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     Date : 20000202

     Dossier : T-747-94


ENTRE :

     MICHAEL GERALD WETZEL

     demandeur

     - et -


     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     défendeur



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

     (prononcés à l'audience tenue à Ottawa,

     le vendredi 28 janvier 2000)


Le juge HUGESSEN



[1]      Il y a requête de la Couronne défenderesse en jugement sommaire, dans cette action fondée sur deux chefs de plainte formulés en termes généraux : abus de confiance ou manquement à obligation fiduciaire et responsabilité délictuelle.


[2]      Le demandeur est un autochtone d'origine américaine qui habite au Canada depuis 1970, et en particulier dans la région de Conne River à Terre-Neuve depuis 1972, sur des terres qui font partie maintenant de la réserve de Miawpukek. Il affirme qu'il était propriétaire de ces terres par sa femme et que celle-ci en était propriétaire par ses propres ancêtres dont le titre remontait à 1870 au moins; et qu'il en a cédé la propriété en janvier 1985 au chef Joe, le chef de la bande à l'époque, à la condition qu'une fois la réserve créée, lui, le demandeur, se voie accorder le droit d'occuper, aussi longtemps qu'il le souhaite, les terres qu'il cédait à cette occasion.


[3]      À son tour, le chef Joe a cédé en mai 1987 à l'État fédéral ce qu'il avait reçu du demandeur ainsi que d'autres membres de la bande de l'époque, à la seule condition expresse que l'État affecte les terres en question à la création d'une réserve.


[4]      Le demandeur avait pris une part active dans les négociations entre l'État et les représentants de la bande à venir, lesquelles négociations ont abouti à la création de la réserve et à la constitution juridique de la bande par décret en 1984. Il ne pouvait cependant devenir membre de cette bande à sa création puisque le décret établi par le Conseil privé prévoyait entre autres conditions que seuls les Canadiens pouvaient en faire partie. Or, comme noté supra, le demandeur est Américain.


[5]      La Couronne conteste par deux arguments la qualité même du demandeur pour déclarer un abus de confiance et un manquement à obligation fiduciaire. Le premier est que la déclaration du demandeur est et doit être fondée sur son titre de propriété sur les terres en question, titre dont il n'a pas fait la preuve; le second est qu'il n'a pas fait la preuve que la Couronne elle-même était chargée de la fiducie ou tenue à l'obligation fiduciaire, créée par la cession de la propriété du demandeur au chef Joe.


[6]      Étant donné la façon dont je vois cette affaire, je pense qu'il vaut mieux ne pas m'étendre sur les preuves et témoignages produits puisque, à mon avis, la déclaration concernant l'abus de confiance et le manquement à obligation fiduciaire soulève un véritable point litigieux réel et est, de ce fait, recevable.


[7]      En ce qui concerne la question du droit de propriété, j'estime que le demandeur n'a pas fait la preuve d'un titre formel, mais qu'il y a dans le dossier suffisamment d'éléments qui montrent clairement qu'il jouissait d'un certain droit majeur sur la propriété qu'il a cédée. Il affirme que la famille de sa femme en avait la possession et la jouissance depuis 1870, comme noté supra et affirme aussi en avoir acquis la possession et la jouissance avec le consentement de la famille de sa femme, et qu'il l'a considérablement améliorée. En outre, il est notoire, au moins aux yeux d'un certain nombre de personnes, qu'il était investi d'un certain droit majeur sur les terres en question. Il a consenti une servitude pour une ligne de transport d'électricité. Son cas était semblable à celui d'un certain nombre d'autres membres de la bande avant qu'elle ne devienne une bande juridiquement constituée; la Couronne, après avoir enquêté sur les revendications de ces derniers, a visiblement conclu qu'ils avaient un droit monnayable tel qu'elle devait se l'assurer moyennant finances avant la création formelle de la réserve. Elle s'est de fait assuré le droit de propriété d'autres personnes, mais non celui du demandeur puisqu'elle avait acquis des mains du chef Joe, les droits de ce dernier, quels qu'ils fussent.


[8]      J'estime qu'il s'agit en l'espèce d'un cas où s'imposent les conclusions tirées par la Cour suprême du Canada dans la cause Delgamuukw1 sur l'application des règles de preuve dans le contexte des revendications autochtones (et je ne pense pas que la doctrine se limite à cet égard aux revendications de titre de propriété ancestral au sens juridique du terme). Il nous faut, dans l'application des règles de preuve, prendre en compte le fait que souvent, les communautés autochtones n'ont et n'avaient aucun registre écrit et qu'une grande partie de ce qui est connu a été transmise par tradition orale d'une génération à l'autre. Dans ce contexte, il n'est pas du tout impossible pour la Cour de conclure des éléments de preuve, tels qu'ils figurent au dossier, que le demandeur jouissait d'un droit réel sur la propriété en question, que ce droit et la propriété elle-même étaient monnayables, et qu'il les avait cédés au chef de la bande en vue de la création de la réserve. Je ne dirai pas plus sur ce point, à part qu'il y a un véritable point litigieux à juger.


[9]      En ce qui concerne le second argument opposé par la Couronne sur la déclaration d'abus de confiance ou de manquement à obligation fiduciaire, elle affirme, à juste titre, que la cession des propriétés par le chef Joe à la Couronne n'était pas subordonnée à la condition formelle que le demandeur se voie accorder la permission de vivre sur les terres qu'il avait lui-même cédées à ce dernier. Cependant, l'acte de cession faisait état du transfert antérieur du demandeur au chef Joe. Ce fait, conjugué avec les circonstances évoquées supra, en particulier le fait que la Couronne était disposée à payer et a effectivement payé à d'autres se trouvant dans le même cas que le demandeur, des sommes appréciables en échange de leurs droits, pourrait permettre de conclure qu'elle était au courant de la condition qui s'attachait à la cession de la propriété du demandeur au chef Joe. Je dis seulement que pareille conclusion est possible, je ne dis pas qu'elle est inéluctable parce je ne pense pas que, sur requête en jugement sommaire, il y ait lieu pour la Cour de se prononcer dans un sens ou dans l'autre sur un point de fait, qui ne doit être tranché qu'après les conclusions appropriées. Cette décision appartient au juge du procès, qui se prononcera après appréciation en règle des preuves et témoignages. En bref, il y a là un véritable point litigieux à juger. En conséquence, je ne radierai pas cette partie de la demande, qui est fondée sur la déclaration d'abus de confiance et de manquement à obligation fiduciaire.


[10]      Il en est autrement du second, et très subsidiaire, moyen, savoir la responsabilité délictuelle. Le demandeur affirme que la Couronne, par ses préposés, a commis un délit civil contre lui faute d'avoir inscrit, initialement ou subséquemment, son nom sur la liste des membres de la bande, tout en fixant des critères d'appartenance qui avaient pour effet de l'en exclure. À mon avis, la question de responsabilité délictuelle n'est tout simplement pas recevable, par application de la règle connue selon laquelle les décisions politiques, législatives et administratives de ce genre (en l'occurrence une décision prise par le gouverneur en conseil par voie de décret) ne peuvent faire l'objet d'aucune action en responsabilité délictuelle. Et ce, pour des raisons d'ordre public qui sont bien connues et sur lesquelles il n'est pas nécessaire que je m'étende. En conséquence, je suis disposé en cet état de cause à rejeter cette partie de la demande, qui est fondée sur la responsabilité délictuelle.


[11]      Il reste un dernier point à trancher au sujet de cette requête, savoir certaines questions qui n'ont pas reçu réponse lors de la communication des documents. Il appert qu'une de ces questions a été retirée mais, au sujet de toutes les autres, l'avocat du demandeur reconnaît l'obligation d'y répondre si cela n'a pas été fait et c'est ce qu'ordonnera la Cour.


[12]      En ce qui concerne les dépens de la requête, je ne pense pas que l'allocation de dépens soit justifiée en l'occurrence; la Cour n'en allouera pas.

     Signé : James K. Hugessen

     ________________________________

     Juge


Ottawa (Ontario),

le 4 février 2000



Traduction certifiée conforme,





Bernard Olivier, LL.B.


     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



DOSSIER No :              T-747-94

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Michael Gerald Wetzel c. Procureur général du Canada


LIEU DE L'AUDIENCE :          Ottawa (Ontario)


DATE DE L'AUDIENCE :          28 janvier 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE HUGESSEN


LE :                      4 février 2000



ONT COMPARU :


M. Gary Boyd                      pour le demandeur

M. John S. Tyhurst                  pour le défendeur



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


Low, Murchison                  pour le demandeur

Ottawa (Ontario)

Morris Rosenberg                  pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

__________________

1      Delgammukw c. Colombie-Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010, pages 1081 à 1083.

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