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Date : 19980806


Dossier : IMM-1726-97

OTTAWA (ONTARIO), LE 6 AOÛT 1998

DEVANT : MONSIEUR LE JUGE LUTFY

ENTRE


HOWARD BEVERLY HALL,


demandeur,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.


ORDONNANCE

     La présente demande de contrôle judiciaire ayant été entendue à Vancouver (Colombie-Britannique) le 30 juin 1998;

     CETTE COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.      La décision que la Commission de l"immigration et du statut de réfugié (Section d"appel) a rendue le 17 avril 1997 est infirmée.

3.      La requête que le défendeur a présentée en invoquant le défaut de compétence est renvoyée pour qu"une formation différente de la Section d"appel rende une nouvelle décision conformément à ces motifs.


" Allan Lutfy "

Juge

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.


Date : 19980806


Dossier : IMM-1726-97

ENTRE


HOWARD BEVERLY HALL,


demandeur,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.


MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE LUTFY

Les faits

[1]      Le 14 décembre 1993, un arbitre qui agissait en vertu de la Loi sur l"immigration1 a pris une mesure d"expulsion contre le demandeur pour le motif que ce dernier était demeuré au Canada après avoir perdu la qualité de visiteur2.

[2]      Le demandeur a contesté la décision de l"arbitre en invoquant deux motifs.

[3]      La demande de contrôle judiciaire de la décision de l"arbitre a été rejetée par le juge MacKay le 27 février 19963.

[4]      Le demandeur a également fait appel de la décision de l"arbitre devant la Commission de l"immigration et du statut de réfugié (Section d"appel) conformément au paragraphe 70(1) de la Loi4. Cette procédure a été suspendue en attendant qu"une décision soit rendue à l"égard de la demande de contrôle judiciaire. Par la suite, le défendeur a présenté une requête en vue de faire rejeter l"appel pour défaut de compétence. La Section d"appel a accueilli la requête et a rejeté l"appel le 17 avril 1997. En réponse à la demande que le demandeur avait faite conformément au paragraphe 69.4(5), la Section d"appel a motivé par écrit sa décision, le 2 septembre 1997. Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section d"appel.

Les points litigieux

[5]      De l"avis du demandeur, la Section d"appel a commis une erreur : a) en ne lui accordant pas une audience en bonne et due forme au sujet de la question de la compétence; et b) en n"énonçant pas de la façon appropriée les motifs pour lesquels elle avait conclu qu"il n"était pas un résident permanent.

Analyse

[6]      La requête que le défendeur a présentée en vue de faire rejeter l"affaire pour défaut de compétence exigeait que la Section d"appel détermine si le demandeur était un résident permanent ou, en d"autres termes, une personne qui pouvait faire appel de la décision de l"arbitre devant la Section d"appel conformément au paragraphe 70(1). Le défendeur concède que cette décision doit être rendue dans le cadre d"une nouvelle audience devant la Section d"appel, qui peut substituer sa décision à celle de l"arbitre en ce qui concerne le statut du demandeur au Canada5.

[7]      En demandant à la Section d"appel de conclure que le demandeur n"était pas un résident permanent et de rejeter l"appel pour défaut de compétence, la représentante du défendeur a uniquement fait remarquer que la demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par l"arbitre avait été rejetée. Elle a formulé la question comme suit, en se fondant sur la décision rendue par le juge MacKay :

     [TRADUCTION]         
     Finalement, et c"est là le point important [des conclusions tirées par le juge MacKay] en ce qui concerne notre requête devant la Commission :         
         Finalement, à mon avis, l"arbitre n"a pas commis d"erreur en concluant qu"il n"était pas convaincu que le demandeur était un citoyen canadien ou un résident permanent. Par conséquent, les motifs invoqués à l"appui de la conclusion selon laquelle la décision de prendre une mesure d"exclusion était erronée ne sont pas établis. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.             
     Le demandeur, le ministre, le Ministère ne peuvent rien dire de plus si ce n"est qu"à leur avis, M. Hall n"a pas le droit de faire appel en vertu de l"article 70 de la Loi , que la Commission n"a donc pas compétence pour entendre l"appel et que l"affaire devrait être rejetée. Merci6.         

La représentante du défendeur n"a pas cité de témoin. Elle n"a pas posé de questions à deux des témoins du demandeur7 et elle n"a posé que deux brèves questions au troisième témoin8. À part le fait qu"elle s"est de temps en temps opposée à la preuve présentée par le demandeur dans le cadre de la nouvelle audience devant la Section d"appel, pour le motif que cette preuve n"était pas pertinente puisque la demande de contrôle judiciaire avait été rejetée par le juge MacKay, la représentante du défendeur n"est intervenue qu"une autre fois dans ses conclusions finales et dans les plaidoiries qu"elle a présentées en réponse :

     [TRADUCTION]         
     Monsieur, mes observations seront fort brèves. Vous êtes ici saisi aujourd"hui d"une requête. La requête vise à faire rejeter l"appel parce que la Commission n"a pas compétence. Nous soutenons que M. Hall ne réside pas en permanence au Canada. Cette prétention est étayée par la décision de Monsieur le juge MacKay, et nous nous fondons sur la décision que celui-ci a rendue, et notre avis est fondé sur cette décision. Nous estimons qu"on n"a présenté aucun élément de preuve donnant à entendre que la conclusion tirée par l"arbitre n"est pas appropriée. La décision a été examinée par la Cour fédérale, et la décision de l"arbitre a été confirmée par la Cour fédérale. Il reste qu"à notre avis, puisqu"il n"est pas un résident permanent, M. Hall n"a pas le droit de faire appel en vertu de l"article 70 et partant que cet appel devrait être rejeté pour défaut de compétence9.         
     [...]         
     Je ne crois pas que la formation ait à entendre quoi que ce soit de plus, Monsieur. Je crois que toutes les questions fondamentales ont été soulevées devant la Cour fédérale, et je me fonde sur la décision que cette dernière a rendue10.         

[8]      Il était loisible au défendeur de se fonder uniquement sur la preuve que le demandeur avait présentée devant la Section d"appel sans mener un contre-interrogatoire prolongé et sans présenter d"autres éléments de preuve. Toutefois, il était erroné en droit de soutenir que l"issue de l"affaire dont la Section d"appel était saisie devait dépendre de la décision rendue dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire. Le paragraphe 69.4(2) confère à la Section d"appel, et non à la Cour fédérale du Canada, la " compétence exclusive [...] pour entendre et juger sur des questions [...] en matière de compétence "11.

[9]      Au cours de l"audience, la Section d"appel a semblé être en mesure de résister, du moins initialement, à l"idée selon laquelle la décision rendue par le juge MacKay dans le cadre du contrôle judiciaire avait pour effet de régler l"appel12. Toutefois, lorsque la décision a été rendue, les motifs de la Section d"appel ont révélé le contraire. Après avoir analysé la preuve brièvement et sans avoir fait mention des observations orales de l"avocat du demandeur ou après n"en avoir fait que brièvement mention, la Section d"appel a conclu ce qui suit :

     [TRADUCTION]         
     Dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire, Monsieur le juge MacKay a examiné les questions précises que l"avocat de M. Hall demande à la Section d"appel de trancher. Comme il en a déjà été fait mention, la preuve présentée dans le cadre du contrôle judiciaire est essentiellement la même que celle qui a été présentée devant la Section d"appel. L"avocat de M. Hall avance précisément les arguments qu"il a invoqués dans le cadre du contrôle judiciaire. Monsieur le juge MacKay a expressément examiné ces arguments et il les a rejetés.         
     La formation a analysé les nouveaux éléments de preuve présentés à l"audience et elle conclut que M. Hall n"est pas un résident permanent.         
     La requête du ministre est accueillie. L"appel interjeté conformément à l"article 70 est rejeté pour défaut de compétence.         

La Section d"appel n"a énoncé aucun autre motif à l"appui de la conclusion selon laquelle le demandeur n"était pas un résident permanent. La formation n"a pas examiné l"un des principaux arguments du demandeur, à savoir si, lorsqu"il est arrivé au Canada en 1949, il était un " immigrant " ou une " personne ayant obtenu le droit d"établissement " au sens des dispositions de la Loi sur l"immigration13, telles qu"elles existaient alors, compte tenu en particulier du fait qu"en 1953, il avait été adopté par un citoyen canadien conformément à la législation applicable en Colombie-Britannique. Le demandeur a un droit reconnu par la Loi de connaître les motifs de la Section d"appel à cet égard.

[10]      En fin de compte, la décision que la Section d"appel a prise semble avoir été fondée sur le rejet par la Cour fédérale du Canada de la demande de contrôle judiciaire. La formation a parlé à tort de [TRADUCTION] " la preuve présentée dans le cadre du contrôle judiciaire ", en laissant ainsi entendre qu"elle ne faisait pas de distinction entre sa propre nouvelle audience et la procédure de contrôle judiciaire, qui est fondée sur le dossier dont disposait l"arbitre, dont la Cour fédérale était saisie. Même si la Section d"appel a rendu sa propre décision au sujet de la question de savoir si le demandeur est un résident permanent, et j"ai de sérieux doutes à ce sujet, elle a omis de faire connaître par écrit les motifs de sa décision. Cela ne satisfait pas à l"exigence prévue au paragraphe 69.4(5) et cela constitue une erreur de droit. Compte tenu de cette conclusion, je n"ai pas à déterminer si le demandeur a bénéficié d"une audience en bonne et due forme devant la Section d"appel.

[11]      Par conséquent, la requête que le défendeur a présentée en invoquant le défaut de compétence est renvoyée pour nouvelle décision devant une formation différente de la Section d"appel. La formation devrait comprendre qu"elle a " compétence exclusive [...] pour entendre et juger sur des questions [...] en matière de compétence " conformément au paragraphe 69.4(2) et pour énoncer sur demande ses motifs à l"appui de sa décision conformément au paragraphe 69.4(5). " Pour entendre et juger sur des questions [...] en matière de compétence ", la formation doit recevoir tous les éléments de preuve pertinents même s"ils ont été présentés devant l"arbitre ou dans une autre instance connexe. Enfin, j"adopte la remarque que le juge Noël (tel était alors son titre) a faite dans la décision Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration c. Seneca14 :

     Logiquement, on ne peut invoquer le statut d'une personne qui entend interjeter appel d'une mesure de renvoi prise par l'arbitre pour lui nier le droit d'appel prévu par l'alinéa 70(1)a) lorsque toute conclusion concernant son statut découle nécessairement d'une conclusion de fait ou de droit tirée par l'arbitre. L'hypothèse selon laquelle l'intéressé n'a pas de statut parce qu'il n'a pas été admis " légalement " à l'origine ne saurait le priver de son droit d'appel sur cette question précise.         

[12]      La question du statut juridique du demandeur au Canada n"a pas encore été réglée d"une façon définitive, une cinquantaine d"année après son arrivée au Canada à l"âge de trois mois. Le fait que le demandeur a fait l"objet d"une déclaration de culpabilité au Canada en 1969, à l"égard d"une infraction pour laquelle il a depuis lors obtenu un pardon, et le fait qu"il s"est vu imposer une amende de "100 lorsqu"il a présenté un plaidoyer de culpabilité pour possession de cannabis en Angleterre, en 1985, ont probablement contribué à cette incertitude. La décision rendue aujourd"hui aura pour effet de retarder encore plus la détermination du statut du demandeur et le litige devra se poursuivre. Le défendeur voudra peut-être profiter de l"occasion pour réexaminer le cas du demandeur en vue de régler l"affaire sans qu"il soit nécessaire de prolonger le litige.

[13]      Ni l"une ni l"autre partie n"a proposé qu"une question grave soit certifiée si la demande était rejetée.


" Allan Lutfy "

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 6 août 1998

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                  IMM-1726-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :          HOWARD BEVERLY HALL c. M.C.I.
LIEU DE L"AUDIENCE :              VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)
DATE DE L"AUDIENCE :              LE 30 JUIN 1998

MOTIFS DE L"ORDONNANCE DU JUGE LUTFY EN DATE DU 6 AOÛT 1998

ONT COMPARU :

JOHN J. VOLRICH                  POUR LE DEMANDEUR
WENDY PETERSMEYER              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

JOHN J. VOLRICH                  POUR LE DEMANDEUR

VANCOUVER (C.-B.)

MORRIS ROSENGERG              POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

__________________

1      L.R.C. (1985), ch. I-2.

2      La décision de l"arbitre est fondée sur l"alinéa 27(2)e ) et sur le paragraphe 32(7) de la Loi sur l"immigration.

3      On ne sait pas trop si la question de l"existence d"un autre recours adéquat a été soulevée devant le juge MacKay. De toute façon, le juge avait le pouvoir discrétionnaire voulu pour entreprendre le contrôle judiciaire : Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui , [1995] 1 R.C.S. 3, aux pages 28-32.

4      Le paragraphe 70(1) est ainsi libellé :

Subject to subsections (4) and (5), where a removal order or conditional removal order is made against a permanent resident or against a person lawfully in possession of a valid returning resident permit issued to that person pursuant to the regulations, that person may appeal to the Appeal Division on either or both of the following grounds, namely. Sous réserve des paragraphes (4) et (5), les résidents permanents et les titulaires de permis de retour en cours de validité et conformes aux règlements peuvent faire appel devant la section d"appel d"une mesure de renvoi ou de renvoi conditionnel en invoquant les moyens suivants :
(a) on any ground of appeal that involves a question of law or fact, or mixed law and fact; and(b) on the ground that, having regard to all the circumstances of the case, the person should not be removed from Canada a) question de droit, de fait ou mixte :b) le fait que, eu égard aux circonstances particulières de l"espèce, ils ne devraient pas être renvoyés du Canada.

5      La " compétence exclusive " de la Section d"appel d"entendre et de juger sur des questions de compétence est prévue au paragraphe 69.4(2) :

The Appeal Division has, in respect of appeals made pursuant to sections 70, 71 et 77, sole and exclusive jurisdiction to hear and determine all questions of law and fact, including questions of jurisdiction, that may arise in relation to the making of a removal order or the refusal to approve and application for landing made by a member of the family class. La section d"appel a compétence exclusive, dans le cas des appels visés aux articles 70, 71 et 77, pour entendre et juger sur des questions de droit et de fait - y compris en matière de compétence - relatives à la prise d"une mesure de renvoi ou au rejet d"une demande de droit d"établissement présentée par un parent.

6      Dossier du Tribunal, p. 30.

7      Ibid. , p. 68 et 85.

8      Ibid. , p. 78.

9      Ibid. , p. 85

10      Ibid. , p. 98.

11      Supra , note 5.

12      La formation a permis au demandeur de citer trois témoins, mais elle a mentionné à une ou deux reprises qu"il devait y avoir de " nouveaux éléments de preuve " dont l"arbitre ou la Cour fédérale ne disposaient pas : voir le dossier du Tribunal, aux p. 31 et 71.

13      S.R.C. 1927, ch. 93.

14      [1998] A.C.F. no 504 (QL) (C.F. 1re inst.), paragraphe 34.

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