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Date : 19981021

Dossier : T-1522-98

Présent :      LE JUGE EN CHEF ADJOINT

Entre :

     LISE BOUCHARD

     Demanderesse

     ET:

     MINISTRE DÉFENSE NATIONALE

     et

     GÉNÉRAL MAURICE BARIL

     CHEF D"ÉTAT-MAJOR DE LA DÉFENSE NATIONALE

     Défenderesses

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE EN CHEF ADJOINT

[1]      Il s"agit d"un appel de la partie défenderesse de la décision rendue le 9 septembre 1998 par Me Richard Morneau, protonotaire, qui a accueilli en partie seulement la requête en radiation de l"avis de demande de la demanderesse.

[2]      Le protonotaire a rayé les conclusions 2 et 3 de la demande de contrôle judiciaire, où la demanderesse réclamait une compensation monétaire à titre de dommages-intérêts pour réparer le préjudice subi, suite à un climat de travail malsain et des dommages-intérêts pour la perte de son emploi. Le protonotaire a conclu, avec raison, que la demanderesse ne peut dans le cadre d"une demande de contrôle judiciaire obtenir des dommages-intérêts à l"encontre des défenderesses.

[3]      Toutefois, le protonotaire a conclu, à l"encontre de la requête en radiation des défenderesses, que la décision attaquée par la demanderesse dans une lettre qui lui était adressée le 10 juillet 1998 par l"assistant du juge-avocat général de la Défense nationale était une "décision" au sens du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale .

[4]      Dans cette lettre, l"avocat s"exprime comme suit:

         J"ai discuté le cas de Mme Bouchard avec les responsables du bureau du personnel civil de la Fonction publique fédérale. Je dois à regret vous informer que je viens d"apprendre que les autorités du ministère de la défense régissant l"emploi du personnel civil m"ont avisé qu"il n"est pas question de réintégrer Mme Bouchard dans la fonction publique fédérale ni de lui payer une compensation.                 

[5]      Dans les motifs de son ordonnance, le protonotaire justifie sa conclusion qu"il s"agit d"une "décision" au sens du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale comme suit:

         Je considère que le lieutenant-colonel Crowe, en avisant le représentant de la demanderesse qu"il n"est pas question de réintégrer la demanderesse, prend par là une véritable décision et que cette décision - aux yeux de la demanderesse - doit être vue comme ayant été prise, indirectement ou par délégation de facto à tout le moins, en vertu de l"article 8 de la Loi sur l"emploi dans la fonction publique, S.R., ch.                 

         P-32, art. 1.

[6]      Le protonotaire ajoute:

         Je pense qu"il importe peu dans la présente analyse que cette décision du 10 juillet 1998 ait été provoquée ou fasse suite à un geste posé par la demanderesse, soit sa demande de retrait de la fonction publique. Cette dynamique pourra possiblement avoir une importance certaine lors de l"appréciation au mérite de la demande de la demanderesse. Toutefois, ce que l"on doit analyser ici est de savoir si la décision du 10 juillet en est une au sens de la Loi et j"en conclus à cet égard par l"affirmative.                 

[7]      Les faits découlant de l"affidavit de Victorin Perron, conseiller en ressources humaines pour le Centre de services du personnel civil (Est) au ministère de la Défense nationale sont les suivants.

[8]      La demanderesse était une fonctionnaire de sa Majesté du chef du Canada ayant été nommée à un poste à durée indéterminée au sein du ministère de la Défense nationale conformément à la Loi sur l"emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-3.

[9]      Plus particulièrement, en 1997 et 1998, la demanderesse occupait un poste de magasinier de groupe et niveau GS-STS-03 à la section de l"habillement et de l"approvisionnement de la garnison située à la Base Militaire de St-Jean-sur-Richelieu.

[10]      La demanderesse était syndiquée et une convention collective, la Convention Cadre, conclue entre l"Alliance de la Fonction publique du Canada et le Conseil du Trésor s'appliquait à sa situation.

[11]      Cette convention collective, en vertu de la Loi sur la rémunération du secteur public, L.C. 1991, ch. 30, la Loi no 2 de 1993 sur la compression des dépenses publiques, L.C. 1993, ch. 13 et la Loi d"exécution du budget 1994, L.C. ch. 18 était en vigueur au moment des faits pertinents au présent litige.

[12]      La demanderesse, en tant que fonctionnaire fédéral, bénéficiait également, dans le cadre de son emploi, des Politiques édictées par le Conseil du Trésor dont notamment la Politique relative au harcèlement en milieu de travail.

[13]      Se prévalant de la Politique relative au harcèlement en milieu de travail, la demanderesse a, les 22 mai 1997 et 27 septembre 1997, déposé des plaintes de harcèlement en milieu de travail contre son superviseur immédiat, le sergent Sylvie Allard.

[14]      Également, le 10 juillet 1997, la demanderesse déposait, aux termes de la Loi sur l"indemnisation des agents de l"État, L.R.C. (1985) ch. G-5, une réclamation pour accident du travail. À cet effet, la demanderesse demandait des indemnités pour une dépression qu"elle estimait consécutive à une plainte de harcèlement dont elle aurait fait l"objet.

[15]      Cependant, le 25 août 1997 la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rejetait la réclamation de la demanderesse. Aussi, le 23 septembre 1997, la demanderesse demandait la révision de cette décision auprès du Bureau de révision paritaire de la CSST.

[16]      Le Bureau de révision paritaire n"a pas encore rendu de décision concernant la demande de révision de la demanderesse.

[17]      De plus, le 21 octobre 1997, la demanderesse déposait un grief afin de faire cesser le harcèlement en milieu de travail dont elle prétendait être victime, elle enjoignait son employeur de faire enquête et demandait notamment une compensation monétaire pour le préjudice prétendument subi.

[18]      Le 27 novembre 1997, la demanderesse avise son employeur qu"elle se porte volontaire pour bénéficier de l"un des programmes de retraite anticipée offert par le gouvernement fédéral dans le cadre de sa Directive sur le réaménagement des effectifs.

[19]      Le 19 décembre 1997 et le 26 février 1998, le deuxième palier de grief, le lieutenant-colonel Desnoyers, accordait en partie le grief présenté par la demanderesse.

[20]      Suite à la décision rendue par le deuxième palier, la demanderesse n"a pas demandé à ce que son grief soit transmis au troisième palier suivant la procédure de règlement des griefs, ce qu"elle était en droit de demander suivant les termes de la convention collective.

[21]      Conformément à la demande de retraite anticipée qu"elle avait fait parvenir à son employeur le 27 novembre 1997, la demanderesse a été déclarée employée touchée, le 27 février 1998, et en conséquence, déclarée excédentaire le 27 mars 1998. À cet effet, la demanderesse avait le choix d"opter, conformément au souhait qu"elle avait exprimé, entre la prime de départ anticipé (PDA) ou le programme d"encouragement à la retraite anticipée (PERA). La demanderesse a opté pour le PDA.

[22]      En conséquence, la demanderesse a été rayée des effectifs de la fonction publique fédérale le 1er avril 1998.

[23]      Or, le 15 mai 1998, la demanderesse faisait parvenir au ministère de la Défense nationale une mise en demeure dans laquelle elle demandait d"être réintégrée au sein de la fonction publique du Canada ainsi qu"une compensation pour dommages qu"elle prétendait avoir subi durant son emploi.

[24]      Le 10 juillet 1998, le lieutenant-colonel Crowe, avocat au bureau du juge-avocat général du ministère de la Défense nationale, donnait suite à cette mise en demeure en réitérant notamment à la demanderesse qu"elle avait elle-même demandé d'être bénéficiaire du programme de retraite anticipée et donc, de quitter la fonction publique fédérale et qu'en ces circonstances, le ministère n"entendait pas faire droit à ses demandes.

[25]      Le 27 juillet 1998, la demanderesse présentait un avis de demande afin d"obtenir une réintégration au sein de la Fonction publique fédérale, une compensation monétaire pour le préjudice subi et un montant pour la perte de son emploi.

[26]      Dans les motifs de la demande, la demanderesse allègue:

         Durant les deux dernières années de mon emploi à la BFC Saint-Jean, soit entre août 1995 à avril 1997, j"ai été victime d"harcèlement dans le milieu du travail de la part de mon superviseur. Ceci a porté atteinte à ma santé à tel point que j"ai senti le besoin de consentir à mettre fin, de façon prématurée à mon emploi, à l"époque, j"étais inapte à prendre une telle décision qui, si elle devait être maintenue aurait pour effet de me vouer à la gène et à la nécessité pour le reste de mes jours.                 

[27]      Dans son dossier, en réponse à cet appel, la demanderesse dit qu"elle demande à être rétablie dans un poste de la fonction publique afin qu"elle puisse faire valoir ses droits.

[28]      Tel que je l"ai indiqué dans l"arrêt Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. M.R.N. [1998] (C.F. 1re inst.), et comme le protonotaire l"a reconnu:

         Les principes qui régissent une requête en radiation d"un avis de requête introductive d"instance ont été exposés dans un arrêt de la Cour d"appel fédérale, répertorié sous le nom David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc. , publié dans [1995] 1 C.F. 588, où le juge Strayer, a déclaré aux pages 596-597 que:                 
             ... le moyen direct et approprié par lequel la partie intimée devrait contester un avis de requête introductive d"instance qu"elle estime sans fondement consiste à comparaître et à faire valoir ses prétentions à l"audition de la requête même.                         
         En pareille circonstance, la question du bien-fondé des allégations et des éléments de preuve produits à l"appui doit être tranchée sur le fond par le juge saisi de la demande en radiation. Cela dit, il ajoute, à la page 600:                 
             ... Nous n"affirmons pas que la Cour n"a aucune compétence, soit de façon inhérente, soit par analogie avec d"autres règles en vertu de la Règle 5, pour rejeter sommairement un avis de requête qui est manifestement irrégulier au point de n"avoir aucune chance d"être accueilli. Ces cas doivent demeurer très exceptionnels et ne peuvent inclure des situations comme celle dont nous sommes saisis, où la seule question en litige porte simplement sur la pertinence des allégations de l"avis de requête.                         

[29]      La compétence ratione materiae de la Cour est liée à l"existence d"une "décision" au sens de l"article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale .

[30]      Je suis d"avis que le protonotaire a erré en droit en concluant que le lieutenant-colonel Crowe avait rendu, le 18 juillet 1998, une décision susceptible de contrôle judiciaire au motif, qu"en avisant la demanderesse, il agissait indirectement ou par délégation de facto pour la Commission de la fonction publique aux termes de l"article 8 de la Loi sur l"emploi dans la fonction publique qui prévoit comme suit:

         8. Sauf disposition contraire de la présente loi, la commission a compétence exclusive pour nommer à des postes de la fonction publique des personnes, en faisant partie ou non, dont la nomination n"est régie par aucune autre loi fédérale.                 

[31]      En concluant qu"il importait peu que cette décision du 10 juillet 1998 ait été provoquée ou fasse suite à un geste posé par la demanderesse, ce dernier a omis de tenir compte du fait que la demanderesse a démissionné de son poste de la fonction publique et que cette décision a, par la suite, été acceptée par son employeur. Sa démission est un acte juridique unilatéral qui émane exclusivement de l"employée.

[32]      Le lieutenant-colonel Crowe, en répondant à la demanderesse, n"agissait aucunement à titre d"office fédéral et donc, n"a rendu aucune décision concernant la demanderesse qui aurait eu pour effet de lui accorder ou de lui refuser un droit; ladite décision n"entraînant aucune conséquence juridique1.

[33]      Si la demanderesse prétend que cet acte unilatéral est vicié en raison d"un défaut de consentement, elle n"a pas choisi le bon véhicule procédural, puisque cette Cour ne dispose d"aucun pouvoir, dans le cadre d"une demande de contrôle judiciaire, pour déclarer nul et de nul effet, un acte unilatéral de la demanderesse2.

[34]      J"en conclus donc que la décision exposée dans la lettre du lieutenant-colonel Crowe n"est pas une "décision" au sens de l"article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale et en conséquence, l"avis de demande de contrôle judiciaire de la demanderesse est manifestement irrégulier.

[35]      L"appel est accueilli et l"avis de demande de contrôle judiciaire est radié sans adjudication des dépens.

     J. Richard

     Juge en chef adjoint

MONTRÉAL, QUÉBEC

Le 21 octobre 1998


[5]     

     COUR FÉDÉRALE DE PREMIÈRE INSTANCE


Date: 19981021


Dossier: T-1522-98

Entre :

     LISE BOUCHARD

     Demanderesse

     ET

     MINISTRE DÉFENSE NATIONALE

     -et-

     GÉNÉRALE MAURICE BARIL

     CHEF D"ÉTAT-MAJOR DE LA

     DÉFENSE NATIONALE

     Défenderesses

    

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

    



[6]          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     NOMS DES AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NO. DU DOSSIER DE LA COUR:      T-1522-98

INTITULÉ DE LA CAUSE:          LISE BOUCHARD

     Demanderesse

                         ET:

                         MINISTRE DÉFENSE NATIONALLE

                         -et-

                         GÉNÉRAL MAURICE BARIL

                         CHEF D"ÉTAT-MAJOR DE LA                          DÉFENSE NATIONALE

     Défenderesses

LIEU DE L"AUDITION:              Montréal (Québec)

DATE DE L"AUDITION:              Le 19 octobre 1998

MOTIFS DE L"ORDONNANCE PAR LE JUGE EN CHEF ADJOINT

DATÉ:                      Le 21 octobre 1998

COMPARUTIONS:

Mme Lise Bouchard                  la demanderesse

Me Nadine Perron/                  pour les défendeurs

M. Alexandre Poche

PROCUREUR INSCRIT AU DOSSIER:

Morris Rosenberg                  pour les défendeurs

Sous-procureur général du Canada

Ministère fédéral de la Justice

Ottawa (Ontario)

__________________

1      Voir Demirtas c. Canada , [1993] 1 C.F. 602 et      Singh c. Canada [1994], 82 F.T.R., p. 68 à la p. 71.

2      Voir Canada (Procureur général) c. Lebreux (C.A.F.), [1994] A.C.F.      No A-81-94 (Q.L.).

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