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     Date : 19981117

     Dossier : T-1906-97

Entre

     LA MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     demanderesse,

     - et -

     HENDERPAUL COOMAR,

     défendeur

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge McKEOWN

[1]      M. Coomar, citoyen du Guyana, fut jugé coupable d'homicide involontaire coupable dans ce dernier pays le 29 janvier 1979, deux jours avant que sa fille ne demandât à parrainer sa demande de droit d'établissement à titre de parent. Dans les formules qu'il a remplies pour demander le visa d'immigrant et l'octroi de la citoyenneté, il niait avoir jamais été déclaré coupable d'un crime. La ministre a entrepris de révoquer la citoyenneté de M. Coomar par ce motif que celui-ci avait obtenu son admission légale au Canada à titre de résident permanent par fausse déclaration et dissimulation de faits essentiels, et qu'il avait subséquemment obtenu la citoyenneté en vertu de cette admission. M. Coomar a demandé à se faire entendre en justice en application de l'article 18 de la Loi sur la citoyenneté. Le 29 août 1997, la ministre a renvoyé l'affaire devant la Cour.

[2]      Il échet d'examiner si M. Coomar a obtenu son admission légale au Canada à titre de résident permanent par fausse déclaration et dissimulation de faits essentiels, et si la demande doit être rejetée pour cause de retard de la part de la ministre.

Les faits de la cause

[3]      M. Coomar exploitait un restaurant au Guyana dans les années 1970. En 1977, un homme, M. Stuart, est entré dans le restaurant, s'est emparé du verre d'un client, l'a bu, puis a quitté le restaurant en emportant le verre. Le client se plaint à M. Coomar qui est alors allé retrouver M. Stuart à l'extérieur du restaurant. Pendant qu'il le ramenait dans le restaurant, M. Coomar avait une arme de poing à la main. Il prétend qu'une fois la porte franchie, il est tombé par terre après avoir trébuché, et l'arme s'est déchargée. La balle a ricoché sur la porte et a tué la victime M. Stuart. Ce témoignage ne s'accorde cependant pas avec le rapport fait par le préfet de police de Georgetown (Guyana) au haut commissariat du Canada dans cette ville, et selon lequel M. Coomar avait tué M. Stuart d'une balle tirée dans la tête par derrière.

[4]      M. Coomar témoigne qu'il fut jugé pour meurtre et acquitté, et qu'après l'acquittement, il a été remis en liberté sur constitution d'un cautionnement de 1 000 $. Il dit qu'il a été acquitté parce que son avocat faisait valoir la légitime défense. Il témoigne cependant aussi que la police lui a dit que l'incident était considéré comme un accident lors du premier procès. Il a donné une réponse évasive à la question de savoir comment cet incident pouvait être à la fois un accident et un acte de légitime défense.

[5]      Je n'ajoute pas foi à l'affirmation faite par M. Coomar qu'il a été acquitté du chef d'accusation de meurtre. Il témoigne que deux mois après l'acquittement, il a été poursuivi de nouveau pour meurtre et que, par suite d'une transaction pénale négociée par son avocat, il a plaidé coupable d'homicide involontaire coupable et a été condamné à une amende de 1 000 $. Cependant, le certificat de condamnation délivré par le greffier de la Supreme Court of Judicature de la République du Guyana indique que M. Coomar était initialement accusé de meurtre, que la charge a été subséquemment réduite à celle d'homicide involontaire coupable, et qu'il devait passer en jugement devant un jury. Il est finalement passé en jugement devant un juge de la Haute Cour, qui l'a trouvé coupable. Dans son témoignage, M. Coomar s'est montré évasif dans sa réponse à la question de savoir s'il n'avait pas fait un aveu de culpabilité, même dans sa propre version des faits. Il a répondu qu'il ne pensait pas que ce fût le cas et que c'était son avocat qui s'occupait de tous les détails de ce que M. Coomar désigne sous le vocable de " bargain plea " (transaction pénale).

[6]      Cependant, dans une déclaration faite le 25 juin 1992 à l'agent Dyer de la Gendarmerie royale du Canada, M. Coomar a reconnu qu'il avait (selon ses souvenirs, un an ou deux avant que sa fille ne parrainât sa demande d'immigration au Canada) plaidé coupable d'homicide involontaire coupable au Guyana et avait été condamné à une amende de 1 000 $. Il affirme que la police considérait la mort de M. Stuart comme un accident, et que s'il a été poursuivi la seconde fois sous ce chef, ce n'était pas pour le crime mais pour des raisons politiques. La victime M. Stuart était un " nègre " et, selon M. Coomar, les nègres contrôlaient la police au Guyana et maltraitaient les Indiens comme lui-même. M. Coomar a produit des articles du journal The Nation qui devaient montrer que la violence raciale perpétuée par les autorités gouvernementales était monnaie courante. Cependant, il s'agit d'articles de nature générale, dont l'un daté de 1973, et ils ne corroborent pas ses assertions sur les circonstances de sa condamnation. Je n'attache aucune importance à ces articles.

[7]      Je n'ajoute pas foi au témoignage de M. Coomar quant aux raisons politiques de sa condamnation. Qui plus est, en niant sa condamnation pour homicide involontaire coupable dans sa demande de visa d'immigrant et de citoyenneté canadienne, il n'a pas donné aux autorités de l'immigration canadiennes la possibilité de vérifier si les conditions politiques au Guyana étaient vraiment à l'origine de sa condamnation.

[8]      Le 31 janvier 1979, la fille de M. Coomar a parrainé sa demande de droit d'établissement au Canada. Mme Boyle, agente d'immigration principale en retraite, témoigne qu'en qualité d'immigrant parrainé, M. Coomar a dû recevoir un assortiment de documents, dont la formule IMM 8 - Demande de résidence permanente au Canada, à peu près deux mois après l'engagement de parrainage de sa fille. Bien que sa formule IMM 8 n'existe plus à l'heure actuelle, il reconnaît qu'il l'a reçue et qu'il a répondu " Non " à la question qui y figurait au sujet des condamnations pénales. Le 11 mars 1980, il est arrivé au Canada et à cette occasion encore, sur la formule de demande de visa, il a donné la même réponse inexacte. Le 17 juin 1983, il a demandé la citoyenneté canadienne en application du paragraphe 5(1) de la Loi sur la citoyenneté et, le 4 octobre 1983, sa demande a été accueillie par un juge de la citoyenneté. Il est devenu citoyen canadien le 9 novembre 1983 après avoir prêté serment à cet effet.

[9]      M. Coomar produit deux documents, respectivement datés du 30 décembre 1991 et du 2 juin 1992, par lesquels des inspecteurs de police attestent qu'il ne figurait pas dans les fiches de la police. Il prétend qu'il a reçu un document semblable en 1980 et que, par suite, il pensait que son casier judiciaire était vierge. Il prétend qu'il ne comprenait rien à la poursuite pénale ni n'y prenait aucune part, par suite de la " transaction pénale " négociée par son avocat. Je ne trouve pas son témoignage sur ce point digne de foi. D'ailleurs, je trouve plus concluante la preuve documentaire produite par la demanderesse, savoir la lettre datée du 9 mars 1989 par laquelle le préfet de police de Georgetown (Guyana) communiquait au haut commissariat du Canada dans la même ville les détails concernant la condamnation de M. Coomar, ainsi que le certificat daté du 6 décembre 1990 du greffier de la Supreme Court of Judicature de la République du Guyana, attestant que l'intéressé fut reconnu coupable d'homicide involontaire coupable et condamné à une amende de 1 000 $, le 29 janvier 1979. Par contraste, les deux documents produits par M. Coomar sont incomplets, le destinataire étant " À qui de droit ", et émanent d'agents subalternes, des inspecteurs de police.

Analyse

[10]      Ainsi que je l'ai fait observer dans M.C.I. c. Bogutin, [1998] A.C.J. no 211, au paragraphe 113 :

     " j'applique la norme civile de preuve selon la prépondérance des probabilités, mais je dois examiner la preuve attentivement en raison des allégations graves qui doivent être établies par la preuve présentée.         

[11]      Il échet d'examiner si M. Coomar a obtenu son admission légale au Canada à titre de résident permanent par fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels et si, de ce fait, il a subséquemment obtenu la citoyenneté en violation de l'article 10 de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29.

[12]      Dans Canada (Ministre de Multiculturalisme et de la Citoyenneté) c. Minhas (1993), 21 Imm. L.R. (2d) 31, le juge en chef adjoint Jerome a tiré à ce propos la conclusion suivante en page 34 :

     Les termes du paragraphe 10(1) ne désignent pas une infraction mettant en jeu la norme rigoureuse de la preuve " sans l'ombre d'un doute raisonnable " du droit pénal, mais ont plutôt pour effet d'épargner les fausses déclarations innocentes de la sanction sévère qu'est la perte de citoyenneté.         

Il n'est pas question de fausse déclaration innocente en l'espèce.

[13]      À mon avis, M. Coomar n'était pas crédible dans son témoignage sur son ignorance quant à l'existence d'un casier judiciaire ou son déni de l'aveu de culpabilité. Je suis convaincu qu'il était au courant de sa condamnation et qu'il avait plaidé coupable devant le juge au Guyana; par conséquent, je suis convaincu qu'il a obtenu le statut d'immigrant avec droit d'établissement par fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels. Dans la procédure de révocation, la question se pose de savoir si l'intéressé s'est vu octroyer la citoyenneté en vertu de la Loi par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels. À la lumière des faits tels que je les ai constatés en l'espèce, je n'ai pas à décider si, à supposer que M. Coomar eût déclaré sa condamnation et produit des preuves aux autorités de l'immigration du Canada, il faut ignorer sa condamnation du fait qu'un système politique et judiciaire corrompu règne au Guyana.

[14]      Il me reste à décider s'il y a lieu de rejeter la demande pour cause de retard de la part de la ministre. M. Coomar cite la décision Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Copeland, [1998] 2 C.F. 493 (C.F. 1re inst.), dans laquelle Mme le juge McGillis a conclu qu'il y a retard abusif allant à l'encontre de l'article 7 de la Charte dans les affaires de révocation de la citoyenneté si, en premier lieu, le retard est déraisonnable au regard des circonstances de la cause et, en second lieu, le justiciable en a subi un préjudice. Il appert que la jurisprudence Canada (Secrétaire d'État) c. Luitjens (1992), 142 N.R. 173 (C.A.F.) n'a pas été invoquée dans cette affaire contre l'argument tiré de l'article 7 et n'a donc pas été prise en considération par Mme le juge McGillis. Dans Luitjens, op. cit., page 175, le juge Linden de la Cour d'appel a fait observer que " la décision n'a en fin de compte déterminé aucun droit juridique ". Plus spécifiquement, la Cour tire bien certaines conclusions sur les faits, mais la décision éventuelle relève du gouverneur en conseil, ainsi que le prévoient l'article 10 et le paragraphe 18(1) de la Loi sur la citoyenneté . Le juge Linden a ajouté à ce propos :

     Je considère que l'article 7 ne supprime pas la force exécutoire du paragraphe 18(3). Tout d'abord, au moment où la Cour a rendu sa décision, au moins, l'article 7 n'était pas en cause parce que l'on n'avait pas encore porté atteinte au droit de M. Luitjens " à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne ". Le juge de première instance a simplement statué que M. Luitjens avait obtenu la citoyenneté canadienne par fausse déclaration. Cette conclusion pourrait peut-être bien servir de fondement aux décisions d'autres tribunaux, qui pourraient porter atteinte ultérieurement à ce droit, mais cela n'est pas le cas de la décision dont il est question en l'espèce. Il ne s'agit donc que d'une étape d'une action qui peut aboutir ou non à la révocation définitive de la citoyenneté et à l'expulsion ou l'extradition de l'intéressé.         

[15]      Appliquant la jurisprudence Luitjens dans M.C.I. c. Dueck, 41 Imm. L.R. (2d) 259, le juge Noël fait remarquer au paragraphe 34 que l'arrêt Ministre de la Citoyenneté c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391, de la Cour suprême du Canada confirme la conclusion tirée par le juge Linden de la Cour d'appel au sujet de l'article 7 de la Charte.

[16]      Pour la même raison, les précédents Secrétaire d'État c. Charran (1988), 21 F.T.R. 117 (C.F. 1re inst.) et R. c. Sadiq (1990), 39 F.T.R. 200 (C.F. 1re inst.), ne sauraient être invoqués à l'appui de l'applicabilité de l'article 7 dans les affaires de révocation de la citoyenneté. D'ailleurs, à supposer même que celui-ci s'applique, il n'y a aucune preuve de préjudice en l'espèce.

[17]      Par ces motifs, je conclus dans ce renvoi que M. Coomar a obtenu l'admission légale au Canada et la citoyenneté canadienne par fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels. En ce qui concerne les frais et dépens du renvoi, les parties pourront m'en parler si elles n'arrivent pas à se mettre d'accord.

     Signé : William P. McKeown

     ________________________________

     Juge

Vancouver (Colombie-Britannique)

le 17 novembre 1998

Traduction certifiée conforme,

Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER No :              T-1906-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      La ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

                     c.

                     Henderpaul Coomar

LIEU DE L'AUDIENCE :          Edmonton (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :      27 octobre 1998

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR LE JUGE McKEOWN

LE :                      17 novembre 1998

ONT COMPARU :

W. Brad Hardstaff                  pour la demanderesse

John J. Gill                      pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg                  pour la demanderesse

Sous-procureur général du Canada

McCuaig Desrochers                  pour le défendeur

Edmonton

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