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Date : 20050125

Dossier : IMM-3639-04

Référence : 2005 CF 104

Ottawa (Ontario), le 25 janvier 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

ENTRE :

                                               JEAN-EDOUARD JEAN-JACQUES

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION

[1]                La grande difficulté est la suivante : il est difficile de concevoir que le législateur puisse créer un tribunal à compétence limitée et qu'en même temps, il lui accorde un pouvoir illimité pour fixer l'étendue de sa compétence. [...] Le pouvoir de contrôle sur les questions de juridiction fournit aux cours de justice un bon outil pour s'assurer que les tribunaux connaissent du genre de litiges que le législateur leur a confié (le juge Dickson, plus tard juge en chef, dans Jacmain c. Canada (Procureur général), [1978] 2 R.C.S. 15 (QL)].

[...] même si le tribunal avait compétence pour entreprendre une enquête, [...] Il se peut qu'il ait de bonne foi mal interprété les dispositions qui lui donnent le pouvoir d'agir de sorte qu'il a omis de traiter de la question qui lui était soumise [...] [Lord Reid dans l'arrêt de la Chambre des lords Anisminic Ltd. c. Foreign Compensation Commission, [1969] 2 A.C. 171 (Ch. des lords).


PROCÉDURE JUDICIAIRE

[2]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés[1] (la LIPR) de la décision de la Section d'appel de l'immigration (la SAI) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié par laquelle celle-ci a rejeté, le 31 mars 2004, l'appel interjeté par le demandeur quant au rejet de sa demande de parrainage de sa fille.

HISTORIQUE

[3]                Natif de Haïti, le demandeur, M. Jean-Edouard Jean-Jacques, est arrivé au Canada à titre d'immigrant reçu le 22 février 1998. En 2000, M. Jean-Jacques a découvert qu'il avait une fille, Wedgine Jean-Jacques, née le 1er octobre 1989 d'une femme avec laquelle il avait eu une courte relation et qui ne l'avait pas prévenu qu'elle était enceinte et qu'elle avait donné naissance à un enfant. En juillet 2000, M. Jean-Jacques a pris des mesures pour reconnaître l'enfant au moyen d'un « Acte de reconnaissance » . Un test d'empreintes génétiques a confirmé que M. Jean-Jacques est le père.


[4]                En 2002, M. Jean-Jacques a fait une demande de parrainage de sa fille, laquelle vivait avec un ami car sa mère et ses grands-parents étaient décédés. Dans une lettre datée du 2 décembre 2003, un agent des visas a rejeté la demande de parrainage parce qu'il a conclu que la fille n'appartenait pas à la catégorie de la famille et n'était donc pas admissible selon l'alinéa 117(9)d) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés[2] (le Règlement). Ce paragraphe prévoit que l'étranger n'est pas considéré comme appartenant à la catégorie de la famille du fait de sa relation avec un répondant si le répondant est devenu résident permanent à la suite d'une demande à cet effet, l'étranger qui, à l'époque où cette demande a été faite, était un membre de la famille du répondant n'accompagnant pas ce dernier et n'a pas fait l'objet d'un contrôle. L'agent des visas a conclu que, étant donné que M. Jean-Jacques n'avait pas inscrit le nom de sa fille dans sa demande de résidence permanente en 1997, elle n'a pas fait l'objet d'un contrôle par les autorités de l'immigration lorsque M. Jean-Jacques a fait sa demande et elle ne pouvait donc pas être considérée comme appartenant à la catégorie de la famille.

[5]                M. Jean-Jacques a interjeté appel de la décision de l'agent des visas parce que, à aucun moment, lorsqu'il a rempli sa demande de résidence permanente et qu'il a été accepté, il n'était au courant de l'existence de sa fille. Le 31 mars 2004, la SAI a rejeté l'appel.

LA DÉCISION FAISANT L'OBJET DU CONTRÔLE JUDICIAIRE


[6]                La SAI a rejeté l'appel au motif qu'elle n'avait pas compétence pour entendre l'appel. L'absence de compétence découle du fait que l'agent des visas a eu raison de conclure que, compte tenu de l'alinéa 117(9)d) du Règlement, la fille n'appartenait pas à la catégorie de la famille.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[7]                1. La SAI a-t-elle commis une erreur en déclarant qu'elle n'avait pas compétence pour entendre un appel relatif à l'alinéa 117(9)d) du Règlement?

2. Le paragraphe 117(9)d) du Règlement est-il ultra vires parce qu'il ne tient pas compte de la connaissance du répondant de l'existence de membres de sa famille ne l'accompagnant pas?

3. L'alinéa 117(9)d) du Règlement viole-t-il l'alinéa 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés?

Les questions numéro 2 et 3 ont été retirées d'entrée de jeu par l'avocat du demandeur.

L'ANALYSE                          

1. La SAI a-t-elle commis une erreur en déclarant qu'elle n'avait pas compétence pour entendre un appel relatif à l'alinéa 117(9)d) du Règlement?

[8]                M. Jean-Jacques prétend que la SAI aurait dû se déclarer compétente pour entendre l'appel et pour apprécier la crédibilité de M. Jean-Jacques. Il prétend qu'il en est ainsi parce que les règles de la justice naturelle dictent qu'une personne ne peut être pénalisée par ses actes si elle a agi sans savoir et que, par conséquent, la connaissance subjective de membres de la famille n'accompagnant pas le répondant doit être sous-entendue à l'alinéa 117(9)d) du Règlement.

[9]                La Cour convient que la SAI aurait dû se déclarer compétente pour attendre cet appel mais pour des motifs différents que ceux invoqués par M. Jean-Jacques. En l'espèce, la crédibilité n'était pas en cause car, contrairement à la prétention de M. Jean-Jacques, la non divulgation délibérée n'est pas une exigence essentielle pour tirer une conclusion fondée sur l'alinéa 117(9)d) du Règlement.

[10]            En vertu de l'ancienne Loi sur l'immigration , L.R.C. 1985, ch. I-2, la SAI avait compétence pour entendre des causes portant sur le refus d'approuver une demande parrainée d'établissement présentée par une personne appartenant à la catégorie de la famille. La SAI avait compétence pour entendre les causes portant sur le refus d'approuver une demande parrainée d'établissement présentée par une personne appartenant à la catégorie de la famille, alors que ce n'est pas le cas en vertu de la nouvelle Loi, la LIPR.


[11]            Le paragraphe 63(1) de la LIPR, lequel mentionne qui peut interjeter appel devant la SAI, n'exige plus que l'étranger soit une personne appartenant à la catégorie de la famille pour que le répondant puisse interjeter appel. Dans la mesure où une demande de parrainage de la catégorie de la famille a été déposée (peu importe que l'étranger ait été déclaré personne appartenant à la catégorie de la famille ou personne n'appartenant pas à la catégorie de la famille par l'agent des visas), le répondant potentiel peut interjeter appel du refus de délivrer un visa de résident permanent à l'étranger :


63.           (1) Quiconque a déposé, conformément au règlement, une demande de parrainage au titre du regroupement familial peut interjeter appel du refus de délivrer le visa de résident permanent.

63.           (1) A person who has filed in the prescribed manner an application to sponsor a foreign national as a member of the family class may appeal to the Immigration Appeal Division against a decision not to issue the foreign national a permanent resident visa.


[12]            Par conséquent, la SAI n'a tout simplement qu'à entendre la cause pour décider si la conclusion de l'agent des visas que la fille de M. Jean-Jacques n'appartient pas à la catégorie de la famille doit être confirmée ou infirmée. C'est manifestement la SAI qui doit décider.

[13]            Dans les circonstances, c'est la SAI qui doit réexaminer l'affaire et rendre la décision qu'elle juge convenable.


CONCLUSION

[14]            Pour ces motifs, la Cour répond par l'affirmative à la première question en litige et n'a donc pas à répondre à la deuxième et à la troisième question étant donné que la demande de contrôle judiciaire est accordée d'entrée de jeu (néanmoins, comme l'a affirmé l'avocat du demandeur, les questions 2 et 3 ont été retirées au début de la séance de la Cour).

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accordée et que l'affaire soit renvoyée à la SAI pour examen. Aucune question n'est certifiée.

_ Michel M.J. Shore _

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.


                                                                         Obiter

La LIPR prévoit que l'on peut définir dans le Règlement l'appartenance à la catégorie de la famille aux fins du parrainage. L'alinéa 117(9)d) du Règlement semble chercher à décourager les fausses représentations de la part des demandeurs. La Cour suit le raisonnement du juge Kelen dans la décision De Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[3], notamment les paragraphes 31 à 38. En l'espèce, les fausses représentations ne sont pas en cause comme l'ont convenu les deux parties, M. Jean-Jacques n'était pas au courant de l'existence de sa fille lorsqu'il a rempli sa demande de résidence permanente. Peu importe l'application de l'alinéa 117(9)d) du Règlement, le paragraphe 25(1) de la LIPR est disponible et prévoit ce qui suit :


25            (1) Le ministre doit, sur demande d'un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s'il estime que des circonstances d'ordre humanitaire relatives à l'étranger -- compte tenu de l'intérêt supérieur de l'enfant directement touché -- ou l'intérêt public le justifient.

25            (1) The Minister shall, upon request of a foreign national who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister's own initiative, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.



Il existe cependant une distinction importante et seule la SAI sait comment elle décidera; toutefois, selon le paragraphe 63(1), la « personne » dont on parle dans ce paragraphe, dans les circonstances décrites « peut interjeter appel » . En terminant, il est important de reconnaître que la LIPR n'en est encore qu'à ses premiers balbutiements et que ce n'est qu'avec le temps et qu'avec l'usage qu'elle sera comprise.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 IMM-3639-04

INTITULÉ :                                                                JEAN-EDOUARD JEAN-JACQUES

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 19 JANVIER 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                                LE JUGE SHORE

DATE DES MOTIFS :                                               LE 25 JANVIER 2005

COMPARUTIONS :

Harry Blank                                                                   POUR LE DEMANDEUR

Mario Blanchard                                                            POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Harry Blank                                                                   POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

John H. Sims                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada



[1] C.S. 2001, ch. 27.

[2]DORS/2002-227.

[3][2004] C.F. 1276.


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