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Date : 19991122


Dossier : IMM-6777-98



ENTRE :

     MONTHIR (MANDZAR) IBRAHIM BAGEH,

     demandeur,


     - et -


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,

     défendeur.




     MOTIFS DE L"ORDONNANCE


LE JUGE DENAULT



[1]          Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent d"immigration a refusé, le 14 décembre 1998, de rouvrir la revendication du statut de réfugié du demandeur.



[2]          Le demandeur est arrivé au Canada le 2 avril 1998 comme passager clandestin d"un navire. Le 4 avril 1998, il s"est dérobé à son interrogatoire en s"échappant du navire avant d"être interrogé par un agent d"immigration.



[3]          Le 8 avril 1998, le demandeur s"est présenté à Immigration Canada pour revendiquer le statut de réfugié1. L"agent d"immigration Beaver a alors donné au demandeur un formulaire d" "    Avis de revendication du statut de réfugié au sens de la Convention "2 à remplir. Le 16 avril 1998, dans un document intitulé "    Faits saillants concernant le paragraphe 27(2) ", le même agent d"immigration a recommandé que [Traduction] "    ... le sujet soit déféré à la Section d"appel de l"immigration afin qu"il soit établi si sa revendication du statut de réfugié au Canada est recevable " et affirmé : [Traduction] "    il semble que la revendication du statut de réfugié au Canada du sujet est recevable ".



[4]          Depuis son arrivée au Canada, le demandeur demeurait dans un refuge appelé Welcome House à Vancouver. À la fin du mois d"avril 1998, on lui a dit qu"il ne pouvait plus y rester et on a sorti ses effets personnels. Déprimé, confus et ne sachant où aller, le demandeur s"est présenté au Bureau de l"exécution de la loi d"Immigration Canada à Vancouver le 1er mai 1998, et il a dit à l"agent d"Immigration Beaver qu"il voulait quitter le Canada pour retourner en Iraq. Il a signé un document dans lequel il déclarait ne pas vouloir [Traduction] "    maintenir [sa] revendication du statut de réfugié en raison de [ses] problèmes généraux "3. L"agent d"immigration a apposé la note suivante sur le formulaire d"Avis de revendication du statut de réfugié du demandeur : [Traduction] "    Ne veut pas présenter de revendication. N"a pas été déféré à un agent principal "4. Toutefois, le même jour, un agent principal a pris une mesure d"interdiction de séjour contre le demandeur l"obligeant à quitter le Canada dans un délai de 30 jours.



[5]          Le demandeur a révélé ce qu"il avait fait à son avocat seulement après coup. Il a vite changé d"idée et, le 4 mai 1998, il a dit à son avocat et à l"agente chargée des renvois, au cours d"un entretien, qu"il avait peur de retourner en Iraq et qu"il voulait maintenir sa revendication du statut de réfugié. Par la suite, le demandeur a changé d"avocat.



[6]          Le 10 décembre 1998, après avoir obtenu le contenu du dossier d"immigration au moyen de la Loi sur la protection des renseignements personnels , l"avocat du demandeur a demandé à Immigration Canada5 de rouvrir la revendication du statut de réfugié de son client. Les documents soumis à Immigration Canada à l"appui de cette demande incluait un rapport daté du 1er octobre 1998, rédigé par le Dr Wahin Wanis, psychiatre à l"hôpital de Vancouver.



[7]          Le 14 décembre 1998, l"agente chargée des renvois Mendel a rejeté la demande en affirmant que le demandeur [Traduction] "    ... n"a pas droit à un réexamen par un agent principal afin de faire rouvrir sa revendication du statut de réfugié ". Après avoir résumé la chronologie des événements, elle a écrit :

[Traduction] Étant donné qu"une revendication du statut de réfugié de la part du sujet n"a pas été jugée recevable à ce jour, il ne peut demander la réouverture de sa revendication. Il n"a jamais introduit de revendication, il a déposé seulement une intention de présenter une revendication.
Une mesure d"interdiction de séjour a été prise contre le sujet. Une fois prise, cette mesure est irréversible. Un sujet frappé d"une mesure d"expulsion réputée ne peut présenter une nouvelle demande pour que sa revendication du statut de réfugié devienne recevable.
     (Souligné par l"auteur de la décision)




[8]          À l"appui de sa demande, le demandeur plaide d"abord qu"il a demandé qu"une décision soit rendue relativement à sa revendication du statut de réfugié en avisant un agent d"immigration de sa revendication du statut de réfugié le 8 avril 1998 (c"est-à-dire avant que toute mesure de renvoi soit prise contre lui) et qu"il a de ce fait le droit que sa revendication soit déférée à un agent principal afin qu"il se prononce sur sa recevabilité6. Dans la mesure où, le 10 décembre 1998, il entendait faire rouvrir une revendication introduite avant la prise de la mesure de renvoi (le 1er mai 1998), le demandeur prétend qu"il n"est pas dans la même situation qu"une personne qui, après avoir omis ou refusé de présenter une revendication en temps opportun, a tenté de faire rouvrir sa mesure de renvoi de façon à pouvoir présenter une revendication7.



[9]          Le demandeur fait aussi valoir que la décision contestée de l"agente d"immigration était une décision qui aurait dû être rendue par un agent principal et, par conséquent, qu"elle ne relevait pas de la compétence de l"agente qui l"a rendue. Subsidiairement, il soutient que, si l"agente d"immigration a agi dans les limites de sa compétence, elle a commis une erreur à deux égards : a ) en concluant que jamais une revendication du statut de réfugié n"avait été introduite et que seule l"intention de présenter une revendication avait été déposée et b ) en qualifiant la demande qui lui était soumise de nouvelle demande visant à rendre la revendication du statut de réfugié recevable plutôt que de demande visant à faire rouvrir une revendication qui avait déjà été présentée.



[10]          Le défendeur soutient que le demandeur se trouve dans la même situation que s"il n"avait jamais présenté de revendication avant la prise de la mesure de renvoi. Comme les demandes de réouverture constituent une exception au principe functus officio , le demandeur soutient que ce principe et l"exception de réouverture ne peuvent s"appliquer à aucune décision en l"espèce8. Subsidiairement, si une décision pouvait donner lieu à une demande de réouverture, le défendeur fait valoir que l"article 44 de la Loi sur l"immigration prévoit que la question de l"accès au système de détermination du statut de réfugié est tranchée de façon définitive une fois une mesure de renvoi prise9.



[11]          Voici les articles 44 et 45 de la Loi sur l"immigration :

44.(1) Any person who is in Canada, other than a person against whom a removal order has been made but not executed, unless an appeal from that order has been allowed, and who claims to be a Convention refugee may seek a determination of the claim by notifying an immigration officer.

44.(1) Toute personne se trouvant au Canada peut revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention en avisant en ce sens un agent d'immigration, à condition de ne pas être frappée d'une mesure de renvoi qui n'a pas été exécutée, à moins que la mesure n'ait été annulée en appel.

(2) An immigration officer who is notified pursuant to subsection (1) shall forthwith refer the claim to a senior immigration officer.

(2) Le cas échéant, l'agent d'immigration défère sans délai le cas à un agent principal.

... ... ...

... ... ...

45.(1) Where a person's claim to be a Convention refugee is referred to a senior immigration officer, the senior immigration officer shall

(a) subject to subsection (2), determine whether the person is eligible to have the claim determined by the Refugee Division; and

(b) if the person is the subject of a report under subsection 20(1) or 27(1) or (2) or has been arrested pursuant to subsection 103(2), take the appropriate action referred to in any of subsections 23(4), (4.01) or (4.2) or 27(4) or (6) or section 28.

45.(1) L'agent principal à qui le cas a été déféré décide, sous réserve du paragraphe (2), de la recevabilité de la revendication; il doit en outre, si l'intéressé fait l'objet d'un rapport en vertu des paragraphes 20(1) ou 27(1) ou (2) ou s'il a été arrêté en vertu du paragraphe 103(2), prendre à son encontre la mesure indiquée prévue aux paragraphes 23(4), (4.01) ou (4.2) ou 27(4) ou (6) ou à l'article 28.





... ... ...

... ... ...

(3) On making a determination under paragraph (1)(a), the senior immigration officer shall notify the person in writing of the determination and, where the person is determined not to be eligible to have a claim to be a Convention refugee referred to the Refugee Division, shall include in the notification the basis for the determination.

(3) L'agent principal avise par écrit l'intéressé de sa décision et, lorsqu'elle lui est défavorable, doit la motiver également par écrit.








(4) The burden of proving that a person is eligible to have a claim to be a Convention refugee determined by the Refugee Division rests on the person.

(4) Il appartient à l'intéressé de prouver que sa revendication est recevable.


(5) Every person who claims to be a Convention refugee shall truthfully provide such information as may be required by the senior immigration officer to whom the person's claim is referred for the purposes of determining whether the person is eligible to have the claim determined by the Refugee Division, R.S.C. 1985 (4th Supp.), c.28, s.14; S.C. 1992, c.49, s.35; S.C. 1995, c.15, s.8.

(5) L'intéressé doit fournir à l'agent principal les renseignements que celui-ci exige pour être en mesure de décider de la recevabilité de sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention. L.R.C. 1985, ch.28 (4e Suppl.), art.14; L.C. 1992, ch.49, art.35; L.C. 1995, ch.15, art.8.



            



[12]          En l"espèce, plusieurs faits ressortent clairement du dossier et ne sont pas contestés : a ) le demandeur a présenté une revendication du statut de réfugié le 8 avril 1998; b) l"agent d"immigration a rédigé un rapport conformément au paragraphe 27(2) de la Loi10 le 16 avril 1998, et y a recommandé que l"affaire soit déférée à un agent principal afin qu"il détermine si la revendication du statut de réfugié du demandeur était recevable, en ajoutant qu"à son avis "    ... la revendication du statut de réfugié du sujet au Canada est recevable "; c ) comme le demandeur a indiqué le 1er mai 1998 qu"il ne désirait pas maintenir sa revendication, le dossier n"a pas été déféré à un agent principal, d ) toutefois, le même jour, un agent principal a pris une mesure d"interdiction de séjour11; e) parce qu"il regrettait de ne pas avoir maintenu sa revendication du statut de réfugié, le demandeur et son avocat de l"époque ont indiqué, le 4 mai 1998 que le demandeur désirait maintenir sa revendication du statut de réfugié12.



[13]          Il est important de rappeler que, selon le paragraphe 44(2) de la Loi, aussitôt que l"agent d"immigration a établi que le demandeur revendiquait le statut de réfugié et n"était pas une personne frappée d"une mesure de renvoi qui n"a pas été exécutée, il était tenu de déférer sans délai la revendication à un agent principal. En vertu du paragraphe 45(1), l"agent principal devait alors déterminer si la revendication du demandeur était recevable et, dans la mesure où il faisait l"objet d"un rapport en vertu du paragraphe 27(2) de la Loi, prendre une mesure de renvoi contre lui.

    



[14]          Le 10 décembre 1998, le demandeur a demandé à un agent principal, par l"entremise de son avocat, la réouverture de sa revendication du statut de réfugié13. Cette lettre indique clairement que le demandeur désirait que la décision de ne pas déférer son dossier à un agent principal soit réexaminée et que sa revendication initiale du statut de réfugié soit rouverte de façon qu"elle soit ensuite tranchée par la Section du statut de réfugié. Toutefois, c"est une agente d"immigration, plus particulièrement une agente chargée des renvois, qui lui a répondu14. Sous prétexte qu"un agent principal n"avait pas encore décidé de la recevabilité de la revendication du demandeur et qu"une mesure d"interdiction de séjour avait été prise, l"agente d"immigration a rejeté la demande de réouverture de la revendication. C"est cette décision qui est contestée en l"espèce. À l"appui de sa décision, elle a mentionné que jamais une revendication du statut de réfugié n"avait été introduite et que seule l"intention de présenter une revendication avait été déposée. Elle a aussi dit qu"une fois prise une mesure d"interdiction de séjour contre une personne, celle-ci ne peut pas présenter une nouvelle demande afin que sa revendication du statut de réfugié devienne recevable.



[15]          Je suis d"avis que cette décision doit être annulée et que l"affaire doit être déférée à un agent principal pour qu"il rende une décision.



[16]          L"agente d"immigration a commis une erreur en considérant la demande datée du 10 décembre 1998 comme une nouvelle revendication du statut de réfugié alors qu"il était clair - les termes de la lettre étaient non équivoques - qu"il s"agissait d"une demande de réouverture de la revendication initiale du demandeur.



[17]          Mais qui plus est, je crois que l"agente d"immigration a commis une erreur en décidant que le demandeur n"avait pas le droit de faire réexaminer sa demande par un agent principal en vue de faire rouvrir sa revendication. En l"espèce, le demandeur avait bel et bien présenté une revendication du statut de réfugié et non simplement exprimé son intention de le faire. L"agent d"immigration Beaver était alors tenu par la Loi de déférer sans délai sa revendication à un agent principal, ce qu"il n"a pas fait. J"estime que, par application du paragraphe 45(1), seul un agent principal pouvait décider de la "    ... recevabilité de la revendication " du demandeur. Je crois de plus que seul un agent principal pouvait rendre une décision concernant la demande de réouverture de la revendication. En agissant comme elle l"a fait, l"agente d"immigration a exercé la compétence d"un agent principal.



[18]          Même en supposant que l"agente d"immigration avait la compétence pour rendre une décision concernant la demande de réouverture, j"estime qu"elle a commis une erreur en prononçant sa décision. Le demandeur avait bel et bien présenté une revendication du statut de réfugié et aucune disposition de la Loi sur l"immigration ne renvoie à une procédure moindre qu"une véritable revendication du statut de réfugié qui pourrait être qualifiée de "    seulement une intention de présenter une revendication ". Ces erreurs justifient l"intervention de la Cour.



[19]          Le demandeur a proposé la certification des deux questions suivantes aux fins d"un appel conformément au paragraphe 83(1) de la Loi sur l"immigration :


1.      Un agent d"immigration est-il tenu de déférer une demande de réouverture d"une revendication du statut de réfugié à un agent principal lorsque la revendication a été introduite avant la prise d"une mesure de renvoi, mais que l"auteur de la revendication l"a retirée et tente de la faire rouvrir en s"appuyant sur une nouvelle preuve émanant d"un psychiatre après la prise d"une mesure de renvoi?
2.      Un agent principal a-t-il compétence pour se prononcer sur la recevabilité d"une revendication du statut de réfugié en vertu de l"article 45 de la Loi, si la revendication du statut de réfugié a été introduite avant la prise d"une mesure de renvoi, mais n"a été déférée à l"agent principal qu"après la prise de la mesure de renvoi?

Il pourrait sembler inopportun de certifier ces questions étant donné que la Cour annule la décision qui fait l"objet de la demande de contrôle. Toutefois, comme ce point de droit n"a pas encore été fixé et soulève une question grave de portée générale, ces questions devraient être certifiées.


                             " Pierre Denault "

                             Juge



Ottawa (Ontario)                 

22 novembre 1999

Traduction certifiée conforme



Laurier Parenteau, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



NUMÉRO DU GREFFE :          IMM-6777-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :      MONTHIR (MANDZAR) IBRAHIM BAGEH c. MCI
LIEU DE L"AUDIENCE :          VANCOUVER (C.-B)
DATE DE L"AUDIENCE :          4 novembre 1999

MOTIFS DE L"ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE DENAULT

DATE DES MOTIFS :          22 novembre 1999


ONT COMPARU :

Me GUY RIECKEN              POUR LE DEMANDEUR
Me GARTH SMITH              POUR LE DÉFENDEUR


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me GUY RIECKEN              POUR LE DEMANDEUR

Me GARTH SMITH

Me MORRIS ROSENBERG      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

__________________

1      " Déclaration de revendication du statut de réfugié " datée du 9 avril 1998, page 17 du dossier du demandeur.

2      Dossier du demandeur, p. 18. Je constate que le demandeur, dans son affidavit, a affirmé avoir été informé du fait que son ancien avocat a soumis le formulaire rempli à Immigration Canada vers le 23 avril 1998. (Dossier du demandeur, p. 14, par. 7)

3      Dossier du demandeur, p. 19.

4      Dossier du demandeur, p. 26.

5      La lettre était adressée [Traduction] "    à l"attention de l"agent principal ", Dossier du demandeur, p. 11.

6      Paragraphe 44(1) de la Loi sur l"immigration; Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration), [1996] 3 C.F. 349; Tchassovnikov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration), (31 juillet 1998) IMM-5335-97 (C.F. 1re inst.).

7      Voir Raman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration), (1996), F.T.R. 50 (C.F. 1re inst.); Daher c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration), (1998), 153 F.T.R. 131.

8      Dans sa réponse, le demandeur soutient que deux décisions ont été rendues le 1er mai 1998 :      (1)      la décision de l"agente d"immigration de ne pas déférer la revendication à un agent principal [Dossier du demandeur, p. 26];      (2      la décision de l"agent principal de prendre une mesure d"interdiction de séjour.

9      Voir la note 7.

     10      "    Faits saillants concernant le paragraphe 27(2) ", Dossier du demandeur, p. 18.

     11      Voir la décision contestée, Dossier du demandeur, p. 4.

     12      Paragraphe 5 de l"affidavit du demandeur (Dossier du demandeur, p. 9) et paragraphes 11 et 12 de sa déclaration (Dossier du demandeur, p. 14 et 15).

13      Voir la note 7.

14      Bien que Mona Medel se présente comme une agente d"immigration, sa signature indique qu"elle est agente chargée des renvois. (Dossier du demandeur, p. 5).

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