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Date : 19990121


Dossier : IMM-2499-97

OTTAWA (ONTARIO), LE 21 JANVIER 1999.

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE EVANS

ENTRE :


ADRIAN COJOCAR,


demandeur,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.


ORDONNANCE

     La demande de contrôle judiciaire est rejetée.


" John M.Evans "

                                             J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, B.A., LL.B.


Date : 19990121


Dossier : IMM-2499-97

ENTRE :


ADRIAN COJOCAR,


demandeur,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.


MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE EVANS

A. INTRODUCTION

[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire, fondée sur l"article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale , L.R.C. (1985), ch. F-7 [modifiée], dans laquelle le demandeur cherche à obtenir que soit examinée et annulée une décision d"une agente d"immigration, datée du 23 mai 1997, selon laquelle il n"y a pas suffisamment de raisons d'ordre humanitaire pour que le ministre lui accorde une dispense en vertu de paragraphe 114(2) de la Loi sur l"immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 [modifiée].

B. LE CONTEXTE

[2]      Le demandeur, un citoyen de la Roumanie, est arrivé au Canada en 1993. En 1995, il a revendiqué le statut de réfugié au motif qu"il craignait d"être persécuté en Roumanie pour des motifs religieux. En particulier, il a dit qu"il était susceptible de faire l"objet de poursuites vu qu"il avait omis de se soumettre à un ordre lui enjoignant de se présenter à l"armée pour faire son service militaire. Il a dit qu"en tant que Témoin de Jéhovah, ses croyances religieuses l"empêchaient de faire partie de l"armée. La Section du statut de réfugié a rejeté sa revendication; toutefois, la décision de celle-ci ne faisant pas partie du dossier, j"ignore les motifs sur lesquels elle a été fondée.

[3]      Le demandeur a par la suite demandé le droit de s"établir au pays en invoquant des motifs d"ordre humanitaire dans le cadre du paragraphe 114(2) de la Loi sur l"immigration. Il a eu une entrevue avec une agente d"immigration le 23 janvier 1996, où il a répété qu"il craignait de subir un procès et d"être puni pour avoir refusé de se présenter à l"armée malgré ses objections fondées sur des motifs religieux, s"il retournait en Roumanie.

[4]      Conformément à la pratique en vigueur au ministère, l"agente a demandé à un agent de révision des revendications refusées (l"agent de révision) de lui fournir un avis concernant le danger auquel le demandeur serait vraisemblablement exposé s"il retournait en Roumanie. Dans son rapport, daté du 24 février 1997, l"agent de révision a conclu qu"à son avis, le demandeur ne serait exposé à aucun danger s"il retournait en Roumanie. Ce rapport n"a pas été communiqué au demandeur, mais l"agente d"immigration en a vraisemblablement tenu compte lorsqu"elle a décidé de rejeter la demande invoquant des motifs d"ordre humanitaire présentée par le demandeur.

C. LES QUESTIONS LITIGIEUSES

[5]      Le demandeur conteste la décision de l"agente d"immigration en invoquant quatre motifs.

     i) Le rapport de l"agent de révision constituait une "preuve extrinsèque" que l"agente d"immigration devait, en vertu de l"obligation d"agir équitablement qui lui incombait, communiquer au demandeur afin de permettre à celui-ci d"y répondre avant que ne soit tranchée sa demande fondée sur le paragraphe 114(2).
     ii) En jugeant que la peine d"emprisonnement d"une durée d"un à trois mois qui serait imposée au demandeur s"il était reconnu coupable, en vertu du droit roumain, d"avoir omis de se présenter à l"armée pour faire son service militaire n"était " ni draconienne, ni inhumaine, ni sévère ", l"agent de révision a outrepassé sa compétence, car il s"agissait d"une décision juridique qui, de toute façon, était abusive.
     iii) La conclusion de l"agent de révision selon laquelle il était peu probable que les autorités roumaines appliquent rigoureusement la loi sur le service militaire n"était qu"une supposition que n"étayait aucun élément de preuve.
     iv) En faisant remarquer qu"il avait lu qu"un projet de loi prévoyant un service de nature autre que militaire pour les objecteurs de conscience avait été déposé devant le parlement roumain, l"agent de révision avait tenu compte d"une considération non pertinente.

D. L"ANALYSE

[6]      L"arrêt de principe en matière de contrôle des décisions fondées sur les dispositions d"ordre humanitaire prévues au paragraphe 114(2) est l"arrêt Shah c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration) (1994), 29 Imm. L.R. (2d) 82 (C.A.F.). En ce qui concerne la question de l"équité procédurale, le juge Hugessen de la Cour d"appel dit, aux pages 83 et 84, qu"étant donné la nature discrétionnaire de ces décisions, le contenu de l"obligation est minimal, bien que si l"agente " entend se fonder sur des éléments de preuve extrinsèques qui ne lui sont pas fournis par le requérant, elle doit bien sûr lui donner l'occasion d'y répondre ". Parlant de façon plus générale du contrôle de l"exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 114(2), le juge Hugessen fait remarquer que les demandeurs doivent remplir un " lourd fardeau " avant que la Cour n"intervienne.

Première question en litige

[7]      L"avocat du demandeur a soutenu que l"agente d"immigration avait privé son client de l"équité procédurale, car elle avait omis de lui communiquer, pour qu"il le commente, le rapport de l"agent de révision dont elle avait tenu compte en décidant qu"il n"y avait pas suffisamment de considérations humanitaires pour justifier un exercice favorable du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 114(2). L"avocat a maintenu que le rapport constituait un élément de preuve extrinsèque car il contenait des renseignements qui n"avaient pas été fournis à l"agente. Il s"est fondé en particulier sur l"affaire Al-Joubeh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration) (1996) 33 Imm. L.R. (2d) 77 (C.F. 1re inst.), dans laquelle un agent de révision avait fondé en partie son opinion concernant la situation qui régnait dans un pays sur une conversation qu"il avait eue avec un autre agent, sur un livre, et sur un article. Il a été jugé dans cette affaire qu"étant donné que le requérant aurait eu beaucoup à dire en réponse à ces renseignements, l"agent d"immigration avait violé son obligation d"agir équitablement en se fondant sur ceux-ci sans les communiquer d"abord au requérant pour qu"il puisse les commenter.

[8]      Plus récemment, cependant, il a été jugé que l"équité n"exigeait pas qu"un agent communique, pour fins de commentaires, des renseignements sur la situation générale qui régnait dans un pays que l"agent de révision avait obtenus du Centre de documentation de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié, au motif que de tels renseignements étaient mis à la disposition du public et que toute personne connaissant bien le processus s"attendrait à ce que l"agent de révision les consulte vraisemblablement : Mancia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration), [1998] 3 C.F. 461 (C.A.F.). Vu l"absence de toute conclusion dans Al-Joubeh sur la question de savoir s"il était raisonnable de s"attendre à ce que le demandeur ou son avocat anticipent l"utilisation que l"on ferait des documents sur lesquels on s"est fondé, il est permis de se demander si cette décision doit toujours être appliquée, du moins en ce qui a trait au livre et à l"article.

[9]      En ce qui concerne les faits de la présente affaire, l"avocate du défendeur a soutenu que tous les renseignements sur lesquels l"agent de révision s"était fondé concernant la persécution religieuse en Roumanie et le dépôt de la modification de la loi sur le service militaire prévoyant un service de nature autre que militaire pour les objecteurs de conscience ont été obtenus du Centre de documentation. En conséquence, ces renseignements étaient à la disposition du public, et il était raisonnable de s"attendre à ce que le demandeur ou son avocat prennent connaissance des documents pertinents du Centre de documentation avant de soumettre des observations à l"agente d"immigration dans le cadre du paragraphe 114(2).

[10]      L"avocat du demandeur n"a pas nié que les renseignements dont disposait l"agent de révision provenaient du Centre de documentation, bien qu"il ait soutenu qu"ils ne portaient pas sur la " situation générale qui règne au pays " aux fins de la dispense de communication formulée dans Mancia , vu la nature particulière de certaines des questions auxquelles ils étaient liés. À mon avis, cependant, l"expression " situation générale qui règne au pays " dans ce contexte vise à établir une distinction entre les connaissances d"ordre général et les questions à l"égard desquelles il est probable que le demandeur soit particulièrement bien informé et sur lesquelles celui-ci doit être entendu parce que, par exemple, elles le concernent personnellement ou concernent ses activités.

[11]      L"omission de communiquer le rapport ne constituait donc pas une violation du contenu " minimal " de l"obligation d"agir équitablement applicable dans ce contexte de prise de décision. Étant donné que le rapport contenait des renseignements que le public, ce qui comprend le demandeur et son avocat, pouvait facilement obtenir, et qu"il était raisonnable que ceux-ci s"attendent à ce que l"agent de révision les consulte, ces renseignements ne constituaient pas de la " preuve extrinsèque " au sens de la règle définie dans l"arrêt Shah .

Deuxième question en litige

[12]      L"avocat du demandeur a soutenu qu"en jugeant que la peine susceptible d"être imposée au demandeur pour avoir omis de se présenter à l"armée pour faire son service militaire n"était " ni draconienne, ni inhumaine, ni sévère ", l"agent de révision a commis une erreur de droit, car cela équivalait à prendre une décision juridique, ce qu"il n"avait pas la compétence de faire en vertu de la loi. De plus, la conclusion de l"agent de révision n"était pas déraisonnable au point d"invalider la décision que l"agente d"immigration a prise en se fondant sur celle-ci.

[13]      À mon avis, cet argument n"est pas fondé. L"agent de révision ne faisait que donner son avis : il ne tranchait pas une question juridique. Il va de soi que l"avis ne liait pas l"agente d"immigration, et comme il renvoyait à la peine que prévoyait le droit roumain, il ne s"agissait évidemment pas d"une question qui relevait de l"expertise ou des connaissances particulières de l"agent de révision. Étant donné que l"agente d"immigration connaissait cette question aussi bien que l"agent de révision, aucune obligation particulière ne l"obligeait à partager l"avis de ce dernier. Que l"on souscrive à l"avis de l"agent de révision ou non, étant donné que l"agente d"immigration n"était pas tenue, d"un point de vue juridique ou factuel, d"adopter cet avis, celui-ci n"a pas influé sur la validité de sa décision selon laquelle le demandeur n"a pas établi qu"il y avait suffisamment de motifs d"ordre humanitaire pour étayer une recommandation selon laquelle il devait obtenir le droit de s"établir au Canada en passant outre aux dispositions légales habituellement applicables.

Troisième question en litige

[14]      Le demandeur qualifie de pure supposition la conclusion de l"agent de révision selon laquelle, étant donné que le demandeur n"avait pas eu de difficulté à obtenir un passeport, il était peu probable que les autorités roumaines appliquent sévèrement à son égard la loi sur le service militaire s"il retournait en Roumanie. L"avocat du demandeur a suggéré qu"il y avait une explication tout aussi plausible, selon laquelle la délivrance des passeports et l"application des lois criminelles ne relevaient pas des mêmes ministères. Dans la mesure où l"agente d"immigration a fondé sa décision sur un rapport comprenant une déclaration de fait non étayée par la preuve, sa décision de rejeter la demande fondée sur le paragraphe 114(2) constituait une erreur de droit.

[15]      Pour étayer sa proposition, l"avocat s"est fondé sur deux décisions portant sur des conclusions de la Section du statut de réfugié. Dans Wu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration) [1992] F.C.J. No. 458 (C.A.F.), le juge Mahoney de la Cour d"appel a conclu que, en soulignant la facilité avec laquelle l"appelant avait obtenu un passeport, la Section du statut de réfugié avait commis une erreur de droit, étant donné que

         " Il est clair d"après l"ensemble du témoignage pertinent que [...] l"autorité qui délivre les passeports n"étant pas celle qui effectue l"enquête, elle n"aurait eu connaissance de cette enquête que s"il avait été reconnu coupable ".         

Une conclusion similaire a été tirée dans l"affaire Ponce-Yon c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration) [1994] F.C.J. No. 212 (C.F. 1re inst.), dans laquelle il a été établi que l"autorité qui délivre les passeports n"était pas l"agent de persécution et que le gouvernement ne refusait pas de délivrer des passeports à ses détracteurs.

[16]      En l"espèce, cependant, il n"y avait aucun élément de preuve concernant les dispositions prises par le gouvernement roumain en matière de délivrance des passeports. Or, en l"absence de tout élément de preuve concernant cette question, la déduction faite par l"agent de révision n"était qu"un avis fondé sur le peu de faits dont il disposait. En outre, même si la suggestion de l"avocat selon laquelle les passeports et les poursuites criminelles relèvent de deux parties distinctes du gouvernement était fondée, de sorte qu"il se pouvait que le demandeur n"ait pas attiré l"attention des autorités qui délivrent les passeports, un tel manque de coordination est susceptible d"indiquer en soi que les autorités roumaines doivent traiter de questions plus urgentes que la chasse aux objecteurs de conscience qui tentent d"éviter d"être conscrits.

[17]      Le fait que l"agent de révision ait exprimé un point de vue peut-être douteux et qu"un tel point de vue ait constitué l"un des fondements, parmi plusieurs autres, d"un avis sur l"appréciation du danger auquel le demandeur serait susceptible d"être exposé et non une décision juridique, n"est pas suffisant en soi pour invalider la décision de l"agente d"immigration.

Quatrième question en litige

[18]      Enfin, le demandeur a soutenu que l"agent de révision avait commis une erreur en renvoyant, dans le cadre de son appréciation du danger auquel le demandeur serait susceptible d"être exposé s"il retournait en Roumanie, au fait qu"une modification au Code criminel roumain avait été déposée en vue d"établir un service de nature autre que militaire pour les objecteurs de conscience. Comme la modification n"avait pas force de loi, elle n"avait aucune pertinence en ce qui concerne le fait que le demandeur était susceptible de faire l"objet de poursuites et d"être emprisonné pour avoir désobéi à la loi en vigueur en Roumanie à l"époque où l"agente d"immigration a pris sa décision. En fondant sa décision sur le rapport de l"agent de révision, l"agente d"immigration a forcément elle-même tenu compte d"un facteur non pertinent et a donc commis une erreur de droit.

[19]      Je ne trouve pas cet argument convaincant. Encore une fois, il est important d"avoir à l"esprit que l"agent de révision ne faisait que donner son avis en ce qui concerne le danger auquel le demandeur serait susceptible d"être exposé s"il retournait en Roumanie. Il me semble entièrement raisonnable qu"un agent qui donne son avis en matière de danger couru par le demandeur tienne compte d"une modification possible de la loi. Même si la modification n"aurait pas été adoptée au moment où le demandeur serait retourné en Roumanie, elle fournirait tout de même un indice de l"attitude actuelle et à venir des autorités roumaines face aux personnes qui, pour des raisons de conscience, refusent de faire leur service militaire. L"existence de la modification projetée laisse entrevoir une attitude moins hostile à l"égard des objecteurs de conscience pour des motifs religieux et tend à faire diminuer le danger de persécution auquel le demandeur est susceptible d"être exposé. L"agente d"immigration était libre, bien entendu, d"accorder le poids qu"elle voulait à cette information.

[20]      Par ces motifs, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire.


" John M. Evans "

                                             J.C.F.C.

OTTAWA (ONTARIO)

Le 21 janvier 1999.

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, B.A., LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                  IMM-2499-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :          Adrian Cojocar c. M.C.I.

LIEU DE L"AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

DATE DE L"AUDIENCE :              le 15 décembre 1998

MOTIFS D"ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MONSIEURS LE JUGE EVANS

EN DATE DU :                  21 janvier 1999

ONT COMPARU :

M. Mark Rosenblatt                                  pour le demandeur

Mme Sudabeh Mashkuri                              pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mark Rosenblatt

Toronto (Ontario)                                  pour le demandeur

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                          pour le défendeur

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