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Date: 20000915


Dossier : T-2745-92

ENTRE :


KATHLEEN BURT McNEIL


demanderesse


et


LE SECRÉTAIRE D'ÉTAT DU CANADA

LE MINISTRE DU MULTICULTURALISME ET DE LA CITOYENNETÉ


défendeurs



MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE HENEGHAN

[1]      Mme Kathleen Burt McNeil (Mme McNeil) est née à Timmins (Ontario) le 7 janvier 1935. Le 24 juin 1968, elle est devenue citoyenne américaine. Elle sollicite maintenant un jugement déclaratoire portant qu'elle est citoyenne canadienne. Il s'agit uniquement de savoir si elle a volontairement renoncé à sa citoyenneté canadienne en 1968.

[2]      Mme McNeil a été la seule personne à témoigner à l'instruction. Les faits pertinents sont exposés dans la preuve qu'elle a présentée.

[3]      Du fait qu'elle était née en Ontario, Mme McNeil était un sujet britannique. Lorsque la Loi sur la citoyenneté canadienne, S.R.C. 1952, ch. 33, est entrée en vigueur en 1947, Mme McNeil est devenue citoyenne canadienne.

[4]      Mme McNeil s'est installée aux États-Unis lorsqu'elle avait environ vingt et un ans. Le 7 février 1957, lorsqu'elle avait vingt-deux ans, Mme McNeil a épousé un citoyen américain, Leonard McNeil (M. McNeil), à New York.

[5]      En se fondant sur le fait qu'elle avait épousé un citoyen américain, Mme McNeil a demandé et obtenu une « carte verte » américaine qui l'autorisait à vivre et à travailler aux États-Unis. Elle a réussi à faire renouveler sa carte verte chaque année jusqu'en 1968.

[6]      Du mois d'avril 1958 au mois de mai 1959, les conjoints étaient au Canada, où Mme McNeil, qui était le principal soutien de la famille, a travaillé pendant environ un an. Au cours du bref séjour qu'ils ont effectué au Canada, le mari n'a pas pris de dispositions en vue de changer de citoyenneté.

[7]      Les conjoints sont retournés à New York à la fin de l'année 1959. Au mois de mars 1960, M. McNeil a accepté un poste auprès du Département du Trésor américain, à titre d'agent fédéral chargé des stupéfiants. À la fin de l'année 1962, il a été muté du bureau fédéral des stupéfiants au service américain des douanes.

[8]      En 1963, Mme McNeil, qui avait alors environ vingt-huit ans, a donné naissance à son fils Leonard, aux États-Unis.

[9]      À la fin du mois de mai 1968, M. McNeil a été informé par son employeur, le service américain des douanes, qu'on l'avait choisi pour une affectation à l'étranger, à l'ambassade américaine, à Londres, Royaume-Uni, où il devait travailler pour ce service à titre de représentant des douanes. Cette affectation lui a été offerte après qu'il eut passé avec succès un examen organisé pour les candidats à des affectations à l'étranger. M. McNeil ainsi que plusieurs milliers d'autres personnes s'étaient portés candidats à ce poste.

[10]      Le 31 mai 1968, les conjoints se sont rendus à Washington, D.C., pour rencontrer le commissaire et le sous-commissaire américains du service des douanes, relativement à l'affectation à Londres. Selon l'exposé conjoint des faits qui a été produit sur consentement à l'instruction à titre de pièce no 1, cette rencontre visait à permettre au service américain des douanes de s'assurer que Mme McNeil appuyait son mari, relativement à la nouvelle affectation à l'étranger, ainsi qu'à s'assurer qu'elle avait l'aptitude voulue en sa qualité de conjointe d'un représentant du gouvernement américain sur le point d'être affecté à l'étranger. Mme McNeil déclare avoir mentionné, lors de la rencontre, qu'elle était citoyenne canadienne, mais que les hauts fonctionnaires du service américain des douanes n'ont pas réagi ou n'ont pas fait de commentaires. Elle a témoigné que son père était anglais et qu'elle avait des parents en Angleterre, et qu'elle était heureuse de la nouvelle affectation.

[11]      Le 8 ou le 9 juin 1968, l'affectation de M. McNeil a été approuvée d'une façon définitive, ce dernier devant commencer à exercer ses fonctions à Londres au mois d'août 1968.

[12]      Le 10 juin 1968, M. McNeil a reçu un appel téléphonique du sous-commissaire du service américain des douanes, qui l'a informé que, selon une « politique » du gouvernement américain, les conjoints des fonctionnaires américains affectés à l'étranger devaient également être citoyens américains.

[13]      On a déclaré à M. McNeil que sa conjointe devait devenir citoyenne américaine avant que la famille s'installe à Londres. C'est le mari qui a relaté cette conversation téléphonique à Mme McNeil plus tard le même jour.

[14]      Le 11 juin 1968, Mme McNeil s'est présentée au palais de justice fédéral de la ville de New York, où elle a passé plusieurs heures à remplir des formulaires de demande de citoyenneté américaine; on lui a posé certaines questions et on lui a également fourni certaines réponses, en lui disant par exemple [TRADUCTION] « qui était le premier président américain » .

[15]      Après avoir quitté le palais de justice le 11 juin 1968, Mme McNeil a été hospitalisée à New York. À ce moment-là, elle en était à environ son septième mois et demi de grossesse. Son fils Michael est né le 12 juin 1968, environ six semaines avant terme. Mme McNeil est restée à l'hôpital pendant plusieurs jours et a obtenu son congé le 18 juin 1968, avec le nouveau-né.

[16]      Le 24 juin 1968, Mme McNeil s'est présentée avec d'autres personnes à une cérémonie officielle de remise des certificats de citoyenneté, aux bureaux de la cour américaine de district à New York. Elle a alors prêté un serment d'allégeance et est devenue citoyenne américaine. Elle a reçu un certificat attestant qu'elle était citoyenne américaine et qu'elle était antérieurement de nationalité canadienne. Une copie du certificat de citoyenneté a été produite en preuve sous la cote P-2. En 1968, Mme McNeil avait trente-trois ans.

[17]      Le 7 août 1968, Mme McNeil et son mari ainsi que leurs deux jeunes enfants ont quitté les États-Unis en bateau, en direction de Londres, Angleterre, où M. McNeil devait exercer ses nouvelles fonctions auprès du service américain des douanes. Contrairement à son ancien emploi au sein du gouvernement américain, dans le cadre duquel il agissait notamment comme agent d'infiltration dans le cadre d'activités de surveillance et d'enquête, M. McNeil devait travailler dans les bureaux à Londres.

[18]      Environ quatre ans plus tard, en 1972, Mme McNeil et sa famille sont retournés aux États-Unis. La relation conjugale s'est désagrégée et, le 24 septembre 1976, Mme McNeil a obtenu une ordonnance de divorce rendue par un tribunal de la Californie.

[19]      Deux ans plus tard, en 1978, Mme McNeil est revenue avec ses enfants au Canada, où elle avait l'intention de vivre. À ce moment-là, ses parents étaient âgés et malades et son père était hospitalisé, à Toronto. En 1978, lorsque Mme McNeil est revenue au Canada, son fils Michael, qui était né le 12 juin 1968, est également tombé malade et a été hospitalisé à Toronto.

[20]      Lorsqu'elle est revenue au Canada en 1978, Mme McNeil s'est renseignée auprès d'un avocat spécialisé en droit de l'immigration, à Toronto, au sujet de son statut de citoyenne canadienne. L'avocat l'a informée qu'elle n'était plus citoyenne canadienne parce qu'elle avait obtenu la citoyenneté américaine dix ans plus tôt, en 1968, à New York. À la suite des conseils donnés par l'avocat, Mme McNeil a présenté aux autorités canadiennes une demande en vue de résider en permanence au Canada. Elle a témoigné qu'elle avait obtenu l'autorisation de présenter cette demande au Canada et que la procédure devait prendre environ trois mois.

[21]      Mme McNeil a pris des dispositions en vue d'inscrire ses enfants à l'école et elle a acheté une maison; elle a témoigné qu'elle avait suffisamment d'argent pour subvenir à ses besoins pendant la période d'attente envisagée. La demande de résidence permanente a censément été approuvée par le gouvernement canadien à la fin de l'année 1978; Mme McNeil a témoigné que son avocat l'avait informée qu'elle avait été admise à titre de résidente permanente, mais qu'elle ne se rappelait pas avoir reçu une fiche d'établissement. Une recherche a été effectuée dans les documents des défendeurs, mais aucune fiche d'établissement n'a été trouvée.

[22]      À la fin de l'année 1978, après avoir obtenu le statut de résidente permanente, ce qui lui donnait le droit de rester au Canada, Mme McNeil a décidé d'amener ses enfants vivre avec leur père, qui travaillait alors pour le service américain des douanes, à Montréal. Mme McNeil a pris cette décision parce qu'elle avait alors de graves problèmes financiers.

[23]      Mme McNeil a témoigné qu'un procès devait avoir lieu devant un tribunal de la Californie au sujet de la reprise d'un véhicule à moteur et qu'elle s'était rendue en Californie. Entre la fin de l'année 1978 et l'année 1983, elle a vécu aux États-Unis, mais elle a alors décidé de revenir au Canada. En 1983, lorsqu'elle est revenue à Toronto, Mme McNeil a communiqué avec son avocat, à Toronto, pour se renseigner au sujet de son statut de résidente permanente au Canada. L'avocat l'a informée qu'aucun statut juridique ne lui était reconnu au Canada parce qu'elle avait quitté le pays et qu'elle s'était installée aux États-Unis dès qu'elle avait obtenu son statut de résidente permanente, en 1978. Il l'a informée qu'elle devait présenter une nouvelle demande en vue d'obtenir le statut de résidente permanente.

[24]      Mme McNeil a déclaré avoir demandé conseil à un autre avocat de Toronto, qui lui a dit qu'elle était encore citoyenne canadienne. Elle a témoigné qu'en 1983, elle n'avait pas demandé à résider en permanence au Canada. En guise d'explication, elle a témoigné d'une façon passablement longue au sujet du temps qu'avait pris le traitement initial et du fait qu'elle ne croyait pas qu'une demande subséquente serait traitée d'une façon différente.

[25]      Depuis 1983 et jusqu'à ce jour, Mme McNeil a toujours vécu au Canada, même si elle a effectué de brefs séjours aux États-Unis.

[26]      Le 11 avril 1987, environ quatre ans après être revenue au Canada, Mme McNeil a demandé et obtenu un certificat de naissance de l'Ontario. Ce certificat lui a été délivré à Toronto, sous son nom de jeune fille, « Kathleen Louise Burt » . Le 15 avril 1987, Mme McNeil a utilisé ce certificat de naissance pour demander un passeport canadien sous son nom de jeune fille; dans sa demande, elle a déclaré qu'elle n'avait jamais été citoyenne d'un pays autre que le Canada. À l'instruction, elle a admis qu'il s'agissait d'une fausse déclaration.

[27]      Le 23 avril 1987, le gouvernement canadien a délivré à Mme McNeil un passeport canadien, sous son nom de jeune fille, sans savoir que depuis 1968, elle était citoyenne américaine. Le passeport canadien a expiré en 1992 et aucune demande n'a été présentée en vue de l'obtention d'un autre passeport.

[28]      À un moment donné en 1988, le fils de Mme McNeil, Leonard, qui était né aux États-Unis en 1963, a présenté une demande au Canada en vue d'obtenir la citoyenneté canadienne en se fondant sur le fait que, lorsqu'il était né, sa mère était citoyenne canadienne. Dans sa demande, Leonard McNeil a déclaré que sa mère était devenue citoyenne américaine après sa naissance, le 24 juin 1968. Leonard McNeil a obtenu la citoyenneté canadienne au mois de septembre 1989.

[29]      En 1991, Mme McNeil a retenu les services d'avocats à Toronto, pour qu'ils communiquent avec le gouvernement canadien en son nom et demandent que la citoyenneté canadienne lui soit reconnue. Le 25 février 1992, elle a obtenu une réponse du gouvernement canadien, par l'entremise de M. Drabkin, qui était alors adjoint spécial au ministre du Multiculturalisme et de la citoyenneté, M. Drabkin l'a informée qu'elle avait perdu sa citoyenneté canadienne, en application de la loi, environ vingt-huit ans plus tôt, lorsqu'elle était devenue citoyenne américaine, en 1968. Toutefois, il l'invitait, en sa qualité d'ancienne citoyenne canadienne, à présenter, conformément à la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, alors en vigueur, une demande de résidence permanente qui, si elle était agréée, lui permettrait de devenir citoyenne canadienne après avoir résidé pendant un an au Canada. Mme McNeil a refusé de présenter pareille demande.

[30]      Le 6 novembre 1992, la présente action a été intentée, Mme McNeil sollicitant un jugement déclaratoire portant qu'elle n'avait jamais perdu sa citoyenneté canadienne.

[31]      Dans cette action, il s'agit uniquement de savoir si Mme McNeil a acquis la citoyenneté américaine « par un acte volontaire » . La cérémonie à laquelle Mme McNeil a pris part le 24 juin 1968, lorsqu'elle a reçu un certificat de citoyenneté américaine à New York, était sans aucun doute « un acte formel » au sens de l'article 15 de la Loi sur la citoyenneté canadienne. susmentionnée. Cette disposition est ainsi libellée :

15. (1) Un citoyen canadien qui, se trouvant hors du Canada et n'étant pas frappé d'incapacité, acquiert, par un acte volontaire et formel autre que le mariage, la nationalité ou la citoyenneté d'un pays autre que le Canada, cesse immédiatement d'être citoyen canadien.

15.(1) A canadian citizen, who, when outside of Canada and not under a disability, by any voluntary and formal act other than marriage, acquires the nationality or citizenship of a country other than Canada, therupon ceases to be a Canadian citizen.

[32]      Mme McNeil soutient que les pressions auxquelles elle faisait face, notamment la naissance prématurée de son fils Michael, sa maladie et son hospitalisation subséquentes, le fait qu'elle savait que son mari voulait être affecté à l'étranger et qu'elle voulait l'appuyer, le fait qu'il avait fallu vider la maison à New York et se préparer à s'installer à l'étranger avec deux jeunes enfants, l'ont empêchée de prendre une décision indépendante au sujet des conséquences de l'obtention de la citoyenneté américaine. Elle soutient avoir agi sous contrainte.

[33]      Mme McNeil a témoigné qu'elle n'avait pas demandé conseil à des avocats ou au consulat, ou de fait à qui que ce soit, au sujet de l'effet de l'obtention de la citoyenneté américaine. Elle a témoigné qu'elle n'avait pas discuté avec son mari des conséquences y afférentes, le cas échéant. Elle n'a pas demandé conseil avant de prêter son serment d'allégeance le 24 juin 1968, ou par la suite, et ce, tant qu'elle n'est pas venue au Canada, en 1978.

[34]      En réponse, les défendeurs soutiennent que rien n'empêchait Mme McNeil de demander conseil à New York, à des membres de sa famille au Canada ou, de fait, à son arrivée à Londres, et qu'elle était tenue de se renseigner au préalable sur les conséquences de l'acquisition de la citoyenneté américaine.

[35]      Les avocats des deux parties m'ont référée à un certain nombre d'arrêts américains portant sur la question de la contrainte dans le contexte des affaires de citoyenneté. Toutefois, je note que la législation américaine sur la citoyenneté exige qu'une personne participe non seulement à un acte de dénaturalisation, mais qu'elle veuille aussi que pareil acte ait pour effet de lui faire perdre la citoyenneté américaine. La législation canadienne n'exige aucune intention de ce genre et, bien sûr, c'est ce dont il faut tenir compte en l'espèce.

[36]      Il est de droit constant qu'une personne est réputée connaître les conséquences de ses actes. De même, il est reconnu que l'ignorance de la loi n'excuse personne et je suis convaincue qu'il incombait à Mme McNeil de s'assurer dans un délai raisonnable des conséquences de l'acquisition de la citoyenneté américaine.

[37]      Il s'agit donc de savoir si Mme McNeil a démontré qu'en obtenant la citoyenneté américaine en 1968, elle n'avait pas agi volontairement. En d'autres termes, il s'agit de savoir si Mme McNeil agissait sous contrainte au moment où elle a pris part à la procédure menant à la délivrance par le gouvernement américain d'un certificat de naturalisation, le 24 juin 1968.

[38]      L'arrêt canadien qui fait autorité est l'arrêt Stott v. Merit Insurance Corporation (1988), 63 O.R. (2d) 545 (C.A. Ont.), dans lequel la Cour a conclu que pour qu'il soit possible de conclure à la contrainte, trois faits doivent être établis, à savoir :

     1.      Les pressions qui sont exercées doivent équivaloir à de la coercition;
     2.      Pareilles pressions doivent être exercées d'une façon illégitime;
     3.      La partie qui demande un redressement doit avoir pris des mesures en vue d'éviter l'acte reproché.

[39]      Dans le jugement Pao On v. Lau Yiu, [1979] 3 All E.R. 65, le Conseil privé a conclu que, pour étayer une conclusion de coercition, il doit exister quatre facteurs. Voici ce qu'a dit lord Scarman à la page 78 :

     [TRADUCTION]
     [...] En déterminant s'il y a eu coercition au point qu'il n'existait pas de consentement véritable, il faut se demander si la personne qui aurait censément été contrainte a protesté, si, au moment où elle a censément été contrainte à passer le contrat, la personne en question disposait d'une solution de rechange, comme un recours en justice adéquat; si elle a obtenu des conseils indépendants, et si, après avoir passé le contrat, elle a pris des dispositions en vue de l'éviter. [...]

[40]      Si j'applique le critère énoncé dans le jugement Pao On, supra, je dois me poser les questions suivantes :

     1.       La demanderesse a-t-elle protesté au moment où la question de la citoyenneté américaine s'est posée, relativement aux chances d'emploi de son mari?
     2.       La demanderesse disposait-elle d'une solution de rechange, à part le fait de demander la citoyenneté américaine?
     3.       La demanderesse a-t-elle reçu des conseils, et pas nécessairement d'ordre juridique?
     4.       Quelle est la période pertinente pour apprécier la demande qui a été faite à la demanderesse au sujet de l'acquisition de la citoyenneté américaine?

[41]      Compte tenu de la preuve, je conclus que Mme McNeil ne s'est pas opposée à la demande qui a été faite pour le compte de l'employeur de son mari, à savoir qu'elle devienne citoyenne américaine. Mme McNeil a témoigné que la chose ne lui plaisait pas particulièrement, mais qu'elle ne s'opposait pas à cette idée. Elle a décrit sa réaction en disant qu'elle était pour le moins fière d'avoir la possibilité d'être une citoyenne américaine. Il est clair que rien ne montre que Mme McNeil se soit opposée à l'idée de devenir citoyenne américaine.

[42]      Quant au deuxième point, à savoir si Mme McNeil disposait d'une solution de rechange, je conclus qu'il en existait un certain nombre.

[43]      Mme McNeil pouvait refuser de prendre part à la procédure menant à l'obtention de la citoyenneté américaine. Elle pouvait demander conseil soit à un avocat soit aux représentants du consulat canadien à New York, ou encore aux représentants du gouvernement canadien, au Canada. Elle pouvait demander qu'on lui laisse le temps de réfléchir à la demande que les autorités faisaient au sujet d'un changement de citoyenneté, compte tenu de sa grossesse avancée et du fait qu'elle devait s'occuper de son fils Leonard, qui avait alors deux ans.

[44]      De plus, Mme McNeil pouvait demander à son mari de se rendre à Londres sans elle, et lui dire qu'elle irait le rejoindre plus tard, une fois qu'elle se serait acquittée de ses obligations, qu'elle aurait vidé la maison à New York et se serait occupée du nouveau bébé, qui était né prématurément et qui était agité.

[45]      En outre, Mme McNeil et son mari n'étaient pas des jeunes gens non avertis. M. McNeil travaillait au bureau fédéral des stupéfiants et, selon la preuve, il avait parfois participé à des activités d'infiltration reliées à son emploi. Mme McNeil était actrice de télévision et elle avait travaillé à New York. De 1959 à 1968, elle avait toujours détenu une « carte verte » aux États-Unis.

[46]      J'infère de ce fait que Mme McNeil était dans une certaine mesure au courant de son statut de citoyenne canadienne travaillant aux États-Unis et qu'il n'est pas déraisonnable de s'attendre à ce qu'elle se renseigne au sujet de l'effet de l'obtention de la citoyenneté américaine sur son statut de citoyenne canadienne.

[47]      Quant au troisième élément, à savoir si Mme McNeil a reçu des conseils, il ressort clairement de la preuve qu'elle ne s'est pas rendue au consulat canadien, à New York, et qu'elle n'a pas demandé conseil à un avocat. De fait, elle n'a demandé conseil à personne.

[48]      Mme McNeil disposait d'un certain nombre de choix, à part le fait d'adopter la solution la plus facile, c'est-à-dire se conformer à la demande qui lui était faite au sujet de l'acquisition de la citoyenneté américaine, demande qui a été faite dans le contexte des nouvelles chances d'emploi de son mari.

[49]      Enfin, en appréciant les arguments invoqués par Mme McNeil, à savoir qu'elle n'avait pas eu le temps de réfléchir à la demande qui lui était faite au sujet de l'obtention de la citoyenneté américaine, il ressort de la preuve qu'il peut être tenu compte de trois périodes.

[50]      La première période allait du 10 au 18 juin. En effet, c'est le 10 juin que M. McNeil a reçu un appel téléphonique du service américain des douanes, l'informant de la politique qu'avait adoptée le gouvernement américain au sujet de la citoyenneté des conjoints des employés affectés à l'étranger et c'est le 18 juin que Mme McNeil est revenue de l'hôpital après avoir donné naissance à son fils Michael.

[51]      La deuxième période va du 10 juin 1968, soit la date à laquelle M. McNeil a reçu l'appel téléphonique, à la fin du mois d'août 1968, lorsque Mme McNeil est arrivée à Londres avec sa famille.

[52]      La troisième période pertinente va du mois de juin 1968 à l'année 1978, année où Mme McNeil est revenue au Canada. Mme McNeil a alors demandé conseil à un avocat. Il ressort de la preuve que, lorsqu'elle a été mise au courant de la situation, Mme McNeil n'a pas protesté contre la perte de sa citoyenneté canadienne, mais qu'elle a plutôt décidé de demander à résider en permanence au Canada.

[53]      Étant donné que la preuve est fondée sur l'argument selon lequel Mme McNeil agissait sous contrainte, je crois qu'il convient de retenir la deuxième période, allant du 10 juin 1968 à la fin du mois d'août 1968, aux fins de l'examen de la question de la contrainte.

[54]      Puisque telle est la période pertinente, je conclus qu'en arrivant à Londres, Mme McNeil aurait raisonnablement pu se renseigner au sujet de son statut. En fait, son mari travaillait pour le gouvernement américain dans les milieux diplomatiques. Il est raisonnable de s'attendre à ce que Mme McNeil ait pu demander conseil aux autorités canadiennes lorsqu'elle est arrivée à Londres au début de l'automne 1968.

[55]      Il est reconnu dans les arrêts que la contrainte financière est un genre de contrainte qui peut influer sur la nature volontaire d'un acte. Mme McNeil a témoigné qu'au début de son mariage, elle avait travaillé et que, même après la naissance de son fils Leonard, elle avait continué à travailler à New York. Après la naissance de son second enfant, elle était à la charge de son mari. Il semble que Mme McNeil se soit dans une certaine mesure sentie obligée de contribuer à la satisfaction personnelle de son mari sur le plan de son avancement professionnel. Toutefois, rien ne montre qu'elle se serait retrouvée sans soutien financier si elle avait décidé de refuser de se conformer à la demande qui lui était faite au sujet de l'acquisition de la citoyenneté américaine.

[56]      Pour en revenir aux éléments nécessaires afin d'établir la contrainte au sens juridique du terme, telle qu'elle a été définie par la Cour dans l'affaire Stott, supra, je conclus que Mme McNeil n'a pas établi qu'elle était contrainte de présenter une demande en vue d'obtenir la citoyenneté américaine. Mme McNeil n'a pas satisfait au critère, en ce qui concerne la « coercition » .

[57]      Deuxièmement, je dois me demander si les pressions auxquelles Mme McNeil était assujettie, du 10 juin jusqu'à la fin du mois d'août 1968, étaient illégitimes.

[58]      Je conclus qu'à ce moment-là, par suite des circonstances auxquelles elle faisait face, Mme McNeil était assujettie à des pressions énormes. Elle était enceinte, son enfant est né prématurément et tant la mère que l'enfant ont été hospitalisés pendant un certain temps après la naissance. À ce moment-là, Mme McNeil était également obligée de vider la maison familiale à New York et de s'occuper de l'installation à Londres.

[59]      Ce sont là des pressions auxquelles la vie familiale est assujettie. Ces pressions ne peuvent pas être qualifiées d'illégitimes en ce sens qu'elles iraient à l'encontre d'une loi.

[60]      En examinant le critère énoncé dans le jugement Pao On, supra, j'ai déjà traité du troisième élément qui a été examiné dans l'arrêt Stott, supra, à savoir les mesures prises par les parties qui sollicitent un redressement en vue d'éviter l'acte reproché. J'ai déjà conclu que Mme McNeil n'a pas pris de mesures dans un délai raisonnable en vue d'éviter les conséquences de l'obtention de la citoyenneté américaine.

[61]      Cette cour a examiné une question similaire dans la décision Young c. Secrétaire d'État, [1982] 2 C.F. 541 (1re inst.). Dans cette affaire-là, le demandeur avait acquis la citoyenneté américaine afin d'améliorer ses chances d'emploi aux États-Unis à titre de médecin. Mme McNeil soutient que le docteur Young n'était pas assujetti aux mêmes pressions qu'elle sur le plan temporel.

[62]      Je ne puis constater aucune différence de principe entre la situation qui existait dans l'affaire Young, supra, et celle qui existe dans la présente espèce. Il s'agit de savoir si Mme McNeil a volontairement pris part à la cérémonie par laquelle elle a acquis la citoyenneté américaine. Mme McNeil soutient qu'à ce moment-là, elle agissait sous contrainte. Toutefois, compte tenu de la preuve, je conclus qu'aucune contrainte, au sens juridique du terme, n'était exercée sur Mme McNeil au moment pertinent. Je conclus donc que Mme McNeil a acquis la citoyenneté américaine « par un acte volontaire » au sens de la Loi sur la citoyenneté canadienne susmentionnée.

[63]      Aucun argument n'a été invoqué au sujet de l'applicabilité de la Loi sur la citoyenneté actuelle et il n'est pas nécessaire de faire des remarques sur l'effet qu'aurait cette loi le cas échéant.

[64]      L'action est rejetée avec dépens.



                                 « Elizabeth Heneghan »

                             _______________________________

                                     J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme


Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :      T-2745-92

    

INTITULÉ DE LA CAUSE :      KATHLEEN BURT McNEIL c. LE SECRÉTAIRE D'ÉTAT ET AUTRE
LIEU DE L'AUDIENCE :      TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :      LE 12 MAI 2000

MOTIFS DU JUGEMENT du juge Heneghan en date du 15 septembre 2000


ONT COMPARU :

CATHERINE SMEE              POUR LA DEMANDERESSE
MARIE-LOUISE WCISLO              POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

CATHERINE SMEE              POUR LA DEMANDERESSE

TORONTO (ONTARIO)

MORRIS ROSENBERG              POUR LES DÉFENDEURS

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

TORONTO (ONTARIO)

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