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                                                                                                                                         T-411-88

 

OTTAWA (ONTARIO), LE 7 MARS 1997

EN PRÉSENCE DE : MONSIEUR LE JUGE WETSTON

 

ENTRE :

 

                                        RANGE GRAIN COMPANY LIMITED,

 

 

                                                                                                                                       appelante,

 

 

                                                                        - et -

 

 

                                                     SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

                                                                                                                                           intimée.

 

 

 

                                                             ORDONNANCE

 

 

 

       L'appel est rejeté avec dépens.

 

 

 

 

J. WETSTON

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

C. Bélanger, LL.L.

 


 

 

 

 

 

 

                                                                                                                                         T-411-88

 

ENTRE :

 

                                        RANGE GRAIN COMPANY LIMITED,

 

                                                                                                                                       appelante,

 

 

                                                                        - et -

 

 

                                                     SA MAJESTÉ LA REINE

 

                                                                                                                                           intimée.

 

 

 

                                                   MOTIFS DE LA DÉCISION

 

LE JUGE WETSTON

 

       Il s'agit en l'espèce d'un appel interjeté par la contribuable, Range Grain Company Limited (Range Grain) relativement au nouvel avis de cotisation établi pour les années d'imposition 1978, 1979, 1980, 1981, 1982, 1983 et 1984. Au cours de ces années, l'appelante a gagné un revenu d'entreprise découlant de ses activités à titre d'acheteur de grains et dans le cadre d'une coentreprise exploitant un silo situé à Port‑Cartier, au Québec. Dans le calcul de son revenu pour les années d'imposition 1978 à 1984, l'appelante a demandé une déduction pour bénéfices de fabrication et de transformation sur le fondement de l'article 125.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970‑71‑72, ch. 63 (la Loi). Elle l'a fait pour le motif qu'une partie du revenu tiré de l'exploitation du silo à Port‑Cartier était attribuable à la fabrication et à la transformation.

 

       Pendant les années considérées, une partie du revenu de l'appelante provenait de l'achat de grains pour le compte d'autres sociétés. Pour calculer son revenu d'entreprise net, Range Grain a inclus dans son revenu brut les commissions touchées pour ce service, et non le prix de vente du blé. L'intimé, Revenu Canada, a refusé le crédit d'impôt prévu à l'article 125.1 pour chacune des années d'imposition parce que l'appelante ne respectait pas le seuil de 10 % prévu dans la loi, c'est‑à‑dire que ses bénéfices de fabrication et de transformation ne constituaient pas au moins 10 % de la totalité des bénéfices de l'entreprise. Le crédit a également été refusé parce que les activités exercées au silo, à l'exclusion du nettoyage des grains, n'étaient pas liées à la fabrication et à la transformation au sens de l'article 125.1. Range Grain en appelle aujourd'hui de cette décision.

 

       Trois questions doivent être tranchées dans le cadre du présent appel.

 

1.Quels sont les revenus bruts de l'appelante Range Grain?

 

2.Quelles activités exercées au silo de Port‑Cartier permettent, le cas échéant, de réaliser des bénéfices de fabrication et de transformation?

 

3.Quelles activités, s'il en est, sont visées par l'expression « fabrication ou transformation au Canada d'articles destinés à la vente ou à la location » employée à l'article 125.1 de la Loi?

 

Revenus de Range Grain

 

       Établie à Winnipeg, au Manitoba, l'appelante agit à titre de mandataire et d'acheteur de blé. Elle a un bureau comptant deux employés, elle est mandataire autorisée de la Commission canadienne du blé et membre de la Winnipeg Commodity Exchange ainsi que de la Lake shipper's clearance Association. L'adhésion à ces organismes est obligatoire pour qui veut acheter des grains au Canada.

 

       L'appelante soutient que le blé est acheté à la Commission canadienne du blé pour le compte d'autres sociétés. La procédure d'achat du blé a été décrite de la façon suivante. Premièrement, une société, habituellement américaine, se met en rapport avec l'appelante et lui fait part de son intention d'acheter une certaine quantité de blé. La société américaine ne peut acheter le blé directement en raison des exigences canadiennes en matière de licence. Une fois jointe par la société, l'appelante communique avec la Commission canadienne du blé et facilite les négociations en vue d'en arriver à un accord sur le prix. L'appelante ne consent à acheter le blé qu'après que l'acheteur a convenu du prix et de la quantité. La vente est alors conclue au nom de l'appelante. La société américaine fait parvenir le montant du prix d'achat directement à l'appelante quelques jours avant la date de paiement. Si la somme n'est pas reçue à temps, l'appelante dispose d'une marge de crédit auprès d'une institution financière. En contrepartie de ces services, l'appelante touche une commission de 2,5 % la tonne métrique.

 

       L'appelante ne s'est adonnée à aucune spéculation et n'a couru aucun risque en achetant le blé. Cependant, Range Grain a effectivement touché la somme correspondant au prix d'achat des grains. Dans tous les contrats et les autres documents relatifs au blé acheté pour le compte de la société américaine, il était indiqué que Range Grain était l'acheteur et le propriétaire du blé. L'appelante a expliqué qu'il s'agissait d'une exigence, car la Commission canadienne du blé ne pouvait vendre des grains qu'à des mandataires dûment autorisés au Canada.

 

       La déduction relative aux bénéfices de fabrication et de transformation a été refusée à l'appelante pour le motif que ces bénéfices ne constituaient pas au moins 10 % du revenu brut de la société. Dans le calcul du revenu brut de la contribuable, Sa Majesté a tenu pour acquis que le revenu provenant des ventes de grains englobait le prix d'achat des grains et la commission touchée. L'appelante conteste ce mode de calcul pour le motif que le « revenu » tiré des ventes de grains ne correspond pas au prix auquel le prix a été vendu, mais plutôt à la commission que la société a touchée en contrepartie des achats de grains pour le compte de tiers.

 

       L'intimée soutient que l'appelante a acheté les grains puis les a revendus à une autre société. À l'appui de sa position, elle signale que dans tous les contrats le nom de Range Grain figure à titre d'acheteur du blé et que la société comptabilise la somme touchée en contrepartie du blé acheté à titre de revenu. De plus, l'intimée prétend que l'appelante indique que son revenu comprend les ventes de grains et les commissions. En d'autres termes, elle estime que le prix d'achat du blé est une somme reçue par l'appelante, qui doit être déclaré à titre de revenu suivant le paragraphe 248(1) de la Loi.

 

       Je ne partage pas le point de vue de l'intimée en ce qui concerne cette question. Je suis convaincu que le revenu gagné par Range Grain en raison de l'achat de blé correspond uniquement à la commission touchée et non au prix du blé avancé par la société américaine. Il ressort de la preuve que Range Grain ne s'est adonnée à aucune spéculation concernant le prix du blé et n'a pas couru le risque commercial de subir une perte financière à cause de l'achat. Le seul gain net était la commission. La somme à verser pour l'achat du blé n'a donc pas accru de quelque manière la valeur nette de la société, celle‑ci n'ayant été qu'un intermédiaire de virement.

 

       En fait, l'appelante agissait à tous égards à titre de mandataire pour le compte de la société américaine et elle pouvait le faire en raison de l'autorisation qu'elle détenait et de son appartenance aux organismes appropriés. Le fait que, aux termes des documents officiels, Range Grain était l'acheteur découle simplement des exigences en matière de licence au Canada. On peut considérer que le rapport existant entre les intéressés est celui d'un mandant et d'un mandataire, de sorte que seules les commissions de vente, à l'exclusion du prix d'achat du blé, doivent être inclues dans le revenu.

 

       Même si, par la seule inclusion du revenu de commissions, l'appelante pourrait, à prime abord, respecter les exigences de l'article 125.1 de la Loi, l'intimée fait valoir que Range Grain ne remplit pas ces conditions, car la somme actuellement incluse à titre de revenu de fabrication et de transformation n'est pas attribuable à des activités admissibles de fabrication et de transformation.

 

Activités au silo de Port‑Cartier

 

       L'opposition de l'intimée concernant les activités exercées au silo de Port‑Cartier comporte deux volets. Premièrement, l'intimée soutient que la transformation effectuée au silo ne correspondant pas à au moins 10 % du revenu brut attribuable à l'installation. Elle ajoute que l'appelante a indûment inclus des activités qui ne constituent ni de la fabrication ni de la transformation. Deuxièmement, elle avance que, indépendamment du pourcentage minimum établi par la Loi, l'appelante ne s'adonnait pas à la fabrication ou à la transformation au Canada d'articles destinés à la vente ou à la location. Bref, elle estime que l'appelante exploitait un service de transport et ne s'adonnait pas à la production d'articles destinés à la vente.

 

       Pour qualifier les activités exercées au silo de Port‑Cartier, il importe de saisir le rôle joué par celui‑ci et ses fonctions. Il existe quatre sortes de silos au Canada. Le premier est un silo de base qui reçoit le grain directement du producteur et qui est utilisé pour le stockage et l'expédition des grains. Le deuxième est un silo de transformation qui reçoit les grains et les transforme en un autre produit, comme la farine. Le troisième est un silo terminus, où les grains font l'objet d'une pesée officielle et sont inspectés par la Commission canadienne des grains. Le quatrième est le silo de transbordement, qui reçoit les grains et en facilite le chargement à bord des navires à destination de marchés outre‑mer. Au Canada, tous les silos font l'objet d'une licence délivrée par la Commission canadienne des grains, l'organisme de réglementation chargé de l'établissement et du maintien de la qualité des grains canadiens et de la réglementation du système de manutention de ceux‑ci.

 

       L'exploitation du silo de Port‑Cartier est autorisée à titre de silo de transbordement. Situé sur le Saint‑Laurent, il reçoit le blé acheminé par des navires en provenance des Grands Lacs (les « laquiers ») et facilite le chargement à bord de navires océaniques pour l'exportation. À l'arrivée à Port‑Cartier, les grains sont acheminés à des bandes de réception et nettoyés. L'opération de nettoyage comprend l'enlèvement des corps étrangers, comme le métal, à l'aide de gros aimants placés au début de la bande de transbordement. Le blé canadien est nettoyé avant son arrivée au silo de transbordement, de sorte que seuls les grains américains doivent être nettoyés au silo. Après le nettoyage, les grains sont acheminés dans une galerie de réception, puis dans des compartiments de stockage, où ils sont conservés jusqu'à leur chargement à bord d'un navire océanique. Une fois les grains chargés à bord du navire, la quantité excédentaire est retournée à la Commission canadienne du blé.

 

       Pendant l'entreposage au silo, il peut être nécessaire de fumiger, d'aérer ou de mélanger le blé. La fumigation est nécessaire dans trois cas. Premièrement, lorsqu'il est constaté que le blé est infesté avant son déchargement, des pesticides sont appliqués pendant le transbordement. Deuxièmement, lorsqu'il est découvert que le blé est infesté d'insectes après son acheminement aux compartiments de stockage, des produits chimiques sont appliqués sur place, puis le blé est entreposé dans un compartiment propre. Tout le matériel ayant été en contact avec le blé infesté est également traité à l'aide de produits chimiques. Enfin, le blé destiné à un pays qui exige un traitement aux pesticides avant son arrivée est traité pendant le processus d'extraction. Contrôleur au silo, Monsieur Kloss estime que cinq à dix fumigations environ ont lieu chaque année, bien que, habituellement, seule une infime partie du chargement nécessite un tel traitement.

 

       L'aération, également appelée séchage ou virement, s'impose lorsque le blé reçu est humide ou lorsque la température intérieure dans un compartiment de stockage s'élève au point où le blé peut être en péril. Il s'agit essentiellement de déplacer le blé d'un compartiment à l'autre et, à l'occasion, d'incorporer du blé sec au blé humide. Selon M. Kloss, l'aération est nécessaire moins souvent que la fumigation, soit environ deux fois par année.

 

       Enfin, le silo de transbordement peut parfois devoir mélanger le blé. Il s'agit essentiellement de mélanger différents grains de blé afin d'obtenir un mélange d'une qualité donnée. Cette opération a lieu lors de l'extraction. Ainsi, différentes qualités de grains provenant de différents compartiments sont acheminées au convoyeur simultanément afin de mélanger les grains. Le silo n'exige aucuns frais pour le mélange effectué dans ses installations.

 

       Les trois opérations de nettoyage, de fumigation et d'aération sont facturées à titre de conditionnement. Aucun matériel supplémentaire n'est requis pour le mélange, et celui‑ci n'occasionne pas de frais de main-d'oeuvre en sus. De même, aucun matériel spécial n'est nécessaire à l'aération, bien que tous les compartiments soient dotés de thermomètres pour le contrôle de la température et de l'état du blé. Le nettoyage et la fumigation exigent du matériel supplémentaire, notamment des aimants et des vaporisateurs.

 

       Pendant toute la durée du transport, les grains demeurent la propriété de la Commission canadienne du blé jusqu'à leur livraison à l'acheteur. Selon Range Grain, son rôle consiste à manutentionner et à acheminer les grains. L'avocat de l'appelante a soutenu que la question de la propriété relève essentiellement du droit et que les grains sont souvent mêlés, ce qui rend difficile la tâche de déterminer à qui ils appartiennent. En d'autres termes, si l'acheteur peut se voit garantir une quantité donnée de blé, il ne peut pas identifier les grains effectivement livrés par la Commission canadienne du blé. En outre, le silo ne devient jamais propriétaire du blé à quelque moment pendant le transport de ce dernier. Le rapport en cause est celui qui existe entre un preneur et un donneur à bail, où le silo a la possession du blé pour le compte de la Commission canadienne du blé jusqu'à son acheminement à son acheteur.

 

       Vu ce qui précède, l'appelante demande une déduction au titre des bénéfices de fabrication et de transformation pour les années d'imposition en cause. Voici le libellé des dispositions législatives pertinentes :

 

Article 125.1

 

(1) Une corporation peut déduire de l'impôt payable par ailleurs pour une année d'imposition, en vertu de la présente Partie, un montant égal au total obtenu en additionnant le produit de 7 % du moins élevé des montants suivants:

 

a) l'excédent éventuel des bénéfices de fabrication et de transformation au Canada réalisés par la corporation pour l'année sur le moins élevé des montants déterminés aux alinéas 125(1)a) à c) en ce qui concerne la corporation pour l'année si la corporation est tout au long de l'année une corporation privée dont le contrôle est canadien;

 

(3)a) «bénéfices de fabrication et de transformation au Canada» d'une corporation pour une année d'imposition signifie le pourcentage de tous les montants dont chacun est le revenu que la corporation a tiré pour l'année d'une entreprise exploitée activement au Canada, déterminé en vertu des règles prescrites à cette fin par voie de règlement établi sur la recommandation du ministre des Finances, qui doit s'appliquer à la fabrication ou à la transformation au Canada d'articles destinés à la vente ou à la location;

 

b) «fabrication ou transformation» ne comprend pas

(x) toute fabrication ou transformation de marchandises en vue de la vente ou de la location, si, pour une année d'imposition d'une corporation, à l'égard de laquelle l'expression s'applique, moins de 10 % de ses recettes brutes de toutes les entreprises exploitées activement au Canada provenait

 

(A) de la vente ou de la location d'articles qu'elle a fabriqués ou transformés au Canada, et

 

(B) de la fabrication ou de la transformation au Canada d'articles destinés à la vente ou à la location, autres que des articles qu'elle devait vendre ou louer elle-même.

 

(4) Aux fins de sous-alinéa (3)b)(x), lorsqu'une corporation a fait partie d'une société à quelque époque dans une année d'imposition,

 

a) il doit être inclus dans les recettes brutes de la corporation provenant, pour l'année, de toutes les entreprises exploitées activement au Canada, le pourcentage des recettes brutes provenant de chacune de ces entreprises ainsi exploitées au Canada au moyen de la société, pour l'exercice financier de la société qui coïncide avec cette année ou se termine au cours de celle-ci, que représente le rapport existant entre la part que recueille la corporation du revenu que la société tire de cette entreprise pour cet exercice financier et le revenu que la société tire de cette entreprise pour cet exercice financier;

 

Règlement 5202:

 

«activités admissibles» signifie

a) n'importe quelles des activités suivantes, lorsqu'elles sont exercées au Canada dans le cadre des opérations de fabrication ou de transformation au Canada (à l'exception des activités énumérées aux sous-alinéas 125.1(3)b)(i) à (ix) de la Loi) de marchandises en vue de leur vente ou de leur location à bail:

 

       Au cours des années d'imposition considérées, le silo n'a pas produit de déclaration de revenus distincte, mais il a tenu des registres séparés. Une partie du revenu tiré du silo, attribuable à Range Grain dans le cadre de la coentreprise, a été incluse dans le revenu de l'appelante pour ces années et, la déduction au titre des bénéfices de fabrication et de transformation prévue à l'article 125.1 a été affectée au revenu de la société Range Grain. Dans le calcul des bénéfices de fabrication et de transformation pour l'année, l'appelante a inclus dans le revenu provenant d'activités admissibles le revenu provenant du transport (tous les frais liés à l'acheminement des grains vers le silo), les frais de conditionnement (aération, fumigation et nettoyage) et la moitié du revenu provenant des droits de port de l'arrimage et du stockage. L'appelante soutient que toute activité connexe à la fabrication et à la transformation est une activité admissible. De plus, elle prétend que le stockage de matières premières utilisées dans la transformation est une activité liée à la fabrication et à la transformation, de sorte qu'ils donnent droit à la déduction au titre des bénéfices de fabrication et de transformation.

 

       Le ministre a assimilé le revenu tiré du silo pendant les années d'imposition en cause à un revenu provenant d'une société de personnes. Conformément à l'alinéa 125.1(4)a), il a comparé le revenu net provenant du silo et les revenus bruts de Range Grain (y compris le prix de vente du blé et la commission) et a conclu que le revenu provenant du silo ne représentait pas 10 % des revenus de la compagnie. L'appelante soutient que le silo n'est pas une société de personnes, mais plutôt une coentreprise, et que les revenus bruts tirés du silo devraient en conséquence être comparés avec ceux de Range Grain. L'intimée rétorque que même si tel était le cas, seuls les revenus tirés légitimement d'activités de fabrication et de transformation devraient être inclus dans le revenu de fabrication et de transformation attribuables au silo et que le contribuable inclut des sommes liées à des activités qui ne sont pas admissibles.

 

       En dernière analyse, la question est de savoir quelles activités exercées au silo constituent, le cas échéant, des activités de fabrication ou de transformation. Si l'intimée a raison et que les activités exercées au silo n'ont pas trait à la fabrication et à la transformation d'articles destinés à la vente ou à la location au sens de la Loi, l'appelante n'a pas droit à la déduction peu importe les pourcentages. Le règlement 5202 précise que les activités admissibles n'englobent que la fabrication et la transformation au Canada de marchandises en vue de leur vente ou de leur location à bail.

 

       La déduction liée à la fabrication et à la transformation vise notamment à favoriser la réduction du montant d'impôt exigible sur le revenu gagné dans le secteur de la fabrication. La Cour d'appel fédérale a précisé quel est l'objet de l'article 127 de la Loi, issu de la même série de modifications que l'article 125.1, dans l'arrêt La Reine c. Coopers & Lybrand Limited (1994), 94 D.T.C. 6541, à la page 6548 :

 

D'abord, il ressort clairement du contexte global des textes législatifs, y compris des extraits des Débats de la Chambre des communes auxquels j'ai fait référence, que le législateur avait, en adoptant ces textes, pour objectif de favoriser l'accroissement de la production et de la transformation de produits destinés à concurrencer les manufacturiers étrangers au pays comme sur le marché international. Que ce soit là l'activité que le Parlement voulait encourager ressort clairement, à mon sens, des débats. Il est également manifeste que le Parlement entendait avantager les manufacturiers et les transformateurs engagés dans ce genre d'activités. En d'autres termes, les dispositions législatives applicables visaient à conférer aux manufacturiers et transformateurs canadiens un avantage par rapport à leurs concurrents étrangers, au pays et à l'étranger. Il est également clair que le Parlement avait à l'esprit des groupes ainsi que des activités cibles. Les dispositions n'ont pas été conçues au profit de toutes les activités manufacturières ni à celui de tous les manufacturiers.

 

Ainsi qu'il est indiqué précédemment, l'article 125.1 exige en fin de compte que les articles soient fabriqués ou transformés au Canada et qu'ils soient destinés à la vente ou à la location au Canada.

 

       Un certain nombre de principes généraux ont été dégagés quant à ce qu'il faut entendre par fabrication ou transformation. Ces opérations impliquent un certain changement d'apparence ou de nature : Démolition A.M. de l'est du Québec c. M.R.N., [1993] 2 C.T.C. 2447 (T.C.I.); Harvey C. Smith Drugs Ltd. c. La Reine, [1995] 1 C.T.C. 143 (C.A.F.); Federal Farms Limited c. Minister of National Revenue (1966), 66 D.T.C. 5068 (R.C.É.). La transformation doit avoir pour effet de rendre le produit davantage commercialisable : Démolition A.M. de l'est du Québec c. M.R.N., précité. Ce principe traduit l'exigence légale selon laquelle les articles doivent être destinés à la vente ou à la location. À titre d'exemple, les matériaux récupérés après la démolition d'immeubles et auxquels des améliorations sont apportées en vue de leur vente constituent des articles fabriqués ou transformés et destinés à la vente au Canada : Démolition A.M. de l'est du Québec c. M.R.N., précité.

 

       La fabrication ou la transformation d'un article est un processus global qui ne peut être divisé en plusieurs étapes distinctes. À cet égard, le règlement prévoit que les activités liées à la fabrication et à la transformation, comme la réception et l'emmagasinage des matières premières, l'inspection et l'emballage des produits finis, la lutte antipollution et les activités de soutien constituent des activités admissibles donnant droit à la déduction (art. 5202). Cependant, dans l'arrêt La Reine c. Veritas Seismic (1987) Ltd. (1994), 94 D.T.C. 6123, la Cour d'appel fédérale conclut que les articles produits en liaison avec un système d'analyse de données brutes n'étaient pas des articles fabriqués ou transformés en vue de leur vente ou de leur location. Elle a statué que le tribunal devait tenir compte de l'ensemble des activités exercées et non d'une partie de celles‑ci pour déterminer de quelle activité provient le revenu de l'entreprise : Veritas, précité, à la page 6124.

 

       La deuxième exigence de l'article 125.1 est que les articles transformés ou fabriqués soient destinés à la vente ou à la location au Canada. Deux courants jurisprudentiels se dégagent concernant cette question, et la Cour d'appel fédérale en fait état dans l'arrêt La Reine c. Coopers & Lybrand Limited, précité, à la page 6547 :

 

Dans la décision Crown Tire, le juge Strayer devait interpréter les mots tel qu'ils figurent à l'alinéa 125.1(3)a) de la Loi. Il a abordé l'analyse en disant qu'en utilisant les mots « articles destinés à la vente », sans les définir, le Parlement devait avoir voulu qu'ils tirent leur signification du droit général des contrats et de la vente. Il a donc eu recours à la distinction qu'opère la common law entre contrats de vente et contrats pour la fourniture d'ouvrage et de matériaux, fondant sa conclusion sur cette distinction. Dans les arrêts Nowsco et Halliburton, le juge Urie au nom de la Cour d'appel a fait sien un passage des motifs de la décision Halliburton où le juge Reed écartait le sens tiré de la distinction de la common law au profit d'une interprétation littérale du mot « vente », savoir que tout transfert à un consommateur, en échange d'une contrepartie, d'un bien fabriqué par un contribuable équivaudrait à une vente au sens de la loi, sans égard à la nature du contrat intervenu entre eux.

 

Il importe de signaler que dans l'affaire Halliburton, susmentionnée, l'entreprise du contribuable englobait la cimentation de puits pour des sociétés pétrolières et gazières. Dans cette affaire, le contribuable préparait le ciment sur devis pour chacune des opérations de cimentation. La Cour a conclu que ce procédé comportait la production d'un article avant son utilisation dans la fourniture d'un service. Vu ces deux interprétations, la Cour d'appel fédérale a statué, dans Coopers and Lybrand, précité que l'analyse faite dans Crown Tire était préférable et que les dispositions pertinentes devaient être interprétées suivant les principes généraux du droit de la location et de la vente (à la page 6548).

 

       Enfin, appelés à déterminer si le contrat avait pour objet une vente ou des services, les tribunaux ont accordé une importance considérable au droit de propriété sur le produit. Dans l'affaire des pneus rechapés, la Cour est arrivée à la conclusion que le fait que l'intéressé soit demeuré propriétaire du produit pendant toute la période considérée faisait en sorte qu'il ne pouvait s'agir d'un contrat de vente : Crown Tire Service Ltd. c. La Reine (1983), 83 D.T.C. (C.F. 1re inst.). De même, dans un cas où le contribuable s'adonnait à la réparation de moteurs d'avions, ceux‑ci demeurant la propriété du client durant toute la période considérée, on a conclu que les articles n'étaient pas destinés à la vente ou à la location au Canada : Rolls Royce (Canada) c. La Reine (1993), 93 D.T.C. 5031.

 

       Dans la présente affaire, l'intimée ne conteste pas que certaines activités de fabrication ou de transformation peuvent s'être déroulées au silo. Même si elles ne s'entendent pas quant aux activités admissibles à ce chapitre, les deux parties conviennent qu'il y a eu une certaine transformation. L'intimée prétend toutefois qu'il ne s'agit pas de transformation d'articles destinés à la vente ou à la location. Selon elle, l'appelante exploitait un service de transport et toute activité de transformation exercée était simplement connexe à ce service, comme dans l'affaire Veritas, précitée.

 

       L'appelante fait valoir que l'industrie des grains au Canada est unique et que le système en entier doit être assimilé à un système intégré de fabrication d'un article destiné à la vente. Elle ajoute que le grain est une matière vivante qui nécessite un traitement spécial. En outre, l'ensemble de l'industrie des grains, qui se compose en grande partie d'un système intégré de silo, a pour but de faire en sorte que le produit soit acheminé en bon état aux navires en vue de son exportation. Le silo de transbordement n'est qu'un élément du système global de traitement. L'appelante soutient essentiellement que le processus qui consiste à acheminer les grains depuis les champs jusqu'aux navires‑citernes est un système de fabrication et de transformation qui doit être vu dans son ensemble, et non divisé en plusieurs composantes distinctes : Midland Transport, précité.

 

       De toute évidence, pour que le Canada demeure le principal fournisseur de grains sur les marchés mondiaux, il doit faire en sorte que les grains ne se détériorent pas pendant leur transport. Je ne peux cependant pas partager l'avis de l'appelante selon lequel l'ensemble du système des grains au Canada implique des activités de fabrication et de transformation au sens de l'article 125.1. Selon moi, le silo en cause servait principalement à des fins de transport. La Commission canadienne du blé l'utilisait pour faire en sorte que les grains se rendent aux navires océaniques en vue de leur exportation, et non pour raffiner ou transformer davantage le blé. L'appelante était rémunérée pour le transport assuré par elle, et non pour ses services de transformation.

 

       Il est évident qu'une certaine transformation a eu lieu pendant le transport, mais toute transformation n'est pas admissible aux fins de l'article 125.1. Je suis convaincu que, en l'espèce, la transformation visait strictement la préservation du produit, et non son amélioration ou sa modification. Lorsque l'appelante recevait les grains à son silo, ceux‑ci avaient déjà été transformés en vue de leur vente. L'appelante se contentait de faire en sorte que le blé ne devienne pas moins commercialisable, et elle ne rendait pas le produit plus commercialisable au sens de la jurisprudence. Préserver la qualité d'un article est inhérent à tout transport de marchandises, et il ne s'agit pas du type d'activité qu'a envisagé le législateur en accordant une déduction à l'article 125.1 de la Loi.

 

       En outre, l'appelante n'était pas propriétaire des grains et elle exécutait un contrat relatif à un service, savoir le transport, et non la fabrication ou la transformation : Coopers and Lybrand, précité. Bien que le droit de propriété ne soit certes pas concluant afin de déterminer s'il y a transformation d'un article destiné à la vente, il me conforte dans l'idée que l'appelante fournissait un service et ne s'adonnait pas à la fabrication d'articles destinés à la vente au sens de l'article 125.1 de la Loi.

 

       Vu ces conclusions, il est inutile d'examiner le pourcentage des activités exercées au silo qui sont admissibles à titre d'activités de transformation ou de fabrication au sens de la Loi. Seules les activités qui consistent à transformer ou à fabriquer des articles destinés à la vente ou à la location au Canada donnent droit à la déduction. Comme l'appelante ne remplit pas cette exigence, la disposition ne s'applique pas.

 

       En conséquence, pour les motifs qui précèdent, l'appel de l'appelante est rejeté. Dépens à suivre la cause.

 

 

H. WETSTON

Juge

 

 

Toronto (Ontario)

7 mars 1997

 

 

Traduction certifiée conforme

C. Bélanger, LL.L.

 


                                             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

 

 

Avocats et procureurs inscrits au dossier

 

 

 

No DU GREFFE:T‑411‑88

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE:RANGE GRAIN COMPANY LIMITED

 

c.

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

DATE DE L'AUDIENCE:18 DÉCEMBRE 1996

 

LIEU DE L'AUDIENCE:WINNIPEG (MANITOBA)

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE WETSTON EN DATE DU 7 MARS 1997.

 

 

ONT COMPARU:

 

 

Me Richard Pound, c.r.

 

Pour l'appelante

 

 

Me Donald Gibson

 

Pour l'intimée

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:

 

Stikeman, Elliott

Avocats

1155, boul. René‑Lévesque Ouest

Bureau 3900

Montréal (Québec)

H3B 3V2

Téléphone : (514) 397‑3037

 

Pour l'appelante

 

 

Ministère de la Justice

Édifice de la justice

239 rue Wellington

Ottawa (Ontario)

K1A 0H8

Téléphone : (613) 957‑4883

 

George Thomson

Sous‑procureur général du Canada

 

Pour l'intimée


             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

 

 

 

 

Numéro du greffe :T‑411‑88

 

 

 

 

Entre :

 

 

RANGE GRAIN COMPANY LIMITED,

 

                                                                    Appelante

 

- et -

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

                                                                       Intimée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

MOTIFS DE LA DÉCISION

                                     

 

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