Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20040223

Dossier : T-582-03

Référence : 2004 CF 262

Ottawa (Ontario), le 23 février 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MICHAEL L. PHELAN

ENTRE :

                                                                  BRUCE LEVY

                                                                                                                                           demandeur

                                                                            et

                                           PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

ALAIN HAUSSER

                                                                                                                                            défendeurs

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

Aperçu

[1]                Il s'agit d'un appel interjeté par Bruce Levy (Levy) dont la candidature à un poste de EX-01 au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (MAECI) n'a pas été retenue. Il y a deux questions en litige :

(1)         Le concours a-t-il été mené en conformité avec le principe du mérite?


(2)         Quels sont les documents qu'un candidat non retenu peut obtenir pour appuyer sa contestation du processus utilisé pendant le concours?

Faits

[2]                En septembre 2001, le MAECI a lancé un concours interne relativement à des postes d'agent du service extérieur, des postes de niveau et de groupe EX-01.

[3]                Les candidats ont été présélectionnés par un jury de sélection selon un processus en deux étapes qui comprenait :

a)          un exercice de simulation de gestion (l'exercice de la corbeille);

b)          un examen des trois derniers rapports d'appréciation du service extérieur (RASE).

[4]                Après les deux premières étapes du concours, il y a eu une sélection descendante des 50 meilleurs candidats, puis plus tard, des 65 meilleurs candidats. C'est cet aspect du concours que Levy conteste. Levy avait réussi les deux premières étapes mais il a été rejeté à la troisième. Il s'était classé 100e.


[5]                Les 65 candidats retenus ont été soumis à une évaluation psychologique, à des entrevues et à une vérification des références. Le jury de sélection a décidé que 32 candidats et candidates possédaient les qualités requises et 27 noms ont été inscrits sur la liste d'admissibilité selon le mérite.

[6]                Certains aspects de la première liste d'admissibilité font l'objet d'un contrôle judiciaire distinct dans une affaire qui sera entendue très bientôt. Cependant, une autre liste d'admissibilité a été préparée, liste sur laquelle s'était ajouté le nom d'Alain Hausser. C'est cette dernière liste qui a fait l'objet d'un appel et qui est visée par le présent contrôle judiciaire.

[7]                Dans le cadre de l'appel interjeté en conformité avec le paragraphe 21(1) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, S.R.C. 1970, ch. P-32 (LEFP), dans lequel Levy conteste le processus de sélection, il a demandé les documents suivants :

[traduction]

1. La liste des candidats et candidates ayant obtenu la note de passage (17 ou plus) au cours de la première étape du concours (exercice de la corbeille).

2. Le nom et les notes des candidats et candidates qui ont obtenu 600 points ou plus au cours de la seconde étape du concours (examen des appréciations par le jury).

3. Les noms et les notes à l'exercice de la corbeille des soixante-cinq (65) candidates et candidats retenus pour la troisième étape du concours (ÉFP/entrevues au MAECI).

4. La liste des 28 personnes promues, en ordre de note, dans le cadre de la troisième étape.

5. Les notes manuscrites et les fiches de notation individuelles des membres du jury de sélection pour neuf candidats ou candidates, soit ceux arrivés au 14e , au 22e, au 50e, au 51e, au 65e, au 78e, au 82e et au 93e rang.

6. Toutes les notes de service, les notes d'information, les courriels et autres documents qui expliquent comment et quand le nombre de promotions a été décidé.


7. Toutes les notes de service, les notes d'information, les courriels et autres documents qui expliquent comment, pourquoi et quand la décision a été prise de renvoyer 50 candidats et candidates à la troisième étape du concours, et enfin, tous les documents nécessaires pour expliquer pourquoi ce chiffre est par la suite passé à 65.

[8]                Dans sa décision du 18 mars 2003, le comité d'appel a rejeté l'appel de Levy. Trois aspects de la décision sont déterminants dans le présent contrôle judiciaire :

a)          le comité a décidé que les renseignements demandés n'étaient pas des renseignements auxquels le demandeur avait accès en vertu de l'article 26 du Règlement sur l'emploi dans la fonction publique (2000), DORS/2000-80 (le Règlement);

b)          le représentant du ministère n'a pas été en mesure d'expliquer le fondement de la décision concernant la restriction du nombre de candidats;

c)          le processus appliqué dans le concours n'était pas contraire au principe du mérite puisque les candidats et les candidates en avaient été informés et parce que le ministère avait le droit d'imposer des limites et de se réserver le droit de majorer le nombre de candidats.

Dispositions législatives pertinentes

[9]                La pierre angulaire des nominations internes ou externes de la fonction publique est le principe du mérite décrit au paragraphe 10(1) de la LEFP :


10. (1) Les nominations internes ou externes à des postes de la fonction publique se font sur la base d'une sélection fondée sur le mérite, selon ce que détermine la Commission, et à la demande de l'administrateur général intéressé, soit par concours, soit par tout autre mode de sélection du personnel fondé sur le mérite des candidats que la Commission estime le mieux adapté aux intérêts de la fonction publique.

10. (1) Appointments to or from within the Public Service shall be based on selection according to merit, as determined by the Commission, and shall be made by the Commission, at the request of the deputy head concerned, by competition or by such other process of personnel selection designed to establish the merit of candidates as the Commission considers is in the best interests of the Public Service.

[10]            Le déroulement du processus de sélection est en partie décrit aux paragraphes 16(1) et 17(1) de la LEFP :

16. (1) La Commission étudie toutes les candidatures qui lui parviennent dans le délai fixé à cet égard. Après avoir pris connaissance des autres documents qu'elle juge utiles à leur égard, et après avoir tenu les examens, épreuves, entrevues et enquêtes qu'elle estime souhaitables, elle sélectionne les candidats qualifiés pour le ou les postes faisant l'objet du concours.

16. (1) The Commission shall examine and consider all applications received within the time prescribed by it for the receipt of applications and, after considering such further material and conducting such examinations, tests, interviews and investigations as it considers necessary or desirable, shall select the candidates who are qualified for the position or positions in relation to which the competition is conducted.

17. (1) Parmi les candidats qualifiés à un concours, la Commission sélectionne ceux qui occupent les premiers rangs et les inscrit sur une ou plusieurs listes, dites listes d'admissibilité, selon le nombre de vacances auxquelles elle envisage de pourvoir dans l'immédiat ou plus tard.

17. (1) From among the qualified candidates in a competition the Commission shall select and place the highest ranking candidates on one or more lists, to be known as eligibility lists, as the Commission considers necessary to provide for the filling of a vacancy or anticipated vacancies.

[11]            Les droits d'appel fondamentaux dans un concours interne sont établis au paragraphe 21(1) de la LEFP :


21. (1) Dans le cas d'une nomination, effective ou imminente, consécutive à un concours interne, tout candidat non reçu peut, dans le délai fixé par règlement de la Commission, en appeler de la nomination devant un comité chargé par elle de faire une enquête, au cours de laquelle l'appelant et l'administrateur général en cause, ou leurs représentants, ont l'occasion de se faire entendre.

21. (1) Where a person is appointed or is about to be appointed under this Act and the selection of the person for appointment was made by closed competition, every unsuccessful candidate may, within the period provided for by the regulations of the Commission, appeal against the appointment to a board established by the Commission to conduct an inquiry at which the person appealing and the deputy head concerned, or their representatives, shall be given an opportunity to be heard.

[12]            L'article 26 du Règlement est pertinent pour ce qui touche l'accès aux documents :

26. (1) L'appelant a accès sur demande à l'information, notamment tout document, le concernant ou concernant le candidat reçu et qui est susceptible d'être communiquée au comité d'appel.

26. (1) An appellant shall be provided access, on request, to any information, or any document that contains information, that pertains to the appellant or to the successful candidate and that may be presented before the appeal board.

(2) L'administrateur général en cause fournit sur demande à l'appelant une copie de tout document visé au paragraphe (1).

(2) The deputy head concerned shall provide the appellant, on request, with a copy of any document referred to in subsection (1).

(3) Malgré les paragraphes (1) et (2), l'administrateur général en cause ou la Commission peut refuser de donner accès à l'information ou aux documents ou de fournir copie des documents dont l'un ou l'autre dispose, dans le cas où cela risquerait :

(3) Despite subsections (1) and (2), the deputy head concerned or the Commission, as appropriate, may refuse to allow access to information or a document, or to provide a copy of a document, if the disclosure might

a) soit de menacer la sécurité nationale ou la sécurité d'une personne;

(a) threaten national security or any person's safety;

b) soit de nuire à l'utilisation continue d'un test standardisé qui appartient au ministère de l'administrateur général en cause ou à la Commission ou qui est offert sur le marché;

(b) prejudice the continued use of a standardized test that is owned by the deputy head's department or the Commission or that is commercially available; or

c) soit de fausser les résultats d'un tel test en conférant un avantage indu à une personne.

(c) affect the results of such a standardized test by giving an unfair advantage to any individual.

(4) Si l'administrateur général en cause ou la Commission refuse de donner accès à de l'information ou à des documents aux termes du paragraphe (3), l'appelant peut demander au comité d'appel d'en ordonner l'accès.

(4) If the deputy head concerned or the Commission refuses to allow access to information or a document under subsection (3), the appellant may request that the appeal board order such access.

(5) Si le comité d'appel ordonne que l'accès soit donné à de l'information ou à des documents en vertu du paragraphe (4), cet accès est assujetti, avant et pendant l'audition, aux conditions que le comité d'appel estime nécessaires pour prévenir les situations décrites aux alinéas (3)a) à c).

(5) If the appeal board orders access to information or a document under subsection (4), that access is subject, before and during the hearing, to any conditions that the appeal board considers necessary to prevent the situations described in paragraphs (3)(a) to (c) from occurring.

(6) L'information ou les documents obtenus en vertu du présent article ne peuvent être utilisés que pour les besoins de l'appel.

(6) Any information or document obtained under this section shall be used only for purposes of the appeal.

Analyse

[13]            Le contrôle judiciaire soulève deux questions. Cependant, le litige peut être tranché en tenant compte uniquement de la décision du comité d'appel de refuser à Levy les documents qu'il avait demandés.

[14]            Les parties reconnaissent, dans leur mémoire respectif, que la norme de contrôle en l'espèce est celle de la décision correcte. Dans leur plaidoirie, les défendeurs ont soutenu que pour certaines questions, la norme de contrôle devait être celle de la décision raisonnable.


[15]            Les défendeurs ont raison de dire que la norme de contrôle dépend, dans une certaine mesure, de la question en litige; toutefois, en l'espèce, les questions ne sont, selon moi, que des questions de droit. Par conséquent, la conclusion tirée par la Cour dans l'affaire Boucher c. Canada (Procureur général) (2000) 252 N.R. 186, s'applique et la norme est celle de la décision correcte.

[16]            Dans son appel, Levy contestait la légalité du processus de sélection, c'est-à-dire la méthode de sélection descendante. Levy a contesté directement la méthode utilisée pour apprécier le mérite relatif des candidats et des candidates et le fondement de la décision de déterminer le nombre de candidats susceptibles de passer à l'étape suivante du processus de sélection.

[17]            Il appartient au jury de sélection de prouver que le concours a été mené en conformité avec le principe du mérite (voir : Field c. Canada (Procureur général), [1995] A.C.F. no 458).

[18]            Le bulletin annonçant le concours explique en partie les raisons de l'établissement du nombre de candidats susceptibles de passer à l'étape suivante du processus de sélection, mais l'absence d'explication ressort de manière plus flagrante dans la preuve du ministère, au paragraphe 42 de la décision du comité d'appel :

Le ministère explique qu'il avait le droit de déterminer le nombre de candidats et candidates qui passeraient à l'étape d'évaluation du processus de sélection. Le représentant du ministère, M. Chartrand, ajoute que ce n'est pas une décision pour laquelle il a eu droit au chapitre. Il est possible que le chiffre ait été augmenté en fonction du nombre prévu de postes vacants, mais il n'en est pas certain. Néanmoins, il maintient qu'il s'agit d'une décision que le ministère avait le droit de prendre.

[19]            Il semble ressortir de la décision du comité d'appel que le ministère ne pourrait peut-être pas s'acquitter de son obligation de démontrer qu'il a respecté le principe du mérite. Dans le cadre de l'appel interjeté par Levy, le témoin du ministère n'a pas justifié le processus et le comité d'appel n'a pas permis à Levy d'avoir accès aux documents dont il avait besoin dans le cadre de son appel.

[20]            L'article 26 du Règlement dit que l'appelant a droit à tout document : « le concernant ou concernant le candidat reçu » .

[21]            Le mot « concernant » peut avoir un sens très large si le contexte s'y prête et conformément à l'objet de la disposition. Puisque l'article 26 a pour objet de permettre à l'appelant d'avoir accès à de l'information pendant le processus d'appel, il est conforme à l'objet de la disposition de donner au mot « concernant » le sens de « pertinent » ou ayant un lien avec l'appelant ou le candidat reçu (voir ICN Pharmaceuticals Inc. c. Canada (Personnel du Conseil d'examen du prix des médicaments brevetés), [1997] 1 C.F. 32, paragraphes 46, 55 et 57).

[22]            Le droit d'appel et le droit de contester valablement le processus de sélection exigent une interprétation large de l'article 26 du Règlement.

[23]            Le comité d'appel a donné une interprétation étroite à l'article 26 en fondant sa décision sur une catégorie de documents plutôt que de se fonder sur la pertinence des documents demandés ou sur l'objet du Règlement.

[24]            Outre l'interprétation de l'article 26, une demande de communication de documents doit être examinée dans le cadre des principes généraux du droit public que sont l'équité et la justice naturelle.

[25]            Le juge Kelen de la Cour a confirmé, dans Haydon et al. c. Canada, 2003 CFPI 740, le principe selon lequel un comité d'appel doit respecter les principes de justice naturelle et d'équité. La Cour suprême du Canada en a également décidé ainsi dans Perry c. Canada, [1980] 1 R.C.S. 316.

[26]            Selon moi, il devient impossible en appel de respecter ces principes alors que l'appelant s'est vu refuser l'accès à des documents susceptibles d'être très utiles pour ce qui concerne les motifs de son appel.

[27]            L'article 26 du Règlement ne saurait être considéré comme un code complet ayant pour effet d'empêcher la communication de documents pertinents à l'appelant. Il s'agit, au mieux, d'une norme minimale de communication.

[28]            La décision du comité d'appel devrait être annulée sur cette seule base et il faudrait renvoyer l'affaire à un comité d'appel différemment constitué qui ordonnerait la communication des documents demandés.

[29]            Puisque la question de savoir si le concours a respecté le principe du mérite fera de nouveau l'objet d'un examen en rapport avec un dossier plus complet, je ne tirera aucune conclusion sur cette question. Il est certain que le nouveau comité d'appel tiendra soigneusement compte du paragraphe 16(1) de la LEFP et des termes, « [...] sélectionne les candidats qualifiés pour le [...] le post[e] [...] » .

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un nouveau tribunal du comité d'appel de la Commission de la fonction publique pour qu'il procède à une nouvelle audition et qu'il ordonne la communication des documents demandés au demandeur.

2.          Le demandeur a droit à ses dépens.

                                                                           _ Michael L. Phelan _              

                                                                                                     Juge                             

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     T-582-03

INTITULÉ :                                                    BRUCE LEVY

c.

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

ALAIN HAUSSER

LIEU DE L'AUDIENCE :                              OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 18 FÉVRIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :             LE JUGE PHELAN

DATE DES MOTIFS :                                   LE 23 FÉVRIER 2004

COMPARUTIONS :

Andrew Raven                                      POUR LE DEMANDEUR

Michael Roach                                      POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Andrew Raven                                      POUR LE DEMANDEUR

Ottawa (Ontario)

Morris Rosenberg                                              POUR LES DÉFENDEURS

Sous-procureur général

Ottawa (Ontario)


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.