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Date : 19980226


Dossier IMM-1482-97

Ottawa (Ontario), le jeudi 26 février 1998.

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE GIBSON

ENTRE :

     VLADIMIR DORIANOVITCH VALENTINOV,

     NATALKA SERGEEVNA VALENTINOVA,

                                         requérants,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,

                                         intimé.

     ORDONNANCE

     La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de l"agente des visas est annulée et l"affaire est renvoyée à l"intimé pour qu"il statue de nouveau sur celle-ci.


" Frederick E. Gibson "

                                             juge

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, LL.B.


Date : 19980226


Dossier IMM-1482-97

ENTRE :

     VLADIMIR DORIANOVITCH VALENTINOV,

     NATALKA SERGEEVNA VALENTINOVA,

                                         requérants,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,

                                         intimé.

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

[1]      Les présents motifs font suite à la demande de contrôle judiciaire de la décision qu"une agente des visas a prise à l"Ambassade du Canada à Moscou le 13 mars 1997. Dans sa décision, l"agente des visas rejetait la demande des requérants visant à obtenir le statut de résidents permanents au Canada.

[2]      Les requérants sont des citoyens de la République du Kazakhstan. La lettre des procureurs des requérants accompagnant leur demande de résidence permanente décrivait Vladimir Dorianovitch Valentinov comme un [TRADUCTION] " secrétaire exécutif hautement qualifié ". Celui-ci a eu une entrevue avec l"agente des visas le 13 mars 1997. Tout juste avant l"entrevue, l"adjoint administratif de l"agente des visas a fait subir deux tests à M. Valentinov en vue de déterminer à quel point ce dernier pouvait lire, écrire et comprendre l"anglais. L"agente des visas a incorporé à l"affidavit qu"elle a déposé dans le cadre de la présente affaire un court texte, écrit en anglais, que M. Valentinov a dû lire devant l"adjoint administratif. L"agente des visas déclare avoir pris connaissance des remarques de son adjoint, remarques [TRADUCTION] " écrites et verbales qui portaient sur la façon dont le requérant avait lu le texte et mentionnaient qu"il l"avait lu avec succès ".

[3]      L"agente des visas a rejeté la demande des requérants. Dans sa lettre de décision, elle a écrit :

[TRADUCTION] Nous avons apprécié vos compétences en fonction de la profession à l"égard de laquelle votre demande est admissible à être examinée et pour laquelle vous êtes susceptibles d"obtenir le plus grand nombre de points d"appréciation. Pour pouvoir immigrer au Canada comme membre de la catégorie des travailleurs indépendants, le requérant doit obtenir 70 points d"appréciation ou plus, dont au moins un point concernant le facteur de la profession. Vous trouverez ci-joint un résumé de notre appréciation.

Il ressort du résumé de l"appréciation des compétences des requérants que M. Valentinov a obtenu 69 points d"appréciation au total, dont deux points pour sa connaissance de l"anglais. L"agente des visas déclare :

                 [TRADUCTION] 14 - Contrairement à ce que Patricia Romano déclare au paragraphe 8 de l"affidavit qu"elle a déposé au soutien de la demande de contrôle judiciaire des requérants, le requérant, lors de l"entrevue que j"ai eue avec lui, a amplement eu l"occasion de me détromper de mes incertitudes, mais il ne l"a pas fait.                 

[4]      Trois questions ont été soulevées pour le compte des requérants dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. En premier lieu, l"intimé a-t-il commis une erreur de droit lorsqu"il a apprécié la demande de résidence permanente des requérants sur le fondement des lois, règlements, politiques et lignes directrices en vigueur le jour où la demande a été déposée? En deuxième lieu, l"agente des visas a-t-elle omis de donner aux requérants l"occasion de la détromper des suppositions ou opinions non fondées qu"elle pouvait avoir, commettant ainsi une erreur de droit? En troisième lieu, l"agente des visas a-t-elle commis une erreur lorsqu"elle a délégué à tort à un tiers, sans avoir obtenu le consentement des requérants, la responsabilité d"apprécier certaines aptitudes linguistiques de M. Valentinov, voire la totalité de celles-ci.

[5]      La première question n"a pas été approfondie devant moi. Sous réserve de ce qui suit, je suis convaincu que l"agente des visas n"a pas commis d"erreur susceptible de faire l"objet d"un contrôle.

[6]      L"avocat des requérants a soutenu que l"agente des visas a commis une erreur lorsqu"elle a omis de donner à M. Valentinov et à ses procureurs l"occasion de la détromper de ses incertitudes. L"agente des visas déclare, comme il a déjà été mentionné, que M. Valentinov a eu une telle occasion. Un affidavit établissant le contraire a été déposé pour le compte des requérants. Le seul affidavit des requérants était celui d"un adjoint juridique à l"emploi des procureurs de ceux-ci.

[7]      Comme il a été souligné dans l"arrêt Nelson c. Le commissaire du Service correctionnel (Canada) et al.1, en vertu des règles 1603(1) et 332(1) des Règles de la Cour fédérale2, des personnes autres que le requérant peuvent déposer un affidavit au soutien d"une demande de contrôle judiciaire, mais un tel affidavit doit se fonder sur une connaissance directe des faits en cause. Cela n"était pas le cas en l"espèce. L"affidavit déposé pour le compte des requérants faisait, en grande partie, état d"opinions et d"affirmations de la nature du ouï-dire. En particulier, l"affidavit constituait au mieux un ouï-dire en ce qui concerne la question de savoir si M. Valentinov a eu l"occasion de répondre aux incertitudes de l"agente des visas. Par conséquent, je n"accorde aucune valeur à l"affidavit des requérants à cet égard. En ce qui concerne la question de savoir si les procureurs des requérants ont eu l"occasion de répondre, le fait qu"ils n"ont pas eu une telle occasion n"a pas été contesté devant moi. Cela dit, l"avocat des requérants ne m"a soumis aucune jurisprudence établissant l"existence d"une telle obligation en équité ou d"une autre nature. Je n"ai trouvé aucune obligation à cet effet.

[8]      J"aborde maintenant la question de savoir si c"est à tort que l"agente des visas a délégué à son adjoint administratif sa responsabilité d"apprécier la capacité de M. Valentinov de lire l"anglais. Voici, en partie, le libellé du paragraphe 8(1) du Règlement sur l"immigration :


8. (1) Subject to section 11.1, for the purpose of determining whether an immigrant and the immigrant's dependants, other than a member of the family class, a Convention refugee seeking resettlement or an immigrant who intends to reside in the Province of Quebec, will be able to become successfully established in Canada, a visa officer shall assess that immigrant or, at the option of the immigrant, the spouse of that immigrant

(a) in the case of an immigrant, other than an immigrant described in paragraph (b) or (c), on the basis of each of the factors listed in column I of Schedule I;

....

         [emphasis added]

8. (1) Sous réserve de l'article 11.1, afin de déterminer si un immigrant et les personnes à sa charge, à l'exception d'une personne appartenant à la catégorie de la famille, d'un réfugié au sens de la Convention cherchant à se réétablir et d'un immigrant qui entend résider au Québec, pourront réussir leur installation au Canada, l'agent des visas apprécie l'immigrant ou, au choix de ce dernier, son conjoint :

a) dans le cas d'un immigrant qui n'est pas visé aux alinéas b) ou c), suivant chacun des facteurs énumérés dans la colonne I de l'annexe I;

....

                 [Je souligne.]


Le facteur no 8 de l"annexe I se rapporte à la connaissance de l"anglais et du français, et plus particulièrement à la capacité de lire, d"écrire et de parler l"une ou l"autre de ces langues, ou les deux. L"article 11.1 du Règlement et les alinéas 8(1)b ) et c) ne s"appliquent pas à l"espèce.

[9]      Dans la décision Paracha c. Le ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration3, j"ai écrit :

                 La norme de contrôle applicable aux décisions comme celle de l'agente des visas en l'espèce est bien établie. Dans l'arrêt Boulis c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, le juge Abbott citait un autre précédent jurisprudentiel à la page 877 :                 
     [TRADUCTION] Les critères selon lesquels il faut juger l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire conféré par une loi ont été définis dans plusieurs arrêts qui font jurisprudence et il est admis que si le pouvoir discrétionnaire a été exercé de bonne foi, sans influence d'aucune considération étrangère, ni de façon arbitraire ou illégale, aucune cour n'a le droit d'intervenir, même si cette cour eût peut-être exercer ce pouvoir discrétionnaire autrement s'il lui avait appartenu4.                         

Il est clair que la décision de l"agente des visas faisant l"objet du présent contrôle est de nature discrétionnaire.

[10]      Cela dit, je conclus que rien n"autorise un agent des visas à déléguer la responsabilité qui lui incombe en vertu du paragraphe 8(1) du Règlement sur l"immigration. La personne chargée de prendre une décision, telle l"agente des visas en l"espèce, qui délègue sa responsabilité légale ou une partie de celle-ci sans en avoir le pouvoir commet une erreur de compétence5.

[11]      Je ne puis conclure autrement, vu les faits de l"espèce et tel qu"il ressort clairement, à première vue, de l"affidavit de l"agente des visas, que cette dernière a délégué, sans en avoir le pouvoir, son obligation d"apprécier la capacité de M. Valentinov de lire l"anglais. Vu les circonstances, la décision de l"agente des visas se fonde sur une erreur de compétence et elle doit être déclarée invalide, malgré le fait que l"agente des visas serait probablement parvenue au même résultat si elle avait elle-même apprécié la capacité de M. Valentinov de lire l"anglais.

[12]      Par ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de l"agente des visas, étant fondée en partie sur une erreur de compétence, est annulée, et l"affaire est renvoyée à l"intimé pour qu"il statue de nouveau sur celle-ci.

[13]      En vertu d"une entente conclue avec les avocats à la fin de l"audition de la présente affaire, j"ai décidé de leur remettre une ébauche des motifs de ma décision et de leur donner l"occasion de faire des observations écrites sur la question de savoir si la présente affaire soulève une question grave de portée générale méritant d"être certifiée. Je leur ai remis des motifs sous la forme qui précède.

[14]      L"avocat du requérant a recommandé de ne pas certifier de question. L"avocate de l"intimé a recommandé la certification de la présente question :

L"agente des visas a-t-elle illégalement délégué l"obligation qui lui imcombait, en vertu de l"al. 8(1)a ) du Règlement sur l"immigration de 1978, d"" apprécier " les aptitudes linguistiques du requérant en vertu du facteur no 8 de l"annexe I lorsqu"elle a examiné les résultats d"un test de lecture administré par un tiers?

[15]      Je suis convaincu que la réponse à la question proposée se trouve dans la preuve dont disposait la Cour dans la présente affaire et que, partant, la question ne saurait être de portée générale. Il ne fait aucun doute que la question de la délégation d"une obligation prévue par la loi constitue une question grave de portée générale, mais je souscris aux observations déposées pour le compte du requérant que le droit est déjà bien établi sur cette question.

[16]      Pour ces motifs, aucune question ne sera certifiée.

                     " Frederick E. Gibson "

                         juge

Ottawa (Ontario)

Le 26 février 1998.

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

    

NO DU GREFFE :              IMM-1482-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      VLADIMIR DORIANOVITCH VALENTINOV et

                     NATALKA SERGEEVA VALENTINOVA c. M.C.I.

LIEU DE L"AUDIENCE :          Toronto (Ontario)
DATE DE L"AUDIENCE :          le 13 février 1998

MOTIFS DE L"ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE GIBSON

EN DATE DU :              26 février 1998

ONT COMPARU :

M. Benjamin Kranc                              POUR LE REQUÉRANT

Mme Leena Jaakkimainen                          POUR L"INTIMÉ

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann, Kranc                              POUR LE REAUÉRANT

George Thomson                              POUR L"INTIMÉ

Sous-procureur général du Canada

__________________

1 (1996), 206 N.R. 180 (C.A.F.) [Non citée devant moi.].

2 C.R.C. (1978), ch. 663 (modifiées).

3 [1997] F.C.J. No. 1786 (Q.L.).

4 [1974] R.C.S. 875.

5 Muliadi c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration), [1986] 2 C.F. 205, à la p. 218 (C.A.).

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