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Date : 20041110

Dossier : T-470-02

Référence : 2004 CF 1582

ENTRE :

AB HASSLE, ASTRAZENECA AB et

ASTRAZENECA CANADA INC.

demanderesses

et

APOTEX INC. et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE RELATIVE AUX DÉPENS

LE JUGE LEMIEUX


[1]                Apotex Inc. (Apotex) a contesté avec succès devant moi une demande inscrite au dossier T-470-02, décision dont les motifs ont été publiés à 2004 CF 379. La demande avait été présentée par AB Hassle et al. (les demanderesses ou Astra) en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement) après qu'Apotex eut prétendu dans un avis d'allégation qu'aucune revendication à l'égard de deux brevets d'utilisation (les brevets 668 et 762) dont les demanderesses sont propriétaires ou détentrices de licence ne serait contrefaite si elle fabriquait ou vendait des comprimés d'oméprazole. La demande d'ordonnance d'interdiction présentée par les demanderesses a été rejetée « avec dépens en faveur d'Apotex » .

[2]                Apotex sollicite maintenant par voie de requête, en vertu des dispositions pertinentes de la Partie 11 des Règles de la Cour fédérale (1998) (les Règles), une ordonnance lui accordant une somme globale à titre de dépens avocat-client s'établissant à 92 477,35 $ plus tous les débours, soit un total de 96 665,49 $.

[3]                Apotex demande à titre subsidiaire l'adjudication d'une somme globale représentant 75 p. 100 des frais (dépens) avocat-client et, à titre plus subsidiaire encore, l'adjudication d'une somme globale représentant environ 50 p. 100 des frais avocat-client qui lui ont été facturés.

[4]                Apotex prétend que les demanderesses devraient être sanctionnées par l'adjudication de dépens avocat-client principalement parce que selon elle :

(1)         Les demanderesses ont allégué sans fondement que son avis d'allégation n'était pas véridique.

(2)         Les demanderesses ont attaqué la crédibilité du Dr Sherman, une attaque qu'elle dit être l'équivalent d'une allégation de fraude en l'instance.


(3)         Les demanderesses ont soulevé pour ainsi dire la même question, fondée sur une preuve non concluante presque identique, qui a été rejetée par le juge O'Keefe dans AB Hassle et al. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social et al.) (2001), 16 C.P.R. (4th) 21, décision confirmée par la Cour d'appel fédérale et publiée à 2002 CAF 421.

[5]                Les demanderesses s'opposent à la requête présentée par Apotex pour les motifs suivants :

(1)         Après avoir rejeté la demande « avec dépens » , la Cour n'a plus compétence pour adjuger des dépens sur la base avocat-client, si l'on se fie à la décision Manitoba Fisheries Ltd. c. La Reine, [1980] 1 C.F. 36, page 41. L'avocat des demanderesses invoque également l'article 407 des Règles qui prévoit que « [s]auf ordonnance contraire de la Cour, les dépens partie-partie sont taxés en conformité avec la colonne III du tableau du tarif B » . Les demanderesses soutiennent que les dépens avocat-client ne peuvent être adjugés qu'en appel de l'ordonnance.

(2)         Abstraction faite de l'absence de compétence, compte tenu des facteurs énumérés à l'article 400 des Règles et de la jurisprudence, il n'existe aucun motif justifiant une adjudication de dépens avocat-client en l'espèce.

(3)         En particulier, les allégations des demanderesses en l'espèce n'équivalent pas à des allégations de fraude ni à rien qui s'apparente à une fraude.


ANALYSE

[6]                Par souci de commodité, les dispositions des articles 400 et 403 des Règles sont reproduites ci-dessous.



400. (1) La Cour a le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens, de les répartir et de désigner les personnes qui doivent les payer.

La Couronne

400(2)

(2) Les dépens peuvent être adjugés à la Couronne ou contre elle.

Facteurs à prendre en compte

400(3)

(3) Dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en application du paragraphe (1), la Cour peut tenir compte de l'un ou l'autre des facteurs suivants :

a) le résultat de l'instance;

b) les sommes réclamées et les sommes recouvrées;

c) l'importance et la complexité des questions en litige;

d) le partage de la responsabilité;

e) toute offre écrite de règlement;

f) toute offre de contribution faite en vertu de la règle 421;

g) la charge de travail;

h) le fait que l'intérêt public dans la résolution judiciaire de l'instance justifie une adjudication particulière des dépens;

i) la conduite d'une partie qui a eu pour effet d'abréger ou de prolonger inutilement la durée de l'instance;

j) le défaut de la part d'une partie de signifier une demande visée à la règle 255 ou de reconnaître ce qui aurait dû être admis;

k) la question de savoir si une mesure prise au cours de l'instance, selon le cas :

(i) était inappropriée, vexatoire ou inutile,

(ii) a été entreprise de manière négligente, par erreur ou avec trop de circonspection;

l) la question de savoir si plus d'un mémoire de dépens devrait être accordé lorsque deux ou plusieurs parties sont représentées par différents avocats ou lorsque, étant représentées par le même avocat, elles ont scindé inutilement leur défense;

m) la question de savoir si deux ou plusieurs parties représentées par le même avocat ont engagé inutilement des instances distinctes;n) la question de savoir si la partie qui a eu gain de cause dans une action a exagéré le montant de sa réclamation, notamment celle indiquée dans la demande reconventionnelle ou la mise en cause, pour éviter l'application des règles 292 à 299;

o) toute autre question qu'elle juge pertinente.

Tarif B

400(4)

(4) La Cour peut fixer tout ou partie des dépens en se reportant au tarif B et adjuger une somme globale au lieu ou en sus des dépens taxés.

Directives de la Cour

400(5)

(5) Dans le cas où la Cour ordonne que les dépens soient taxés conformément au tarif B, elle peut donner des directives prescrivant que la taxation soit faite selon une colonne déterminée ou une combinaison de colonnes du tableau de ce tarif.

Autres pouvoirs discrétionnaires de la Cour

400(6)

(6) Malgré toute autre disposition des présentes règles, la Cour peut :

a) adjuger ou refuser d'adjuger les dépens à l'égard d'une question litigieuse ou d'une procédure particulières;

b) adjuger l'ensemble ou un pourcentage des dépens taxés, jusqu'à une étape précise de l'instance;

c) adjuger tout ou partie des dépens sur une base avocat-client;

d) condamner aux dépens la partie qui obtient gain de cause.

Adjudication et paiement des dépens

400(7)

(7) Les dépens sont adjugés à la partie qui y a droit et non à son avocat, mais ils peuvent être payés en fiducie à celui-ci. DORS/2002-417, art. 25(F).

[¼]

403. (1) Une partie peut demander que des directives soient données à l'officier taxateur au sujet des questions visées à la règle 400 :

a) soit en signifiant et en déposant un avis de requête dans les 30 jours suivant le prononcé du jugement;

b) soit par voie de requête au moment de la présentation de la requête pour jugement selon le paragraphe 394(2).

Précisions

403(2)

(2) La requête visée à l'alinéa (1)a) peut être présentée que le jugement comporte ou non une ordonnance sur les dépens.

Présentation de la requête

403(3)

(3) La requête visée à l'alinéa (1)a) est présentée au juge ou au protonotaire qui a signé le jugement.

[Non souligné dans l'original.]

400. (1) The Court shall have full discretionary power over the amount and allocation of costs and the determination of by whom they are to be paid.

Crown

400(2)

(2) Costs may be awarded to or against the Crown.

Factors in awarding costs

400(3)

(3) In exercising its discretion under subsection (1), the Court may consider

(a) the result of the proceeding;

(b) the amounts claimed and the amounts recovered;

(c) the importance and complexity of the issues;

(d) the apportionment of liability;

(e) any written offer to settle;

(f) any offer to contribute made under rule 421;

(g) the amount of work;

(h) whether the public interest in having the proceeding litigated justifies a particular award of costs;

(i) any conduct of a party that tended to shorten or unnecessarily lengthen the duration of the proceeding;

(j) the failure by a party to admit anything that should have been admitted or to serve a request to admit;

(k) whether any step in the proceeding was

(i) improper, vexatious or unnecessary, or

(ii) taken through negligence, mistake or excessive caution;

(l) whether more than one set of costs should be allowed, where two or more parties were represented by different solicitors or were represented by the same solicitor but separated their defence unnecessarily;

(m) whether two or more parties, represented by the same solicitor, initiated separate proceedings unnecessarily;

(n) whether a party who was successful in an action exaggerated a claim, including a counterclaim or third party claim, to avoid the operation of rules 292 to 299; and

(o) any other matter that it considers relevant.

Tariff B

400(4)

(4) The Court may fix all or part of any costs by reference to Tariff B and may award a lump sum in lieu of, or in addition to, any assessed costs.

Directions re assessment

400(5)

(5) Where the Court orders that costs be assessed in accordance with Tariff B, the Court may direct that the assessment be performed under a specific column or combination of columns of the table to that Tariff.

Further discretion of Court

400(6)

(6) Notwithstanding any other provision of these Rules, the Court may

(a) award or refuse costs in respect of a particular issue or step in a proceeding;

(b) award assessed costs or a percentage of assessed costs up to and including a specified step in a proceeding;

(c) award all or part of costs on a solicitor-and-client basis; or

(d) award costs against a successful party.

Award and payment of costs

400(7)

(7) Costs shall be awarded to the party who is entitled to receive the costs and not to the party's solicitor, but they may be paid to the party's solicitor in trust. SOR/2002-417, s. 25(F).

                                              . . .

403. (1) A party may request that directions be given to the assessment officer respecting any matter referred to in rule 400,

(a) by serving and filing a notice of motion within 30 days after judgment has been pronounced; or

(b) in a motion for judgment under subsection 394(2).

Motion after judgment

403(2)

(2) A motion may be brought under paragraph (1)(a) whether or not the judgment included an order concerning costs.

Same judge or prothonotary

403(3)

(3) A motion under paragraph (1)(a) shall be brought before the judge or prothonotary who signed the judgment.


a) Question en litige no 1 - La compétence

[7]                Je n'accepte pas la position des demanderesses au sujet de la compétence. Même si j'ai rejeté « avec dépens » leur demande, cela n'empêche pas Apotex de demander par la présente requête l'adjudication d'une somme globale pour les dépens avocat-client. Je rejette cette position pour nombre de raisons, en soulignant que la décision invoquée par les demanderesses, à savoir Manitoba Fisheries, précitée, ne s'applique pas en l'espèce parce qu'elle se rapportait à un litige où la Cour suprême du Canada a fait droit aux dépens partie-partie devant toutes les cours, c'est-à-dire les instances inférieures.

[8]                Premièrement, je m'appuie sur la décision de la juge Sharlow dans Maytag Corp. c. Whirlpool Corp., 2001 CAF 250. Dans cette affaire, Whirlpool demandait des directives pour qu'on lui adjuge une somme globale pour les dépens de l'appel de Maytag au lieu des dépens partie-partie déjà adjugés ou, subsidiairement, des directives sur l'une des nombreuses méthodes qui lui permettraient d'obtenir des dépens plus élevés que ceux prévus par la colonne III du tarif B. La juge Sharlow a affirmé ce qui suit au paragraphe 7 de la décision :


[7]            Maytag fait valoir que, lorsque les dépens sont adjugés dans un jugement, la requête visant à obtenir des directives concernant une somme forfaitaire au titre des dépens ne peut être reçue à moins que les critères applicables en matière de réexamen de jugements qui sont prévus à la règle 397 ne soient respectés. Je ne puis accepter cet argument parce qu'il prive de tout effet la règle 403(2), laquelle autorise expressément les requêtes pour directives touchant les dépens même si des dépens ont été adjugés dans le jugement. La règle 403(2) l'emporte sur les exigences plus générales relatives au réexamen de jugements qui sont prévues par la règle 397. [Non souligné dans l'original.]

[9]                Deuxièmement, je me fonde sur la décision du juge Rothstein dans Consorzio del Prosciutto di Parma c. Maple Leaf Meats Inc., [2002] 22 C.P.R. (4th) 177 (Consorzio). Il s'agissait d'une requête en dépens supplémentaires, présentée en vertu de l'article 403 des Règles, dans laquelle l'intimée demandait que la Cour lui adjuge une somme globale correspondant à environ 50 p. 100 des dépens avocat-client. Se référant au paragraphe 403(2) des Règles, le juge Rothstein s'est dit d'avis qu'une requête déposée en vertu de l'article 403 « doit être considérée comme une procédure sanctionnée par la loi en vue de la modification d'un jugement » et que rien dans cette disposition n'empêchait un juge de la Section de première instance ou une formation de la Section d'appel « d'ordonner à l'officier taxateur d'augmenter les dépens en adjugeant un montant forfaitaire » . Selon l'interprétation qu'il en fait, l'article 403 des Règles permet à « la formation de la Section d'appel d'adjuger des dépens sous forme de montant forfaitaire comme il est demandé dans la présente requête et d'ordonner à l'officier taxateur de taxer les dépens sur cette base » (voir les paragraphes 3 et 4 des motifs du juge Rothstein).

[10]            Le juge Rothstein était convaincu, eu égard aux circonstances de l'espèce, que des dépens supplémentaires devaient être adjugés à l'intimée. Il s'est appuyé sur les facteurs suivants :

(1)         Il s'agissait d'un cas de propriété intellectuelle concernant des clients avertis.

(2)        De nombreuses questions comportant des faits complexes et des témoignages d'expert ont été soulevées.

(3)        Le travail requis était volumineux.

[11]            Il a ajouté ce qui suit aux paragraphes 7, 8, 9 et 10 de ses motifs :

7 Les dépens supplémentaires à être adjugés sont des dépens partie-partie. Ils ne dédommagent pas la partie qui a obtenu gain de cause de ses dépens avocat-client et ils ne visent pas à punir la partie déboutée pour son comportement non approprié.

8 Une adjudication de dépens partie-partie ne constitue pas un exercice exact. Il ne s'agit que d'une estimation du montant que la Cour juge approprié à titre de contribution aux dépens avocat-client de la partie qui a obtenu gain de cause (ou, de façon inhabituelle, à ceux de la partie déboutée). En vertu de la règle 407, lorsque les parties ne cherchent pas à obtenir des dépens supplémentaires, les dépens seront taxés conformément à la colonne III du tableau du tarif B. Même lorsque l'on demande des dépens supplémentaires, la Cour, à sa discrétion, peut conclure que les dépens adjugés selon la colonne III constituent un dédommagement suffisant quant aux dépens partie-partie.

9 Cependant, l'objectif consiste à contribuer d'une manière appropriée aux dépens avocat-client et non à observer strictement la colonne III du tableau du tarif B qui, en lui-même, est arbitraire. Le paragraphe 400(1) précise que, suivant le principe premier de l'adjudication des dépens, la Cour a « entière discrétion » quant au montant des dépens. En exerçant son pouvoir discrétionnaire, la Cour peut fixer les dépens en se fondant sur le tarif B ou en s'en éloignant. La colonne III du tarif B représente une disposition applicable par défaut. Ce n'est que lorsque la Cour ne rend pas une ordonnance précise que les dépens seront taxés conformément à la colonne III du tarif B.


10 Par conséquent, la Cour peut, à sa discrétion, ne pas tenir compte du tarif, particulièrement lorsqu'elle est d'avis qu'une adjudication des dépens conformément au tarif n'est pas satisfaisante. En outre, le montant des dépens avocat-client, bien qu'il ne détermine pas la contribution appropriée des dépens partie-partie, peut être considéré par la Cour si cette dernière le juge approprié. Le pouvoir discrétionnaire doit être exercé avec prudence. Toutefois, on doit garder à l'esprit que l'adjudication des dépens est une question de jugement en ce qui concerne les éléments appropriés, et non un exercice comptable. [Non souligné dans l'original.]

[12]            Le juge Rothstein a accordé à l'intimée des dépens partie-partie de 25 000 $, y compris les frais et les dépens de la requête et il a ordonné à l'officier taxateur de taxer les dépens en conséquence. Le juge Décary était dissident. Ce dernier aurait accordé des dépens en appel sous la forme d'un montant forfaitaire se chiffrant à 10 000 $.

[13]            Troisièmement, je m'appuie sur la décision du juge Blais dans Trade Arbed Inc. c. Toles Ltd. et al. (2000), 196 F.T.R. 299. Le juge Blais, invoquant le paragraphe 403(2) et l'article 400 des Règles, n'a vu aucun défaut de compétence pour l'adjudication des dépens sur une base avocat-client après que le protonotaire eut rejeté une requête particulière « avec dépens » . Je me réfère également à une décision récente de la juge Gauthier dans AstraZeneca Canada Inc. c. Apotex Inc., 2004 CF 1075, et plus particulièrement à ce qu'elle a déclaré au paragraphe 10 :

[10] La Cour jouit du pouvoir discrétionnaire de s'écarter du tarif B, mais elle doit exercer ce pouvoir avec circonspection. Bien qu'elle puisse prendre en considération les frais avocat-client réels lorsque cela est approprié, elle doit toujours tenir compte du tarif B.


[14]            Après l'audition de la présente affaire, l'avocat des demanderesses m'a remis une copie de l'ordonnance d'adjudication des dépens de la juge Layden-Stevenson dans l'affaire AB Hassle et al. c. Genpharm Inc. et al., 2004 CF 892, intéressant quatre brevets et les dépens afférents, où elle a ordonné qu'Astra et Takeda avaient droit contre Genpharm aux dépens, dans toutes les cours, « taxés selon l'échelle ordinaire » . Dans cette affaire, les demanderesses réclamaient, en vertu de l'article 403 des Règles, que des directives soient données à l'officier taxateur au sujet de la taxation des dépens et, plus particulièrement, que les dépens soient taxés selon l'échelon supérieur de la colonne V du tarif B.

[15]            Il ressort clairement de cette ordonnance de la juge Layden-Stevenson que l'affaire dont elle était saisie n'est d'aucune utilité aux demanderesses de la présente affaire. La juge Layden-Stevenson a expressément tenu comme raisonnement que l'ordonnance précisait bel et bien l'échelle - l'échelle ordinaire - à la colonne III du tarif B. Elle a dit que la principale question qu'elle devait trancher était de savoir si l'article 403 des Règles lui permettait d'ordonner que les dépens soient taxés selon un barème plus élevé. Elle était d'avis qu'il ne lui était pas loisible de donner pareilles directives. Elle a fait une distinction à l'égard de la décision Consorzio, précitée, la considérant comme un cas où le jugement ne comportait pas d'ordonnance relative aux dépens. Elle a reconnu que l'article 403 pouvait être invoqué dans les cas où la Cour avait adjugé « des dépens » sans rien préciser. Elle a ajouté que ce n'était pas le cas dans l'affaire dont elle était saisie. Mais, c'est toutefois le cas dans l'affaire dont moi je suis saisi.

b)    Questions en litige nos 2 et 3 - Est-il justifié d'accorder des dépens                avocat-client en l'espèce?

[16]            Les défendeurs voient deux motifs à l'adjudication de dépens avocat-client : premièrement, les facteurs énumérés à l'article 400 et, deuxièmement, l'attaque des demanderesses visant la crédibilité du Dr Sherman et l'honnêteté d'Apotex.


[17]            La prise en compte des facteurs énumérés à l'article 400 des Règles ne justifie pas, à mon avis, en l'espèce, une augmentation dépassant ce qui est prévu au tarif B, pour les motifs énoncés ci-dessous.

[18]            Premièrement, au plan de la complexité, le litige portait sur deux questions qui consistaient à déterminer si l'avis d'allégation était entaché d'un vice et si l'utilisation du produit par les patients contrefaisait l'un ou l'autre des brevets 668 ou 762. Seuls quatre affidavits ont été produits dans cette instance : un pour le compte d'Apotex et trois pour le compte d'Astrazeneca. Aucun de ces affidavits ne pouvait être qualifié de preuve d'expert. Il ne s'agissait pas d'une affaire complexe.

[19]            Deuxièmement, Apotex n'a pas fait valoir que la charge de travail était un facteur favorable à des dépens supplémentaires.


[20]            Troisièmement, aucune somme n'a été réclamée ni recouvrée. Apotex a reconnu qu'Astrazeneca ne cherchait pas à recouvrer un montant particulier, mais elle a affirmé qu'elle cherchait plutôt à l'empêcher d'accéder au marché avec un produit pharmaceutique concurrent pendant la période de validité des brevets 668 et 762 et elle a allégué que, pour évaluer le montant réellement réclamé dans une poursuite engagée sous le régime du Règlement, il faut tenir compte de la valeur du marché faisant l'objet du litige. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de trancher cette question. Je suis d'accord avec l'avocat des demanderesses pour dire que rien dans la preuve présentée ne permet d'établir quelle valeur devrait être accordée à ce marché. La tentative d'Apotex de s'appuyer sur l'affidavit souscrit par Michael Cloutier dans une autre procédure quant à la valeur de ce marché est inacceptable et, en tout état de cause, Apotex ne m'a pas convaincu qu'elle pouvait accéder à ce marché, compte tenu des ordonnances d'interdiction rendues par les juges Campbell et Kelen dans d'autres poursuites visant les comprimés ou les gélules d'oméprazole.

[21]            Apotex soutient que la conduite des demanderesses a eu pour effet de prolonger inutilement l'instance, combinant ce facteur à celui de l'alinéa 400(3)j), à savoir le défaut des demanderesses de reconnaître ce qui aurait dû être admis, et à celui de l'alinéa 400(3)k), soit la question de savoir si la procédure était inutile. Apotex prétend que la demande n'aurait jamais dû être présentée pour audience, compte tenu de la décision du juge O'Keefe dans AB Hassle, précité, qui a été confirmée par la Cour d'appel fédérale. À mon avis, Apotex a fort à faire pour soutenir cet argument parce qu'elle avait demandé le rejet de la procédure au moyen d'une requête en jugement sommaire présentée en vertu de l'alinéa 6(5)b) du Règlement dont elle s'est par ailleurs désistée le 23 juillet 2002, ce qui indique, selon les demanderesses, que la demande était bien fondée. Même si Apotex avait raison sur la question du bien-fondé, la Cour d'appel fédérale a jugé dans Roberts c. Canada, [1999] A.C.F. no 1529, que le fondement très ténu ou la « grande faiblesse » de la revendication d'une partie ne peuvent justifier l'adjudication des dépens sur la base avocat-client.

[22]            En tout état de cause, je ne puis souscrire à l'argument d'Apotex selon lequel la cause des demanderesses était sans fondement. Comme le démontrent amplement les décisions récentes de notre Cour et de la Cour d'appel fédérale en matière de contrefaçon de brevet par des patients, la question de savoir si l'application de la doctrine permet de remonter jusqu'au fabricant dépend des faits de chaque cas d'espèce et de la preuve présentée. D'ailleurs, d'après la preuve au dossier, le juge Sexton dans AB Hassle, précité, a fait une distinction à l'égard de l'arrêt Compagnie pharmaceutique Procter & Gamble Canada c. Canada (Ministre de la Santé), 2002 CAF 290. Comme je l'ai souligné dans les motifs de ma décision, la preuve présentée était différente de celle des décisions auxquelles il a été fait référence. Je devais considérer les facteurs particuliers et même si, en fin de compte, je n'étais pas d'accord avec les demanderesses, leur cause nécessitait un examen attentif. (Voir les paragraphes 123 à 140 des motifs de l'ordonnance que j'ai rendue.)

[23]            En écartant pour l'instant le second aspect de la justification d'Apotex à l'égard des dépens avocat-client, je suis d'avis que, abstraction faite de la dernière question dont je traiterai ci-après, elle ne m'a pas convaincu qu'une augmentation dépassant le tarif B, que ce soit pour le total ou une partie des dépens avocat-client demandés, était justifiée.

[24]            À ce propos, je termine en disant qu'Apotex n'a produit aucune preuve démontrant que, normalement, une adjudication des dépens partie-partie devrait rembourser la partie qui obtient gain de cause d'environ 50 p. 100 des frais avocat-client plus tous les débours raisonnablement engagés.


[25]            Le dernier point à trancher est la question de savoir si les demanderesses devaient être sanctionnées par l'adjudication de dépens avocat-client en raison de l'attaque qui visait la crédibilité du Dr Sherman et la véracité de l'avis d'allégation d'Apotex.

[26]            Il est clairement établi en droit que l'adjudication des dépens avocat-client constitue une exception et que pareils dépens ne sont généralement accordés que s'il y a eu conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante de la part d'une des parties (voir, par exemple, Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, et Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (2000), 9 C.P.R. (4th) 289 (C.A.F.). Dans un sous-ensemble de ce principe, les cours sanctionneront par l'adjudication des dépens avocat-client une partie qui a fait des allégations de fraude ou de conduite inconvenante et qui les a maintenues jusqu'au procès et durant celui-ci sans être en mesure d'en fournir la preuve (voir par exemple 131843 Canada Inc. v. Double "R" (Toronto) Ltd. (1992), 7 C.P.C. (3d) 15 et Murano v. Bank of Montreal (1995), 41 C.P.C. (3d) 143).

[27]            Apotex soutient que, à maintes reprises au cours de la présente demande, Astra a mené des attaques sans aucun fondement à l'égard de la crédibilité du Dr Sherman dans le but de le discréditer personnellement et de discréditer la preuve d'Apotex de façon générale. Elle se reporte au mémoire des faits et du droit des demanderesses dans lequel Astra a allégué que le Dr Sherman n'était pas crédible et que ses propos étaient argumentatifs, évasifs et inacceptables, en concluant qu'il n'était pas un témoin crédible.


[28]            Apotex dit que les demanderesses ont affirmé qu'elle vendrait ou utiliserait son produit d'oméprazole d'une manière qui contreferait les brevets 668 et 762, malgré un engagement contraire de sa part, et que, même si elle n'utilisait pas elle-même le produit d'une manière qui constituerait une contrefaçon, elle serait bien positionnée pour inciter des tiers à le faire. Apotex affirme que cet argument revient en réalité à l'accuser non seulement de ne pas se conduire suffisamment comme il faut pour faire en sorte qu'il n'y ait pas contrefaçon par des tiers mais aussi d'encourager elle-même potentiellement l'utilisation de son produit pour des usages non autorisés et que ces allégations laissent entendre qu'elle a menti dans son avis d'allégation ou qu'elle faisait volontairement ou négligemment preuve de laxisme dans la manière de se conduire, des allégations qui sont analogues à des accusations de fraude.

[29]            Ma vision de l'instance diffère de celle d'Apotex. Les demanderesses n'ont pas, à mon avis, accusé Apotex de présenter un avis d'allégation frauduleux. Il s'agissait en fait d'une affaire se rapportant à la contrefaçon par des tiers et, même si on a tenté d'établir un lien entre la contrefaçon par les patients et les gestes qu'Apotex était susceptible de poser pour influencer le marché, notamment par le biais de la monographie de son produit, il n'est pas possible de dire que ces intentions ou actions équivalent à une accusation de fraude visant Apotex ou le Dr Sherman. Qui plus est, dans le contexte de la présente affaire, les demanderesses pouvaient vérifier la crédibilité d'Apotex et du Dr Sherman sans craindre une sanction relative aux dépens (voir Toronto-Dominion Bank c. Grande Caledon Developments Inc. (1998), 39 O.R. (3d) 93).

[30]            J'aurais été prêt à adjuger une somme globale pour des dépens partie-partie si Apotex m'avait fourni les outils appropriés pour le faire. Elle ne m'a pas soumis de projet de mémoire de frais. À mon avis, il était essentiel d'en fournir un à la Cour. Je me réfère à la décision Sa Majesté la Reine et al. c. Lagiorgia (1987), 87 D.T.C. 5378, où le juge Hugessen, alors juge à la Cour d'appel fédérale, a déclaré ce qui suit :

Une dernière remarque avant de terminer. Dans le cadre d'une demande comme celle-ci, lorsqu'une partie demande une somme globale à la place des montants prévus par le tarif, il me semble que l'avocat de cette partie serait normalement tenu de montrer à la Cour ce que ces derniers montants seraient susceptibles d'être. Il pourrait le faire régulièrement en produisant un mémoire de frais pro forma. En l'absence d'un tel document, la Cour en est réduite à établir du mieux qu'elle le peut et d'elle-même les sommes qui pourraient être réclamées en vertu du tarif. Ce n'est pas là une tâche à laquelle la Cour devrait s'astreindre.

[31]            Par ailleurs, je suis prêt à ordonner que les dépens d'Apotex soient taxés suivant l'échelon supérieur de la colonne III du tarif B. Ce résultat est compatible avec les adjudications faites par mes collègues, les juges Layden-Stevenson et Gauthier, dans les décisions citées précédemment qui portaient sur des questions semblables.

[32]            Pour tous ces motifs, la présente requête d'Apotex est rejetée avec dépens.

« François Lemieux »

                                                                

Juge

OTTAWA (ONTARIO)

LE 10 NOVEMBRE 2004

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 T-470-02

INTITULÉ :                                                               AB HASSLE et al.

c.

APOTEX INC. et al.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 11 JUIN 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

RELATIVE AUX DÉPENS :                                    LE JUGE LEMIEUX

DATE DES MOTIFS :                                               LE 10 NOVEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Gunars A. Gaikis                                                           POUR LES DEMANDERESSES

Andrew Brodkin                                                            POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Smart & Biggar                                                             POUR LES DEMANDERESSES

Toronto (Ontario)

Goodmans LLP                                                             POUR LES DÉFENDEURS

Toronto (Ontario)


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