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Date : 20010509

Dossier : IMM-3427-00

Référence neutre : 2001 CFPI 453

ENTRE :

NARENDER SINGH SHAHIRAJ

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE McKEOWN

Introduction :

[1]    Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d'une décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 6 juin 2000, par laquelle la Commission a conclu que le demandeur n'avait pas réussi à établir un lien entre sa situation et la définition de la Convention et n'était pas un réfugié au sens de la Convention.


[2]    La principale question litigieuse dans la présente affaire est de savoir si la Commission a commis une erreur en concluant qu'il n'y avait pas de lien entre la situation du demandeur et la définition de la Convention. L'avocat du demandeur prétend que la Commission a commis une erreur en concluant qu'il n'y avait pas de lien entre le traitement subi par le demandeur et le motif d'opinions politiques (imputées) de la Convention. L'avocat a de plus allégué que les affirmations de la Commission sur la question de la crédibilité étaient insuffisantes en elles-mêmes pour permettre de trancher la question et que, par conséquent, à cause de l'erreur commise par la Commission quant à la question du lien, l'affaire devait être renvoyée devant un tribunal différemment constitué pour réexamen. L'avocat du demandeur a énoncé ainsi la question litigieuse : Le demandeur a-t-il été persécuté à cause de ses opinions politiques, véritables ou imputées, alors que le prétexte pour le traitement subi est politique et que la motivation sous-jacente est l'extorsion?

Les faits :

[3]    Le demandeur est un citoyen indien sikh qui est âgé de 32 ans. Son frère était soupçonné d'entretenir des liens avec des militants sikhs et a obtenu en 1994 le statut de réfugié au Canada.


[4]                 Le demandeur prétend qu'il a été arrêté et torturé à quatre reprises, soit une fois en 1995, une fois en 1998 et deux fois en 1999. On l'aurait torturé dans le but de lui faire avouer qu'il abritait des militants et qu'il complotait en vue d'assassiner des personnalités éminentes. À chaque fois, il a fini par être relâché après le versement d'un pot-de-vin.

[5]                 À la suite de sa dernière arrestation, et pendant qu'il vivait caché, le demandeur a appris qu'il avait été accusé aux termes de la Scheduled Castes Act.

[6]                 Le demandeur est arrivé au Canada le 21 novembre 1999 et il a revendiqué le statut de réfugié. Il a déclaré à l'agent d'immigration au point d'entrée qu'il était impliqué dans un litige relatif à une terre, qu'il avait été faussement accusé d'avoir agressé la partie demanderesse et que ces accusations l'avaient amené à s'enfuir de l'Inde.

[7]                 À l'audience, on lui a demandé pourquoi il n'avait pas déclaré au point d'entrée sa crainte de persécution de la part de la police en Inde. Il a déclaré que son représentant lui avait conseillé de ne pas dévoiler ce renseignement parce qu'il pourrait être arrêté. Sur cette question, la Commission a écrit à la page 3 de sa décision :

Le tribunal estime que les contradictions entre les déclarations du revendicateur au point d'entrée et le récit de sa persécution dans son exposé des faits sont d'une ampleur telle qu'elles minent la crédibilité de sa revendication. La description qu'a faite le revendicateur de la nature du litige au sujet de la terre et des accusations portées contre lui en vertu du Scheduled Castes Act ne paraît pas très nette. De plus, le tribunal n'arrive pas à comprendre comment le revendicateur a pu déclarer au point d'entrée qu'il était accusé d'un crime grave en Inde, mais qu'il ait eu « peur » d'affirmer que la police le soupçonnait d'être un militant. Le revendicateur a bien tenté d'expliquer ces incohérences, mais d'une si piètre façon qu'elle enlève toute crédibilité à son histoire de persécution.


[8]                 La Commission a de plus conclu que la police avait détenu et battu le demandeur afin d'obtenir des pots-de-vin et que cette situation n'était pas liée à des motifs politiques, c'est-à-dire que le demandeur n'avait pas réussi à établir un lien entre le traitement subi et ses opinions politiques véritables ou imputées. Il n'existe pas de conclusion claire et non équivoque sur ce qui est arrivé au demandeur au cours de sa détention.

[9]                 Par la suite, la Commission a de plus pris en compte la preuve documentaire de plusieurs experts et a déclaré à la page 4 de sa décision :

Le tribunal estime de plus que le récit de la persécution du revendicateur manque de fondement objectif à la lumière de la preuve documentaire, qui indique que les gens qui ne sont pas soupçonnés d'être des militants reconnus ne courent aucun risque aujourd'hui au Pendjab.

[10]            La Commission a alors conclu aux pages 4 et 5 :

Par conséquent, à la lumière de la preuve documentaire - qui, à l'évidence, ne donne pas du revendicateur le portrait d'un suspect militant - et de sa propre déclaration selon laquelle la police l'aurait pris pour cible dans le but de tirer de lui un bénéfice financier, le tribunal en arrive à la conclusion que l'on n'a pu établir de lien entre la crainte du revendicateur d'être l'objet de persécution et la définition de « réfugié au sens de la Convention » .

Analyse :                                                                         


[11]            D'abord, je dois dire que je suis d'accord avec l'argument de l'avocat du demandeur quant à la crédibilité. La Commission a affirmé que les contradictions entre les déclarations que le demandeur a faites au point d'entrée et celles qu'il a faites dans l'exposé des faits de son FRP « minent la crédibilité de sa revendication » et que sa tentative d'explication de ces contradictions « enlève toute crédibilité à son histoire de persécution » , mais ces affirmations n'étaient pas suffisantes pour qu'elle décide de la revendication à partir de motifs de crédibilité. C'est-à-dire que la Commission n'a pas énoncé clairement qu'elle ne croyait pas l'histoire du demandeur ou certaines parties de celle-ci. Elle se limite à dire que l'histoire du demandeur minait et « enlevait de la crédibilité » , mais ne va pas jusqu'à déclarer qu'elle ne croit pas la version des événements relatés par le demandeur.                       

                                                         

[12]            À cet égard, l'affaire qui m'est soumise doit être tranchée principalement en fonction de la question du lien. Le paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, prévoit qu'un réfugié au sens de la Convention est toute personne :

                       

                  a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

                       (i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait

de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays, [...]

[13]            Il importe de se rappeler les faits les plus importants de la présente affaire. Premièrement, le demandeur allègue qu'il a été détenu, interrogé et torturé par la police en Inde. Le demandeur lui-même n'était impliqué dans aucun mouvement militant en Inde. Cependant, il prétend que la police l'accusait de donner asile à des militants et d'avoir pris part à des complots d'assassinat ou d'avoir de l'information relativement à ces complots.


[14]            Le demandeur a admis lors de l'audience devant la Commission qu'il croyait que la véritable raison pour laquelle la police l'avait détenu et torturé était que les policiers souhaitaient obtenir des pots-de-vin. Il a déclaré à l'audience qu'il croyait que la police ne le soupçonnait pas vraiment d'avoir des liens politiques avec les militants, mais qu'elle l'avait ciblé pour obtenir de l'argent. On peut lire à la page 37 de la transcription certaines questions que l'agent chargé de la revendication a posées au demandeur :

[TRADUCTION]

Question :                 Maintenant, à votre avis, diriez-vous que la police croyait vraiment que vous étiez impliqué avec les militants? Ou était-ce une raison pour demander de l'argent à vous et à votre famille?

Réponse :                  Ils le faisaient pour avoir de l'argent. Ils pensaient, nous allons les battre, les harceler et ils vont nous donner de l'argent.

Question :                 Mais pensez-vous qu'ils croyaient vraiment que vous étiez un militant ou impliqué avec les militants?

Réponse :                  Je ne me suis pas joint aux militants et je n'ai jamais vu les militants. Jamais un militant n'a pris contact avec moi.

Question :                 Oui, je comprends que c'est ce que la police pensait, mais quelle est votre opinion à ce sujet?

Réponse :                  Nous ne sommes pas des militants. Ils nous demandaient de l'argent et ils nous accusaient.


[15]            L'avocat du demandeur prétend que lorsque la motivation derrière le mauvais traitement subi comporte deux aspects, savoir un aspect politique et un aspect criminel, le demandeur devrait obtenir gain de cause dans une revendication du statut de réfugié lorsqu'on peut établir un lien entre l'un de ces aspects et l'un des motifs énoncés à la Convention. L'avocat cite l'arrêt Klinko c. MCI, [2000] A.C.F. no 228 (C.A.), pour appuyer sa thèse selon laquelle la Cour devrait donner un sens plus large à la définition du motif d'opinions politiques de la Convention. Dans l'arrêt Klinko, précité, le demandeur avait critiqué ouvertement la corruption répandue chez les douaniers et les policiers en Ukraine. La Commission a rejeté la revendication étant donné que cette corruption n'était pas sanctionnée par l'État, et elle considérait par conséquent que le revendicateur n'avait pas exprimé une opinion politique suivant la définition de réfugié au sens de la Convention aux termes du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2. La Cour d'appel a statué qu'il n'est pas nécessaire que l'appareil étatique persécute un demandeur pour qu'on puisse établir un lien avec la définition du motif d'opinions politiques de la Convention. En effet, il suffit que l'État « p[uisse] être engagé » . La Cour d'appel a conclu que la Commission avait commis une erreur en ne reconnaissant pas que la persécution subie par M. Klinko était due à ses opinions politiques.

[16]            L'avocat du demandeur mentionne de plus l'arrêt Zhu c. MEI, [1994] A.C.F. no 80 (C.A.), dans lequel la Cour d'appel fédérale a déterminé que la Commission avait commis une erreur en décidant que le revendicateur n'avait PAS établi un lien entre son rôle de complice dans le passage clandestin de deux étudiants impliqués dans le mouvement chinois prodémocratie à Hong Kong et ses opinions politiques. Selon la Commission, dans cette affaire, l'amitié, plus que les motifs politiques, motivait les actes du revendicateur, de sorte qu'aucun lien n'avait été établi. M. le juge MacGuigan a écrit au paragraphe 2 :

Le tribunal a commis une erreur lorsqu'il a mis en opposition l'amitié et les motifs politiques. Les raisons du geste posé par l'appelant étaient « variées » plutôt que « contradictoires » . Les gens agissent fréquemment pour diverses raisons, et il suffit qu'un des motifs soit de nature politique pour conclure à l'existence d'une motivation politique. À cet égard, soulignons également que, même si l'appelant n'était pas en général militant sur le plan politique, il avait aussi versé une contribution financière au mouvement pro-démocratie, comme l'a mentionné elle-même la Commission [...].    


[17]            L'avocat du demandeur prétend que, dans la présente affaire, la police avait deux motivations pour détenir, interroger et torturer le demandeur : une motivation criminelle visant l'obtention de pots-de-vin et une motivation politique visant la persécution du demandeur en raison de ses liens avec son frère qui avait lui-même été associé au mouvement militant en Inde. Le demandeur avait au départ été la cible de la police en raison des liens présumés de son frère avec des militants, de sorte que le fait qu'il était continuellement ciblé par les policiers n'était pas un pur hasard, mais était dû à une situation historique qui était elle-même fondée sur une motivation politique. Je remarque que l'arrêt Zhu, précité, traite des motivations du demandeur et non pas de celles des présumés persécuteurs. Cependant, l'affaire est semblable à la présente affaire en ce qu'elle comporte la détermination par la Commission des motivations personnelles qui aident à déterminer si le demandeur a établi ou non un lien avec la définition de la Convention.

[18]            Le défendeur soutient que la Commission a correctement conclu que tout mauvais traitement subi par le demandeur n'était pas causé par une motivation politique et que la propre preuve du demandeur démontrait que les policiers étaient motivés uniquement par l'argent. Le défendeur indique que la Commission a déclaré dans sa décision que le témoignage du demandeur à cet effet était corroboré par la preuve documentaire.


[19]            Il n'appartient pas à la Commission de fonder sa décision sur la question de savoir si le demandeur a établi un lien avec la Convention quant à la croyance subjective des présumés persécuteurs eux-mêmes, particulièrement étant donné que les présumés persécuteurs ne sont évidemment pas présents à l'audience devant la Commission et ne peuvent pas témoigner de leur propre état d'esprit. De plus, rien ne dépend de l'opinion du demandeur quant aux croyances subjectives de ses présumés persécuteurs. Cet élément de preuve n'est qu'une opinion qui ne démontre pas que la police ne croyait pas que le demandeur était lié au mouvement militant en Inde.

[20]            La Commission a en effet cité des éléments de preuve documentaire selon lesquels il existe un problème de harcèlement policier en Inde qui est motivé par l'obtention de pots-de-vin. Bien que ces éléments de preuve puissent tendre à appuyer la conclusion de la Commission selon laquelle il n'existe pas de lien, ils ne sont pas suffisants pour régler l'affaire. Il y a lieu de croire que le demandeur n'avait pas été choisi au hasard comme cible d'extorsion policière, mais qu'il avait été ciblé en partie à cause de son frère, qui avait eu des liens avec des militants, et en partie à cause de ses propres liens politiques imputés avec des militants.

ORDONNANCE

[21]            La décision rendue le 6 juin 2000 est annulée. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à la Commission pour qu'elle statue de nouveau d'une manière conforme aux présents motifs.


[22]            La question suivante est certifiée :                       

Le demandeur a-t-il été persécuté à cause de ses opinions politiques, véritables ou imputées, alors que le prétexte pour le traitement subi est politique et que la motivation sous-jacente est l'extorsion?

         

« W. P. McKeown »

Juge

Toronto (Ontario)

Le 9 mai 2001

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Avocats inscrits au dossier

No DU GREFFE :                                                IMM-3427-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                 NARENDER SINGH SHAHIRAJ

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                                                                                                

DATE DE L'AUDIENCE :                                 LE MERCREDI 25 AVRIL 2001

LIEU DE L'AUDIENCE :                                   TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE PAR :                               MONSIEUR LE JUGE MCKEOWN

DATE DES MOTIFS :                           LE MERCREDI 9 MAI 2001

ONT COMPARU                                              Lorne Waldman                                                   

Pour le demandeur

David Tyndale

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER          Jackman, Waldman & Associates

Avocats

281, avenue Eglinton Est

Toronto (Ontario)

M4P 1L3                                                             

Pour le demandeur

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Pour le défendeur


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                 Date : 20010509

                                                                                                                  Dossier : IMM-3427-00

Entre :

NARENDER SINGH SHAHIRAJ

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                   

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                   

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