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Date : 20020418

Dossier : T-678-01

Référence neutre : 2002 CFPI 441

ENTRE :

                                                                    PIERRE TRUDEAU,

                                                                                                                                               demandeur

                                                                              - et -

                                                PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

                                                                                                                                                  défendeur.

                                                        MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE NADON

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision de la Section d'appel de la Commission nationale des libérations conditionnelles (la « Section d'appel » ) rendue le 21 mars 2001.

[2]                 Par sa décision, la Section d'appel confirmait la décision de la Section de première instance, qui avait révoqué la libération conditionnelle totale du demandeur afin de lui accorder une semi-liberté.

[3]                 Les motifs de la présente demande, tels qu'ils sont formulés par le demandeur dans sa demande de contrôle judiciaire, sont les suivants:

·              La Section d'appel de la CNLC a commis une erreur de droit en statuant que la Section de première instance n'était pas functus officio lorsqu'elle a rendu une seconde décision après avoir constaté une erreur dans le cadre de sa compétence;

·              La Section d'appel de la CNLC a rendu une décision fondée sur une conclusion de faits erronée en confirmant la décision manifestement déraisonnable de la Section de première instance basée entièrement sur des faits erronés ou non-fiables;

[4]                 Pour les motifs qui suivent, j'en viens à la conclusion que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[5]                 La première erreur soulevée par le demandeur est à l'effet que la Section d'appel a erré lorsqu'elle a décidé que la Section de première instance n'était pas functus officio lorsqu'elle a modifié la première décision rendue le 2 novembre 2000. Un bref résumé des faits sera utile pour disposer de cette question.

[6]                 Le 12 mars 1992, le demandeur commençait à servir une peine de 4 ans et 11 jours pour des délits contre les biens et des infractions au code de la sécurité routière et à des règlements municipaux. Spécifiquement, le demandeur, entre 1989 et 1992, a volé des automobiles et des motocyclettes.


[7]                 Conformément à l'article 119.1 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (la « Loi » ), le demandeur devenait éligible à la semi-liberté après avoir purgé un sixième de sa peine d'emprisonnement. Par conséquent, dans un premier temps, la Section de première instance octroyait au demandeur une semi-liberté. Le demandeur a donc séjourné au CRC Phoenix durant cette période de semi-liberté.

[8]                 Aux termes de l'article 120 de la Loi, le demandeur devenait éligible à une libération conditionnelle totale après l'expiration du tiers de sa peine d'emprisonnement. Par conséquent, dans une deuxième temps, la Section de première instance lui accordait, le 10 décembre 1993, une libération conditionnelle totale et assujettissait sa libération d'une condition d'hébergement au CRC Carrefour Nouveau-Monde (le CRC Phoenix étant devenu le CRC Carrefour Nouveau-Monde).

[9]                 Dans les faits, comme le signale le défendeur, la situation du demandeur en libération conditionnelle totale était identique à sa situation en semi-liberté, puisqu'il devait continuer à séjourner en maison de transition.

[10]            Le 25 août 1993, le demandeur a cessé de se rapporter au CRC Carrefour Nouveau-Monde, et un mandat de suspension de sa libération conditionnelle fut émis.

[11]            Ce n'est que le 15 mai 2000 que le mandat de suspension a été exécuté, lorsque le demandeur a été arrêté par la police. Donc, le demandeur a été en liberté illégale pendant un peu plus de sept ans.


[12]            Selon le paragraphe 128(1) de la Loi, un délinquant n'est pas présumé avoir purgé sa peine d'emprisonnement lorsqu'en liberté illégale. Le paragraphe se lit comme suit:


128. (1) Le délinquant qui bénéficie d'une libération conditionnelle ou d'office ou d'une permission de sortir sans escorte continue, tant qu'il a le droit d'être en liberté, de purger sa peine d'emprisonnement jusqu'à l'expiration légale de celle-ci.

128. (1) An offender who is released on parole, statutory release or unescorted temporary absence continues, while entitled to be at large, to serve the sentence until its expiration according to law.


[13]            Par conséquent, vu l'arrestation du demandeur le 15 août 2000, la date finale de son emprisonnement devenait le 12 mars 2003.

[14]            Par la suite, le Service correctionnel du Canada procédait à une évaluation de la situation du demandeur, afin d'éclairer la Commission relativement à la décision qu'elle devait prendre conformément à l'alinéa 135(3)a)[1] et le paragraphe 135(5) de la Loi, qui se lisent comme suit:



135. (3) La personne qui a signé le mandat visé au paragraphe (1), ou toute autre personne désignée en vertu de ce paragraphe, doit, dès que le délinquant mentionné dans le mandat est réincarcéré, examiner son cas et :

a) dans le cas d'un délinquant qui purge une peine d'emprisonnement de moins de deux ans, dans les quatorze jours qui suivent si la Commission ne décide pas d'un délai plus court, annuler la suspension ou renvoyer le dossier devant la Commission, le renvoi étant accompagné d'une évaluation du cas; [...]

135. (5) Une fois saisie du dossier d'un délinquant qui purge une peine de deux ans ou plus, la Commission examine le cas et, dans le délai réglementaire, à moins d'accorder un ajournement à la demande du délinquant:

a) soit annule la suspension si elle est d'avis, compte tenu de la conduite du délinquant depuis sa libération conditionnelle ou d'office, qu'une récidive du délinquant avant l'expiration légale de la peine qu'il purge ne présentera pas un risque inacceptable pour la société;

b) soit, si elle n'a pas cette conviction, met fin à la libération si celle-ci a été suspendue pour des raisons qui ne sont pas imputables au délinquant ou la révoque, dans le cas contraire;

c) soit révoque la libération ou y met fin si le délinquant n'y est plus admissible ou n'y a plus droit.

135. (3) The person who signs a warrant pursuant to subsection (1) or any other person designated pursuant to that subsection shall, forthwith after the recommitment of the offender, review the offender's case and

(a) where the offender is serving a sentence of less than two years, cancel the suspension or refer the case to the Board together with an assessment of the case, within fourteen days after the recommitment or such shorter period as the Board directs; [...]

135. (5) The Board shall, on the referral to it of the case of an offender serving a sentence of two years or more, review the case and, within the period prescribed by the regulations, unless the Board grants an adjournment at the offender's request;

(a) cancel the suspension, where the Board is satisfied that, in view of the offender's behaviour since release, the offender will not, by reoffending before the expiration of the offender's sentence according to law, present an undue risk to society;

(b) where the Board is not satisfied as provided in paragraph (a), terminate the parole or statutory release of the offender if it was suspended by reason of circumstances beyond the offender's control or revoke it in any other case; or

(c) where the offender is no longer eligible for the parole or entitled to be released on statutory release, terminate or revoke it.


[15]            Comme il appert de ces dispositions de la Loi, la Commission pouvait soit révoquer la libération conditionnelle du demandeur, ou y mettre fin, ou annuler la suspension de sa libération conditionnelle.


[16]            Le 2 novembre 2000, la Commission tenait une audience en vue de prendre une décision concernant le cas du demandeur. Après avoir entendu le demandeur et un agent du Service correctionnel du Canada, la Section de première instance rendait verbalement la décision suivante, que l'on retrouve aux pages 71 à 74 de la transcription du 2 novembre 2000:

MONSIEUR LE COMMISSAIRE:

Alors, M. Trudeau, la Commission, on a bien étudié votre dossier avant de vous rencontrer. On a pris en considération les observations présentées par vos surveillants, ainsi que par une conseillère clinique. On a également écouté les représentations formulées par votre assistante puis on a discuté avec vous.

Alors, aux termes de cet examen, la commission est arrivée à la décision d'annuler la suspension de votre libération conditionnelle.

Par ailleurs, vous allez être assujetti, dorénavant puisque vous êtes toujours en libération conditionnelle totale, vous êtes toujours sous le coup d'une peine d'emprisonnement et en libération conditionnelle totale - vous allez être assujetti à une condition d'hébergement pendant six (6) mois., de préférence au CRC Carrefour Nouveau-Monde et vous allez également être assujetti à la condition spéciale que vous aviez auparavant, qui est en vigueur justement, qui a toujours en vigueur, de ne pas fréquenter des personnes possédant un casier judiciaire. Vous aviez cette condition-là spéciale.

Les raisons pour lesquelles cette décision-là a été prise sont les suivantes. C'est qu'on a révisé, évidemment, les notes faisant état de votre progression en maison de transition. On notait beaucoup de difficulté à prendre vos responsabilités, une certaine immaturité - qui s'est bien traduite, d'ailleurs, par une décision de partir en liberté illégale. Alors ... et, par la suite, de même, si ... ce qu'on sait de votre comportement - depuis les sept (7) dernières années ... ne semble pas avoir été criminel, vous avez continuer à faire montre d'irresponsabilité en continuant d'assumer un statut de liberté illégale, en contrevenant à la loi à ce moment-là.

La Commission doit prendre en considération, évidemment, le risque pour la société qui nous apparaît ne pas être inacceptable. Donc, on ne voit pas la nécessité de révoquer votre libération conditionnelle et de vous réincarcérer, on ne croit pas que ce soit nécessaire pour la protection de la société. Mais, d'un autre côté, on doit prendre en considération les mesures requises pour s'assurer d'une réinsertion sociale en tant que citoyen respectueux des lois.

MONSIEUR PIERRE TRUDEAU:

O.K.

MONSIEUR LE COMMISSAIRE:


Ce que vous n'avez pas été durant les sept (7) dernières années, vous n'étiez pas respectueux des lois. Alors, la loi nous dicte de prendre des mesures pour vous encadrer. Également, le mode de vie qui nous a été rapporté, votre emploi, votre niveau de revenus, suggère évidemment ... soulève des questions quant à votre maturité puis à votre autonomie personnelle. Ce sont toutes des choses qui peuvent être traitées en maison de transition où vous allez recevoir aide et support pour réintégrer la société, encore une fois, en tant que citoyen respectueux des lois. C'est un petit bout de phrase qui est très important.

Alors, c'est la décision de la Commission pour aujourd'hui. Alors, on vous souhaite bonne chance. Vous allez être orienté en maison de transition à partir du moment, aussitôt que possible, c'est-à-dire, à partir du moment où vous allez être accepté. C'est de préférence à Carrefour Nouveau-Monde et si, par hasard, il y avait un problème - ce qui est très probable - ce sera dans un autre CRC et il y a un petit délia qui va intervenir, qui n'est normalement pas très long, mais ça va être aussitôt que possible ...

[17]            Comme il appert de cet extrait de la transcription, la Section de première instance a, en premier lieu, annulé la suspension de la libération conditionnelle du demandeur, aux termes de l'alinéa 135(5)a) de la Loi. En second lieu, puisque la Section de première instance considérait que le demandeur était toujours en libération conditionnelle totale, elle assujettissait sa libération conditionnelle totale à deux conditions, à savoir une condition d'hébergement pendant six mois et une obligation de ne pas fréquenter des personnes ayant un casier judiciaire. À la lecture des motifs de la Section de première instance, il ne fait aucun doute pourquoi elle a imposé des conditions au demandeur. Selon la Section de première instance, parce que le demandeur avait, dans le passé, et plus particulièrement durant les années où il avait été en liberté illégale, fait preuve d'irresponsabilité, il y avait nécessité de l'encadrer. C'est pourquoi, inter alia, la Section de première instance lui a imposé une condition d'hébergement dans une maison de transition, ce qui, comme le signale le défendeur, équivalait à une semi-liberté.


[18]            Immédiatement après avoir rendue sa décision, la Section de première instance a été informée par un agent du Service correctionnel qu'il y avait un problème sérieux avec la décision, en ce que le demandeur, vu le paragraphe 135(11) de la Loi, n'aurait jamais à se conformer aux conditions qui lui avaient été imposées. En effet, le paragraphe 135(11) de la Loi prévoit ce qui suit:


135. (11) En cas d'annulation de la suspension de la libération conditionnelle, ou d'office, le délinquant est réputé, pour l'application de la présente loi, avoir purgé sa peine pendant la période commençant à la date de la suspension et se terminant à la date de l'annulation.

135. (11) For the purposes of this Act, where a suspension of parole or statutory release is cancelled, the offender is deemed, during the period beginning on the day of the issuance of the suspension and ending on the day of the cancellation of the suspension, to have been serving the sentence to which the parole or statutory release applies.


[19]            Puisque la suspension de sa libération conditionnelle était annulée, le demandeur était réputé avoir purgé sa peine durant la période commençant le 25 août 1993 jusqu'au 2 novembre 2000. Dans ces circonstances, le demandeur n'aurait pas à se conformer aux conditions qui lui avaient été imposées, puisque sa peine d'emprisonnement était terminée depuis 1995.

[20]            Ayant réalisé le problème qui résultait de la décision qu'elle venait de prendre, la Section de première instance a suspendu l'audition pour quelques minutes. À leur retour, les Commissaires rendaient la décision suivante, que l'on retrouve aux pages 80 à 82 de la transcription du 2 novembre 2000:

MONSIEUR LE COMMISSAIRE:


La décision écrite - qui va être traduite - a toujours prépondérance, d'ailleurs - en tout cas, en ce qui concerne notre façon de traiter sur les décisions verbales. Mais la décision verbale va être corrigée pour tenir compte d'une erreur d'information qui nous a été acheminée. Cette erreur d'information-là est corrigée pour traduire dans d'autres termes la décision de la Commission pour refléter, de façon appropriée, l'intention de la Commission qui demeure inchangée.

Alors, comme mon collègue l'exprime, nous pourrez en appeler de cette inconsistance ou, enfin, ce court imprévu des procédures. Vous pourrez - et c'est votre privilège. Maintenant, l'intention de la Commission est claire et va se traduire dans une décision qui va être expliquée dans quelques minutes.

[...]

... Je vais vous dire la façon dont la Commission va procéder à ce moment ici avec l'audience et avec la décision qui va être rendue, puisque dans le cours de l'exposé de la décision de la Commission qui traduisait son intention, on a été informés que cette décision-là ne traduirait peut-être pas l'intention de la Commission, que l'annulation, effectivement, de la suspension annulerait le mandat - ce qui n'est pas l'intention de la Commission puisqu'on veut gérer que le risque que représente la personne soit géré adéquatement.

Alors, présentement, je considère votre intervention comme étant terminée et je vais rendre la décision de la Commission telle que révisée à ce moment ici.

Alors, l'intention, monsieur Trudeau, de la Commission est à l'effet que votre comportement et la façon dont vous avez effectué votre stage en maison de transition, la décision de partir en liberté illégale, de demeurer en liberté illégale, les informations qu'on a subséquemment sur votre mode de vie qui peuvent traduire un certain manque de maturité et d'autonomie, amènent la Commission à conclure que le risque pour la société est inacceptable ... libération conditionnelle total et révoque, donc, votre libération conditionnelle totale.

Cependant, la Commission prend également en considération les autres informations qui sont à l'effet que, selon toute information disponible, vous n'auriez pas commis d'autres activités criminelles et que le séjour en maison de transition vous fournirait l'aide et la surveillance dont vous avez besoin pour assumer votre réinsertion sociale.

Alors, la Commission est d'avis que le risque pour la société n'est pas inacceptable en semi-liberté et, en ce sens, vous accorde une semi-liberté, un court séjour au CRC Carrefour Nouveau-Monde, de préférence, pour une durée de six (6) mois assortie de la condition spéciale d'éviter ... de ne pas être en contact avec des personnes possédant un casier judiciaire.

[21]            À cette même date du 2 novembre 2000, la Section de première instance rendait sa décision écrite, confirmant la décision verbale rendue plus tôt. La décision écrite se lit, en partie, comme suit:

Après avoir discuté avec vous en cours d'audience, la Commission a constaté que votre attitude d'ensemble est positive. Malgré cela, vous avez fait montre au cours des 7 dernières années d'irresponsabilité et d'une certaine incapacité de respecter la loi et d'assumer les conséquences de vos décisions. Ces lacunes avaient d'ailleurs été relevées lors de votre dernier séjour en maison de transition. Les informations disponibles au sujet de votre mode de vie durant cette période laissent planer des doutes au sujet de votre maturité et de votre capacité d'assumer votre existence de manière autonome et en respectant les règles sociales.

Ce comportement et ces attitudes soulèvent des doutes suffisants pour que la Commission estime que le risque pour la société est inacceptable en libération conditionnelle totale. En conséquence, la Commission révoque la libération conditionnelle totale.

Par ailleurs, la Commission est d'avis que le risque pour la société ne sera pas inacceptable en semi-liberté. En effet, un séjour en maison de transition, de préférence au CRC Carrefour Nouveau-Monde, vous fournira laide et la surveillance dont vous avez besoin pour effectuer votre réinsertion sociale en tant que citoyen respectueux des lois.

En semi-liberté, il vous sera interdit de communiquer de manière non fortuite avec toute personne qui possède un casier judiciaire puisqu'il a été déterminé que, dans le passé, vous avez commis vos crimes avec de telles personnes, en relation avec elles ou sous leur influence. Afin d'éviter la récidive criminelle, il devient donc impératif que vous évitiez la compagnie d'autres délinquants.

Cette condition spéciale à laquelle vous serez assujetti vise

Exercer un contrôle sur les causes de votre criminalité. En ce sens, elles raisonnable et nécessaire pour la protection du public ainsi que pour favoriser votre réinsertion sociale.

[22]            Le 4 décembre 2000, le demandeur interjetait appel à l'encontre de la décision de la Section de première instance, aux motifs que cette dernière était functus officio au moment de rendre la décision écrite et que, de toute façon, la décision était manifestement déraisonnable.


[23]            Le 16 mars 2001, la Section d'appel rejetait l'appel du demandeur. Selon la Section d'appel, la Section de première instance n'avait commis aucune erreur relativement à l'évaluation du risque présenté par le demandeur. De plus, la Section d'appel concluait que la Section de première instance n'était pas functus officio lorsqu'elle avait modifié la première décision rendue oralement lors de l'audience le 2 novembre 2000.

[24]            L'argument du demandeur concernant la première question en litige est fort simple. Selon le demandeur, la Section de première instance, ayant rendue sa décision oralement le 2 novembre 2000, ne pouvait modifier cette décision, puisqu'elle était devenue functus officio.

[25]            De toute évidence, comme le concède le demandeur, l'intention de la Section de première instance était, dès le début, d'envoyer le demandeur en maison de transition. Par conséquent, à mon avis, lorsque la Section de première instance déclare (à la page 72 de la transcription) que « ... le risque pour la société ... nous apparaît ne pas être inacceptable » , elle voulait sûrement dire que le risque était acceptable dans la mesure où le demandeur séjournait en maison de transition.


[26]            À mon avis, lorsque la Section de première instance a modifié sa décision suite à l'information qu'elle a reçue durant l'audience, celle-ci n'était nullement functus officio. Dans Chandler c. Alberta Association of Architects, [1989] 2 R.C.S. 848, la Cour suprême du Canada devait décider si la Commission de révision des pratiques de l'Association des architectes de l'Alberta était functus officio, suite à l'émission d'un rapport sur les pratiques ayant entraînées la faillite du Chandler Kennedy Architectural Group. À la page 860, le juge Sopinka, pour la majorité, expliquait que la règle générale à l'effet qu'on ne saurait revenir sur une décision judiciaire définitive comportait deux exceptions, à savoir lorsqu'il y avait eu lapsus lors de la rédaction de la décision et lorsqu'il y avait une erreur dans l'expression de l'intention manifeste de la cour.

[27]            Dans la même veine, Madame le juge l'Heureux-Dubé, dissidente, écrivait ce qui suit, à la page 867:

En vertu du principe du functus officio, une instance décisionnelle, qu'il s'agisse d'un arbitre, d'un tribunal administratif ou d'une cour de justice ne peut modifier sa décision après l'avoir rendue, sauf afin de rectifier des fautes matérielles ou des erreurs imputables à un lapsus ou à une omission (Re Nelsons Laundries Ltd. and Laundry, Dry Cleaning and Dye House Workers' International Union, Local No. 292 (1964), 44 D.L.R. (2d) 463 (C.S. C.-B.)) « Permettre à l'instance décisionnelle de se pencher encore sur la question de sa propre initiative, sans réentendre toute l'affaire est contraire à ce principe » (mémoire des appelants, à la p. 19).

Dans la décision Re Nelsons Laundries Ltd., le juge Verchère cite l'arrêt Lewis v. Grand Trunk Pacific Railway Co. (1913), 13 D.L.R. 152 (C.A.C.-B.), à la p. 154:

[Traduction] Il s'agit donc de déterminer à quel moment la décision a été rendue. À mon avis, c'est lorsque l'arbitre a tout fait ce qu'il pouvait faire, c'est-à-dire lorsqu'il a consigné sa décision par écrit et l'a publiée à ce titre.

Plus loin, à la page 870, Madame le juge L'Heureux-Dubé énonçait ce qui suit:


Lorsqu'une décision est rendue et qu'il ne reste plus rien à compléter, l'instance décisionnelle est incontestablement functus officio: toute mesure additionnelle serait prise en l'absence de toute compétence (Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1985] 1 C.F. 253 (C.A.), confirmé par [1989] 1 R.C.S. 1038). Donc, si la Commission est perçue comme ayant discrétion pour décider de faire ou non des recommandations et si l'arrêt de la Cour d'appel de l'Alberta est maintenu, le principe de functus officio serait privé de tout effet.

[28]            Finalement, j'aimerais faire référence à la décision de la Cour d'appel fédérale dans Shairp c. M.R.N., [1989] 1 F.C. 562, et plus particulièrement aux propos du juge Marceau que l'on peut lire au paragraphe 6 (pages 566-567) de la décision:

Je préférerais aborder la question de savoir si le juge pouvait revenir dans le courant de l'après-midi sur la conclusion qu'il avait annoncée le matin en me fondant sur les propositions suivantes. Premièrement, il s'agit exclusivement d'une question de compétence. Deuxièmement, la seule raison possible pour laquelle le juge aurait pu n'avoir pas la compétence de modifier sa conclusion est que sa déclaration du matin l'avait dessaisi de l'affaire, de sorte que désormais ses liens avec celle-ci se limitaient à la correction des erreurs fortuites. Troisièmement, la déclaration faite le matin n'aurait pu dessaisir le juge que si, comme telle, elle avait eu pour effet de décider l'appel de façon finale.

[29]            Je suis donc d'avis que la Section de première instance n'était pas functus officio lorsqu'elle a modifié sa décision initiale, puisqu'il ne peut faire de doute qu'il y avait erreur dans l'expression de son intention manifeste. À mon avis, ce n'est que lorsque la Section de première instance, suite à la réalisation que son jet initial comportait une erreur, a rendu la décision qui traduisait manifestement son intention, qu'elle est devenue functus officio relativement au cas du demandeur. Cette décision est celle que l'on retrouve aux pages 80 à 82 de la transcription du 2 novembre 2000.

[30]            L'argument du demandeur concernant le première point en litige sera donc rejeté.


[31]            Je vais maintenant m'adresser à la deuxième question soulevée par la demande de contrôle judiciaire. Selon le demandeur, la Section d'appel a commis une erreur en confirmant la décision de la Section de première instance, que le demandeur qualifie de « décision manifestement déraisonnable » . Selon le demandeur, la Section de première instance, en concluant comme elle l'a fait, « s'est basée entièrement sur des faits erronés ou non fiables » .

[32]            J'ai déjà reproduit la décision verbale telle que révisée, rendue par la Section de première instance le 2 novembre 2000. Tel qu'il appert de cette décision, la Section de première instance a révoqué la libération conditionnelle totale du demandeur et a conclu qu'un régime de « semi-liberté » serait approprié dans les circonstances. C'est pourquoi, la Section de première instance a ordonné que le demandeur devait séjourner en maison de transition, « de préférence, au CRC Carrefour Nouveau-Monde » . De l'avis de la Section de première instance, ce séjour en maison de transition avait pour but de permettre, par voie d'aide et de surveillance, la réinsertion sociale du demandeur « en tant que citoyen respectueux des lois » (décision écrite du 2 novembre 2000).


[33]            Après un examen attentif de tout le dossier, j'en viens à la conclusion que la Section d'appel n'a commis aucune erreur en confirmant que la décision de la Section de première instance était raisonnable. Spécifiquement, je conclus que la conclusion de la Section de première instance, selon laquelle le risque pour la société était acceptable dans la mesure où le demandeur séjournait en maison de transition, est raisonnable. Au paragraphe 43 de son mémoire, le défendeur met de l'avant les faits suivants comme étant suffisants pour soutenir la décision de la Section de première instance:

·           pendant que le défendeur était en maison de transition avant de partir en liberté illégale, les difficultés qu'il avait à prendre ses responsabilités et son manque de maturité avaient été notées par les autorités;

·           les difficultés du demandeur sont à la base de sa décision de partir en liberté illégale;

·           pendant la période durant laquelle le demandeur a été en liberté illégale (sept ans), il a continué à ne pas prendre ses responsabilités et à ne pas se conformer à la loi;

·           le mode de vie du demandeur pendant sa liberté illégale, plus spécifiquement son emploi et ses revenus soulèvent des questions concernant sa maturité et son autonomie personnelle:

i)          il a travaillé pour son père dans la construction et a gagné des revenus d'environ 6 000,00$ par année;

ii)         un emploi pouvant lui rapporter environ 30 000,00$ par année lui a été offert, mais il l'a refusé;

iii)         ses parents l'ont hébergé durant la période de liberté illégale.

[34]            À mon avis, compte tenu de tous ces éléments, je vois difficilement comment l'on peut prétendre que l'évaluation du risque par la Section de première instance est déraisonnable.

[35]            Selon le demandeur, le fait qu'il ait passé sept ans en liberté illégale n'est pas un facteur pertinent dans l'évaluation du risque qu'il pouvait poser pour la société. À mon avis, cette suggestion ne peut être retenue.

[36]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire du demandeur sera rejetée, le tout sans frais.

                                                                                                                   

                                                                                                             Juge

O T T A W A (Ontario)

Le 18 avril 2002



[1] L'alinéa 135(3)a) fait référence au paragraphe 135(1), qui se lit comme suit:

135. (1) En cas d'inobservation des conditions de la libération conditionnelle ou d'office ou lorsqu'il est convaincu qu'il est raisonnable et nécessaire de prendre cette mesure pour empêcher la violation de ces conditions ou pour protéger la société, un membre de la Commission ou la personne que le président ou le commissaire désigne nommément ou par indication de son poste peut, par mandat:

a) suspendre la libération conditionnelle ou d'office;

b) autoriser l'arrestation du délinquant;

c) ordonner la réincarcération du délinquant jusqu'à ce que la suspension soit annulée ou que la libération soit révoquée ou qu'il y soit mis fin, ou encore jusqu'à l'expiration légale de la peine.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

-DOSSIER: T-678-01

INTITULÉ : PIERRE TRUDEAU C.

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE: MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE: LE 13 MARS 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE. L'HONORABLE JUGE NADON DATE DES MOTIFS: 18 AVRIL 2002

COMPARUTIONS

ME ÉRIC LAFRENIÈRE POUR LA DÉFENDERESSE Ministère de la Justice

Complexe Guy-Favreau

200, boul. René-Lévesque ouest Montréal (Québec)

H2Z 1X4

Tél. (514) 496-9231

ME DANIEL ROYER POUR LA DEMANDERESSE Labelle, Boudrault, Côté et ass.

434, rue Ste-Hélène Montréal, Québec H2Y 2K7

Tél: (514) 847-1100

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