Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20040130

Dossier : T-626-01

Référence : 2004 CF 153

ENTRE :

                                          LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           demandeur

                                                                          - et -

LE SYNDICAT DES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DES POSTES,

représenté par M. Dale Clark, président national

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

(Prononcés à l'audience à Ottawa (Ontario), le 28 janvier 2004)

LE JUGE HUGESSEN


[1]                Le présent litige découle de la grève postale de 1997 déclenchée par le syndicat défendeur. Le Parlement avait adopté une loi de retour au travail peu de temps après que la grève eut éclaté. En vertu de cette loi, la Couronne engage maintenant un procès dans le but de recouvrer les frais qui auraient été engagés aux étapes de l'arbitrage et de la médiation que la loi sur le retour au travail ordonnait. La loi comportait des dispositions qui rendaient la médiation et l'arbitrage obligatoires pour les deux parties, soit la Société canadienne des postes et le syndicat défendeur.

[2]                Je reproduis ci-dessous les dispositions des articles 8, 10 et 15 de la Loi de 1997 sur le maintien des services postaux, L.C. 1997, ch. 34 (la Loi), qui, selon moi, sont les articles clés pour bien comprendre l'espèce.


Médiateur-Arbitre

8. (1) Après l'entrée en vigueur de la présente loi, le ministre est tenu de nommer un médiateur-arbitre et de lui soumettre toutes les questions qui, au moment de sa nomination, font toujours l'objet d'un différend entre les parties en ce qui concerne la conclusion d'une nouvelle convention collective.

Mediator-Arbitrator

8. (1) The Minister shall, after the coming into force of this Act, appoint a mediator-arbitrator and refer to the mediator-arbitrator all matters that, at the time of the appointment, remain in dispute between the parties in relation to the conclusion of a new collective agreement.

Obligations

(2) Dans les quatre-vingt-dix jours suivant sa nomination, le médiateur-arbitre est tenu :

a) de s'efforcer d'intervenir sur les questions visées au paragraphe (1) et d'amener les parties à se mettre d'accord;

b) s'il ne peut y arriver, d'entendre les parties et de rendre une décision arbitrale;

c) de veiller à ce que les accords ou les décisions visés aux alinéas a) ou b) soient libellés de façon à pouvoir être incorporés dans la convention collective;

d) de faire rapport au ministre lorsque toutes ces questions sont réglées.

Duties

(2) The mediator-arbitrator shall, within ninety days after being appointed,

(a) endeavour to mediate all the matters referred to in subsection (1) and to bring about an agreement between the parties on those matters;

(b) if the mediator-arbitrator is unable to do so, hear the parties on the matter, arbitrate the matter and render a decision;

(c) ensure that any agreement or decision referred to in paragraph (a) or (b) is in appropriate contractual language so as to allow its incorporation into the collective agreement; and

(d) report to the Minister on the resolution of all such matters.


Pouvoirs

(3) Le médiateur-arbitre a, compte tenu des adaptations nécessaires :

a) dans le cadre de la médiation visée à l'alinéa (2)a), les pouvoirs d'un commissaire-conciliateur prévus à l'article 84 du Code canadien du travail;

b) dans le cadre de l'arbitrage visé à l'alinéa (2)b), les pouvoirs d'un arbitre prévus aux articles 60 et 61 de cette loi.

Powers

(3) The mediator-arbitrator has, with any modifications that the circumstances require,

(a) for the purposes of the mediation referred to in paragraph (2)(a), all the powers of a conciliation commissioner under section 84 of the Canada Labour Code; and

(b) for the purposes of the arbitration referred to in paragraph (2)(b), all the powers and duties of an arbitrator under sections 60 and 61 of that Act.Conseillers techniques

(4) Le médiateur-arbitre peut, avec l'approbation du ministre, retenir les services des conseillers techniques et autres experts ou des collaborateurs qu'il estime nécessaires.

Technical experts

(4) The mediator-arbitrator may, with the approval of the Minister, engage the services of any technical advisers or other experts or assistants that the mediator-arbitrator considers necessary.

Prorogation

(5) Le délai accordé au médiateur-arbitre pour s'acquitter des obligations prévues par le présent article peut être prorogé par le ministre ou d'un commun accord par l'employeur et le syndicat.

...

Extension of time

(5) The time during which the mediator-arbitrator may perform the duties and exercise the powers under this section may be extended by the Minister or by mutual consent of the employer and the union.

...

Impossibilité de recours judiciaires

10. Il n'est admis aucun recours ou décision judiciaire visant à :

a) soit contester la nomination du médiateur-arbitre;

b) soit réviser, empêcher ou limiter l'action du médiateur-arbitre, ou une décision de celui-ci.

...

Proceedings prohibited

10. No order may be made, no process may be entered into and no proceeding may be taken in court

(a) to question the appointment of the mediator-arbitrator; or

(b) to review, prohibit or restrain any proceeding or decision of the mediator-arbitrator.

...

Frais

15. Tous les frais que Sa Majesté du chef du Canada engage pour la nomination du médiateur-arbitre et l'acquittement par celui-ci des obligations que la présente loi lui impose sont des créances de Sa Majesté recouvrables à ce titre à parts égales auprès de l'employeur, d'une part, et du syndicat, d'autre part, devant tout tribunal compétent.

Costs

15. All costs incurred by Her Majesty in right of Canada relating to the appointment of the mediator-arbitrator and the exercise of the mediator-arbitrator's duties under this Act are debts due to Her Majesty in right of Canada and may be recovered as such, in equal parts from the employer and the union, in any court of competent jurisdiction.


[3]                À mon avis, ces dispositions sont claires. La Loi créait une entité quasi judiciaire indépendante investie de pouvoirs de contrainte importants qu'elle pouvait exercer sur les parties. En conformité avec le statut du médiateur-arbitre conféré par la loi, le juge Guy Richard, ancien juge en chef de la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick, avait été nommé médiateur-arbitre.

[4]                La médiation initiale menée par le juge Richard s'est avérée infructueuse et elle a été suivie immédiatement, comme le prévoyait la loi, par un arbitrage. Les délibérations ont été longues. Elles se sont poursuivies pendant toute l'année 1998 et presque toute l'année 1999, pour finir en décembre 1999, quand les parties sont finalement arrivées à un accord de principe sur la convention collective. La médiation et l'arbitrage comme tels ont pris fin en février de l'année suivante, quand le juge Richard a intégré cette convention collective à son rapport final, la rendant ainsi exécutoire pour les deux parties, l'employeur et le syndicat.

[5]                Au début de ses travaux, l'arbitre avait nommé trois avocats éminents pour l'aider dans ses fonctions. Les avocats ont assisté à toutes les séances et les deux parties le savaient, comme elles savaient quels avocats seraient nommés avant même qu'ils le soient. Leurs noms avaient été soumis aux parties à l'avance. En temps opportun, ils ont soumis leurs comptes d'honoraires à l'arbitre qui les a approuvés et les a remis au ministère fédéral approprié. La Couronne a payé ces comptes et elle souhaite maintenant recouvrer ces coûts et d'autres frais. Tel que prévu à l'article 15 de la Loi, les frais de médiation-arbitrage doivent être divisés à parts égales entre les parties. La Couronne a réussi à obtenir le paiement de la Société canadienne des postes, mais le syndicat défendeur, en l'espèce, refuse de payer.


[6]                À mon avis, il est clair aux termes de la Loi, et compte tenu de la nature et du statut de la personne qui a été nommée arbitre, que le gouvernement et le législateur avaient l'intention de créer une entité quasi judiciaire indépendante ayant des pouvoirs étendus, notamment celui de mettre un terme à un conflit de travail paralysant qui revêtait une grande importance pour l'ensemble de la population canadienne.

[7]                La Couronne n'avait aucun contrôle sur les délibérations présidées par le médiateur-arbitre. Elle n'était partie, ni à la médiation, ni à l'arbitrage, et elle n'était pas tenue de surveiller la façon dont le médiateur-arbitre s'acquittait de son mandat. En fait, elle ne pouvait le faire et continuer de respecter l'indépendance des fonctions que le médiateur-arbitre devait remplir.

[8]                Comme je l'ai dit, le syndicat défendeur refuse de payer la moitié des frais qui lui incombent, tel que prescrit à l'article 15, et ce pour deux motifs.

[9]                Premièrement, il affirme qu'il n'y a aucune preuve que l'arbitre avait obtenu l'approbation du ministre pour retenir les services des avocats à titre de conseillers techniques, comme l'exige le paragraphe 8(4) de la Loi. Cet argument est tout simplement sans fondement. Le juge Richard a attesté par écrit qu'il avait obtenu l'approbation du ministre avant de retenir les services des conseillers techniques. Il n'y a aucune preuve du contraire. Dès que les avocats ont été nommés, le syndicat en été informé, mais il a attendu toutes ces années avant de soulever une objection. Il aurait pu s'opposer à maintes reprises, mais il ne l'a pas fait. De plus, le juge Richard, en soumettant des factures périodiquement, indiquait très clairement qu'il approuvait ces dépenses et que les montants facturés étaient conformes aux services rendus.


[10]            L'allégation selon laquelle il aurait été impolitique ou dangereux pour le syndicat de contester la décision de l'arbitre de retenir les services de ces conseillers ne tient pas debout, surtout quand on sait que deux demandes ont été présentées à la Cour pendant le cours de la médiation et de l'arbitrage à l'encontre de certaines décisions prises par l'arbitre. Ai-je besoin de préciser que ces demandes ont été rejetées? De toute évidence, si le syndicat avait eu des motifs valides de mettre en doute la nomination des conseillers techniques, il aurait pu et aurait dû le faire plus tôt et ne pas attendre à maintenant, alors que la Couronne a payé les comptes et qu'elle ne peut recouvrer les frais qu'auprès des parties, ce qu'elle cherche à faire dans le cadre du présent litige.

[11]            Le deuxième motif important invoqué par le défendeur pour ne pas payer son dû est basé sur le prétendu non-respect de l'article 34 de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. 1985, ch. F-11, que je reproduis ci-dessous :


Marchés de fournitures, de services ou de travaux

34. (1) Tout paiement d'un secteur de l'administration publique fédérale est subordonné à la remise des pièces justificatives et à une attestation de l'adjoint ou du délégué du ministre compétent selon laquelle :

Payment for work, goods and services

34. (1) No payment shall be made in respect of any part of the public service of Canada unless, in addition to any other voucher or certificate that is required, the deputy of the appropriate Minister, or another person authorized by that Minister, certifies

a) en cas de fournitures, de services ou de travaux :

(a) in the case of a payment for the performance of work, the supply of goods or the rendering of services,


    (i) d'une part, les fournitures ont été livrées, les services rendus ou les travaux exécutés, d'autre part, le prix demandé est conforme au marché ou, à défaut, est raisonnable,

    (i) that the work has been performed, the goods supplied or the service rendered, as the case may be, and that the price charged is according to the contract, or if not specified by the contract, is reasonable,     (ii) tout paiement anticipé est conforme au marché,

    (ii) where, pursuant to the contract, a payment is to be made before the completion of the work, delivery of the goods or rendering of the service, as the case may be, that the payment is according to the contract, or

    (iii) si le paiement est à effectuer antérieurement à la détermination de l'admissibilité selon les règles et méthodes prévues au paragraphe (2), la demande de paiement est raisonnable;

    (iii) where, in accordance with the policies and procedures prescribed under subsection (2), payment is to be made in advance of verification, that the claim for payment is reasonable; or

b) en tout autre cas, le bénéficiaire est admissible au paiement.

(b) in the case of any other payment, that the payee is eligible for or entitled to the payment.


[12]            Même s'il semble assez évident que les fonctionnaires responsables d'effectuer le paiement des comptes pour le ministère fédéral concerné ont pu penser par esprit de routine que le libellé de l'article 34 s'appliquait à de tels paiements, à mon avis, ce n'est pas le cas. Selon moi, l'arbitre, un juge d'une cour supérieure, n'est pas et n'était pas de quelque façon que ce soit, à l'époque en cause, fonctionnaire ou membre de la fonction publique du Canada et les dépenses qu'il a engagées dans l'exercice de ses fonctions en application de la loi sur le retour au travail n'ont aucun lien avec la fonction publique du Canada.

[13]            Même si j'avais tort sur ce point, il reste que, selon les éléments de preuve présentés et vu l'état de cette preuve étant donné que le défendeur n'a présenté aucun élément de preuve sérieux, il n'y a eu aucune infraction à cette loi. Tous les paiements ont été certifiés et approuvés par l'arbitre. Son indépendance judiciaire interdisait toute ingérence de la part du gouvernement dans la façon dont il exerçait ses fonctions.

[14]            Le défendeur donne à entendre que certains montants facturés n'étaient pas raisonnables, mais il n'y a aucune preuve en ce sens et il incombe au défendeur de prouver que certains paiements n'étaient pas raisonnables.

[15]            L'avocat du défendeur a fait valoir deux points subsidiaires mineurs dans le cours de l'argumentation. Il a d'abord affirmé que la Couronne avait manqué à son obligation fiduciaire envers le défendeur. À mon avis, la Couronne n'avait aucune obligation fiduciaire envers le défendeur. Il n'y a obligation fiduciaire que si une personne peut exercer un pouvoir discrétionnaire, et selon moi, la Couronne n'avait aucun pouvoir discrétionnaire quant au paiement des comptes que le juge Richard présentait dûment approuvés et certifiés.


[16]            Le deuxième point mineur est qu'il semblerait que certains comptes couvraient des montants non autorisés, comme des frais de location de locaux et des paiements aux cabinets d'avocats des trois principaux conseillers techniques pour des services rendus occasionnellement par d'autres membres de ces cabinets. Pour ce qui est de la première objection, tous les paiements ont été approuvés et certifiés par le juge Richard et cela écarte également la deuxième objection. De plus, je suis d'avis que la présentation des comptes pour les services rendus par des membres juniors ou d'autres membres d'un cabinet d'avocat est pratique courante quand les services d'un avocat sont retenus. Puis il faudrait prouver, ce qui n'a pas été fait, que le travail effectué par les membres non identifiés de ces trois cabinets d'avocats était tellement extrinsèque aux fonctions pour lesquelles l'avocat avait été engagé que ce travail était en soi déraisonnable. Rien de cela n'a été démontré.

[17]            La Cour rendra une ordonnance relative au paiement par le défendeur à la Couronne du montant réclamé, avec dépens à taxer. La question des intérêts a été soulevée pendant l'audience et elle n'a pas été examinée de façon aussi approfondie qu'elle aurait pu l'être. J'ai eu l'impression que les avocats des deux parties ont été pris de court quant au taux d'intérêt exact à imposer et quant à la façon de l'autoriser. Je laisserai donc à l'avocat du demandeur, dans un premier temps, le soin de présenter une requête en vertu de la règle 369 des Règles de la Cour fédérale (1998), au plus tard le 9 février 2004, pour ce qui est d'une ordonnance concernant les intérêts, et l'avocat du défendeur pourra y répondre au plus tard le 19 février 2004.

                                                                                                                        _ James K. Hugessen _               

                                                                                                                                                     Juge                              

Ottawa (Ontario)

Le 30 janvier 2004

Traduction certifiée conforme

Josette Noreau, B.Trad.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     T-626-01

INTITULÉ :                                                    LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

c.

LE SYNDICAT DES TRAVAILLEURS ET DES TRAVAILLEUSES DES POSTES

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 28 JANVIER 2004

LIEU DE L'AUDIENCE :                              OTTAWA (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LE JUGE HUGESSEN

DATE :                                                            LE 30 JANVIER 2004

COMPARUTIONS :

Elizabeth Richards                                             POUR LE DEMANDEUR

Thomas McDougall et                                        POUR LE DÉFENDEUR

Barbara Nicholls

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris A. Rosenberg                                         POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

Perley-Robertson,                                             POUR LE DÉFENDEUR

Hill & McDougall

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.