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     Date : 20000209

     T-2293-97


E n t r e :

     AIR SPRAY (1967) LTD.,

     demanderesse

     - et -

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     et MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS

     ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX,

     défendeurs


     MOTIFS DE L"ORDONNANCE


LE PROTONOTAIRE JOHN HARGRAVE


[1]      En mai 1999, à la suite de la première séance d"une conférence préparatoire tenue par téléphone le 5 mai 1999, l"instruction de la présente affaire a été fixée pour les quatre jours commençant le 6 mars 2000. Il s"agit en l"espèce de se prononcer sur une question soulevée lors de la dernière séance de la conférence préparatoire, en l"occurrence le bien-fondé d"une requête présentée à la dernière minute en vue de faire radier la déclaration sur le fondement d"un moyen qui a été invoqué il y a deux ans à titre de moyen de défense.

[2]      La conférence préparatoire a été reprise à la suite de la demande de conférence préparatoire qui a été présentée le 25 mars 1999. Il s"agit toutefois en réalité de la poursuite d"une conférence de gestion de l"instruction qui avait commencé par une évaluation préliminaire par un arbitre que le juge Lutfy avait ordonnée le 29 septembre 1998. L"évaluation préliminaire par un arbitre a eu lieu le 17 mars 1999. Cette évaluation s"est soldée par une critique verbale des forces et des faiblesses de la thèse de chacune des parties et par une note de service détaillée visant à faciliter le règlement du litige.

[3]      Plus récemment, une séance de conférence préparatoire a eu lieu le 6 décembre 1999 par téléphone. Cette tranche de conférence préparatoire visait à forcer les défendeurs à donner suite aux engagements qu"ils avaient pris lors de l"enquête préalable, étant donné que l"avocat qui occupait alors pour les défendeurs, en tant qu"officier de justice, a informé la Cour qu"il avait demandé des directives à ses clients, qui selon toute vraisemblance n"y avaient pas donné suite. À la clôture de la séance du 6 décembre 1999 de la conférence préparatoire et en prévision de la reprise du 8 février 2000, l"avocat des défendeurs a accepté d"envisager la possibilité d"aveux sur des questions de fait sur la base des faits admis lors de l"évaluation préliminaire par un arbitre et d"examiner de plus près la question du nombre de témoins que Sa Majesté convoquerait.

[4]      Ont participé à la présente conférence préparatoire, le 8 février 2000, l"avocat de la demanderesse, en compagnie de deux représentants de la demanderesse qui se sont présentés en personne, ainsi que deux avocats représentant les défendeurs. Aucun représentant des défendeurs n"a toutefois participé à la séance, contrairement à l"article 260 des Règles, qui prévoit :

         Sauf directives contraires de la Cour, les avocats inscrits au dossier et les parties ou leurs représentants autorisés participent à la conférence préparatoire à l"instruction.

Des représentants des défendeurs étaient vraisemblablement disponibles par téléphone pour le cas où des instructions s"avéreraient nécessaires. Cette façon de procéder est satisfaisante dans certains cas, même il faut obtenir une autorisation avant de pouvoir déroger ainsi aux Règles. En l"espèce, cette non-participation des représentants des défendeurs semblait dans un premier temps excusable, car la séance finale de la conférence préparatoire devait normalement porter sur les questions de procédure habituelles.

[5]      Or, au lieu de commencer par les questions de procédure habituelles, les défendeurs ont donné pour instructions à leur nouvel avocat de présenter une requête complexe à seulement quatre semaines de la date de l"instruction en vue de faire radier la déclaration en invoquant un moyen d"irrecevabilité fondé sur la chose jugée ou sur l"identité des questions en litige au motif que la demanderesse aurait dû réclamer une autre réparation. Les clients qui donnent ainsi à leur avocat à la dernière minute des instructions qui perturberont de toute évidence le déroulement de la séance dont il a fallu attendre un an pour obtenir la date devraient avoir assez de coeur au ventre pour se présenter à la conférence préparatoire à l"instruction pour expliquer pourquoi ils ont modifié à la dernière minute leurs instructions à l"avocat, selon toute vraisemblance dans le but de gagner du temps. D"ailleurs, les questions soulevées dans la requête ont déjà été plaidées dans la défense qui a été déposée il y a près de deux ans. Ces questions, notamment celle de l"irrecevabilité découlant de l"identité des questions en litige, la chose jugée et leurs éléments nécessaires, ont été débattues à fond et ont été écartées à l"étape de l"évaluation préliminaire par un arbitre qui a eu lieu il y a un an au motif qu"elles présentaient peu d"intérêt. Toute tentative faite délibérément par une partie pour entraver le cours d"une conférence préparatoire est vouée à l"échec. La Cour renvoie à cet égard les avocats et les défendeurs aux jugements Moscone c. Ministre du Revenu national , motifs et ordonnance non publiés rendus le 4 mai 1999 dans le dossier T-1904-96 au sujet de la gravité de la non-comparution, ainsi qu"aux motifs prononcés le 17 décembre 1999 dans l"affaire Nygren c. La Reine (jugement non publié rendu dans le dossier T-853-96), dans laquelle la partie qui n"avait pas participé à la conférence préparatoire a été condamnée aux dépens.

[6]      Les défendeurs ont rédigé leur requête en radiation, l"ont vraisemblablement signifiée à l"avocat de la demanderesse, mais ne l"ont pas déposée. L"avocat des défendeurs affirme que l"audition de cette requête nécessitera une journée, si son instruction est ordonnée, mais qu"il voulait la présenter par écrit. Même en supposant que la requête soit présentée comme une simple requête par écrit, le procès devra nécessairement être ajourné pour attendre le dépôt d"une réponse et la formulation de motifs, sans parler d"un éventuel appel. L"avocat des défendeurs estime néanmoins que, si ses clients obtiennent gain de cause en ce qui concerne leur requête, l"action sera tranchée en entier. L"avocat de la demanderesse s"attendait à ce que le fond de la requête ne soit qu"une variante d"une partie de la défense et il a déclaré qu"il souhaitait non seulement déposer des affidavits en réponse, mais également contre-interroger les auteurs de ces affidavits, ce qui nécessiterait indiscutablement le report de l"instruction prévue pour le 6 mars. L"avocat des défendeurs déclare que, si la requête est entendue par le juge du fond, les quatre jours de procès initialement convenus par les avocats " une journée pour les arguments de la demanderesse, une journée et demie ou deux jours pour les arguments des défendeurs et une journée pour les débats " seraient insuffisants. Compte tenu des nombreux aveux sans équivoque faits par le témoin des défendeurs lors de l"interrogatoire préalable, il y a lieu de s"interroger sur l"opportunité de passer à l"instruction de l"affaire au lieu d"accepter le compromis négocié lors de l"évaluation préliminaire par l"arbitre.

[7]      Il en résulte à tout le moins beaucoup de confusion et d"inconvénients et, plus probablement, un préjudice pour la demanderesse, qui a fini par convaincre des défendeurs plutôt récalcitrants de fixer une date d"instruction, même après avoir obtenu l"ordonnance suivante pour amener les défendeurs à leur position présente :

         [TRADUCTION]
         Les défendeurs devront, au plus tard avant la fermeture des bureaux le 14 janvier 2000, donner suite aux engagements non encore exécutés qu"ils ont pris lors de l"enquête préalable, à défaut de quoi le représentant des défendeurs devra comparaître en personne au greffe d"Edmonton à 8 h 30 le mardi 25 janvier 2000 pour expliquer le défaut.


[8]      Si la présente date d"instruction est perdue, en supposant que les défendeurs n"obtiennent pas gain de cause au sujet de leur requête proposée, la demanderesse devra attendre un an avant d"obtenir une nouvelle date d"instruction. La Cour conserve toutefois en tout temps la capacité de contrôler sa propre procédure.

[9]      Une requête en radiation pour absence de cause d"action ou pour incompétence peut être présentée en tout temps. De même, lorsque, comme c"est le cas en l"espèce, un moyen d"irrecevabilité ou l"autorité de la chose jugée est invoqué en défense, le dépôt d"une défense ne fait pas obstacle à la présentation d"une telle requête. En revanche, le fait de prévoir le dépôt d"une telle requête à une date ultérieure peut constituer en soi un obstacle, surtout lorsqu"une des parties plaide non seulement cette requête au fond dans sa défense, mais en traite aussi lors de l"évaluation préliminaire par un arbitre et y revient plus en détail lors de l"enquête préalable.

[10]      Ainsi que je l"ai souligné dans le jugement Bande indienne de Lower Similkameen c. Allison , [1997] 115 F.T.R. 247, une partie ne peut présenter à la dernière minute, dans ce cas environ six semaines avant le procès, une requête complexe en radiation :

         Je remarque que les parties ont récemment obtenu que le procès ait lieu plus tôt, le procès devant commencer le 17 juin 1996. Les demanderesses ont eu quelque 21 mois pour examiner la demande reconventionnelle. Elles ont tardé à faire une requête élaborée en radiation. À mon avis, les demanderesses sont empêchées par un estoppel de demander une radiation dans la présente affaire, mais devraient être tenues de laisser la question au juge du procès qui peut évaluer les témoins. Pour ce motif, je rejetterais la requête. (Aux pages 248 et 249.)

Dans l"affaire Lower Similkameen , j"ai estimé que la question soulevée dans la requête en radiation se situait au coeur du litige, au même titre que la requête présentée par les défendeurs en l"espèce, qui constitue un moyen de défense légitime. La situation est analogue à celle qui existait dans l"affaire Lower Similkameen et il est préférable de laisser au juge du procès le soin de trancher la question en litige après avoir entendu et observé les témoins au procès.

[11]      Dans l"affaire Lower Similkameen , tout comme dans la présente espèce, j"étais préoccupé non seulement par la proximité de la date du procès, mais également par le retard qu"accusait la présentation de la requête. De plus, radier la requête à cette étape-ci enlèverait à la demanderesse la possibilité d"être entendue par un juge du fond, alors qu"il est fort possible que la réparation qu"elle demande relève du pouvoir discrétionnaire du juge du fond et qu"elle doive par conséquent être tranchée par le juge du fond. C"est le raisonnement qu"a suivi la Cour d"appel fédérale dans l"arrêt Proctor & Campbell Co. C. Nabisco Brands Ltd. , décision non publiée rendue le 13 juin 1985 dans le dossier A-1303-84, dans lequel le juge Urie a formulé les commentaires suivants au sujet du paragraphe 419(1) des Règles, qui portait alors sur la radiation :

         Quant à l"alinéa a) de la règle, il semblerait que la restriction applicable aux autres alinéas de la Règle que nous venons tout juste d"évoquer ne constituent pas nécessairement une fin de non-recevoir à la requête. En l"espèce, toutefois, l"appelante a soutenu dans sa défense que [TRADUCTION] " les allégations du paragraphe 14 ne soulèvent aucune cause d"action relevant de la compétence de cette Cour " [...] sans insister cependant sur l"allégation concernant la compétence au point de permettre au juge instruisant les requêtes de décider si le présumé défaut de compétence faisait réellement disparaître ou non la cause de l"action. Ce fait, ainsi que le long délai de plus de six mois qui s"est écoulé avant que l"appelante ne présente sa requête en radiation après avoir répondu à la déclaration, ont sans doute constitué des facteurs qui ont amené le juge à rejeter la requête. Nous ne croyons pas que cette cour devrait modifier cette décision qu"a prise Madame la juge dans l"exercice de son pouvoir discrétionnaire.

[12]      Les questions que les défendeurs souhaitent vraisemblablement soulever en l"espèce, à savoir l"autorité de la chose jugée, l"irrecevabilité et le défaut de réclamer une autre réparation, sont en réalité des moyens de défense au sujet desquels il convient, dans le cas qui nous occupe, que le juge du fond entende et observe les témoins. Il s"agit d"une question qu"on devrait laisser le juge du fond examiner au procès. C"est ce qu"a précisé la Cour d"appel fédérale dans l"arrêt Canadien Pacifique Ltée c. United Transportation Union , décision non publiée en date du 20 mai 1976 dans le dossier A-31-76 dans laquelle la Cour d"appel cite l"extrait suivant du jugement non publié rendu en 1969 par la Cour de l"Échiquier dans l"affaire Boar v. The Queen :

         [TRADUCTION]
         Une requête en radiation de la déclaration ou d"un acte de procédure dans laquelle une réparation est sollicitée ne devrait être accueillie que lorsqu"il est évident que la demande est, à sa face même, " de toute évidence indéfendable " (comparer avec Attorney General of the Suchy of Lancaster v. London and Northwestern Railway , [1892] 3 Ch. 274). Si un point de droit exige un débat sérieux, il y a lieu de s"opposer à l"acte de procédure et de trancher ce point de droit avant le procès en vertu de l"article 149 des Règles ou encore de laisser au juge du fond le soin de se prononcer sur ce point de droit lors du procès, selon les circonstances. (Comparer avec Hubbuck & Sons Ltd. v. Wilkinson, Keywood & Clark Ltd. , [1899] 1 Q.B. 86).

Certes, dans le jugement Boar v. The Queen, la Cour offrait plusieurs choix, mais en l"espèce, l"écoulement du temps exclut l"option de trancher les points litigieux avant le procès.

[13]      Toutes ces décisions s"appliquent au cas qui nous occupe. En l"espèce, la signification de la requête en radiation de la déclaration sur une question de fond qui a déjà été plaidée il y a deux ans en défense accuse un retard considérable d"au moins un an, sinon de deux. La question devrait être soumise au juge du fond, qui peut entendre la preuve et observer les témoins. Trancher la question dans le cadre d"une requête interlocutoire se traduira par de modestes épargnes d"argent et par des retards considérables.

[14]      Pour en arriver à cette conclusion, je suis bien conscient des éléments de l"irrecevabilité fondée sur l"identité des questions en litige qui ont été exposés, par exemple, dans l"arrêt Carl Zeiss Stiftong v. Rayner & Keeler Ltd. (No. 2) , [1967] 1 A.C. 853, à la page 935, et qui ont été approuvés par la Cour suprême du Canada dans l"arrêt Angle c. Ministre du Revenu national , [1975] 2 R.C.S. 248, à la page 254. Je n"ai cependant pas la prétention de trancher la requête, étant donné que j"ai entendu seulement les vues des avocats au sujet du fond de la requête. Entendre la requête à ce moment-ci retarderait manifestement le déroulement de l"instance, ce qui ne saurait être encouragé, et constituerait un abus.

[15]      L"avocat des défendeurs conteste la compétence de la Cour pour empêcher la présentation de cette requête. L"article 50 de la Loi sur la Cour fédérale permet à la Cour de suspendre l"instance dans toute affaire lorsque l"intérêt de la justice l"exige. Je doute que l"article 50 s"applique en l"espèce, étant donné que la suspension qui pourrait être ordonnée ne concerne ni une instance complète ni une partie d"une instance déjà introduite, puisqu"elle vise une requête projetée qui a été signifiée mais qui n"a pas encore été déposée. Pourtant, la Cour dispose toujours du pouvoir implicite d"assurer le bon déroulement de l"instance. Je suis conscient que la méthode qui permet de conclure à la compétence implicite de la Cour en l"espèce doit être conservatrice et que le critère applicable est celui de la nécessité (voir, par exemple, l"arrêt Canada c. Canadian Liberty Net , [1991] 1 R.C.S. 626, aux pages 639 et 644, particulièrement à la page 642, où la Cour cite l"arrêt Commission d"Énergie électrique du Nouveau-Brunswick c. Maritime Electric Co., [1985] 2 C.F. 13 (C.A.F.)).

[16]      En l"espèce, je tiens compte de la nécessité d"interdire aux défendeurs de présenter à une date aussi tardive une requête en radiation qui perturbera et retardera le déroulement de l"instance, d"autant plus que cette requête aura probablement pour effet de retarder d"encore au moins une autre année l"audition de la cause de la demanderesse. La Cour interdit donc aux défendeurs de présenter une telle requête et ajoute plutôt une journée d"instruction à l"audience prévue pour le 6 mars 2000 afin de permettre aux défendeurs d"invoquer l"autorité de la chose jugée, l"irrecevabilité découlant de l"identité des questions en litige et la question de la réparation subsidiaire qui sont énoncées ou qui peuvent être énoncées dans la défense modifiée. Pour ce faire, les défendeurs peuvent se servir des témoignages et interrogatoires préalables qui ont déjà eu lieu, mais non de la requête proposée ou des affidavits versés au dossier de la requête. Les délais prescrits pour modifier la défense et la déclaration sont précisés dans une ordonnance prononcée ce jour.

[17]      Finalement, je tiens à préciser que je ne reproche à aucun des anciens ou présents avocats des défendeurs la confusion actuelle et les tentatives faites pour retarder le déroulement de l"instance. Ils ont bien rempli leur fonction d"officiers ministériels ainsi que, sauf erreur, celle d"avocat " peut-être insouciants " de leurs clients.

     " John Hargrave "

                                         Protonotaire


Edmonton (Alberta)

Le 9 février 2000.


Traduction certifiée conforme


Martine Guay, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER



No DU GREFFE :                      T-2293-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :              Air Spray (1967) Ltd. c. Sa Majesté la Reine et autres

MOTIFS DE L"ORDONNANCE prononcés par le protonotaire John Hargrave en date du 9 février 2000



ONT COMPARU :

Me Michael Kinash                      pour la demanderesse

Me Brad Hardstaff                      pour les défendeurs


PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Bryan and Company                      pour la demanderesse

Edmonton (Alberta)

Me Morris A. Rosenberg                  pour les défendeurs

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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