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     Date : 20000525

     Dossier : IMM-1706-99


Ottawa (Ontario), le 25 mai 2000


EN PRÉSENCE DE : M. LE JUGE PELLETIER


ENTRE :


     RHAM WAJID


     demandeur

     et


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

    

     défendeur



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE PELLETIER

[1]      Rham Wajid était secrétaire général du TNSM-Nafaz-e-Shariat-M (TNSM) de son village. Le TNSM se décrit comme un mouvement pacifique, dont l'objectif est l'imposition de la Shari'a, la loi traditionnelle islamique, dans certaines unités administratives à la frontière nord-ouest du Pakistan. Cette région troublée du Pakistan a une frontière commune avec l'Afghanistan, pays de malheur et de violence. En mai 1994, le TNSM a organisé des manifestations pacifiques pour obliger le gouvernement central à accepter ses demandes. Le gouvernement central ayant promis de le faire, les manifestants sont retournés dans leurs villages. Le temps a passé et rien ne s'est produit. En novembre 1994, d'autres manifestations ont été organisées. Le demandeur a participé au blocus du chemin Kanju. La manifestation a été pacifique les trois premiers jours, mais après il y a eu de la violence. D'autres manifestations dans d'autres secteurs ont aussi été marquées par des actes de violence. Le demandeur a été mis en état d'arrestation et placé dans un camp, où on l'a affamé et menacé de mort. Il a finalement été relâché après avoir promis de ne plus participer à ce genre d'activités.

[2]      Le gouvernement central a essayé de répondre aux exigences du TNSM en nommant des juges islamiques pour entendre les causes, mais les résidents locaux ne leur ont reconnu aucune légitimité. Il y a eu d'autres activités plus musclées, au cours desquelles il y a eu des prises d'otages. L'aéroport local a été occupé et fermé. Malheureusement, il y a eu des morts. Aucun de ces événements ne s'est produit dans les environs du lieu de résidence du demandeur et il n'y a pas participé. Suite à la participation du demandeur à une manifestation à Kabal Crossing, au cours de laquelle il a pris la parole et fait des déclarations considérées mettre en cause la paix et l'ordre dans le pays, un mandat d'arrestation a été délivré à son égard. Le demandeur est entré dans la clandestinité à Karachi. Les autorités policières l'ayant retrouvé, il s'est enfui pour venir au Canada et il a présenté une revendication de statut de réfugié.

[3]      La Section du statut de réfugié (SSR) a conclu que le demandeur ne pouvait recevoir le statut de réfugié au sens de la Convention, puisqu'il y avait des « raisons sérieuses de penser qu'il avait commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes » . Ces termes sont tirés de la section F de l'article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, où l'on trouve les motifs qui font qu'une personne peut être exclue de la protection internationale. Ces dispositions sont intégrées dans la définition de « réfugié au sens de la Convention » de l'article 2 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985) ch. I-2 (la Loi). Il a été exclu au motif qu'en sa qualité de secrétaire général du TNSM de son village, il devait être au courant de la violence conduite par le TNSM, qu'on peut décrire comme des « crimes internationaux » , pour utiliser la terminologie adoptée par le juge MacGuigan, J.C.A., pour décrire les crimes dont il est question dans la section F, dans Ramirez c. Canada, [1992] 2 C.F. 306.

[4]      Dans Ramirez, précité, la Cour d'appel fédérale a traité de la question de la complicité des personnes n'ayant pas participé directement aux actes criminels, notamment des personnes qui étaient présentes sans participer aux actes commis ou des personnes impliquées dans des organisations coupables d'avoir perpétré des actes criminels. La Cour a conclu que :

     ...la simple appartenance à une organisation qui commet sporadiquement des infractions internationales ne suffit pas, en temps normal, pour exclure quelqu'un de l'application des dispositions relatives au statut de réfugié...Toutefois, lorsqu'une organisation vise principalement des fins limitées et brutales, comme celles d'une police secrète, il paraît évident que la simple appartenance à une telle organisation puisse impliquer nécessairement la participation personnelle et consciente à des actes de persécution.
     ...
     Je crois que, dans de tels cas, la complicité dépend essentiellement de l'existence d'une intention commune et de la connaissance que toutes les parties en cause en ont. »

[5]      La SSR a conclu que les objectifs du TNSM impliquaient nécessairement l'usage de la violence et que les actions qui se sont produites dans le cadre de sa campagne pour imposer la Shari'a étaient des crimes internationaux. Elle a conclu aussi que le demandeur [traduction] « devait savoir qu'il y avait des gens armés dans son organisation et que l'atteinte de ses objectifs justifiait tous les moyens, y compris une rébellion violente, pour forcer le gouvernement du Pakistan à imposer la Shari'a » .

[6]      La décision de la SSR est viciée de deux façons. Ce ne sont pas tous les crimes nationaux qui sont des crimes internationaux. Tous les actes de violence, ou toute utilisation de la violence pour atteindre des objectifs politiques intérieurs, ne sont pas nécessairement des crimes internationaux. Dans The Law of Refugee Status, le professeur James Hathaway fait le résumé suivant des infractions visées par la section F de l'article premier de la Convention :

     [traduction]

     Premièrement, un « crime contre la paix » comprend la participation dans une guerre illégale ou la préparation d'une telle guerre. Deuxièmement, un « crime de guerre » implique la violation du droit de la guerre, notamment le fait d'infliger des mauvais traitements à des civils ou à des prisonniers de guerre, ou celui de procéder en temps de guerre à des dommages injustifiés à la propriété. Troisièmement, un « crime contre l'humanité » consiste en un comportement fondamentalement inhumain, souvent pour un motif politique, racial, religieux ou pour d'autres préjugés. Le génocide, l'esclavage, la torture et l'apartheid sont des exemples de crimes faisant partie de cette catégorie.

[7]      Dans Ramirez, précité, le crime en cause était la torture et il est clair qu'il est compris dans la définition de l'un ou de plusieurs de ces crimes « internationaux » . En l'instance, on trouve tout au plus une opposition armée à l'État afin de l'obliger à accepter les objectifs du TNSM, au cours de laquelle il y a eu des prises d'otages et des civils ont été tués. On n'a pas démontré qui a tué les civils en question. Compte tenu de l'avis de la SSR qu'il y avait des raisons sérieuses de penser que le demandeur avait commis un crime international, elle avait le fardeau d'identifier le crime en cause et d'indiquer en quoi ce crime était un crime international et non seulement un crime au Pakistan. Comme il est précisé dans Ramirez, précité, c'est à la partie qui demande l'exclusion d'une personne qu'il incombe de prouver que la personne doit être exclue. Ce n'est pas le demandeur qui doit démontrer que les actes en cause n'étaient pas des crimes « internationaux » . C'est celui qui allègue leur existence qui doit identifier les actes qui constituent des crimes « internationaux » et démontrer qu'il y a des motifs sérieux de croire que le demandeur a « commis » ces crimes.

[8]      Ceci m'amène au deuxième vice dans la décision de la SSR, soit sa conclusion qu'en sa qualité de secrétaire général du TNSM dans son village, le demandeur [traduction] « devait savoir qu'il y avait des gens armés dans son organisation et que l'atteinte de ses objectifs justifiait tous les moyens, y compris une rébellion violente, pour forcer le gouvernement du Pakistan à imposer la Shari'a » . Si la SSR veut dire qu'elle ne croit pas le demandeur lorsqu'il affirme qu'il n'était pas au courant qu'il y avait des partisans du TNSM qui étaient armés, le fait qu'il ait été secrétaire général n'est pas pertinent. Il a vu les armes ou il ne les a pas vu, question au sujet de laquelle la SSR peut arriver à des conclusions de fait. La pertinence de cette connaissance est une tout autre question. En tant que secrétaire général du TNSM dans sa région, on pourrait considérer que le demandeur fait partie d'une catégorie de personnes qui sont si intimement impliquées dans les activités de l'organisation qu'on doit considérer qu'il en connaissait le détail. En déclarant que l'atteinte de ses objectifs justifiait tous les moyens, y compris une rébellion armée, on voulait peut-être suggérer que le TNSM est une organisation qui a une seule fin brutale de sorte que ses membres, surtout ceux qui avaient des responsabilités de direction, seraient nécessairement complices des crimes de l'organisation. Avec égards, on n'a pas démontré qu'un crime international avait été commis par le TNSM, ou que ses objectifs se « limitaient à une seule fin brutale » . En conséquence, en l'absence d'une complicité réelle à la commission de crimes internationaux (par opposition à des crimes au Pakistan), rien ne permet de conclure que l'appelant est exclu en vertu de la section F de l'article premier de la Convention.

[9]      Pour ces motifs, la décision de la SSR est annulée et la question renvoyée à un tribunal différent pour être décidée au vu du droit applicable.


ORDONNANCE

     La décision de la Section du statut de réfugié, datée du 24 mars 1999, dont les motifs portent la date du 17 mars 1999, est annulée et la question est renvoyée pour examen par un tribunal différent.




     J.D. Denis Pelletier

     Juge




Traduction certifiée conforme


Martine Brunet, LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                  IMM-1706-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :          RHAM WAJID

                         c.

                         MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :              MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :              LE 1er MARS 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DE M. LE JUGE PELLETIER


EN DATE DU :                  25 MAI 2000



ONT COMPARU


M. HARRY BLANK                          POUR LE DEMANDEUR

Mme JOSÉE PAQUIN                          POUR LE DÉFENDEUR




AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


M. HARRY BLANK                          POUR LE DEMANDEUR


M. Morris Rosenberg                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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