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                                                                                                                                 Date : 19981216

                                                                                                                                             T-420-98

OTTAWA (ONTARIO), LE 16 DÉCEMBRE 1998

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOYAL

E n t r e :

                                           BAYER INC. et ALZA CORPORATION,

                                                                                                                                 demanderesses,

                                                                             et

                           APOTEX INC. et MINISTRE DE LA SANTÉ DU CANADA,

                                                                                                                                         défendeurs.

                                                                ORDONNANCE

            LA COUR, STATUANT SUR la demande d'ordonnance d'interdiction présentée par les demanderesses en vertu du Règlement modifiant le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité);

            VU la demande présentée par Apotex en vue d'obtenir une ordonnance rejetant la demande susmentionnée;

            APRÈS AUDITION des arguments des parties :

REJETTE avec dépens la demande d'Apotex.

                                                                                                                                    L.-Marcel Joyal

                                                                                                                                                   JUGE

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                                                                                                                 Date : 19981216

                                                                                                                                             T-420-98

E n t r e :

                                           BAYER INC. et ALZA CORPORATION,

                                                                                                                                 demanderesses,

                                                                             et

                           APOTEX INC. et MINISTRE DE LA SANTÉ DU CANADA,

                                                                                                                                         défendeurs.

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE JOYAL

[1]         Depuis le 11 mars 1998, date à laquelle le Règlement modifiant le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/98-166 est entré en vigueur, il est loisible à la partie défenderesse visée par une demande d'interdiction présentée par un breveté de demander le rejet de la demande au motif que celle-ci est inutile, scandaleuse, frivole ou vexatoire ou qu'elle constitue autrement un abus de procédure.

[2]         C'est bien le type de requête dont la Cour est saisie en l'espèce. La requête en rejet a été présentée par la défenderesse principale, Apotex, en réponse à la requête présentée par Bayer en vue de faire interdire au ministre de la Santé (le ministre) de délivrer à Apotex un avis de conformité à l'égard d'un médicament, la nifédipine, au motif que la vente de ce médicament par Apotex contreferait le brevet canadien no 1 222 950 (le brevet 950) de Bayer.

[3]         Le brevet 950, commercialisé sous l'appellation « Adalat® XL® » et pour lequel une licence a été octroyée à Bayer, expose un système présenté sous forme de comprimé qui, administré oralement, libère de façon progressive un agent thérapeutique, la Nifédipine. La libération repose sur un système contrôlé par la pression osmotique, qui agit indépendamment de l'apport alimentaire. Le comprimé est divisé en deux compartiments : le premier contient la Nifédipine et un polymère osmotique, et le second renferme un agent osmotique et un polymère osmotique. Au moment de l'ingestion, l'eau présente dans l'appareil digestif pénètre à travers la paroi du comprimé. Le deuxième compartiment gonfle et crée une pression osmotique, qui provoque l'expulsion de la Nifédipine par une ouverture dans la paroi, et le médicament est ensuite absorbé. Le système repose exclusivement sur l'imbibition, qui permet de libérer progressivement le médicament, la libération demeurant essentiellement constante dans tout le tractus gastro-intestinal.

Avis d'allégation

[4]         Dans l'avis d'allégation qu'elle a déposé le 23 janvier 1998 conformément à l'article 5 du Règlement, Apotex affirme, en ce qui concerne le brevet 950, qu'aucune revendication pour le médicament en soi et aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites advenant la fabrication, la production, la vente ou l'utilisation par elle de comprimés contenant de la nifédipine. Au soutien de cette affirmation, Apotex invoque les moyens de fait et de droit suivants :

[TRADUCTION]

Les comprimés fabriqués et vendus par Apotex ne seront pas considérés comme des systèmes contrôlés par la pression osmotique et ne seront pas visés par les revendications.

Plus précisément, les comprimés Apotex seront des comprimés classiques comprenant un noyau comprimé entièrement recouvert d'un mince enrobage.

Par conséquent, les comprimés Apotex ne constitueront pas une contrefaçon pour les raisons suivantes, dont une ou plusieurs suffiraient à elles seules pour établir qu'il n'y a pas contrefaçon.

1.Les comprimés ne seront pas recouverts d'une paroi, mais seulement d'un mince enrobage.

2.Même si le mince enrobage pouvait être considéré comme une « paroi » , ce qui n'est pas le cas, cet enrobage serait intégral et ne comporterait ni ouverture ni trou.

3.Lorsque nos comprimés sont ingérés et plongés dans le suc gastrique, la Nifédipine est libérée de la façon suivante : l'enrobage se dissout, découvrant le noyau, lequel est ensuite désagrégé par le suc gastrique; par conséquent, la Nifédipine ne sera pas expulsée par une ouverture ni un trou dans l'enrobage.

4.Notre noyau comprimé sera homogène et ne sera pas divisé en deux compartiments, l'un contenant le médicament et un polymère osmotique, et l'autre, un agent osmotique et un polymère osmotique.

Il est donc évident que nos comprimés seront des comprimés classiques enrobés et différeront du système contrôlé par la pression osmotique exposé et revendiqué dans le brevet 1222950. Par conséquent, nos comprimés ne constitueront manifestement pas une contrefaçon.

Questions en litige

[5]         Bayer a répondu à l'avis d'allégation en question par une demande d'ordonnance d'interdiction dans laquelle elle soutient ce qui suit :

1.L'avis d'allégation est identique à l'avis d'allégation visant le même médicament qui avait été déposé dans une instance antérieure le 8 janvier 1996, instance qui a par la suite fait l'objet d'un désistement. Bayer qualifie ce nouvel avis d'allégation d'abus de procédure.

2.Dans son avis d'allégation, Apotex affirme que son comprimé n'est pas contrôlé par la pression osmotique et que la libération contrôlée de la nifédipine n'est pas tributaire de l'ingestion d'un liquide. De fait, la libération contrôlée du médicament d'Apotex dépend du suc gastrique et le brevet d'Apotex ne peut donc être le bioéquivalent de l'Adalat XL.

3.Il est tout à fait inconcevable qu'on puisse mettre au point un autre mécanisme de libération contrôlée de la nifédipine que celui qui est visé par le brevet 950 qui permette de libérer le médicament en question à une vitesse contrôlée indépendamment de l'apport alimentaire.

4.En tout état de cause, on ne saurait dire que le produit d'Apotex serait le bioéquivalent de l'Adalat XL et, par conséquent, l'Adalat XL ne peut être utilisé comme produit de référence.

5.De fait, Apotex adopte un point de vue contradictoire. En effet, les moyens de droit et de fait qu'elle invoque dans son avis d'allégation sont différents de ceux qu'elle invoque devant le ministre dans sa présentation de drogue nouvelle (PDN).

6.Seuls Apotex et, probablement, le ministre sont au courant des autres faits relatifs au produit d'Apotex. On ne peut donc pas s'attendre à ce que Bayer puisse répondre comme il se doit à l'avis d'allégation.

7.Le second avis d'allégation ne contient pas de description de la forme posologique et de la concentration du médicament. Il n'est donc pas conforme au sous-alinéa 5(3)c)(ii) du Règlement et il est invalide et entaché de nullité.

[6]         Apotex a répondu à ces conclusions en demandant à la Cour de rejeter la demande de Bayer. Elle a fait valoir ce qui suit :

1.Bayer n'a présenté aucun élément de preuve pour démontrer que la formule d'Apotex contreferait le brevet 950.

2.Les autres moyens invoqués par Bayer ne constituent pas une réponse aux prétentions d'Apotex, mais sont dénués de pertinence ou sont des moyens qui ne relèvent pas des tribunaux. Ainsi :

a)La possibilité « très mince » que le comprimé d'Apotex soit le bioéquivalent du comprimé de Bayer n'a aucun rapport avec la question en litige. C'est une question qui relève du ministre, et non des tribunaux.

b)Peu importe la façon dont on analyse l'affaire, la thèse d'Apotex repose entièrement sur la législation actuelle en matière d'aliments et drogues, laquelle ne porte que sur l'innocuité et l'efficacité des médicaments et ne se préoccupe nullement de la concurrence que se livrent les fabricants de médicaments entre eux.

c)Dès qu'une demande d'avis de conformité et qu'une PDN sont présentées, c'est au ministre qu'il incombe de décider si la nouvelle drogue, telle qu'elle est formulée, est bioéquivalente à l'un quelconque des médicaments brevetés énumérés dans la liste et si elle respecte certaines normes d'innocuité et d'efficacité.

d)Les intérêts commerciaux et économique des concurrents ne sont pas pertinents à cette étape-ci. Seul compte l'intérêt du public en ce qui concerne l'innocuité et l'efficacité des médicaments.

3.Le dépôt d'un nouvel avis d'allégation par Apotex ne constitue pas un abus de procédure et le principe de l'autorité de la chose jugée ne s'applique pas. Dans l'arrêt Eli Lilly & Co. et al. c. Apotex Inc. et al., (1997), 76 C.P.R. (3d) 1, la Cour d'appel fédérale a rendu une décision claire à ce sujet. Qui plus est, il ressort à l'évidence de l'ordonnance que Mme le juge Reed a prononcée le 2 juillet 1998 dans le dossier T-470-96, que le bien-fondé de lu premier avis d'allégation n'a jamais été examiné.

La preuve

[7]         Au soutien de la présente demande, Apotex a produit l'affidavit souscrit le 14 avril 1998 par son vice-président général aux affaires scientifiques, le docteur Michael Spino, de même qu'une transcription du contre-interrogatoire que celui-ci a subi le 26 mai 1998 au sujet de son affidavit. Pour sa part, Bayer a déposé l'affidavit souscrit le 13 mai 1998 par le chef de l'institut de technologie pharmaceutique de Bayer AG en Allemagne, le docteur Roland Rupp, ainsi qu'une transcription du contre-interrogatoire que celui-ci a subi le 10 juin 1998 au sujet de son affidavit. On a également soumis l'affidavit souscrit le 11 mars 1998 par un membre du service des brevets de Bayer AG, le docteur Knud Schauerte, ainsi que celui qu'a souscrit le directeur des affaires réglementaires de Bayer Inc., le docteur Manoj Saxena, le 12 mars 1998. On a finalement soumis l'affidavit souscrit le 10 mars 1998 par le docteur Gordon Johnson, un docteur en pharmacologie qui occupe des postes publics et universitaires de prestige et qui est présentement professeur émérite au département de pharmacologie de l'université de la Saskatchewan.

[8]         Avant d'aborder le fond de l'affaire, il serait peut-être utile d'examiner de plus près les caractéristiques du brevet 950, intitulé « Système contrôlé par la pression osmotique ayant une double activité thermodynamique » et dont il est dit qu'il porte sur :

[TRADUCTION]

Un système contrôlé par la pression osmotique comportant une paroi formée au moins en partie d'un matériau semi-perméable qui recouvre un compartiment renfermant : 1) une première composition osmotique composée d'un agent thérapeutique et, de préférence, d'un agent osmotique ou d'un polymère osmotique, ladite composition étant en contact avec 2) une deuxième composition osmotique composée d'un agent osmotique et d'un polymère osmotique. Une ouverture dans la paroi relie l'extérieur du système osmotique avec la première composition osmotique contenant l'agent thérapeutique, de manière à expulser la première composition du système osmotique.

[9]         La revendication 1 du brevet '950 est ainsi libellée :

[TRADUCTION]

Système qui permet de libérer de façon progressive un agent thérapeutique dans un milieu d'utilisation; le système comprend :

a)une paroi formée au moins en partie d'une composition perméable pouvant laisser passer un liquide extérieur présent dans le milieu d'utilisation, la paroi qui recouvre le système formant :

b)un compartiment;

c)une première composition contenue dans le compartiment, ladite première composition étant composée d'un agent thérapeutique dans un polymère osmotique;

d)une deuxième composition contenue dans le compartiment, ladite deuxième composition étant composée d'un agent osmotique et d'un polymère osmotique;

e)une ouverture dans la paroi communiquant avec la première composition et l'extérieur du système de manière à expulser l'agent thérapeutique du système.

[10]       Bayer soutient essentiellement qu'elle ne croit pas qu'Apotex soit en mesure de fabriquer un comprimé de nifédipine qui serait le bioéquivalent du comprimé contrôlé par la pression osmotique de Bayer. À titre subsidiaire, Bayer soutient qu'Apotex ne pourrait produire un comprimé bioéquivalent sans contrefaire le brevet 950. L'expert qui a témoigné pour le compte de Bayer affirme que [TRADUCTION] « il n'y a pas et il n'y a jamais eu de produit commercial de Nifétidine libéré au moyen d'un dispositif de propulsion non contrôlé par la pression osmotique qui ne contreferait pas le brevet 950 » .

[11]       Suivant l'opinion nuancée que le docteur Rupp a donnée sur le sujet : [TRADUCTION] « [...] sans avoir effectivement vu le produit d'Apotex et malgré les allégations formulées par Apotex dans son avis d'allégation, il est probable que le produit d'Apotex contrefait le brevet 950 (c.-à-d. qu'il englobe l'essentiel de la revendication 1 du brevet 950) » .

[12]       Le docteur Johnson opine dans le même sens et déclare qu'il est [TRADUCTION] « fort improbable qu'un comprimé pelliculé conventionnel qu'Apotex revendique comme étant sa formulation de nifédipine à prendre une fois par jour manifesterait les mêmes propriétés de biodisponibilité à jeun et après un repas que l'Adalat XL, qui libère la nifédipine à un rythme qui est fondamentalement indépendant de l'état du tube digestif » .

[13]       Le docteur Johnson estime par ailleurs que le Règlement sur les aliments et drogues, annexe C, section 8, C.R.C. 1978, ch. 870, modifié, oblige le ministre à recueillir suffisamment de renseignements pour pouvoir évaluer l'innocuité et l'efficacité d'un nouveau médicament. L'article C.08.002.01 dispose en effet :

(1)            Le fabricant d'une drogue nouvelle peut déposer à l'égard de celle-ci une présentation abrégée de drogue nouvelle si, par comparaison à un produit de référence canadien :

a)la drogue nouvelle est un équivalent pharmaceutique du produit de référence canadien;

b)elle est bioéquivalente au produit de référence canadien d'après les caractéristiques pharmaceutiques et, si le ministre l'estime nécessaire, d'après les caractéristiques en matière de biodisponibilité;

c)la voie d'administration de la drogue nouvelle est identique à celle du produit de référence canadien;

d)les conditions thérapeutiques relatives à la drogue nouvelle figurent parmi celles qui s'appliquent au produit de référence canadien.

(2)            La présentation abrégée de drogue nouvelle doit contenir suffisamment de renseignements et de matériel pour permettre au ministre d'évaluer l'innocuité et l'efficacité de la drogue nouvelle, notamment :

a)les renseignements et le matériel visés aux alinéas C.08.002(2)a) à f) et j) à l);

b)les renseignements permettant d'identifier le produit de référence canadien utilisé pour les études comparatives menées dans le cadre de la présentation;

c)les éléments de preuve, provenant des études comparatives menées dans le cadre de la présentation, établissant que la drogue nouvelle :

(i)d'une part, est un équivalent pharmaceutique du produit de référence canadien,

(ii)d'autre part, si le ministre l'estime nécessaire d'après les caractéristiques pharmaceutiques et, le cas échéant, d'après les caractéristiques en matière de biodisponibilité de celle-ci, est bioéquivalente au produit de référence canadien selon les résultats des études en matière de biodisponibilité, des études pharmacodynamiques ou des études cliniques;

d)les éléments de preuve établissant que les lots d'essai de la drogue nouvelle ayant servi aux études menées dans le cadre de la présentation ont été fabriqués et contrôlés d'une manière représentative de la production destinée au commerce;

e)dans le cas d'une drogue destinée à être administrée à des animaux producteurs de denrées alimentaires, les renseignements permettant de confirmer que le délai d'attente est identique à celui du produit de référence canadien.

(3)            Le fabricant de la drogue nouvelle doit, à la demande du ministre, lui fournir, selon ce que celui-ci estime nécessaire pour évaluer l'innocuité et l'efficacité de la drogue dans le cadre de la présentation abrégée de drogue nouvelle, les renseignements et le matériel suivants :

a)les nom et adresse des fabricants de chaque ingrédient de la drogue nouvelle et les nom et adresse des fabricants de la drogue nouvelle sous sa forme posologique proposée pour la vente;

b)des échantillons des ingrédients de la drogue nouvelle;

c)des échantillons de la drogue nouvelle sous sa forme posologique proposée pour la vente;

d)tout renseignement ou matériel supplémentaire se rapportant à l'innocuité et à l'efficacité de la drogue nouvelle.

[14]       Le docteur Johnson, qui confirme l'opinion exprimée par les docteurs Rupp et Schauerte, est d'avis qu'il est impossible pour Apotex de satisfaire aux exigences du ministre en matière d'innocuité et d'efficacité et de remplir la condition de bioéquivalence au produit de référence Adalat XL sans contrefaire d'une manière ou d'une autre le brevet 950.

[15]       Par l'intermédiaire du docteur Spino, Apotex affirme que son comprimé ne renferme aucun dispositif, et encore moins le genre de dispositif qui est décrit dans le brevet 950. C'est essentiellement l'allégation à laquelle Bayer doit répondre. Or, le témoin affirme que Bayer n'a pas nié ce point. Suivant le témoin, l'avis d'allégation de Bayer ne renferme pas non plus d'élément de preuve qui permettrait de conclure que le comprimé pelliculé d'Apotex contreferait l'une quelconque des revendications du brevet 950.

[16]       En ce qui concerne le docteur Spino, toutes les appréhensions et les craintes exprimées par Bayer n'ont qu'indirectement rapport avec le cadre réglementaire dans lequel les avis d'allégation sont déposés et les demandes d'interdiction sont présentées. De fait, les préoccupations exprimées par Bayer concernent des questions qui, sous le régime de la Loi sur les aliments et drogues et de son règlement d'application, sont essentiellement des questions qui intéressent celui qui demande un avis de conformité et le ministre, ce dernier devant s'assurer, dans un cadre non antagoniste, que l'intérêt du public en matière d'innocuité et d'efficacité des médicaments est respecté et garanti. Le Règlement en litige est d'une nature différente. Il vise à permettre aux titulaires de brevets portant sur des médicaments de faire valoir les raisons pour lesquelles ils s'opposent à ce que le ministre délivre un avis de conformité en démontrant que le médicament, le procédé ou la formulation projeté contreferait un brevet inscrit sur une liste.

[17]       En ce sens, affirme le docteur Spino, les objections formulées par Bayer passent à côté de la question. Elles n'ont rien à voir avec les conditions énumérés dans le Règlement. En outre, le docteur Spino fournit certains détails au sujet des politiques plus récentes en matière d' « évaluation de la bioéquivalence » . Ces politiques exigent l'application de critères statistiques rigoureux, une question de biométrie appliquée, je suppose, pour établir l'équivalence en fonction de la vitesse et du degré d'absorption des médicaments d'origine et des médicaments génériques. Ce n'est qu'alors que le critère de la bioéquivalence peut être respecté.

[18]       Pour contester l'argument de l' « improbabilité » , de l' « invraisemblance » ou de la « difficulté » de produire un comprimé de nifédipine non contrôlé par la pression osmotique ayant une vitesse et un degré d'absorption qui en ferait un bioéquivalent de l'Adalat XL, c.-à-d. du brevet 950, le docteur Spino évoque des percées récentes effectuées aux États-Unis. Ces percées ont été publiées dans les rapports du FDC. Un document daté du 16 juin 1997 (la feuille rose) fait état de la nifédipine à libération contrôlée de Mylan qui fait appel à la technique de libération « TimeRx » . Cette technologie a été mise au point par Penwest Pharmaceuticals de Bellevue, dans l'État de Washington. Elle repose sur l'utilisation de la gomme de xanthane et de la gomme de caroube mises en présence d'un composant tertiaire de saccharine. D'autres produits en cours de réalisation sont le système « Scot » d'Andrx et le système « Geomatrix » de Genta Jago.

[19]       Vu le grand nombre d'enrobages qui existent pour emballer un comprimé médicamenteux et le nombre infini de leurs caractéristiques complexes, le scepticisme ou les réserves des témoins de Bayer sont, aux yeux du docteur Spino, quelque peu déroutants.

Règles de droit applicables

[20]       Vu les éléments de preuve et les arguments présentés par les parties, la Cour ne doit pas oublier que la présente instance est plus épineuse qu'un différend qui porterait par exemple sur la question de savoir si la réponse de Bayer à l'avis d'allégation est suffisante ou non. La demande vise à obtenir une ordonnance rejetant la demande d'interdiction de Bayer au motif qu'elle est inutile, scandaleuse, frivole ou vexatoire ou qu'elle constitue autrement un abus de procédure, le tout ainsi qu'il est maintenant expressément prévu à l'alinéa 6(5)b) du Règlement.

[21]       À cet égard, Bayer affirme que, pour obtenir gain de cause, Apotex doit établir que les six moyens qu'elle invoque au soutien de sa demande d'interdiction respectent les conditions imposées ci-dessus.

[22]       En premier lieu, Bayer invoque cette disposition particulière du Règlement. Le principe en cause n'a rien de nouveau. Cette disposition confère simplement à la Cour la compétence pour examiner une requête en radiation alors qu'auparavant, la Cour devait se fonder sur l'ancien article 419 ou sur l'ancien article 5 (l'article des lacunes) des Règles de la Cour fédérale. L'affaire Pharmacia Inc. c. Canada, (1994), 58 C.P.R. (3d) 209 (C.A.F.) en est un exemple. À la page 217, la Cour d'appel fait observer que la Cour a compétence pour rejeter sommairement un avis de requête qui est manifestement irrégulier au point de n'avoir aucune chance d'être accueilli. La Cour a précisé que « [c]es cas doivent demeurer très exceptionnels et ne peuvent inclure des situations comme celle dont nous sommes saisis, où la seule question en litige porte simplement sur la pertinence des allégations de l'avis de requête » .

[23]       En résumé, fait remarquer Bayer, comme la règle est à ce point restrictive, on ne devrait l'appliquer que dans les cas les plus évidents. Ainsi qu'il a été déclaré dans l'arrêt Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959, à la page 980 :

Ainsi, au Canada, le critère régissant l'application de dispositions comme la règle 19(24)a) des Rules of Court de la Colombie-Britannique est le même que celui régissant une requête présentée en vertu de la règle 19 de l'ordonnance 18 des R.S.C. : dans l'hypothèse où les faits mentionnés dans la déclaration peuvent être prouvés, est-il « évident et manifeste » que la déclaration du demandeur ne révèle aucune cause d'action raisonnable ? Comme en Angleterre, s'il y a une chance que le demandeur ait gain de cause, alors il ne devrait pas être « privé d'un jugement » . La longueur et la complexité des questions, la nouveauté de la cause d'action ou la possibilité que les défendeurs présentent une défense solide ne devraient pas empêcher le demandeur d'intenter son action. Ce n'est que si l'action est vouée à l'échec parce qu'elle contient un vice fondamental qui se range parmi les autres énumérés à la règle 19(24) des Rules of Court de la Colombie-Britannique que les parties pertinentes de la déclaration du demandeur devraient être radiées en application de la règle 19(24)a).

[24]       Finalement, dans le jugement Succession Creaghan c. La Reine, [1972] C.F. 732 (C.F. 1re inst.), le juge Pratte (devenu par la suite juge à la Cour d'appel) déclare :

Enfin, une déclaration ne doit pas, à mon avis, être radiée pour le motif qu'elle est vexatoire ou futile, ou qu'elle constitue un emploi abusif des procédures de la Cour, pour la seule raison que, de l'avis du juge qui préside l'audience, l'action du demandeur devrait être rejetée. Je suis d'avis que le juge qui préside ne doit pas rendre une pareille ordonnance à moins qu'il ne soit évident que l'action du demandeur est tellement futile qu'elle n'a pas la moindre chance de réussir, quel que soit le juge devant lequel l'affaire sera plaidée au fond. C'est uniquement dans ce cas qu'il y a lieu d'enlever au demandeur l'occasion de plaider.

Conclusions

[25]       Tout d'abord, je conclus que le fardeau qui incombe à Apotex de convaincre la Cour que Bayer devrait être déboutée de sa demande est assez lourd. La jurisprudence citée par Bayer au sujet de l'application de l'alinéa 6(5)b) du Règlement modifié reflète assez fidèlement les circonstances rigides dans lesquelles il peut être utilisé.

[26]       À cet égard, je constate qu'Apotex avait déclaré dans les termes les plus nets à Bayer, dans son avis d'allégation, que le médicament qu'elle se proposait de fabriquer ne serait pas un dispositif contrôlé par pression osmotique, mais qu'il aurait néanmoins les fonctions et les caractéristiques utiles de l'Adalat Xl décrites dans le brevet 950. Dans le contexte du Règlement en cause, cette assertion est-elle suffisante pour déplacer le fardeau de la preuve de la défenderesse à la demanderesse ? Ainsi que Mme le juge Reed l'a fait remarquer dans le jugement Hoffmann-LaRoche Ltd. c. Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), (1996), 67 C.P.R. (3d) 484, il n'est pas facile de résoudre les contradictions qui existent entre une loi axée sur la sécurité publique comme la Loi sur les aliments et drogues et une loi axée sur le droit de propriété comme la Loi sur les brevets. Le juge Reed a toutefois rationalisé de la façon suivante l'obstacle judiciaire qui a été surmonté depuis l'entrée en vigueur du Règlement : (1) c'est à la partie qui répond à un avis d'allégation qu'il incombe de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu'une ou plusieurs des allégations de l'avis d'allégation ne sont pas justifiées; (2) la Cour n'est pas compétente, en cours d'instance, pour exiger la production d'éléments de preuve et il n'y a ni interrogatoire préalable ni communication préalables de documents; (3) la Cour ne peut exiger que des échantillons du médicament qu'on projette de commercialiser soient fournis à la partie demanderesse; (4) la Cour n'a pas compétence pour ordonner le dépôt et la signification d'un énoncé détaillé ou d'un nouvel énoncé plus complet; (5) il est de jurisprudence constante que les faits allégués dans un avis d'allégation doivent être tenus pour avérés tant qu'ils ne sont pas réfutés.

[27]       À la page 403 de la décision, le juge Reed déclare :

Les présentes instances ne sont pas des actions en contrefaçon ni des actions visant à obtenir un jugement déclaratoire portant qu'il n'y a pas de contrefaçon. Eu égard à la nature sommaire des instances, dans une situation comme celle-ci, si les faits allégués par une partie intimée établissent le bien-fondé d'une allégation de non-contrefaçon, en ce qui a trait au texte de la revendication pertinente, alors l'allégation est fondée. Il s'agit d'un recours sommaire qui n'est pas destiné à remplacer une action entre les parties.

[28]       Statuant sur l'appel interjeté devant la Cour d'appel fédérale du jugement prononcé par le juge Reed (Hoffmann-LaRoche Ltd. c. Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), (1997), 70 C.P.R. (3d) 206, le juge Stone complète la doctrine en déclarant ce qui suit, à la page 213 :

Le premier point important soulevé par les appelantes concerne l'omission alléguée de l'intimée de divulguer suffisamment de faits pour justifier son allégation de non-contrefaçon. Selon les appelantes, la conclusion selon laquelle les faits divulgués sont suffisants ne peut être bien fondée, parce que la seule façon raisonnable qui leur permettrait de savoir si le produit de l'intimée constituerait une contrefaçon du brevet en litige et, subséquemment, de décider de l'opportunité d'engager des procédures fondées sur l'article 6 serait la divulgation complète de la composition du produit de l'intimée et, par la suite, la comparaison de cette composition à la leur.

Comme l'indique clairement le paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets, modifié par la Loi de 1992 modifiant la Loi sur les brevets, L.C. 1993, ch. 2, le Règlement vise à « empêcher la contrefaçon de brevet d'invention par l'utilisateur, le fabricant, le constructeur ou le vendeur d'une invention brevetée » . Les procédures fondées sur l'article 6 ne constituent pas une action en contrefaçon (Merck Frosst, précité, à la page 319; Nu-Pharm, précité, à la page 28). Selon le Règlement, l'intimée devrait se conformer de bonne foi aux exigences des paragraphes 5(1) et (3). Dans le cas de l'alinéa 5(3)a), cette obligation signifiait que l'intimée devait fournir un énoncé détaillé du « droit et des faits sur lesquels elle se fonde » (non souligné dans l'original). Comme la présente Cour l'a fait observer dans les arrêts Merck Frosst et Bayer AG, précités, les règles de procédure applicables de la partie V.1 n'exigent pas qu'une allégation fondée sur l'alinéa 5(1)b) soit justifiée au moyen d'un affidavit ou que cette assertion soit vérifiée en contre-interrogatoire. Néanmoins, je suis convaincu que cette allégation doit être exacte. Une fois que le produit d'une deuxième personne atteint le marché, la première personne est en mesure de vérifier l'exactitude de l'énoncé détaillé; si celui-ci devait s'avérer inexact, les conséquences pourraient effectivement être très graves pour la deuxième personne.

[29]       Les propos du juge Stone me ramènent à la principale question litigieuse soumise à la Cour. Pris globalement, les principes que l'on trouve dans la loi, la doctrine et la jurisprudence imposent à une partie un fardeau de la preuve très lourd lorsqu'il s'agit de convaincre la Cour qu'une ordonnance de rejet est justifiée.

[30]       D'un certain point de vue, le Règlement soumis à l'examen de la Cour n'est pas si draconien ou oppressif. Aucun droit ou privilège durable n'est retiré ou accordé. À mon humble avis, la procédure vise à permettre au ministre de se prononcer sur une demande d'avis de conformité uniquement lorsqu'il peut être raisonnablement convaincu que l'avis de conformité ne sera pas délivré pour un produit manifestement contrefait.

[31]       À défaut d'ordonnance de ce genre, il est loisible au ministre d'examiner une demande d'avis de conformité en suivant la procédure prescrite par la Loi sur les aliments et drogues. Lorsqu'il s'acquitte de ces fonctions, le ministre est habituellement entièrement tenu à l'écart du conflit qui oppose la première et la seconde personnes. Par ailleurs, la procédure ministérielle n'a aucune incidence sur les droits du breveté. De ce point de vue, le breveté court donc très peu de risques en ce qui concerne le caractère sacré et l'intégrité de son brevet.

[32]       Il est vrai que la procédure prévue par le Règlement ne permet pas d'obtenir une décision concluante au sujet des droits du breveté ou de l'innovateur. Elle n'est qu'une modeste moyen susceptible d'accélérer l'accès des drogues curatives à une concurrence plus vive et, ce, dans l'intérêt du public et dans le respect des droits conférés par les brevets.

[33]       Pourtant, en traitant avec équité les droits conférés par les brevets, la procédure prévue par le Règlement ne vise certainement pas à empêcher un fabricant de médicaments génériques d'obtenir un avis de conformité. L'établissement d'une procédure sommaire constitue certes un pas dans la bonne direction, mais les juges de notre Cour ont constaté à de nombreuses reprises que cette procédure sommaire, ajoutée à l'avalanche de documents qui l'accompagne, donne souvent lieu à une foule de débats de fond épuisants et interminables entre les fabricants de médicaments qui se livrent concurrence. J'ose croire que certaines des modifications qui ont été apportées au Règlement le 12 mars 1998 visaient à corriger les audiences interminables ou à y remédier.

[34]       Je tiens à ajouter que l'expérience des tribunaux en matière de requêtes en rejet de procédures sommaires est limitée. La doctrine porte essentiellement sur les actions. Il est admis que les procédures sommaires sont à de nombreux égards différentes des actions. On pourrait soutenir que, dans la procédure dont je suis saisi, le débat est nettement circonscrit et que les deux parties ont fait de leur mieux. On pourrait également soutenir que les arguments que j'ai entendus lors de l'audition de la requête correspondaient en grande partie à ceux qu'on entendrait normalement lors de l'audition sur le fond d'une demande d'interdiction.

Dispositif

[35]       Je résume ainsi mes conclusions :

1.L'allégation que l'on trouve dans l'avis d'allégation d'Apotex ne constitue pas, contrairement à ce que prétend Bayer, une simple allégation de non-contrefaçon. Pour citer les propos du juge Hugessen dans l'arrêt Glaxo Canada Inc. c. Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), (1998), 80 C.P.R. (3d) 424, à la page 426 : [TRADUCTION] « l'allégation constitue, selon moi, une allégation de fait spécifique qui est à la base de l'allégation de non-contrefaçon » . Le fait allégué par Apotex est que les comprimés projetés ne seront pas un système contrôlé par la pression osmotique et qu'ils n'incorporeront pas les revendications du brevet 950. Reste à savoir si c'est la seule obligation qui est imposée à Apotex.

2.J'ai lu attentivement les dispositions transitoires que l'on trouve à l'article 9 du nouveau Règlement et, bien que je ne croie pas qu'elles permettent d'invoquer des vices de procédure, la question demeure controversée.

3.En ce qui concerne l'ensemble des éléments de preuve soumis à la Cour, Bayer n'a peut-être plus d'arguments discursifs ou indirects à faire valoir, sauf pour mettre sérieusement en doute la capacité d'Apotex de mettre au point un comprimé qui sera le bioéquivalent du brevet 950 sans le contrefaire. Il s'agit toutefois d'une question qui n'est pas totalement dépourvue de mérite.

4.Il est acquis que bon nombre des arguments avancés par Bayer sont des questions qui débordent le cadre du Règlement, dans sa rédaction en vigueur à l'époque en cause. Bon nombre de ces arguments portent sur des questions qu'il vaut mieux laisser le soin à Apotex de régler, en recourant par exemple à son esprit d'invention, et qu'il est préférable de laisser le ministre trancher dans un sens ou dans l'autre. Néanmoins, compte tenu des particularités de la présente affaire, à savoir l'allégation d'Apotex et la réponse de Bayer, la question de savoir si l'une et l'autre est suffisante demeure en suspens. S'il y a des doutes sur cette question, ils doivent, dans le cadre de la présente requête, être résolus en faveur de Bayer.

[36]       J'ai formulé certaines observations qui pourraient être considérées comme ne causant pas de préjudice à Apotex. Ces observations ne fournissent toutefois pas de réponses sûres à la requête dont je suis saisi. Ainsi que je l'ai déjà mentionné, tout doute sur une question essentielle en litige doit être résolu en faveur de Bayer.

[37]       Compte tenu de ce qui précède, je suis d'avis de rejeter la requête avec dépens.


[38]       Tant que les avocats n'auront pas donné leur autorisation, les présents motifs demeurent assujettis à l'ordonnance de confidentialité rendu par le protonotaire adjoint le 21 juillet 1998.

                                                                                                                                    L.-Marcel Joyal

                                                                                                                                                   JUGE

OTTAWA (Ontario)

Le 16 décembre 1998.

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                            SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                             AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :T-420-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :BAYER INC. et ALZA CORPORATION

et

APOTEX NC. et MINISTRE DE LA SANTÉ

DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :21 OCTOBRE 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge Joyal le 16 décembre 1998

ONT COMPARU :

Me Neil R. Belmorepour les demanderesses

Me Jacqueline De Gagné

Me Andrew R. Brodkinpour la défenderesse Apotex Inc.

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling, Strathy & Hendersonpour les demanderesses

Toronto (Ontario)

Goodman, Phillips & Vinebergpour la défenderesse Apotex Inc.

Toronto (Ontario)

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