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     T-2514-96

ENTRE :

     ANATOLIJ LOGUNOV ET AUTRES,

     demandeurs,

     - et -

     LES PROPRIÉTAIRES, UAB AZALIJA, ET TOUTES AUTRES

     PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE " SHEDUVA ",

     défendeurs.

     MOTIFS DE LA TAXATION

F. Pilon, officier taxateur

     Le 30 juin 1997, le navire " Sheduva " a été vendu par ordonnance judiciaire pour la somme de 136 790 $. Le 4 septembre 1997, Me John MacDonald a déposé le mémoire de frais du prévôt pour qu'il soit taxé par application de la règle 1007(8) des Règles de la Cour fédérale, de même que l'affidavit de Pauline Butler. J'ai entendu l'affaire à St. John's (Terre-Neuve) le 3 octobre 1997. Mme Pauline Butler, qui est l'agente chargée de l'application de la loi au bureau du shérif, était présente à l'audience afin d'aider Me MacDonald, et son avocat a déposé un deuxième affidavit signé par elle au soutien du mémoire de frais du shérif. Me John Joy est l'avocat des demandeurs, Me Richard Collins représente l'administration portuaire de Harbour Grace et Me Brad Wicks représente la réclamante Royal Fishing Seafood Ltd. Me Wicks était accompagné d'une représentante de la firme, Mme Lee Ann Montgomery. Me MacDonald avait signifié un avis de la taxation des frais engagés par le prévôt à toutes les parties intéressées.

     Au début de l'audience, Me Joy a indiqué que toutes les parties intéressées étaient d'accord sur les postes mentionnés dans le mémoire de frais, à l'exception des trois postes suivants qui sont contestés :

     1.      Le montant de la commission du shérif, qui s'élève à 7 089,50 $.
     2.      La somme de 4 256 livres sterling qui représente des frais de publicité dans le répertoire de Lloyd's.
     3.      L'incorporation de la réclamation de 20 300 $ de l'administration portuaire de Harbour Grace.

     Me MacDonald a déclaré que toutes les parties consentiront au dépôt par lui d'un avis de requête en versement, par prélèvement sur l'argent consigné à la Cour, d'un montant de 37 563,70 $ en vertu de la règle 1008(3) pour tous les postes convenus. D'après le dossier, cette requête a été déposée le 8 octobre 1997.

     Les trois postes contestés sont examinés ci-après :

     LE MONTANT DE LA COMMISSION

     Tous les avocats présents ont longuement débattu la question de la commission du prévôt, en particulier Me John Joy. Son exposé a été convaincant et brillant.

     Plusieurs jours après l'audience, je suis tombé sur un rapport de l'officier taxateur Tait dans l'affaire West Line Inc. et autres c. Le navire " Xanadu " et autres, no de greffe T-3709-73. Dans son rapport, M. Tait a conclu que les officiers taxateurs n'avaient pas le pouvoir de modifier le montant du " poundage " ou de la commission d'un shérif. Selon lui, c'est indéniablement la Cour qui est investie du pouvoir d'augmenter ou de diminuer ce montant. Il s'est référé aux dispositions du paragraphe 9 du Tarif A, qui est ainsi libellé :

     Nonobstant les articles 7 et 8, le droit ou l'indemnité, ou le droit d'exécution pour conversion en espèces, ou le droit d'exécution sur la somme recouvrée, qui peut être pris et reçu par un shérif peut être augmenté ou diminué à la discrétion de la Cour sur demande à cet effet faite par une partie intéressée.         

     Par ailleurs, M. Tait a statué que si le montant réclamé par le prévôt est correctement calculé conformément au paragraphe 7 du tarif A, l'officier taxateur ne peut pas le modifier. Me MacDonald soutient que le montant de la commission est calculé conformément au paragraphe 7 du tarif A, qui est ainsi libellé :

     Un shérif peut prendre ou recevoir, pour un service rendu par lui, le droit ou l'indemnité légalement permis pour un service analogue à la cour supérieure de la province dans laquelle a été rendu le service.         

     Le droit légalement permis dans la province de Terre-Neuve est prévu à l'alinéa 1g) du barème des droits du shérif. Celui-ci a droit à la commission suivante :

     20 % sur la première tranche de 1 000 $;

     10 % sur la tranche suivante de 2 000 $;

     5 % sur le solde.

     Comme le droit ou la commission de 7 089,50 $ a été correctement calculé, j'estime devoir l'accorder tel qu'il a été présenté. À mon avis, l'officier taxateur ne peut pas modifier la commission du shérif. Seul un juge de la Cour peut exercer ce pouvoir. Il est dommage que cette question n'ait pas été soulevée à l'audition de la taxation; cela aurait épargné des efforts et fait gagner du temps à toutes les parties.

     LA PUBLICITÉ DANS LE RÉPERTOIRE DE LLOYDS

     La facture pour cette dépense s'élève à 4 256 livres sterling, soit environ 9 000 $. Mme Butler a expliqué qu'elle avait été incapable de se rendre au bureau le 23 avril 1997 à cause d'une violente tempête de neige. Le lendemain, elle a découvert que son personnel avait mis l'annonce sans autorisation; elle a essayé d'en empêcher la parution, mais il était trop tard. Le shérif reconnaît que cette annonce a été mise par erreur.

     Me MacDonald soutient que c'est l'un des points de la responsabilité comptable et le risque que le bureau du shérif assume en organisant la vente judiciaire des navires. L'avocat se réfère aux dispositions de l'ordonnance de vente, plus précisément à l'alinéa 8a) :

     [TRADUCTION] Une vente aux enchères publiques du navire Sheduva doit être annoncée une fois entre la date de la présente ordonnance et le 1er mai 1997 dans chacune des publications suivantes et dans d'autres publications, le nombre de fois jugé approprié par le prévôt ou recommandé par le courtier, mais pas moins souvent que ce qui est mentionné plus haut.         

     Selon lui, l'ordonnance de la Cour prévoit le pouvoir d'insérer des annonces supplémentaires, même si, dans le cas qui nous occupe, il est admis que l'annonce a été mise par erreur.

     Selon Me Wicks, le dossier révèle que l'annonce avait une utilité très limitée. Il appuie le pouvoir du shérif de mettre des annonces supplémentaires au besoin, et c'est effectivement ce qui a été fait dans la présente affaire avec le consentement de toutes les parties qui avaient convenu d'annoncer la vente du navire une fois dans l'édition de mai de EMAP Business Communication Ltd. au coût de 1 800 $. Toutefois, l'insertion d'une annonce dans le répertoire de Lloyd's est une malencontreuse erreur et, malheureusement, l'avocat soutient que cette dépense ne devrait pas être admise en raison du montant limité provenant du produit de la vente qui sera réparti entre les créanciers. Enfin, Me Wicks se réfère au libellé de la commission de vente en disant qu'il s'agit du pouvoir accordé au shérif et fait remarquer que les termes employés en l'espèce sont beaucoup plus vagues. Me Collins appuie les prétentions de Me Wicks.

     Me Joy affirme que, bien qu'il comprenne le point de vue des employés du bureau du shérif qui subissent beaucoup de pression au travail, cette facture devrait être payée sur les recette générales de la province de Terre-Neuve. Il affirme qu'il faut garder le sens de la proportion dans le cas qui nous occupe. Les dépenses autorisées pour la publicité s'élèvent déjà à environ 12 000 $. Il serait injuste d'y ajouter cette facture supplémentaire de 9 000 $ quand on considère le montant recueilli et le fait que de nombreux créanciers ne seront jamais payés. Enfin, Me Joy soutient que dans la présente affaire la vente du navire est entièrement attribuable à l'initiative et aux efforts des membres de l'équipage; en réalité, ce sont eux qui ont trouvé l'acheteur. Selon lui, ce poste du mémoire de frais devrait être rejeté.

     À mon avis, les circonstances de l'espèce appuient le rejet de ce poste. Une erreur de communication au bureau du shérif a donné lieu à l'insertion malencontreuse de l'annonce. J'estime qu'une fois qu'une erreur est admise, les autres créanciers ne devraient pas être pénalisés.

     LA RÉCLAMATION DE L'ADMINISTRATION PORTUAIRE DE HARBOUR GRACE

     Cette réclamation d'un montant de 20 300 $ représente les droits de quai du navire du 16 novembre 1996 au 6 juin 1997. Me Collins, qui représente cette réclamante, a soumis deux factures au shérif pour incorporation dans son mémoire de frais. L'avocat soutient que les droits de quai sont payables même en l'absence d'un contrat officiel entre les parties. Il se réfère à l'affaire DeWolf v. Punchard et al., qui a été décidée en Nouvelle-Écosse le 15 juillet 1873. Cette affaire peut être résumée ainsi qu'il suit : le demandeur était le propriétaire d'un quai à Wolfville (Nouvelle-Écosse) et les défendeurs étaient les entrepreneurs chargés de construire le chemin de fer Windsor & Annapolis. Pendant l'exécution des travaux, des employés des défendeurs ont utilisé le quai pour décharger des rails et d'autres marchandises. Le demandeur a réclamé 500 $ pour la mise à quai des marchandises débarquées à son quai à la demande des défendeurs et pour l'amarrage des navires au quai du demandeur à la demande des défendeurs. La Cour a statué que puisque les défendeurs avaient utilisé le quai du demandeur, le droit prévoyait un contrat implicite selon lequel les défendeurs paieraient un montant raisonnable pour l'utilisation et l'occupation de ce quai.

     Me Collins se réfère ensuite à une décision de la Cour de l'Échiquier du Canada dans l'affaire Sa Majesté la Reine et autre c. Le navire " City of Windsor " et autre, que Me Joy a porté à sa connaissance. À la page 236, le juge McDougall déclare :

     [TRADUCTION] Si une partie à une action in rem a engagé des frais qui ont profité non seulement à lui-même mais à des parties dans d'autres actions intentées contre les mêmes biens, les frais ainsi engagés par lui à l'avantage de tous lui seront payés, si le produit de la vente des biens est suffisant pour régler toutes les réclamations dans les différentes actions, par prélèvement sur l'argent consigné à la Cour en priorité et avant tout autre paiement à cet égard1.         

     Me Collins soutient que la bonne garde du navire pendant 192 jours à Harbour Grace pendant la saisie appuie son point de vue que les frais engagés par l'administration portuaire à l'avantage de tous devraient avoir priorité sur d'autres réclamations. Enfin, l'avocat se réfère à l'affaire Banco A. Basil S.A. c. Le navire " Alexandros G. Tsavliris et autre2. Dans son jugement, le juge Gibson a analysé la réclamation de Fraser Surrey Docks Ltd. et est arrivé à la conclusion suivante à la page 286 :

     [TRADUCTION] À aucun moment après la saisie du navire défendeur le prévôt et Fraser Survey n'ont conclu une entente par laquelle le prévôt consentait à assumer à ses frais les frais de chargement en pontée de Fraser Survey.         

     En réponse, Me MacDonald a expliqué que ce poste, même s'il fait partie du mémoire de frais du prévôt, n'est pas accepté en tant que tel. Les deux factures de l'administration portuaire de Harbour Grace ont été envoyées au shérif pour incorporation dans son mémoire de frais, mais cela a été fait par souci de commodité uniquement, et le shérif les a contestées en tant que frais " légitimes " du prévôt. Me MacDonald se réfère à la règle 1003(9) qui dispose clairement que tous les frais et dépenses engagés pour entretenir le navire demeurent à la charge du propriétaire du navire même après la saisie du navire. Voici le libellé de la règle 1003(9) :

     La signification d'un mandat en vertu de l'alinéa (6) ne confère au prévôt ou autre personne qui a procédé à la saisie ni la possession des biens saisis, ni la responsabilité de leur garde et entretien; cette possession et cette responsabilité sont laissées aux personnes qui étaient en possession des biens immédiatement avant la saisie. Aucun de ces biens ne doit, tant qu'il est sous saisie, être déplacé sans autorisation de la Cour ou le consentement de toutes les parties intéressées.         

     L'avocat déclare que toutes les parties présentes revendiquent un droit en equity pour tenter de recouvrer une partie de leurs frais, et il pense que d'autres parties invoquent des motifs plus légitimes au soutien de leur réclamation. À son avis, ces droits de quai ne sont pas des frais légitimes du prévôt.

     Me Wicks explique que le prévôt n'a pas vraiment inclus ces factures dans ses frais sauf dans l'optique d'ouvrir le débat, et que le prévôt ne réclame pas le paiement de ces sommes dans le cadre de ses frais. Il se réfère à la décision de la Cour fédérale dans l'affaire Banco Da Brasil S.A. (précitée) qui paraît appuyer le point de vue de ceux qui contestent la validité de cette réclamation en tant que frais du prévôt.

     Me Joy commence son argumentation en mentionnant qu'en vertu de la Loi sur la Société canadienne des ports, le Parlement a donné à la Société un privilège d'origine législative élevé, mais qui se range clairement après le salaire des marins. En outre, il est d'avis qu'en vertu des Règles de la Cour fédérale le shérif n'est pas responsable de la garde et de l'entretien du navire saisi tant qu'une ordonnance judiciaire relative à la possession n'a pas été rendue, et même alors le prévôt n'est responsable que des obligations qu'il a contractées d'une manière raisonnable. Me Joy indique que cette réclamante n'aurait pas dû envoyer au prévôt des factures en souffrance pour les droits de quai, mais aurait plutôt dû tenter de recouvrer ces montants auprès du propriétaire du navire.

     À mon avis, cette réclamation ne peut pas être admise telle qu'elle a été présentée. Me MacDonald affirme que le shérif ne considère pas ces frais comme des frais engagés par le prévôt. Ils ont été inclus dans le mémoire de frais après que le bureau du shérif a reçu les deux factures. Mme Butler a déclaré au paragraphe 16 de son affidavit qui a été déposé le 4 septembre 1997 que ces frais ne sont pas des frais légitimes du prévôt.

     Je pense qu'il serait préférable de soumettre à la Cour les arguments invoqués au soutien de cette réclamation dans le cadre des plaidoiries sur l'ordre de préférence des réclamations.

     Le mémoire de frais contient une réclamation de 5 000 $ relativement à une franchise. Mme Butler a déclaré dans son témoignage qu'elle avait reçu une déclaration des avocats de l'administration portuaire de Harbour Grace selon laquelle le navire " Sheduva " avait endommagé le quai pendant une tempête. Les parties comprennent que la réclamation fait actuellement l'objet d'une enquête par les assureurs et si la réclamation est payée, la franchise de 5 000 $ U.S. sera payable en vertu de la police d'assurance sur coque et machines. Il est entendu que ce montant devrait être mis de côté jusqu'au règlement de la réclamation.

     Me Joy a fait d'autres observations concernant les frais de justice du demandeur et a semblé dire que ces frais avaient le même ordre de priorité que les frais du prévôt. À mon avis, il serait inconvenant qu'un officier taxateur fasse des commentaires sur cette question; seul un juge peut entendre des arguments juridiques lorsque sera débattu l'ordre de préférence des réclamations à une date ultérieure.

     Pendant l'audience, j'ai éprouvé beaucoup de compassion pour le demandeur qui a été dans une situation difficile et exceptionnelle pendant toute la durée de la vente judiciaire, ainsi que pour toutes les autres parties intéressées qui risquent de perdre beaucoup d'argent.

     En conclusion, le rapport que je soumets à la Cour est le suivant :

     1.      J'accorderais le montant intégral de la commission du prévôt, soit 7 089,50 $.
     2.      Je rejetterais le montant de 4 256 livres sterling représentant l'annonce placée par erreur dans le répertoire de Lloyd's.
     3.      Je rejetterais également la réclamation d'un montant de 20 300 $ au titre des droits de port payables à l'administration portuaire de Harbour Grace au motif qu'il ne s'agit pas d'une dépense légitime du prévôt dans les circonstances.

     Je suis très reconnaissant aux avocats de leur aide et de leurs recherches approfondies dans la présente affaire.

     Fait à Halifax (Nouvelle-Écosse) le 17 octobre 1997.

                                     Signé Signed

                                 François Pilon

                                 FRANÇOIS PILON

                                 Officier taxateur

Traduction certifiée conforme             

                                 Marie Descombes, LL.L.

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

     ANATOLIJ LOGUNOV ET AUTRES,

     demandeurs,

     - et -

     LES PROPRIÉTAIRES, UAB AZALIJA, ET TOUTES AUTRES

     PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE " SHEDUVA ",

     défendeurs.

NO DU GREFFE :                      T-2514-96

LIEU DE L'AUDIENCE :              St. John's (Terre-Neuve)

DATE DE L'AUDIENCE :              Le 3 octobre 1997

MOTIFS DE LA TAXATION DES DÉPENS :      FRANÇOIS PILON, OFFICIER TAXATEUR

DATE DES MOTIFS :                  Le 17 octobre 1997

ONT COMPARU :

     John MacDonald                  pour le prévôt

     John Joy                      pour les demandeurs

     Bradford Wicks                  pour Royal Fishing Seafood Limited
     Richard Collins              pour l'administration portuaire de Harbour Grace

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

     Procureur général de          pour le prévôt

     Terre-Neuve

     White Ottenheiner & Baker      pour les demandeurs

     Williams RoebothaN, McKay      pour Royal Fishing Seafood

         & Marshall              Limited

     Moores, Andrews              pour l'administration portuaire de Harbour Grace
__________________

     1 (1896) Exchequer Court Reports, 5, page 223.

     2 68 F.T.R. 285.

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