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                                                                                                                   T-3480-90

 

 

OTTAWA (ONTARIO), le mardi 6 mai 1997.

 

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE REED

 

 

          AFFAIRE INTÉRESSANT LA LOI DE L'IMPÔT SUR LE REVENU

 

 

ENTRE :

 

                                     PARDEE EQUIPMENT LIMITED,

 

                                                                                                             demanderesse,

 

                                                              - et -

 

                                            SA MAJESTÉ LA REINE,

 

                                                                                                              défenderesse.

 

 

                                                       JUGEMENT

 

                        Après audition de la présente action à Edmonton (Alberta), les 14, 15, 16 et 17 avril 1997, et remise du prononcé du jugement;

 

                        ET SUITE aux motifs de jugement prononcés en ce jour;

 

                        LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

                        La requête de la demanderesse est accueillie. Les cotisations d'impôt relatives aux années en question sont déférées au ministre afin qu'un nouveau calcul soit fait en accord avec les motifs de décision déposés en ce jour. La demanderesse aura droit aux dépens qu'elle a engagés dans le cadre de la présente action.

                                                                                                                       B. Reed        

                                                                                                            Juge

 

 

Traduction certifiée conforme :                                                         

 

François Blais, LL.L.


 

 

 

 

 

                                                                                                                   T-3480-90

 

          AFFAIRE INTÉRESSANT LA LOI DE L'IMPÔT SUR LE REVENU

 

 

ENTRE :

 

                                     PARDEE EQUIPMENT LIMITED,

 

                                                                                                             demanderesse,

 

                                                              - et -

 

 

                                            SA MAJESTÉ LA REINE,

 

                                                                                                              défenderesse.

 

 

 

                                           MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

LE JUGE REED

                        La question qui se pose dans cette affaire consiste à savoir si la demanderesse a le droit de se prévaloir de déductions pour inventaire à l'égard de certains biens, relativement aux années 1978 à 1986, ainsi que de crédits d'impôt à l'investissement, relativement aux années 1983 à 1987. Les dispositions législatives applicables sont l'alinéa 20(1)gg) et l'article 127 de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1952), ch. 148, dans sa forme modifiée (la « Loi »).

 

                        Le 19 janvier 1990, la demanderesse a réclamé, dans une déclaration portant le n° T-156-90, des déductions pour inventaire concernant les années d'imposition 1978 à 1982. Le 31 décembre 1990, elle a réclamé, dans une déclaration portant le n° T-3480-90, des déductions pour inventaire concernant les années d'imposition 1983 à 1986, de même que des crédits d'impôt à l'investissement concernant les années 1983 à 1987. Le 22 novembre 1991, les deux actions ont été jointes sous le n° du greffe T-3480-90. La question qui sous-tend toutes les demandes est la même : la nature des intérêts de la demanderesse dans les biens en question durant toute la période en cause.

 

                        L'avocat de la défenderesse reconnaît que si la contribuable « détenait » les biens en vue de les vendre aux fins de l'alinéa 20(1)gg), cela signifie qu'elle a droit à la fois aux déductions pour inventaire et aux crédits d'impôt à l'investissement demandés. Les dispositions législatives applicables sont les suivantes :

 

20.(1) [...] sont déductibles dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition celles des sommes suivantes qui se rapportent entièrement à cette source de revenus ou la partie des sommes suivantes qu'il est raisonnable de considérer comme s'y rapportant :

 

[...]

 

gg) une somme au titre de toute entreprise exploitée par le contribuable pendant l'année, égale au produit de 3 % du coût indiqué pour le contribuable, au début de l'année, des biens corporels (autres que des biens immeubles ou des intérêts dans ceux-ci) qui étaient

 

i)décrits dans l'inventaire du contribuable au titre de l'entreprise exploitée par ce dernier, et

 

ii)détenus par lui en vue d'être vendus ou encore d'être transformés, fabriqués, manufacturés, incorporés ou annexés à des biens destinés à être vendus dans le cours normal de l'exploitation de l'entreprise, ou autrement convertis en ce genre de biens ou utilisés dans l'emballage de ce genre de biens

 

multiplié par le rapport entre le nombre de jours dans l'année et 365.

 

                                                                                      (non souligné dans l'original)

 

Le paragraphe 248(1) de la Loi comporte un certain nombre de définitions :

 

« inventaire » Description des biens dont le prix ou la valeur entre dans le calcul du revenu qu'un contribuable tire d'une entreprise pour une année d'imposition [...]

 

« coût indiqué » S'agissant du coût indiqué, pour un contribuable, de tout bien à un moment donné, sauf disposition contraire de la présente loi :

 

[...]

 

c)lorsque le bien était un bien figurant à un inventaire du contribuable, sa valeur à ce moment, déterminée pour le calcul de son revenu;

 

Les faits

                        Les biens à l'égard desquels la demanderesse réclame des déductions pour inventaire sont des machines industrielles lourdes, comme des excavatrices, des bulldozers et des débardeuses. La valeur moyenne de ces machines varie entre 150 000 $ et 200 000 $, et certaines valent jusqu'à 350 000 $. La contribuable avait - et a encore - pour entreprise la vente, l'entretien et la location de ces machines à plusieurs endroits en Alberta. La demanderesse tient principalement des machines fabriquées par la société Deere & Co. des État-Unis (« Deere U.S. »). Les machines sont distribuées aux concessionnaires canadiens par l'entremise de John Deere Limited (« Deere Canada »). La demanderesse est concessionnaire John Deere depuis 1956.

 

                        De temps à autre, la demanderesse signait des ententes de concessionnaire avec Deere Canada pour chaque endroit en Alberta où elle exploitait son entreprise. Elle ne vendait pas de matériel agricole. Les ententes de concessionnaire prévoyaient que le matériel (appelé « machines complètes » dans la preuve) serait commandé et envoyé au concessionnaire à titre de [TRADUCTION] « biens consignés ». D'autres machines, dont la valeur était inférieure à un certain niveau, étaient vendues au concessionnaire selon un système différent. Ces machines sont décrites dans les ententes de concessionnaire comme des [TRADUCTION] « biens vendus » achetés par le concessionnaire.

 

                        Ainsi qu'il a été noté, les ententes conclues entre la demanderesse et Deere Canada décrivent les machines en question comme étant détenues en consignation par la demanderesse. Les ententes disposent que Deere Canada conserve le titre de propriété des machines jusqu'à ce que le concessionnaire les ait entièrement vendues. Divers documents, comme les factures envoyées à la demanderesse pour les machines, indiquent à maintes reprises que les biens en question ont été expédiés et reçus en consignation. Ces documents émanent tous de Deere Canada. Si la demanderesse ne les avait pas signés, elle ne serait pas concessionnaire de matériel John Deere.

 

                        M. Pardee, l'actionnaire principal de la société demanderesse, déterminait de temps à autre les types de machines dont il avait besoin pour son entreprise, ainsi que leur nombre. Les machines étaient commandées directement à l'usine de Deere US, mais tous les documents commerciaux et administratifs passaient par Deere Canada. Les machines étaient expédiées directement de l'usine de Deere US à la demanderesse. Quelques machines ou pièces Deere étaient fabriquées à l'étranger et, dans ce cas, la demanderesse les recevait directement de l'usine de fabrication étrangère. Une fois que la demanderesse avait commandé une machine et que celle-ci était [TRADUCTION] « mise en fabrication », la commande ne pouvait pas être annulée, mais il était quand même possible de modifier quelque peu les spécifications et la date d'expédition demandée jusqu'à une certaine échéance, appelée date limite. Les machines étaient envoyées « franco la grille de l'usine », une expression qui indique que le destinataire des biens en a la possession légale et, bien sûr, qu'il supporte le risque de dommages ou de pertes après que les biens ont franchi la grille de l'usine. Deere Canada souscrit toutefois une police d'assurance qui protège les biens en transit ainsi que pendant un certain temps par la suite (vraisemblablement jusqu'à ce que le prix de gros ait été entièrement acquitté). Deere Canada facturait à la demanderesse le coût de cette assurance.

 

                        Le prix facturé à la demanderesse était ce qui était appelé le prix de gros des machines, c'est-à-dire le prix au concessionnaire (fixé par Deere et par rapport auxquel la demanderesse avait commandé les biens) de même que les frais de transport et de manutention, les droits de majoration, les taxes de vente et autres sommes similaires découlant du transfert du matériel au concessionnaire.

 

                        Le concessionnaire - la demanderesse en l'occurrence - paye le prix de gros à Deere Canada suivant des conditions qui varient en fonction du système selon lequel la machine particulière a été commandée et le type de cette dernière (par exemple, pour les machines de plus de 100 chevaux, les conditions sont plus souples que pour les machines de moindre puissance). D'habitude, il y a un délai après la livraison - deux mois dans certains cas, de six à neuf mois dans d'autres - au cours duquel aucun montant ne doit être payé. Après l'expiration de cette [TRADUCTION] « période de vente initiale », le concessionnaire est tenu de payer à Deere Canada un pourcentage du prix de gros, qui varie de 15 % à 25 %. Une deuxième période est ensuite indiquée (six mois de plus), après quoi le concessionnaire doit payer 25 % du prix de gros qu'il reste à payer à ce moment. Ces paiements périodiques sont appelés [TRADUCTION] « acomptes reportés ». Le processus se poursuit ainsi, et le solde impayé diminue par tranches proportionnelles à la fin de chaque période définie. Ce calendrier de paiement ne s'applique que pendant le temps où la machine est invendue. Si le concessionnaire vend la machine, le prix de gros total, ou le solde impayé, s'il y en a, devient exigible sur-le-champ. Deere Canada ne consigne pas la vente de la machine dans ses livres avant que le concessionnaire l'ait vendue. Les acomptes reportés sont traités, pour fins comptables, comme des dépôts. Lorsqu'un concessionnaire acquitte le montant total du prix de gros exigible, Deere Canada consigne la transaction comme une restitution des acomptes au concessionnaire et la réception, par elle, du prix d'achat intégral. Ce qui se produit en fait c'est que le concessionnaire ne verse à Deere Canada que le montant du solde impayé qu'il doit pour la machine.

 

                        Il est important de signaler que dans le cours normal de l'exploitation de son entreprise, la demanderesse n'a pas le droit de restituer une machine à Deere Canada, et elle ne l'a jamais fait; Deere Canada n'a pas non plus récupéré de machine de la demanderesse. Il est possible de procéder à un transfert de machines entre concessionnaires avec l'assentiment de Deere Canada. Lorsque cela a lieu, Deere Canada consigne dans ses livres un remboursement des acomptes reportés au concessionnaire qui effectue le transfert, et une réception du montant identique du destinataire du transfert, sous forme de paiement d'acomptes reportés. Entre les concessionnaires, la machine peut être transférée avec profit ou à perte, suivant les conditions qu'ils ont négociées entre eux. La demanderesse a produit des documents montrant certaines des occasions où elle avait transféré à perte des machines à un autre concessionnaire. Advenant une résiliation de l'entente de concessionnaire conclue avec la demanderesse, Deere Canada a le droit d'ordonner au concessionnaire d'expédier les machines à une destination choisie par Deere, ou d'en reprendre elle-même possession. Cette résiliation peut avoir lieu, par exemple, si la demanderesse fait faillite ou décide de cesser de faire des affaires, ou si Deere Canada décide qu'elle ne veut plus que la demanderesse soit concessionnaire.

 

                        En plus du prix de gros, la demanderesse engage d'autres frais liés aux machines avant la vente de ces dernières. Quand une machine est livrée chez la demanderesse, celle-ci engage des frais de préparation et d'essai pour préparer la machine en vue de sa vente.

 

                        La demanderesse pourrait - et elle l'a déjà fait - modifier certaines des machines en ajoutant des accessoires convenant à des usages spéciaux, comme dans le secteur pétrolier et dans l'industrie forestière. Les accessoires servant à effectuer les modifications n'étaient pas fabriqués par Deere, mais le service technique de Deere US les approuvait. Si les modifications n'étaient pas approuvées, la garantie de Deere protégeant la machine s'annulait. Certaines de ces modifications étaient d'une valeur considérable en proportion du coût total de la machine.

 

                        La demanderesse était tenue de rembourser à Deere Canada le prix de gros, indépendamment du prix auquel la demanderesse vendait la machine en question. Elle pouvait vendre la machine avec profit, et cela n'avait aucun effet sur le montant payé à Deere Canada. Elle pouvait aussi vendre la machine à perte, et cela n'avait aucun effet sur le montant dû à Deere Canada. La demanderesse a produit des éléments de preuve montrant qu'elle avait effectué des ventes à perte. Deere Canada procédait tous les mois à une inspection pour s'assurer que le nombre de machines qui n'avaient pas été intégralement payées (ou qui étaient « consignées ») se trouvaient chez le concessionnaire auquel elles avaient été livrées, ou s'il y avait une raison acceptable pour laquelle ces machines ne s'y trouvaient pas. En l'absence d'une telle explication, le montant total qu'il restait à payer sur la machine en question devenait aussitôt dû et exigible. Le montant de tout dommage ou toute dépréciation qui survenaient était facturé au concessionnaire et devait être acquitté sur-le-champ afin de rembourser le prix de gros. Un concessionnaire ne pouvait faire la démonstration d'une machine pendant plus d'un certain nombre d'heures sans payer à Deere Canada des frais de « dépréciation ». Ces derniers étaient défalqués du prix de gros que le concessionnaire avait à payer. Un concessionnaire ne pouvait louer une machine à un client pendant plus de quelques mois sans que le montant total à payer pour la machine devienne aussitôt dû et exigible. Durant la période de location restreinte, les paiements de location étaient versés à Deere Canada afin d'acquitter le solde impayé du prix de gros.

 

                        La demanderesse vendait ou louait des machines à ses clients. Elle disposait de deux programmes de location : un programme de location directe, et un programme de location avec option d'achat. Selon le premier, les machines faisaient généralement partie du parc de location de la demanderesse, et nul ne conteste qu'elles lui appartenaient. Leur achat par la demanderesse pouvait être financé dans le cadre d'un programme de financement que Deere offrait aux concessionnaires. Selon le second programme, le client qui louait une machine avait la possibilité de faire porter les paiements de location en diminution du prix d'achat si jamais il décidait d'acheter la machine en question. Étant donné que Deere Canada n'allouait qu'une période de location de quelques mois, la demanderesse payait le solde exigible sur la machine après la période de location allouée afin que le client puisse continuer de la louer.

 

                        Deere Canada avait aussi un programme de crédit-bail selon lequel les machines détenues par un concessionnaire pouvaient être louées à des clients. Selon l'entente de financement/crédit-bail, le concessionnaire cédait à Deere Canada les baux conclus avec le client, et le produit de la location était versé à Deere Canada pour être porté en diminution du prix de gros exigible. Aux termes de l'entente de concessionnaire conclue avec Deere Canada relativement à ce programme, [TRADUCTION] « cette cession a pour but de reconnaître que vous [c'est-à-dire Deere Canada] êtes propriétaire des biens consignés ». Même si la demanderesse a signé l'entente de financement/crédit-bail parce que, en tant que concessionnaire Deere, elle était tenue de le faire, elle ne s'en est pas prévalue. M. Pardee a déclaré qu'il n'appréciait pas ce programme à cause des conditions relatives à la valeur résiduelle qui entraient en vigueur à la fin du bail.

 

                        Deere Canada ne payait pas à la demanderesse d'intérêts sur les acomptes reportés que celle-ci versait, pas plus qu'elle ne percevait d'intérêts sur le solde exigible du prix de gros. Des intérêts étaient facturés lorsqu'un acompte prévu n'était pas versé. Deere Canada offrait ou payait des remises ou d'autres escomptes de nature promotionnelle dans le but d'inciter à commander des machines et de faciliter la vente de ces dernières à des revendeurs. À une occasion au moins, Deere a accordé aux concessionnaires une prime pour toutes les machines d'un certain modèle, qualifié dans la preuve de [TRADUCTION] « citron ». Malgré les primes, les ventes de ces machines que la demanderesse a effectuées ont quand même été déficitaires.

 

                        Les ententes de concessionnaire n'obligeaient pas la demanderesse à tenir un compte de fiducie dans lequel verser le produit de la vente des machines, ni à séparer les machines en question d'autres machines industrielles dans l'inventaire de la demanderesse. Le 4 juin 1980, à la demande de Deere Canada, la demanderesse a souscrit à une débenture à demande sur un montant de capital de 1 000 000 $, conformémement à des conditions prescrites par Deere. Les dirigeants de la demanderesse étaient tenus par Deere Canada de garantir personnellement toute obligation de la demanderesse envers Deere Canada. Pendant toute la période en cause, selon une entente conclue entre Deere Canada et la demanderesse, cette dernière renonçait à la protection accordée par ce qui, à l'époque, était la Conditional Sales Act de l'Alberta.

 

                        Pour ce qui est des années 1978 à 1983 inclusivement, la demanderesse a rendu compte de sa « part d'intérêt » dans les machines dites complètes dans les notes jointes à son état financier, part qu'elle a ensuite indiquée comme un « élément d'actif » au bilan. À titre d'exemple, la « note 2 » des états financiers concernant l'année 1980 indique ce qui suit :

 

[TRADUCTION]

2. Stocks

 

                Détails :

 

             1980

             1979

Machines neuves possédées ou détenues en consignation

Moins obligation liée à la consignation

 

                

   11 894 000,00 $

   10 712 000,00 $

 

    7 586 000,00 $

    6 860 000,00 $

Machines neuves possédées et part d'intérêt dans les machines consignées

Machines d'occasion

 

 

 

    1 182 000,00 $

    3 014 000,00 $

    4 196 000,00 $

 

 

      726 000,00 $

    2 053 000,00 $

    2 779 000,00 $

Pièces et fournitures

    1 805 000,00 $

    6 001 000,00 $

    1 686 000,00 $

    4 465 000,00 $

 

 

La somme de 6 001 000 $ a donc été consignée comme un élément d'actif « courant » au bilan.

 

 

                        Pour ce qui est des années 1984 à 1986 inclusivement, la demanderesse a changé la présentation de ses états financiers. Elle a rendu compte des machines qu'elle avait en mains en indiquant le montant total dû à Deere Canada à l'égard desdites machines sous forme d'« élément de passif » au bilan, et en indiquant la valeur totale des machines qu'elle avait en mains à un prix inférieur au prix coûtant ou au prix de marché sous forme d'« élément d'actif » au bilan.

 

                        Selon des preuves comptables fournies, la présentation employée pour les années 1984 à 1986 était préférable, car elle tenait davantage compte du fond des opérations que de la forme sous laquelle celles-ci étaient présentées dans les ententes de concessionnaire et les documents connexes. En analysant de plus près le fond des opérations, le comptable de la demanderesse a conclu que les risques et les récompenses associés à la propriété étaient dévolus à la demanderesse et non à Deere Canada, et qu'il fallait présenter les états financiers de façon à refléter plus clairement cette réalité.

 

                        M'ont été soumis des passages du manuel de l'ICCA selon lesquels il y a transfert de biens d'un vendeur à un acheteur lorsqu'il y a transfert des risques et récompenses importants de la propriété et que le vendeur ne conserve aucun rôle gestionnel continu ou contrôle effectif à l'égard des biens, et ce, dans la mesure habituellement associée à la propriété. Il est noté dans le Manuel que le transfert d'un titre légal peut avoir lieu à un moment différent de celui ou sont transmis la possession ou les risques et les récompenses de la propriété.

 

Droit applicable et analyse

                        La défenderesse est d'avis que les ententes conclues entre la demanderesse et Deere Canada sont les mêmes que celles sur lesquelles une décision a été prise dans l'arrêt La Reine c. Dresden Farm Equipment, 89 D.T.C. 5019 (C.A.F.), infirmant 86 D.T.C. 6167 (C.F. 1re inst.) et 82 D.T.C. 1388 (C.C.I.), et que les machines en question ne figurent pas à l'inventaire de la contribuable.

 

                        L'avocat de la demanderesse cite les observations faites dans l'arrêt Quinn v. Leathem, [1901] A.C. 495, à la page 506 (H.L.) :

 

[TRADUCTION]

 

[...] chaque jugement doit être lu de la manière dont il s'applique aux faits particuliers qui ont été prouvés, ou que l'on présume avoir été prouvés, puisque le caractère général des observations qui y figurent ne vise pas à refléter le droit dans son ensemble, mais est régi et nuancé par les faits particuliers de l'affaire où se trouvent ces observations.

 

                        L'avocat de la demanderesse fait valoir qu'en l'espèce, les faits prouvés diffèrent de ceux qui sont exposés dans la décision Dresden et sur lesquels la Cour s'est fondée. Il soutient également que, par suite de la décision de la Cour suprême dans l'affaire Friesen c. Sa Majesté la Reine (1995), 95 D.T.C. 5551 (C.S.C.), la justesse de la décision Dresden a été mise en doute.

 

                        Je ne suis pas convaincue que l'arrêt Friesen mette en doute la justesse de la décision Dresden. Ces deux décisions portent sur des questions différentes : Friesen avait trait à une question d'évaluation, Dresden à celle de savoir si la contribuable « détenait » ou non l'équipement en tant qu'élément figurant à l'inventaire. Dans Dresden, la Cour d'appel a conclu que l'équipement en question était détenu en consignation, il n'appartenait pas à la contribuable et aucun « coût » n'était imposé à cette dernière avant que les biens consignés soient vendus. Il était donc impossible d'attribuer une « valeur » aux biens en question à titre d'élément figurant à l'inventaire en vue de calculer le revenu imposable de la contribuable.

 

                        Bien que l'opinion incidente formulée dans Dresden n'ait pas été adoptée dans Friesen, la conclusion centrale tirée dans l'arrêt Dresden n'a pas été désavouée. Dans Friesen, toutefois, il était clair qu'il fallait interpréter le mot « inventaire », qui est défini au paragraphe 248(1), en se fondant sur son sens ordinaire, c'est-à-dire celui qui lui est habituellement donné en accord avec les principes ordinaires de la comptabilité et des activités de nature commerciale.

 

                        Il est bien établi en droit que la terminologie employée dans les ententes ne régit pas la caractérisation juridique de ces arguments. C'est vers le fond de l'entente qu'il faut se tourner. En l'espèce, bien que les ententes de concessionnaire et d'autres documents qualifient les machines en question de « biens consignés », les indices des opérations donnent plutôt l'impression qu'il s'agit d'une vente soumise à un intérêt garanti détenu par Deere Canada jusqu'à ce que le prix d'achat ait été intégralement payé. Le contrôle que Deere Canada continue d'exercer sur les machines correspond davantage au contrôle qu'exercerait un créancier garanti qu'à celui qu'exercerait un propriétaire. Le fait que les machines ne sont pas restituées à Deere et qu'elles ne peuvent pas l'être revêt une importance capitale. Cette pratique est conforme à une consignation. Les biens peuvent être transférés à un autre concessionnaire avec le consentement de Deere Canada, mais cela n'équivaut pas à restituer les machines à Deere, puisqu'il faut au préalable le consentement de l'autre concessionnaire, et que le transfert occasionne des frais à la demanderesse. L'opération peut comporter soit un bénéfice soit une perte pour cette dernière.

 

                        Bien que la Cour d'appel fédérale ait décrété dans l'affaire Dresden que, pour figurer à l'inventaire, les biens en question doivent être détenus par le contribuable, il n'y a pas eu dans cette affaire d'analyse concernant le type de participation nécessaire. Il n'y a pas eu d'analyse de la situation dans laquelle les indices de la propriété sont partagés avec une entité autre que le contribuable qui détient le titre légal jusqu'au moment de la vente. En outre, en l'espèce, il ressort de la preuve que le fait de traiter les machines comme un élément figurant à l'inventaire de la demanderesse est conforme aux pratiques comptables et commerciales ordinaires, car les risques et les récompenses associés à la propriété sont dévolus à la demanderesse et non à Deere Canada. Les faits de l'espèce sont

 

 

 

différents de ceux dont il était question dans l'arrêt Dresden. Ces faits montrent que la demanderesse « détenait » les machines en vue de les vendre, au sens où ce mot est employé à l'alinéa 20(1)gg) de la Loi.

 

OTTAWA (Ontario).

Le 6 mai 1997.

 

 

                                                                                                                       B. Reed           

                                                                                                            Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme :                                                           

 

François Blais, LL.L.


 

                                     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                 SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

 

                 AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

 

N° DU GREFFE :T-3480-90

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :PARDEE EQUIPMENT LIMITED c.

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :OTTAWA (ONTARIO)

 

 

DATE DE L'AUDIENCE :14 AVRIL 1997

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR MADAME LE JUGE REED

 

 

EN DATE DU :6 MAI 1997

 

 

 

 

ONT COMPARU :

 

 

Me E. James Kindrake

Me Alan R. GrayPOUR LA DEMANDERESSE

 

 

Me Douglas B. TitoskyPOUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

LUCAS BOWKER & WHITE

Edmonton (Alberta)POUR LA DEMANDERESSE

 

 

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADAPOUR LA DÉFENDERESSE

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