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Date: 19971126


Dossier: T-2728-96

Entre :

     ROBERT CHÂTEAUNEUF

             en son nom personnel et en qualité de représentant de toutes les personnes physiques qui, employés de la compagnie Singer entre le 31 décembre 1946 et le 31 décembre 1964, ont alors acquis droit et ont effectivement reçu ou racheté par la suite une annuité du service des Rentes sur l'État du gouvernement fédéral canadien en vertu de la police collective d'annuités G-522 du 31 décembre 1946 soit à titre de créancier principal soit à titre de bénéficiaire du créancier principal ainsi que des ayants-droit ayant pu naître à ces personnes physiques en raison de leur décès                         

     Partie demanderesse

     ET

     SA MAJESTÉ LA REINE

     Partie défenderesse

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE

Introduction

[1]      Par sa requête en vertu des règles 5 et 1711 des Règles de la Cour fédérale (les règles), la défenderesse remet en question la possibilité pour le demandeur Robert Châteauneuf (le demandeur) de présenter devant cette Cour un recours collectif au nom et pour la partie demanderesse.

[2]      Ce recours a été logé par le demandeur (ou la partie demanderesse) afin de récupérer sous forme de dommages-intérêts contractuels un montant représentant la somme totale des ristournes revenant, selon le demandeur, aux ex-employés de la compagnie Singer en vertu d'un régime de retraite instauré par cette dernière.

[3]      Pour apprécier plus avant le recours de la partie demanderesse et la requête de la défenderesse, il y a lieu de faire ressortir le contexte essentiel de ces deux démarches.

Contexte

Le recours de la partie demanderesse

[4]      Le 12 décembre 1996, le demandeur, en son nom et au nom du groupe qu'il entend représenter, dépose au dossier de cette Cour une déclaration d'action fort détaillée (la déclaration). De celle-ci, on peut retenir ce qui suit.

[5]      Le 31 décembre 1946, la compagnie Singer d'alors (dorénavant "Singer" peu importe l'époque) instaurait un régime de retraite au bénéfice de ses employés canadiens dont l'immense majorité résident au Québec. Ce régime prit fin le 31 mars 1986.

[6]      Il faut comprendre que ledit régime s'est déroulé en deux grandes étapes dont la première étape (31 décembre 1946 au 31 décembre 1964) doit pour les fins des présentes être scindée en deux et que c'est la première partie de cette première étape, soit de 1947 à 1957 (dorénavant, parfois, "la période pertinente") qui retiendra plus avant notre attention.

[7]      Comme nous l'indiquent les paragraphes 7 et 8 de la déclaration, durant cette période:

                 7.      [...] Le régime n'est pas alors un régime avec caisse mais un régime à prestations déterminées assuré. Dans un régime assuré, il ne peut à proprement parler se développer un surplus comme dans un régime avec caisse. Il peut cependant se développer des ristournes (ou "dividendes" ou "crédits d'expérience") qui, contrairement au surplus d'un régime avec caisse, ne sont pas attribuées à la terminaison du régime mais le sont plutôt au cours de l'existence du régime;                 
                 8.      Dans un régime assuré, il est possible que les participants n'aient pas seulement le droit de recevoir les prestations de retraite déterminées mais qu'ils aient en outre le droit distinct et cumulatif de recevoir les ristournes dégagées pendant l'existence du régime, ce qui se traduit au moment de la retraite par des rentes plus élevées que celles qui étaient prévues. [...]                 

[8]      Il y aurait donc existence de deux droits distincts: le droit de recevoir des prestations de retraite déterminées et le droit, distinct, de recevoir les ristournes dégagées pendant le régime.

[9]      La partie demanderesse explique comme suit aux paragraphes 25 et 26 de sa déclaration comment des ristournes peuvent être créées à même les contributions de l'employeur au régime:

                 25.      [...] Pour avoir droit de recevoir une annuité pour le service futur achetée non pas seulement avec ses propres contributions mais aussi avec celles de l'employeur, le participant doit avoir atteint l'âge de 45 ans et avoir accumulé au moins 15 ans de service au moment de la cessation de son emploi. Si le participant, toujours au moment de la cessation de son emploi (en raison notamment de son décès, de son congédiement, de sa mise à pied ou de sa démission), n'a pas atteint l'âge de 45 ans et n'a pas accumulé 15 ans de service, il a seulement le droit de reprendre ses propres contributions (avec intérêts) mais il n'a pas alors acquis droit aux contributions de l'employeur (il n'est pas "vested");                 
                 26.      Les contributions de l'employeur et les intérêts sur celles-ci accumulés dans son compte personnel ne pouvant servir à ce participant, elles sont donc dégagées à titre de ristournes. Il en va de même pour le service passé: les participants n'auront droit aux contributions de l'employeur sous ce chef que dans la mesure où ils ont atteint l'âge de 45 ans et ont accumulé 20 ans de service au moment de la cessation de leur emploi, ce qui est une autre source de création de ristournes;                 

[10]      Durant la période pertinente, le régime est assuré auprès du Service des Rentes sur l'État du gouvernement fédéral canadien ( les "Rentes sur l'État") par le biais de la police collective d'annuités G-522.

[11]      La partie demanderesse soutient donc que la défenderesse, représentée au cours des ans par divers ministres du Travail et agissant par l'intermédiaire des Rentes sur l'État, a contrevenu à la police G-522 en payant les ristournes à Singer pour réduire les comptes passifs de cette corporation, c'est-à-dire pour servir à cette dernière de crédits ou d'avances sur ses futures contributions patronales, plutôt que de transférer les mêmes ristournes dans les comptes individuels des autres participants à la police G-522.

[12]      Les ristournes ainsi payées à Singer représenteraient à date une somme de l'ordre de 8 200 000$. (Comme il est souligné aux paragraphes 67 et suivants de la déclaration, cette somme pourrait être moindre puisqu'au moment de l'institution de l'action, elle visait les années 1947 à 1964 et non pas seulement 1947 à 1957).

[13]      Il faut retenir ici que le demandeur en arrive à ce montant en additionnant les surplus dégagés à chaque année pendant la période pertinente et en ajoutant à ces montants les intérêts courus à ce jour.

[14]      Les données sur les surplus dégagés sous la police G-522 - comme bien d'autres données permettant de circonscrire le groupe formant la partie demanderesse - ont été fournies par la défenderesse à la suite d'efforts de recherche déployés par le demandeur (pièce ARC-7 jointe à l'affidavit de Robert Châteauneuf soumis par la partie demanderesse à l'encontre de la requête à l'étude).

La requête de la défenderesse

[15]      La requête de la défenderesse dite "pour directives" est présentée essentiellement en vertu de la règle 1711 dont il importe de reproduire seulement ici le premier paragraphe:

                 1711. (1) Lorsque plusieurs personnes ont le même intérêt dans une procédure, la procédure peut être engagée et, sauf ordre contraire de la Cour, être poursuivie par ou contre l'une ou plusieurs d'entre elles en tant que représentant toutes ces personnes ou en tant que les représentant toutes à l'exception d'une d'entre elles ou plus.                 
                 (mes soulignés)                 

[16]      La défenderesse recherche ici assurément une ordonnance à l'encontre du caractère collectif que le demandeur Châteauneuf entend donner à l'action. Dans son avis de requête, la défenderesse demande principalement de:

                 REFUSER au demandeur [Robert Châteauneuf] le caractère représentatif qu'il recherche;                 
                 RADIER de l'intitulé toute référence à d'autres personnes qu'il entend représenter;                 

[17]      Même si la défenderesse recherche une radiation, elle n'a pas choisi de procéder par requête en radiation sous la règle 419 comme elle l'a fait dans le passé, à titre d'exemples, dans les arrêts Harbans Singh Pawar v. Her Majesty the Queen, décision non rapportée du 2 décembre 1996, Protonotaire Hargrave, dossier T-1407-96 (l'affaire Pawar no 1); Mountain Institution (Native Transfer Committee) c. Canada, décision non rapportée du 6 janvier 1997, Protonotaire Hargrave, dossier T-1940-96 (l'arrêt Mountain).

[18]      On peut comprendre cette approche si l'on retient que la procureure de la défenderesse a déclaré en plaidoirie que la défenderesse ne s'opposait pas, à priori, au recours collectif en l'instance. Si la Cour a bien saisi les prétentions de la défenderesse, elle s'en prend au demandeur Châteauneuf en tant que représentant valable de la partie demanderesse pour deux motifs - sur lesquels nous reviendrons - soit qu'il ne peut prétendre à un grief commun avec les autres adhérents à la police G-522 et qu'il n'aurait pas fourni au dossier à ce jour une preuve ou un début de preuve suffisant quant à l'identité personnelle de chaque personne devant faire partie du groupe, c'est-à-dire de la partie demanderesse.

[19]      La défenderesse a déposé sa requête le 22 octobre 1997. Entre cette date et la date où elle fut entendue, les parties se sont entendues sur les points subsidiaires formulés par la défenderesse à cet avis de requête. Dans une lettre conjointe datée du 10 novembre 1997, les procureurs des parties indiquent à la Cour ce qui suit:

                      Pour faire suite à notre récente conversation téléphonique, nous désirons confirmer qu'une entente est intervenue entre les procureurs des parties au dossier sur les deux (2) premiers motifs exposés à nos observations jointes à notre avis de requête pour directives selon la règle 1711 des Règles de la Cour fédérale dans le dossier mentionné en titre.                 
                      Conséquemment, seul le troisième (3è) motif touchant l'absence de grief commun et de représentativité du demandeur fera l'objet d'une argumentation devant la Cour le 17 novembre prochain.                 
                      Ainsi, sous réserve de la décision à intervenir sur ce dernier motif et des directives pouvant émaner de la Cour, le groupe décrit comme partie demanderesse devrait se lire comme suit:                 
                      Robert Châteauneuf en son nom personnel et en qualité de représentant de toutes les personnes physiques qui, employées de la compagnie Singer, se sont enregistrées au contrat collectif de rentes G-522 et ont acquis et conservé, au 12 décembre 1966 ou après, le droit de recevoir du service des Rentes sur l'État du gouvernement fédéral canadien, une rente viagère composée de leurs contributions et de celles de leur employeur, ainsi que les ayants droit ayant pu naître à ces personnes physiques en raison de leur décès.                         

[20]      D'ores et déjà, on devra retenir que si la Cour rejette l'attaque de la défenderesse contre la possibilité du demandeur Châteauneuf de présenter le recours collectif en l'instance, il y aura lieu de prendre acte du fait que les parties se sont entendues sur la désignation du groupe ci-haut.

[21]      On doit enfin noter que cette désignation se ferait dans le cadre d'une certification plus générale du recours collectif tel qu'entrepris puisque je pense que la requête de la défenderesse en cas de rejet amène inévitablement la Cour à cette étape. C'est cette étape en plus que le procureur de la partie demanderesse recherche en défense à la requête à l'étude. Voici, du reste, ce que mon collègue Hargrave a mentionné quant à cette institution de la certification en page première dans l'arrêt Harbans Singh Pawar c. Sa Majesté la Reine, décision non rapportée du 26 mai 1997, Protonotaire Hargrave, dossier T-1407-96 (l'arrêt Pawar no 2):

                 ... À mon avis, la certification est un mécanisme procédural souple qui vise à aider les parties et la Cour à régler les problèmes particuliers qui peuvent se présenter dans le cadre d'un recours collectif.                 

[22]      Cette étape de "certification" n'est pas en soi prévue expressément par la règle 1711. Toutefois, la juridiction inhérente de cette Cour alliée à la règle 1711 permet certes de le faire (voir l'arrêt Pawar no 2, page 4).

[23]      De plus, si la requête à l'étude devait être rejetée, il m'apparaîtrait plus que souhaitable en les présentes que toutes les parties - et spécialement toutes les personnes formant la partie demanderesse - sachent que cette dernière partie ne pourra plus désormais être attaquée dans son caractère collectif.

[24]      Par ailleurs, même s'il ressort de l'arrêt Pawar no 2, en page 1, que l'initiative de la certification devrait provenir de la partie demanderesse, les commentaires de la juge Reed en page 3 dans l'arrêt Harbans Singh Pawar v. Her Majesty the Queen, décision non rapportée du 10 septembre 1997, Madame le juge Reed, dossier T-1407-96 (l'arrêt Pawar no 3) me portent à croire qu'il faudrait saisir l'occasion ici pour procéder à cette certification.

Analyse

[25]      Avant d'explorer plus avant les motifs d'attaque de la défenderesse, il me semble opportun auparavant de rappeler les buts d'un recours collectif et ses exigences minimales.

Buts d'un recours collectif

[26]      Dans l'arrêt Pawar no 3, en page 2, la Cour reprend, avec approbation implicite, je crois, les commentaires suivants:

                      Counsel for the respondent argues that the history of class actions demonstrates that they are appropriate for reasons of judicial economy and efficiency, finality of dispute resolution, and to ensure that all those affected by the decision have an opportunity to put their position to the Court.                 

[27]      Je pense que ce sont ces visées que le demandeur Châteauneuf tente de rejoindre lorsqu'il énonce à son affidavit que l'âge moyen des retraités est de 82 ans et que plusieurs d'entre eux n'ont pas les ressources financières pour affronter individuellement le gouvernement fédéral devant les tribunaux.

[28]      De plus, la preuve au dossier (pièce ARC-8) démontre que par le passé le demandeur Châteauneuf fut informé par la défenderesse que la police G-522 pouvait viser un nombre considérable de personnes. Il fut également informé vers la même époque (pièce ARC-9) que les adresses d'alors des adhérents étaient des renseignements personnels à ces personnes et que, partant, il ne pourrait les obtenir. Voilà pourquoi aux paragraphes 74 et 75 de la déclaration, la partie demanderesse conclut qu'il serait impossible de procéder autrement que par recours collectif.

[29]      Mais voilà, même si l'on croit en principe rencontrer les buts d'un recours collectif, il faut encore en rencontrer les exigences minimales.

Les exigences minimales d'un recours collectif

[30]      À cet égard, je considère que l'on se doit d'être guidé premièrement par les enseignements de la Cour suprême dans l'arrêt G.M. (Canada) c. Naken, [1983] 1 R.C.S. 72 (l'arrêt Naken). Dans cet arrêt, la Cour suprême avait à s'interroger sur l'à-propos de permettre un recours collectif par un groupe de personnes ayant toutes acheté individuellement une automobile d'une marque donnée. Cette étude, la Cour l'a entreprise en fonction de l'application et de l'interprétation de la règle 75 des Règles de pratique de la Cour suprême de l'Ontario. Cette règle qui est similaire à notre règle 1711 contient au départ un seul critère à développer, soit celui du même intérêt dans une procédure. Cette règle 75 se lit comme suit:

                      75. Lorsque plusieurs personnes ont le même intérêt, une ou plusieurs d'entre elles peuvent poursuivre, être poursuivies ou être autorisées par la cour à agir en défense au nom ou pour le compte de toutes.                 

[31]      C'est en pages 103 et 104 de ses motifs que la Cour en vient à préciser ce qu'un même intérêt dans une procédure peut vouloir signifier en matière de recours collectif. La Cour s'exprime alors comme suit:

                      [...] c'est dans le jugement ou l'issue de l'action que les demandeurs doivent avoir le même intérêt. Dans le cas d'un recours collectif ordinaire, cela voudrait dire que les demandeurs et ceux qu'ils représentent doivent partager le même intérêt général de façon que chacun d'eux ait droit à une part indéterminée à la propriété, au fonds ou à l'élément d'actif commun déterminé ou déterminable. [...] En réalité, il est difficile d'étendre la portée de la règle au-delà du recours collectif traditionnel dans lequel la contestation vise un fonds ou un élément d'actif déterminable et où il ne reste que deux questions à régler, la première étant le droit des demandeurs à l'ensemble ou à des parties de ce bien et la seconde le droit de chaque membre du groupe de demandeurs à une part de tout ce qu'obtient le groupe.                 
                 (mes soulignés)                 

[32]      Ces extraits énoncent à mon sens de façon simple ce que la Cour suprême retient comme exigences minimales d'un recours collectif.

[33]      La défenderesse, tant dans son avis de requête qu'en plaidoirie, a cherché à établir que le test sous la règle 1711 se définissait par trois éléments, soit:

     1.      que les membres du groupe doivent avoir un intérêt commun;
     2.      que les membre du groupe doivent avoir un grief commun;
     3.      que le jugement devrait bénéficier à tous.

[34]      On m'a référé à certains arrêts de cette Cour, entre autres aux arrêts Pawar no 2, (supra), et à Mountain (supra), où on semble avoir choisi cette approche détaillée. Je ne crois pas que procéder par ce test ou par celui retenu en bout de course par la Cour suprême dans l'arrêt Naken, (supra), change réellement quelque résultat.

[35]      En fait, il faut réaliser que ce test à trois éléments fut élaboré dans l'arrêt Duke of Bedford v. Ellis, [1901] A.C. 1, alors que l'on procédait à interpréter un ancêtre de la règle 75 de l'Ontario et donc de notre règle 1711. La Cour suprême dans Naken, (supra), est fort consciente de tout cela puisqu'elle débute son analyse, en pages 79 et 80, en citant l'arrêt Ellis, (supra). Elle conclut néanmoins comme suit sur cet ancêtre de la règle 75, en page 80, en se référant à Lord Shand:

                 En définitive, lord Shand a conclu que le seul critère à appliquer était celui du "même intérêt" dans une même cause ou un même objet. Le même critère s'applique en vertu de la règle 75 [...]                 

[36]      Il s'ensuit, à mon avis, que le critère du même intérêt et celui de grief commun font double usage et qu'il est suffisant de s'interroger sur la présence du même intérêt pour ensuite s'interroger sur la possibilité que tous bénéficient du fonds commun.

[37]      Ce constat devrait nous amener à retourner à l'avis de requête de la défenderesse et à réaliser, en tenant également en main l'entente entre les parties du 10 novembre 1997, que l'élément du même intérêt parmi tous les membres du groupe ne pose plus de problèmes entre les parties. Si cet élément est semblable ou inclut celui du grief commun, comment peut-on attaquer ici le recours collectif sur la base d'absence de grief commun?

[38]      Qu'à cela ne tienne, il y a lieu à présent de se pencher néanmoins sur la requête de la défenderesse et de se rappeler les motifs d'attaque de cette dernière.

La requête de la défenderesse

[39]      Tel que mentionné plus avant (voir paragraphe 18, supra), la défenderesse soutient que le demandeur Châteauneuf ne peut prétendre à un grief commun avec les autres adhérents à la police G-522.

[40]      Elle soutient également que ce dernier n'aurait pas fourni au dossier à ce jour une preuve ou un début de preuve suffisant quant à l'identité personnelle de chaque personne devant faire partie du groupe, c'est-à-dire de la partie demanderesse. Ce fait, selon elle, est nécessaire pour que l'on puisse soutenir le caractère représentatif du demandeur, c'est-à-dire qu'il représente un groupe précis.

[41]      Le premier motif d'attaque de la défenderesse se précise comme suit. Le demandeur Châteauneuf ne pourrait prétendre à un grief commun avec les autres membres du groupe parce que ce grief commun consiste en la réclamation des ristournes durant les années 1947 à 1957 et que le demandeur n'a été enregistré à la police G-522 que le 1er juin 1954.

[42]      Selon moi ce motif ne tient pas. Y faire droit serait faire preuve d'une approche beaucoup trop rigoureuse et stricte quant à l'interprétation de la règle 1711.

[43]      La Cour suprême dans l'arrêt Naken, supra, ne fait jamais état que la part de chaque membre doive être égale à l'égard du fonds commun.

[44]      Ce qui compte c'est qu'il y ait premièrement un fonds commun. Sur ce point j'en conclus que la partie demanderesse a établi qu'il y a bel et bien un fonds commun déterminé ou déterminable sur la base des données comptables qui ont été fournies au demandeur par la défenderesse même (voir pièce ARC-7).

[45]      Deuxièmement, tous les membres de la partie demanderesse, y compris le demandeur Châteauneuf, ont certes tous le même intérêt général à obtenir une part dans le fonds. Toute part pour l'instant reste indéterminée. Le demandeur Châteauneuf tout comme possiblement d'autres membres auront droit en cas de succès à une part qui variera en fonction, entre autres, de leur année précise d'adhésion. Cette variation n'est toutefois pas de nature à écarter l'utilisation de la règle 1711.

[46]      Dans l'arrêt Pawar no 1, supra, en pages 8 et 9, mon collègue Hargrave a tenu les propos suivants:

                      Our Rule 1711 refers to persons having the same interest in the proceeding. This does not mean the claims need all be for the same amount, for the Rule is more flexible than that. In addition to the view of Mr. Justice of Appeal Bull, in the Shaw case [supra], I would also refer to The "Irish Rowan", [1989] 2 Lloyd's 144 (C.A.), in which representative defendants, each of whom would have owed a different amount, unsuccessfully sought to have the action against them stayed. Sir John Megaw, who wrote one of the three concurring judgments, conceded there might be instances in which disputes as to quantum of liability, by persons coming into the action by representation, might make the case unsuitable as a representative action, but that the Court could always exercise discretion and forbid the continuance of a representative action (p. 156). Lord Justice Purchas, in considering the requirement of a similar interest in the proceedings, raised an interesting rhetorical question as to whether or not the Court should approach the problem in a pragmatic manner.                 
                              Bearing in mind that the operation of O.15, r.12 takes place at an early stage in the development of proceedings, should the Court have in contemplation all possible, even hypothetical, circumstances when considering whether the proposed class of defendants or plaintiffs fulfils the criterion of having the same interest, or should the Court approach the problem in a more pragmatic manner?                         
                              the "Irish Rowan" [supra] at p. 158)                         
                 From his reasons and the cases to which he refers, it is clear a court should approach the issue of whether the parties have the same interest in the proceedings in a practical way. Indeed it is the view of our Court of Appeal that the class action rule should not be construed in a strict and rigorous sense, but rather should be applied in a broad and permissive manner: see Canada v. Perry (1982) 41 N.R. 91 at 102.                 
                 (mes soulignés)                 

[47]      Ces propos ont constitué un des motifs qui ont amené mon collègue à rejeter la requête en radiation que la Couronne avait formulée dans cette affaire. Il est vrai que dans l'affaire Pawar no 2, supra, lorsque requis par le demandeur de certifier le même débat, le demandeur reçut la certification recherchée au niveau du recours mais se vit refuser le même bénéfice au niveau du remède. Ce refus ne résulta pas toutefois du fait que les réclamations individuelles pouvaient être différentes mais sur le fait que la déclaration ne contenait pas les allégations de base en droit pour établir une action en dommages-intérêts. Le résultat partagé de l'arrêt Pawar no 2 fut confirmé en appel dans l'arrêt Pawar no 3.

[48]      La procureure de la défenderesse a également fait allusion au fait que comme dans l'affaire Pawar no 2, la Cour pourrait vouloir certifier la partie demanderesse au niveau du recours mais refuser la certification au niveau du remède. Cette solution fut avancée du fait, si la Cour a bien compris, que vu que les montants entre les membres pourraient différer, vu que certains membres pourraient ne rien recevoir du fait qu'ils obtenaient déjà le maximum de pension, la défenderesse pourrait devoir faire valoir des moyens de défense multiples et différents.

[49]      Tout comme la Cour en a conclu dans l'affaire Pawar no 1, supra, j'ai de la difficulté à comprendre comment un tel scénario - digne du résultat appréhendé par la Cour suprême dans l'affaire Naken, supra, - pourrait réellement survenir en l'espèce.

[50]      Il m'appert ici que la mesure des dommages à l'égard de chaque membre sera, si la partie demanderesse a gain de cause, et en raison de l'information que la défenderesse possède déjà sur la situation, "... a formula and book keeping exercise" pour reprendre les termes de mon confrère en page 15 de l'arrêt Pawar no 1.

[51]      De plus, il est loin d'être acquis que la défenderesse, contrairement à la situation de Singer dans l'affaire Châteauneuf c. Cie Singer du Canada Ltée, décision non rapportée du 23 septembre 1988, juge Guy Arsenault, C.S. Iberville, dossier 755-06-000001-871, pourrait ici croire qu'elle sera étrangère dans tout processus de distribution à l'égard de chaque membre. C'est elle, essentiellement, qui appert posséder toutes les données propres à faciliter cet exercice de distribution de sommes qui, en cas de succès, proviendraient d'elle.

[52]      Qui plus est, nous en sommes à un stade préliminaire de cette action. Il m'appert que cette dernière devra se dérouler en deux étapes. D'ailleurs, la partie demanderesse elle-même envisage que cette action se déroule ainsi, soit en premier lieu l'établissement du droit de la partie demanderesse à l'ensemble ou une partie du fonds et, par après, viendrait une deuxième étape où il s'agirait de procéder au partage au prorata du fonds entre les membres du groupe.

[53]      La préoccupation présente de la défenderesse se situe, je crois, à l'égard de cette deuxième étape. Tel qu'il appert, je ne crois pas pour l'instant que cette préoccupation soit fondée. Toutefois, si la partie demanderesse complète la première étape, il m'apparaît que le juge qui sera saisi de l'affaire sera en bien meilleure position pour évaluer si la deuxième étape doit prendre place sur une base collective. Dans l'arrêt Pawar no 1, la Cour a elle-même envisagé, en page 14, une telle possibilité:

                 Second, any limitations which might apply, in this instance, appear quite mechanical and may be dealt with by the trial judge in further delineating the class, if that becomes necessary.                 

[54]      Il y a lieu maintenant de regarder le deuxième motif d'attaque de la défenderesse.

[55]      Rappelons que ce motif veut que le demandeur Châteauneuf n'aurait pas fourni au dossier à ce jour une preuve ou un début de preuve suffisant quant à l'identité personnelle de chaque personne devant faire partie du groupe, c'est-à-dire de la partie demanderesse. Ce fait, selon la défenderesse, serait nécessaire pour que l'on puisse prétendre au caractère représentatif du demandeur, c'est-à-dire qu'il représente un groupe précis.

[56]      Je pense que sur ce dernier point la défenderesse fait également fausse route.

[57]      La défenderesse semble tirer cette exigence d'identification personnelle de l'arrêt Pawar no 1, supra.

[58]      Dans cette affaire, M. Pawar entendait contester au nom d'un groupe la constitutionnalité d'un article de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, L.R.C., ch. O-9, qui pose comme condition d'admissibilité, entre autres, la résidence au Canada pendant les dix ans précédant la date d'agrément de la demande de pension. N'ayant pas cumulé ces dix ans de résidence lorsqu'il a fait sa demande de pension, on refusa donc à M. Pawar sa pension.

[59]      Dans sa déclaration d'action, M. Pawar définit comme suit le groupe de gens qu'il entendait représenter:

                 Le demandeur demande à représenter tous les individus qui se trouvent dans le même cas, qu'ils soient citoyens ou résidents permanents du Canada, et qui ont été aussi injustement exclus de la pension en raison de la condition des dix années de résidence au Canada, que prescrit la Loi sur la sécurité de la vieillesse, L.R.C., ch. O-9.                 

[60]      La défenderesse a attiré l'attention de la Cour sur divers courts extraits des motifs de la Cour dans cette affaire pour établir que la Cour reconnaissait qu'il était requis d'obtenir une liste des personnes du groupe.

[61]      Toutefois, il faut comprendre que dans cette affaire, la Cour se trouvait saisie d'une requête en radiation de la part de la défenderesse qui soulevait comme motif de radiation, entre autres, tant l'autorité de M. Pawar pour se dire représentant de quelque groupe que la configuration même du groupe qu'il représentait.

[62]      Pour contrer l'attaque portant sur le statut de M. Pawar, la Cour cherche de temps à autre à démontrer que M. Pawar a regroupé par des signatures et autres démarches plusieurs personnes et qu'il ne peut donc être vu comme le représentant d'un groupe fictif. Au terme de son analyse, la Cour conclut que M. Pawar est à même de représenter équitablement et convenablement le groupe qu'il dit vouloir représenter.

[63]      La Cour dans cet arrêt - ni dans d'autres arrêts, d'ailleurs - n'a jamais, selon moi, cherché à établir comme critère de tout recours collectif que le représentant qui se porte de l'avant doit disposer d'une liste de signatures quelconque.

[64]      À mon avis, c'est sur la configuration du groupe que l'attention doit être portée. Ici, cette configuration est suffisante et acceptable telle qu'elle a été arrêtée dans la lettre conjointe des parties du 10 novembre 1997. Elle est suffisamment précise quant à ses paramètres et il n'y a pas lieu de requérir que les membres du groupe soient nommément et individuellement identifiés dans une liste ou un affidavit quelconque.

[65]      C'est là la conclusion à laquelle on doit en venir si on applique à la situation présente les enseignements suivants que l'on retrouve en pages 11 et 12 de l'affaire Pawar no 1:

                 An Identifiable Class                 
                      The next substantial issue the Defendant raises is whether the class, which counsel submits is an overly large class, is identifiable. As noted earlier it consists of Canadian Citizens or permanent residents, who are 65 years of age, but who have not resided in Canada for the required 10 consecutive years leading up to pensionability.                 
                      The size of a class is not a bar to a representative proceeding. In Bendall v. McGhan Medical Corporation (1993), 16 C.P.C. (3rd) 156 (Ont.) the plaintiffs successfully sought certification, as representatives of 150,000 persons, as a class proceeding. Indeed, a very large number of individuals would not realistically be able to have access to the judicial system other than through a class action.                 
                      There are many cases which touch on the identification of the class to be represented. At one end of the scale there have been intended class actions which proposed a nebulous or a vague class, for example, "those who suffer discrimination on the basis of race, and the number are known to the defendant", which was a class proposed in the Mayrhofer proceeding [supra]. Mr. Justice Teitelbaum pointed out it was insufficient to simply identify the members as those who were discriminated against by reason of race and then to say those persons are known to the defendant. In the present instance the class is much more tightly defined. Granted, while the Plaintiff does not say so, the Defendant may be the only entity with records to show all who fall into this class. However that does not detract from the certain parameters of the class which the Plaintiff has set. Further, that the class is a very large one does not detract from its identification.                 
                      At the other end of the scale are cases such as Alberta Pork Producers' Marketing Board v. Swift Canadian Co. Ltd. (1981), 129 D.L.R. (3d) 411 in which the class was tightly delineated as being hog producers who by reason of a tortious conspiracy by the defendants received an artificially contrived low price. The class consisted of persons engaged in the same enterprise and who had sold under the same conditions.                 
                      The Supreme Court of Canada had to deal with the identity of the group in the Naken case [supra] in which the class action was to be by a group of persons with reference to ownership of an identifiable property, a Firenza vehicle owned by each at the commencement of action. The Court felt the identification required some further determinative process as there was a difference between the type of proceedings which Ms. Naken wished to bring and, for example, a simple shareholder type proceeding in which the class might be easily and unambiguously defined. In the present instance the class proposed by Mr. Pawar, if it falls somewhere between, is certainly closer to the shareholder example, for it is unambiguous in the sense that an individual's date of arrival in Canada, the individual's status and the individual's age are all part of easily accessible records. There should be no difficulty with any of this, particularly in that the Plaintiff appears to be taking steps to bring in more of the class. Further, the Plaintiff quite correctly points out that much of the information needed to define the class is clearly in the hands of the Defendant.                 
                 (mes soulignés)                 

[66]      Enfin, si tant est que l'on doive l'énoncer ici, il m'appert que la déclaration d'action de la partie demanderesse et l'affidavit déposé par le demandeur Châteauneuf établissent clairement que Robert Châteauneuf par son action passée est en mesure d'assurer une représentation adéquate et de défendre valablement les droits des membres de la partie demanderesse.

Conclusion

[67]      Il y a donc lieu dans une ordonnance devant accompagner les présents motifs de:

-      rejeter la requête de la défenderesse;
-      déclarer que la configuration du groupe au sujet de laquelle les parties se sont entendues dans une lettre datée du 10 novembre 1997 rencontre les exigences d'un recours en vertu de la règle 1711 et que cette configuration devra désormais remplacer celle figurant à l'intitulé de cause en les présentes;
-      certifier M. Robert Châteauneuf à titre de représentant de la partie demanderesse.

[68]      Je ne considère toutefois pas qu'il y a lieu d'ordonner formellement dès à présent que le présent recours se déroule en deux étapes.

[69]      Quant aux frais sur la présente requête, il y a lieu de constater que la partie demanderesse n'en a pas requis. De plus, on doit reconnaître que le dépôt par la défenderesse de la requête à l'étude semble avoir amené les parties à s'entendre sur la configuration du groupe. Il n'y aura donc pas de frais sur la présente requête.

Richard Morneau

     protonotaire

MONTRÉAL (QUÉBEC)

le 26 novembre 1997

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     NOMS DES AVOCATS ET DES PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU DOSSIER DE LA COUR:

INTITULÉ DE LA CAUSE:

T-2728-96

ROBERT CHÂTEAUNEUF

en son nom personnel et en qualité de représentant de toutes les personnes physiques qui, employés de la compagnie Singer entre le 31 décembre 1946 et le 31 décembre 1964, ont alors acquis droit et ont effectivement reçu ou racheté par la suite une annuité du service des Rentes sur l'État du gouvernement fédéral canadien en vertu de la police collective d'annuités G-522 du 31 décembre 1946 soit à titre de créancier principal soit à titre de bénéficiaire du créancier principal ainsi que des ayants-droit ayant pu naître à ces personnes physiques en raison de leur décès

     Partie demanderesse

ET

SA MAJESTÉ LA REINE

     Partie défenderesse

LIEU DE L'AUDIENCE:Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE:le 17 novembre 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR:Me Richard Morneau, protonotaire

DATE DES MOTIFS DE L'ORDONNANCE:le 26 novembre 1997

COMPARUTIONS:

Me Guy Désautels pour la partie demanderesse

Me Carole Bureau et Me Linda Mercier pour la partie défenderesse

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Guy Désautels pour la partie demanderesse

Rivest Schmidt

Montréal (Québec)

Me George Thomson pour la partie défenderesse

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

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