet sommaire de la demande de renvoi. Je ne dis pas que la preuve présentement au dossier est complète et parfaite, je dis seulement qu'il sera plus approprié de formuler une objection quant à la suffisance des faits prouvés au moment où la demande de renvoi sera elle-même entendue.

     Pour ce qui est du quatrième critère, il est également satisfait. La demande de renvoi relate les faits qui y ont donné naissance, tel qu'en fait foi le rapport du Commissaire du 19 mars 1997.

     En conséquence, je ne peux conclure qu'il s'agit d'une demande de renvoi manifestement irrégulière. Je ne pense pas me trouver dans une situation exceptionnelle où je pourrais être justifiée de rejeter sommairement le recours intenté par le Commissaire. La requête est donc rejetée.

OTTAWA (ONTARIO)

Ce 9e jour de juillet 1997

    

                                 JUGE

__________________

1 L.R.C. (1985), ch. 31, (4ième supp.), telle qu'amendée.

2 L.R.C. (1985), ch. F-7, telle qu'amendée.

3 (1973), 38 D.L.R. (3d) 437 (C.A.F.).

4 (1991), 137 N.R. 64 (C.A.F.).

5 [1995] 1 C.F. 588 (C.A.).

6 Ibid., à la page 597.

7 [1987] 3 C.F. 238 (C.A.).

8 C.R.C. (1978), ch. 663, telles qu'amendées.

9 Supra note 5, à la page 596.

10 Supra note 7.

11 Supra note 5.

12 Ibid.

13 Supra note 4.

14 Ibid.

15 [1974] C.F. 398 (C.A.).

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